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Projet de loi sur la diffusion continue en ligne

Recours au Règlement

25 avril 2023


L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ - ]

J’invoque le Règlement, Votre Honneur. Je vous remercie.

Votre Honneur, mon recours au Règlement porte sur le préavis de motion donné par le leader du gouvernement au Sénat le 20 avril. Il a alors informé le Sénat qu’il proposerait la fixation de délai concernant l’étude du projet de loi C-11. Voici ce qu’il a dit :

Monsieur le Président, j’avise le Sénat que je n’ai pas pu m’entendre avec les représentants des partis reconnus sur le temps à consacrer à la réponse au message de la Chambre des communes portant sur les amendements du Sénat au projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.

Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, conformément à l’article 7-2 du Règlement, pas plus de six heures de délibérations additionnelles soient attribuées à l’étude de la motion, telle que modifiée, tendant à répondre au message de la Chambre des communes concernant les amendements du Sénat au projet de loi C-11, Loi modifiant la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.

Votre Honneur, bien que ce ne soit un secret pour personne que le gouvernement souhaite faire adopter le projet de loi aussi rapidement que possible afin d’éviter — je me réjouis que cela amuse la sénatrice Lankin — l’embarras que ne cesse de lui causer son impopularité, le préavis de motion du sénateur Gold n’applique pas correctement le Règlement du Sénat. En fait, il l’enfreint.

À cet égard, il y a trois choses que je souhaite porter à votre attention, Votre Honneur.

Premièrement, le préavis de motion du sénateur Gold ne correspond pas au format prescrit. Comme je l’ai mentionné, lorsque le sénateur Gold a donné préavis de la motion, il a déclaré :

[...] j’avise le Sénat que je n’ai pu m’entendre avec les représentants des partis reconnus sur le temps à consacrer à la réponse au message [...]

Pourtant, l’article 7-2(1) du Règlement indique clairement :

Le leader ou le leader adjoint du gouvernement peut, à tout moment pendant une séance, annoncer que les représentants des partis reconnus n’ont pu se mettre d’accord [...]

Votre Honneur, le format prescrit pour le préavis d’une motion en vertu de l’article 7-2(1) est très clair. Puisque le préavis de motion du sénateur Gold ne respecte pas la forme prescrite, il n’est pas valide. Comme tout le monde le sait, il y a des façons précises de présenter un préavis de motion, et le Bureau, bien sûr, peut fournir les formules prescrites à chacun d’entre nous. Le sénateur Gold a délibérément choisi de ne pas suivre la formule prévue par le Règlement. Je soutiens donc que, puisque le préavis n’a pas été donné en bonne et due forme, le sénateur Gold ne peut pas présenter la motion aujourd’hui.

Deuxièmement, Votre Honneur, en plus de ne pas suivre la forme prescrite par le Règlement du Sénat, la motion du sénateur Gold ne remplissait pas les conditions préalables nécessaires. Comme je l’ai déjà noté, l’article 7-2(1) du Règlement énonce :

Le leader ou le leader adjoint du gouvernement peut, à tout moment pendant une séance, annoncer que les représentants des partis reconnus n’ont pu se mettre d’accord pour fixer un délai pour terminer le débat précédemment ajourné [...]

Votre Honneur, je ne veux pas utiliser des propos non parlementaires ici. Il y a des gens qui sont prompts à sauter sur l’occasion pour invoquer le Règlement à ce sujet. Permettez-moi simplement de dire qu’en faisant cette déclaration, le sénateur Gold a induit le Sénat en erreur. Le sénateur Gold n’a jamais offert, en privé ou en public, de façon officielle ou officieuse, de nous rencontrer pour discuter d’un échéancier pour le débat sur cette motion.

Je me permets de fournir quelques détails et une mise en contexte sur la discussion que j’ai eue avec le sénateur Gold à propos de cette motion en réponse au message de la Chambre sur le projet de loi C-11.

Votre Honneur, le lundi 17 avril, j’ai eu une rencontre avec le sénateur Gold et les leaders des autres groupes reconnus. Le sénateur Gold nous a demandé quelles étaient nos intentions à l’égard de la motion. Je pense avoir indiqué clairement aux personnes présentes que je ne pouvais pas fournir de réponse définitive avant que nous ayons vu la motion. Nous revenions tout juste d’une pause de deux semaines. Le gouvernement a eu beaucoup de temps pour rédiger sa motion. Le lundi soir, la motion n’avait pas encore été rédigée; c’est ce qu’on nous a dit. On nous a dit que nous la recevrions avant minuit.

Le sénateur voulait que nous indiquions comment et quand nous allions voter sur une motion que nous n’avions pas encore vue. J’ai finalement reçu la motion le mardi matin. Elle avait été envoyée la veille à mon chef de cabinet. Je pense qu’il l’a reçue aux alentours de 22 heures; je ne suis pas sûr de l’heure. Je l’ai reçue le matin.

Plus tard dans la journée, le sénateur Gold m’a appelé à ce sujet, entre autres, et il a suggéré que nous nous rencontrions pour discuter de cette question. J’ai d’abord proposé que nous nous réunissions lundi, c’est-à-dire hier, pour en discuter. Le sénateur Gold a affirmé que c’était un peu tard pour lui et qu’il aimerait que l’on se rencontre plus tôt. Je lui ai répondu que je pouvais me rendre disponible jeudi s’il souhaitait me rencontrer, et il m’a indiqué qu’il me répondrait plus tard, ce qu’il n’a jamais fait.

En entendant l’une des sonneries jeudi vers la fin de l’après-midi, je suis allé de l’autre côté de la salle du Sénat pour voir le sénateur Gold. La leader adjointe était avec lui. Je lui ai demandé si nous pouvions tenir une brève réunion. Il m’a répondu — et je ne veux pas répéter mot pour mot ce qu’il a dit — que ce n’était pas le moment.

Vous vous souviendrez également, Votre Honneur, que c’est la leader adjointe du groupe gouvernemental de facto au Sénat qui a présenté une motion jeudi dernier pour ajourner le débat sur le sous‑amendement du sénateur MacDonald. Ce n’était pas les conservateurs. Vous vous souviendrez également que les conservateurs se sont d’abord opposés à l’ajournement. Nous étions heureux que le sous-amendement du sénateur MacDonald soit mis aux voix. Cependant, le débat a été ajourné, et nous n’avons donc pas pu voter.

Immédiatement après l’ajournement, le sénateur Gold a pris la parole pour présenter un avis de motion. Après seulement six heures de débat sur un projet de loi dont l’étude en comité a compté plus de 70 heures de témoignages de la part de 140 personnes, et sans la moindre tentative officielle ou informelle de parvenir à une entente sur l’échéancier à suivre, le sénateur Gold a affirmé au Sénat qu’il n’avait pas pu s’entendre avec moi — ou, plutôt, avec les partis reconnus, mais il n’y en a qu’un, et j’en suis le représentant.

Votre Honneur, pour tous les projets de loi controversés dont le Sénat a été saisi depuis 2017 environ, j’ai été à la table de négociations pour contribuer aux discussions avec le leader du gouvernement et à la conclusion d’ententes mutuellement acceptables. J’ai notamment participé aux négociations sur la deuxième lecture du projet de loi C-11, sur les échéanciers de l’étude par le comité et même, Votre Honneur, sur la troisième lecture. De telles discussions ont aussi été régulièrement tenues avec le prédécesseur du sénateur Gold, le sénateur Harder.

Cependant, lorsque le Sénat a reçu le message de la Chambre des communes sur le même projet de loi, le sénateur Gold n’a pas eu la décence de me téléphoner. Plutôt, il a déformé les faits au Sénat d’une façon ahurissante pour servir ses propres intérêts.

Le sénateur Gold dit que nous n’avons pas pu nous entendre, mais il ne peut pas y avoir eu de mésentente, puisque nous n’avons même pas discuté de la nécessité de fixer un délai pour terminer le débat sur la motion en question. Par conséquent, Votre Honneur, nous n’avons eu l’occasion ni de nous mettre d’accord, ni d’être en désaccord. Bien que nous soyons plutôt habitués que le gouvernement ne prenne pas au sérieux la nécessité de consulter, cela n’enlève rien au fait que cet article du Règlement oblige le gouvernement à le faire.

Le Règlement ne permet pas au gouvernement de fixer un délai simplement parce que les partis reconnus n’adhèrent pas au délai préconisé par le gouvernement. Le libellé du Règlement est sans équivoque. Le gouvernement peut uniquement invoquer l’article 7-2(1) en l’absence d’un accord. Or, Votre Honneur, pour pouvoir dire que les partis n’ont pas pu se mettre d’accord, il faut à tout le moins qu’ils aient discuté d’un délai proposé.

À ce sujet, Votre Honneur, j’aimerais porter à votre attention un certain nombre de citations, de pratiques et de pouvoirs, quoique vous les avez sans doute déjà tous examinés. Si ce n’est pas le cas, je suis convaincu que vous vous ferez un point d’honneur de le faire. Quoi qu’il en soit, je crois qu’il est important de les faire consigner au compte rendu.

Au sujet de l’attribution de temps, le Document d’accompagnement du Règlement du Sénat du Canada cite le passage suivant tiré de la page 660 de La procédure et les usages de la Chambre des communes :

Bien qu’elle soit devenue le mécanisme le plus largement utilisé pour limiter le débat, elle demeure en soi un moyen de réunir les partis pour négocier une répartition acceptable du temps de la Chambre.

Votre Honneur, bien que le Document d’accompagnement du Règlement du Sénat du Canada fasse référence à la procédure de la Chambre des communes, le fait que cette citation s’y trouve indique clairement que le même principe s’applique au Sénat.

La fixation de délai est un moyen de réunir les partis pour négocier. Votre Honneur, je regrette qu’il n’y ait eu ni réunion de ces partis ni négociations. Au lieu de cela, le représentant du gouvernement au Sénat a pris la décision unilatérale d’interrompre le débat sur une motion qui présente un grand intérêt pour de nombreux sénateurs de tous les groupes, ainsi que pour tous les Canadiens.

En plus d’être abusif, c’est contre le Règlement. Dans la mesure où le sénateur Gold n’a jamais proposé de délai encadrant le débat sur la motion relative au projet de loi C-11 et qu’il n’en a jamais même parlé, il ne peut pas invoquer l’article 7-2 du Règlement. Je suppose, Votre Honneur, que le leader du gouvernement au Sénat s’opposera à cet argument en faisant valoir qu’il n’avait pas besoin de proposer quoi que ce soit ni d’en parler, mais qu’il n’avait qu’à constater qu’on n’a pas pu se mettre d’accord. C’est faux, Votre Honneur.

Premièrement, le principe même est erroné. Je vous renvoie encore une fois à la page 171 du Document d’accompagnement du Règlement du Sénat du Canada, qui cite la 24e édition de l’ouvrage Erskine May Parliamentary Practice, à la page 469 :

En outre, l’impact des motions de fixation de délais ou des ordres de programmation est aussi quelque peu atténué par des consultations informelles entre les représentants des partis ou encore au sein du Comité des affaires de la Chambre ou du Comité de la programmation en vue de dégager le plus large consensus possible sur la façon la plus satisfaisante d’utiliser le temps disponible.

On peut voir, dans le paragraphe précédant cette citation, que l’esprit de cette règle permettant au gouvernement de proposer une motion de fixation de délai est exprimé par l’équilibre entre la nécessité d’examiner les affaires à l’ordre du jour et le droit d’en débattre. Cet équilibre est essentiel pour que la société respecte le rôle du Parlement. Il oblige aussi le gouvernement à tenir des consultations avant d’invoquer cet article du Règlement.

Je constate, Votre Honneur, que ce principe s’est reflété à maintes reprises dans les usages du Sénat. J’attire votre attention sur deux d’entre elles. La première renvoie à la page 171 du Document d’accompagnement du Règlement du Sénat.

Le 20 septembre 2000, le Président Molgat a rendu la décision suivante concernant un recours au Règlement contestant un préavis de motion de fixation de délai. Je rappelle qu’à l’époque, l’article 7-2 du Règlement s’appelait le « paragraphe 39(1) ».

Dans sa décision, le Président Molgat dit ceci :

En ce qui concerne le point soulevé par le sénateur Kinsella, je voudrais que vous vous reportiez au paragraphe 39(1), qui prévoit simplement que, si « ... le leader adjoint du gouvernement au Sénat, de sa place au Sénat, peut déclarer que les représentants des partis n’ont pas réussi à s’entendre pour attribuer un nombre précis de jours et d’heures... », cela autorise le leader adjoint à donner avis.

Honorables sénateurs, le leader adjoint a déclaré que les représentants n’avaient pu s’entendre. Il m’est impossible de savoir s’ils y parviendront plus tard. Tout ce que j’ai devant moi, c’est une motion stipulant que, s’ils ne se sont pas entendus à l’heure actuelle, le Règlement a été observé et les conditions ont été fixées. Par conséquent, je déclare irrecevable le recours au Règlement.

Je soulève cette citation, Votre Honneur, parce qu’une lecture superficielle de celle-ci semble indiquer que le gouvernement n’a pas besoin de mener des consultations, mais qu’il doit plutôt seulement déclarer qu’un accord n’a pas été conclu. Or, cette affirmation est erronée.

Le Président Molgat soulignait simplement qu’il n’avait aucun moyen de savoir si un accord avait été conclu, et il a fait cette déclaration alors qu’il savait parfaitement que les parties avaient mené des consultations. Cela a été reconnu pour la première fois par le leader adjoint du gouvernement plus tôt dans la journée du 20 septembre 2000 lorsqu’il a déclaré ceci :

[...] mon homologue, le chef adjoint de l’opposition, et moi‑même avons discuté de la question dans un effort en vue de parvenir à une entente sur le temps à allouer à la troisième lecture du projet de loi C-37. Nous n’avons pas pu parvenir à une telle entente, mais nous poursuivrons nos discussions.

Le sénateur Kinsella, qui était le chef adjoint de l’opposition à l’époque, a ensuite affirmé ce fait lorsqu’il a dit ceci :

La règle prévoit que des discussions sérieuses aient lieu avant de proposer l’attribution de temps aux fins de l’étude d’un projet de loi du gouvernement.

Votre Honneur, dans le cas présent, on voit qu’il n’y avait pas de désaccord entre le gouvernement et l’opposition quant au fait qu’il fallait d’abord faire un effort de discussion et de négociation avant qu’un préavis de motion de clôture soit présenté. La seule question à régler dans ce recours au Règlement était de savoir si un tel préavis pouvait être présenté avant même que les discussions soient conclues.

Dans ce contexte, la décision du Président Molgat tombe sous le sens, comme le souligne le sénateur Hays :

Affirmer que l’article 39 ne s’applique que lorsque les discussions sur un point précis sont condamnées à ne pas aboutir ne serait pas conforme à l’esprit du Règlement ou de l’article 39 ni à la façon dont nous faisons les choses au Sénat.

Il ajoute ensuite :

Honorables sénateurs, je dis simplement que des discussions ont eu lieu et qu’elles n’ont pas permis à ce côté-ci de parvenir à une conclusion et, en tant que représentant du parti ministériel, cela me suffit.

Votre Honneur, à mon avis, le sénateur Hays avait raison : si des discussions avaient eu lieu et qu’elles n’avaient rien donné, alors les critères de l’article 7-2 auraient été remplis. Or, comme je l’ai souligné, ce n’est pas ce qui est arrivé dans le cas du préavis de motion dont je parle aujourd’hui. Le sénateur Gold n’a à peu près rien tenté pour discuter d’un échéancier avec moi. Conséquemment, il n’a pas rempli les critères permettant d’invoquer l’article 7-2.

Votre Honneur, la deuxième décision de la présidence sur laquelle j’aimerais attirer votre attention — puisque je crois qu’elle est pertinente à la question — a été rendue le 19 février 2004. En l’occurrence, le Président Hays se penchait aussi sur un recours au Règlement relatif à un préavis de motion de fixation de délai. Cette fois-là aussi, la question n’était pas de savoir si des discussions avaient eu lieu, mais s’il était adéquat de tenir de telles discussions. À l’époque, l’article 39(1) se lisait comme suit :

[...] que les représentants des partis n’ont pas réussi à s’entendre pour attribuer un nombre précis de jours ou d’heures aux délibérations [...]

Le leader adjoint de l’opposition, le sénateur Kinsella, soutenait qu’un critère précis n’avait pas été respecté.

Cependant, là encore, la question n’était pas de savoir si des consultations avaient été menées, mais si elles étaient adéquates. Voici ce qu’a répondu le Président Hays :

L’argument du sénateur Kinsella souligne l’importance de la précision quand il est fait référence au Règlement. Le président de séance se trouve lui-même dans la drôle de position de déterminer qui croire, domaine dans lequel je ne veux pas m’aventurer.

Je vais accepter l’avis de motion, mais je le fais en ajoutant cette réserve : ayant écouté l’échange entre les leaders parlementaires, je les exhorte, ainsi que les autres sénateurs, à faire très attention au Règlement et à en observer les exigences.

Le Président Hays a accepté l’avis de motion, comme on l’appelait à l’époque, parce que les deux parties ont reconnu que des discussions avaient eu lieu. En agissant ainsi, il a souligné que la précision est importante quand on fait référence au Règlement.

Votre Honneur, je demande qu’une attention aussi particulière soit portée au Règlement dans le cas présent. En effet, comme je l’ai souligné, le sénateur Gold a omis de le faire en ne consultant personne, alors son préavis de motion ne respecte pas le Règlement.

J’ai un dernier point à soulever, Votre Honneur, en ce qui concerne notre Règlement. C’est un désaccord entre les partis reconnus qui est à la source du recours à la fixation de délai. Au paragraphe 7-2(1) du Règlement, on peut lire ce qui suit :

Le leader ou le leader adjoint du gouvernement peut, à tout moment pendant une séance, annoncer que les représentants des partis reconnus n’ont pu se mettre d’accord [...]

Le terme « parti reconnu » est défini à l’Annexe I : Terminologie du Règlement, comme suit :

Un parti reconnu au Sénat est formé d’au moins neuf sénateurs qui sont membres du même parti politique, qui est enregistré conformément à la Loi électorale du Canada ou qui a été enregistré conformément à la Loi au cours des 15 dernières années.

Votre Honneur, on trouve également dans le Règlement la définition de ce qu’est un « groupe parlementaire reconnu ». En fait, ce terme est utilisé partout dans le Règlement pour faire une distinction claire entre « parti reconnu » et « groupe reconnu ». Votre Honneur, voici le dilemme : il n’y a qu’un seul parti reconnu au Sénat et c’est le Parti conservateur du Canada, mais certains dans cette enceinte ne voient pas cette réalité d’un bon œil. Les trois autres caucus organisés sont des groupes parlementaires.

Il ne peut y avoir mésentente entre des partis reconnus s’il n’y en a qu’un seul. C’est on ne peut plus simple. Je débats avec moi‑même à l’occasion, et j’ai gain de cause la plupart du temps. Or, ce n’est pas le cas ici.

Au cours des dernières années, plusieurs modifications ont été apportées au Règlement du Sénat . Nombre de ces modifications découlent de la nouvelle réalité du Sénat où siègent non seulement des sénateurs affiliés à un parti, mais également des sénateurs appartenant à des groupes. Cependant, aucune modification n’a été apportée à l’article 7. Votre Honneur, je précise qu’il ne s’agit pas d’un oubli. Le Sénat a décidé, dans sa sagesse, de ne pas modifier le libellé de l’article 7, et je vous exhorte, Votre Honneur, à simplement suivre le Règlement et à déclarer qu’étant donné qu’il y a un seul parti reconnu au Sénat, il ne peut y avoir mésentente. Par conséquent, à cet égard, la motion du sénateur Gold est irrecevable.

Deuxièmement, Votre Honneur, même s’il existait une façon alambiquée d’interpréter « groupe parlementaire » comme l’équivalent de « parti reconnu », la motion du sénateur Gold demeurerait irrecevable.

Il n’y a jamais eu de réunion des quatre partis ou groupes pour discuter du calendrier d’adoption du projet de loi C-11, de sorte qu’il ne peut y avoir d’accord ou de désaccord dans le cadre de ce scénario à ce moment-ci.

Enfin, ce que le gouvernement vous demande de faire, Votre Honneur, c’est non seulement de réécrire le Règlement pour que le mot « groupe » soit équivalent au mot « parti », mais aussi de vous demander de considérer le leader du gouvernement comme un des partis, alors que ce n’est pas ce que dit le Règlement.

Le sénateur Gold est un sénateur non affilié. Il n’est ni le leader d’un parti reconnu ni le leader d’un groupe reconnu. Il dit même qu’il n’est pas le leader du gouvernement. Il est un sénateur non affilié.

Les sénateurs non affiliés n’ont aucun rôle reconnu dans les discussions relatives à la fixation de délai, Votre Honneur. Permettez-moi de répéter cela pour tous les sénateurs ici présents : les sénateurs non affiliés n’ont aucun rôle reconnu dans les discussions relatives à la fixation de délai.

Comme on peut le lire dans la sixième édition de la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, à la page 162, passage cité dans le Document d’accompagnement du Règlement du Sénat du Canada  : « Les mots “représentants de tous les partis” [...] ne visent pas les députés indépendants. » Le sénateur Gold, qui est un sénateur indépendant, affirme ne pas pouvoir arriver à une entente, ce qui n’a absolument aucune importance, puisqu’il ne fait pas partie, en vertu de l’article 7, de ceux qui peuvent ou non se mettre d’accord.

Vous constaterez que le leader du gouvernement n’est pas mentionné, à l’article 7 du Règlement du Sénat, parmi les nécessaires participants pouvant se mettre d’accord ou non sur la fixation de délais. Selon cet article, son rôle se limite donc à prendre note que les représentants se sont mis d’accord ou non et de présenter le préavis exigé.

Comme je l’ai dit, le Sénat a la même répartition majoritaire depuis 2016. Or, il n’a jamais été question, Votre Honneur, de modifier le libellé de l’article 7 du Règlement du Sénat.

Par ailleurs, il y a à peine un an, Votre Honneur, le gouvernement a apporté des modifications à la Loi sur le Parlement du Canada, mais il n’a pas touché à cette partie. Pourquoi?

Le gouvernement et ses sénateurs osent aujourd’hui vous demander, à vous, Votre Honneur, de modifier le Règlement du Sénat par le truchement de ce préavis de motion. Or, avec tout le respect que je vous dois, Votre Honneur, et je vous en dois beaucoup, votre tâche à vous, selon l’article 2 du Règlement, consiste à trancher les recours au Règlement. Vous n’avez pas le pouvoir de récrire le Règlement du Sénat simplement parce que ceux qui sont présentement au pouvoir trouvent pratique de vous refiler cette responsabilité à vous, Votre Honneur.

Pour tout vous dire, je trouve extrêmement choquante cette tentative de réécriture de l’article 7 du Règlement. C’est vraiment dommage, Votre Honneur, que le sénateur Gold vous place, à la veille de votre retraite, dans une position où on vous demande de faire une chose qui dépasse vos attributions. Ces gens vous demandent de faire le travail du Comité du Règlement et, partant, du Sénat au grand complet. Je ne serais pas étonné d’apprendre, Votre Honneur, que le leader du gouvernement au Sénat, le sénateur Gold, et le Cabinet du premier ministre vous mettent de la pression pour que vous agissiez comme ils vous le demandent. Je vous en prie, Votre Honneur, je vous en exhorte : ne cédez pas à leurs tactiques.

Comme vous le savez déjà, Votre Honneur, en 2015, le chef libéral Justin Trudeau a dit ceci :

Si le Sénat a un rôle à jouer, c’est assurément de servir de contrepoids au pouvoir extraordinaire que détiennent le premier ministre et son cabinet [...]

Votre Honneur, s’il y a un sénateur indépendant au Sénat qui soit vraiment indépendant, c’est vous. Comme il a été dit plus tôt aujourd’hui, vous avez fait un excellent travail, en étant indépendant et en rendant des décisions qui étaient de toute évidence mûrement réfléchies et témoignaient de votre indépendance.

Vous prendrez bientôt votre retraite. Je vous exhorte, Votre Honneur, de ne pas entacher votre excellente réputation et votre bilan d’impartialité en réécrivant le Règlement du Sénat à la fin de votre mandat, au lieu de le respecter et de l’appliquer.

Votre Honneur, je sais que vous ferez ce qui est juste. J’attends avec impatience votre décision sur cette question. Merci.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ - ]

Merci, sénateur Plett.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à souligner certaines des actions que le sénateur Plett m’a imputées, à savoir que j’avais présenté des faits déformés au Sénat, que je manquais de décence et que mes propos servaient mes propres intérêts. J’ai bien l’intention de répondre aux différents points qu’il a soulevés dans mon intervention. Je réfuterai ces caractérisations sans fondement et je fais cette affirmation avec tristesse plutôt qu’avec colère.

En ce qui concerne le premier point, la motion que j’ai présentée aujourd’hui et dont j’ai donné préavis hier a été rédigée avec l’aide de nos collègues compétents du Bureau de la procédure et des travaux de la Chambre. Affirmer qu’elle était en quelque sorte déficiente dans sa forme est sans fondement.

Ensuite, le deuxième point du sénateur Plett, qui concerne la déclaration selon laquelle aucun accord n’a été conclu, est également sans fondement. Je vais vous faire part, honorables sénateurs, de ce qui s’est passé la semaine dernière.

Comme le fait remarquer à juste titre le sénateur Plett, nous avons eu une réunion des leaders lundi, pendant laquelle j’ai déclaré à tous mes collègues leaders que le gouvernement souhaitait que le débat sur le message se termine à la fin de la semaine dernière. Je le mentionne parce que lorsque nous regardons le temps que le Sénat a consacré à des messages de la Chambre par le passé, nous voyons que nous prenons en moyenne moins de deux jours pour nous en occuper. À ce moment-là, comme le sénateur Plett l’a également mentionné, les leaders n’avaient pas encore vu une copie du message dont nous proposions de débattre et que nous proposions d’adopter à la fin de la semaine dernière. Lorsque j’ai demandé aux leaders, comme je le fais toujours, combien d’intervenants ils pourraient avoir, le sénateur Plett a répondu : « Nous n’avons pas vu le message; pourquoi le cachez-vous? » — mais ne nous attardons pas à cela — « Lorsque nous aurons vu le message, nous vous répondrons. » Il a promis à tous les leaders, lundi, que dès qu’il verrait le message, il nous fournirait les renseignements que j’avais demandés. Le message, comme le fait remarquer à juste titre le sénateur Plett, a été distribué quelques heures plus tard dans la soirée.

Mardi, pendant la préparation du plumitif, nous avons réaffirmé notre désir que le vote ait lieu d’ici jeudi. Il n’y a eu aucun engagement en ce sens de la part du Parti conservateur. À un certain moment pendant la semaine — le sénateur Plett y fait allusion, mais je me sens obligé de vous le rappeler —, le sénateur Plett et moi avons eu une conversation pendant laquelle il m’a dit qu’il était impossible que ce projet de loi soit adopté d’ici la fin de la semaine. C’était clair. Mercredi, pendant la préparation du plumitif, à laquelle participent les leaders adjoints et les coordonnateurs législatifs, nous avons répété que nous pensions que le Sénat devrait adopter ce projet de loi d’ici la fin de la semaine. À nouveau, il n’y a eu aucun engagement. Jeudi, encore pendant la préparation du plumitif, nous avons fait la même déclaration, qui est restée une fois de plus sans réponse.

Honorables sénateurs, ceux d’entre vous qui étaient ici ou qui étaient absents, mais qui ont suivi nos travaux sur SenVu savent pertinemment qu’aucune avancée n’a été faite une fois le débat sur la motion commencé. Le débat a été ajourné, après une très faible participation du côté des conservateurs, si ce n’est pour présenter leurs amendements et sous-amendements, dont nous avons tous été les témoins, sans parler des sonneries qui les ont accompagnés.

Voilà, dans les faits, ce qui s’est passé. S’il fallait — ce qui n’est pas le cas — qu’une motion visant à demander une fixation de délai nécessite une consultation auprès des autres groupes et des leaders, cette exigence a été satisfaite. Il n’y a eu aucun commentaire, malgré les promesses faites lundi et une déclaration claire faite la semaine dernière, selon laquelle cela ne serait pas accepté bien que nous ayons continué de soutenir avec insistance que c’était ce que nous souhaitions et espérions.

Je reviendrai sur ce point en temps et lieu, mais, pour le moment, je passe au principal enjeu, c’est-à-dire le troisième point soulevé par le sénateur Plett. Il s’agit, selon moi, d’une attaque qui vise à éliminer complètement la possibilité, pour le gouvernement, d’avoir recours à la fixation de délai. Elle semble reposer sur un argument voulant que, comme nous n’appartenons pas à un parti reconnu et que nous sommes non affiliés — et qu’il n’y a eu aucune entente entre les partis reconnus, puisqu’il n’y en a qu’un — ma seule tâche consiste à recevoir passivement de l’information. Voilà le cadre qui guidera mes observations.

Les affirmations concernant le préavis sont sans fondement. Le préavis à l’égard de la motion rédigée par le Bureau de la procédure et des travaux de la Chambre et présentée au Sénat était conforme aux règles. Les critères prévus par le Règlement, dont je parlerai plus en détail, ont été respectés. La position défendue par le sénateur Plett et par l’opposition ne respecte essentiellement ni la lettre ni l’esprit des dispositions du Règlement, et elle va à l’encontre du bon fonctionnement du Sénat.

Aujourd’hui, honorables sénateurs, je tâcherai de démontrer que l’interprétation du Règlement qui a été présentée par mon collègue d’en face est erronée. Comme je l’ai dit, elle va à l’encontre de l’intention véritable qui sous-tend les dispositions du chapitre 7 du Règlement du Sénat. Avant de parler plus en détail de la procédure, je dois dire que les arguments que nous avons entendus de la part du sénateur Plett me laissent quelque peu perplexe et confus.

Depuis que le gouvernement a lancé cette initiative visant à rendre le Sénat plus indépendant et moins partisan, le Parti conservateur dans cette enceinte s’est battu bec et ongles pour que le rôle de l’opposition soit reconnu. Depuis huit ans, on nous répète sans cesse que la dynamique gouvernement-opposition est une caractéristique fondamentale, nécessaire et essentielle du Sénat. Le modèle de Westminster a été invoqué à maintes reprises, comme s’il répondait à cet argument. À maintes reprises, cet argument a été instrumentalisé et utilisé pour retarder, perturber, étouffer et empêcher une modernisation raisonnable de notre Règlement. Il serait exagéré de dire que le Sénat a décidé de ne pas moderniser le Règlement ou de laisser les choses telles quelles. Ceux d’entre nous qui ont participé aux travaux du Comité du Règlement et d’autres comités ont vu comment ces initiatives ont été bloquées, précisément au motif que toute modernisation ne privilégiait pas la dynamique historique et jugée nécessaire de la confrontation entre le gouvernement et l’opposition.

Pourtant, aujourd’hui, dans ce qui s’inscrit comme une suite sans fin de tactiques dilatoires et d’obstruction ayant pour but de faire mourir ce projet de loi — disons-le franchement — dans la foulée de l’engagement public que l’on sait, on voudrait compromettre le rôle du gouvernement en le privant des seuls outils procéduraux dont il dispose pour que l’étude des projets de loi d’initiative ministérielle se fasse en temps opportun, pour contrer les tactiques dilatoires et pour servir les Canadiens au Sénat. Dans le cas présent, il en résulterait que les projets de loi d’initiative ministérielle seraient pris dans les limbes, rien de moins, et le Sénat au grand complet serait prisonnier de manœuvres orchestrées par les dirigeants conservateurs de la Chambre des communes lors des rencontres hebdomadaires de leur caucus national. Je rappelle à mes estimés collègues et à tous les autres qui écoutent ce sont là les faits.

Dans le Sénat représenté par l’actuel recours au Règlement, la sacro-sainte opposition officielle dispose de tous les outils imaginables pour bloquer l’adoption d’un projet de loi d’initiative ministérielle — et tant pis pour les Canadiens que nous sommes censés servir —, et le gouvernement n’a aucun moyen procédural de dénouer une impasse, même s’il a l’appui de la vaste majorité des sénateurs. « Moi j’ai droit aux avantages du régime de Westminster, mais pas toi », voilà ce que nous dit cette motion.

Cela dit, malgré le manque flagrant de cohérence dans la position défendue par le sénateur Plett, le fond du problème est une question d’interprétation. Il s’agit de l’interprétation de notre Règlement, et c’est probablement la seule chose sur laquelle nous nous entendrons, le sénateur Plett et moi, puisque nous ne sommes pas d’accord sur la façon dont le Règlement devrait être interprété. En somme, c’est une question d’interprétation.

Selon moi, l’interprétation du sénateur Plett est erronée parce qu’elle va à l’encontre de l’esprit, de l’objet et du sens du chapitre 7. Il s’agit d’une interprétation très étroite et très rigide de l’article 7-2 et du chapitre 2 du Règlement. Cette interprétation vise, comme je l’ai déjà dit — pardonnez-moi les redites —, à empêcher le gouvernement du Canada de chercher à traiter les affaires du pays au moyen de la fixation de délai.

L’article 7-2 et l’ensemble du chapitre 7 du Règlement, honorables collègues, ont clairement et précisément pour but de confier au gouvernement du Canada, et non au leader d’un parti politique, le pouvoir de faire en sorte que les affaires du gouvernement suivent leur cours. Le recours au Règlement dont il est question aujourd’hui est seulement fondé sur une interprétation stricte et littérale de l’article 7-2 du Règlement.

Selon moi, ce n’est pas ainsi que nous devons interpréter le Règlement. Je commencerai toutefois par relire textuellement l’article 7-2, car même s’il ressort clairement de la jurisprudence que les tribunaux n’ont pas l’habitude de s’en tenir à une interprétation littérale des règles, d’aucuns pourraient croire que cette façon de faire peut bien valoir pour les lois et la Constitution du pays, mais certainement pas pour le Règlement du Sénat.

Eh bien à mon avis, c’est se tromper que de penser ainsi. Si la Constitution et les lois doivent être interprétées de manière logique, il devrait en être de même du Règlement du Sénat. L’objectif premier des façons modernes d’interpréter les textes juridiques consiste à en dégager la véritable intention et le véritable but.

Permettez-moi de vous lire l’article 7-2(1) du Règlement. Voici :

Le leader ou le leader adjoint du gouvernement peut, à tout moment pendant une séance, annoncer que les représentants des partis reconnus n’ont pu se mettre d’accord pour fixer un délai pour terminer le débat précédemment ajourné [...]

Stricto sensu, chers collègues, rien dans cette disposition ne dit que les représentants des partis reconnus n’ont pas pu se mettre d’accord « les uns avec les autres ou entre eux ». Ce n’est pas ce que dit cet article. En fait, le Règlement ne permet à personne d’autre qu’au leader du gouvernement de proposer la fixation d’un délai.

En ce qui concerne la version française de cet article du Règlement, il n’est aucunement prévu que le leader du gouvernement doit annoncer que les représentants des partis reconnus n’ont pu se mettre d’accord, et je cite, « entre eux » pour fixer un délai.

En tant que tel, le rappel au Règlement cherche en fait à introduire dans le Règlement quelque chose qui n’y figure pas, à savoir les mots « with each other » en anglais et les mots « entre eux » en français. Cette interprétation est donc manifestement erronée. Au contraire, dans le Règlement, il est clairement entendu que les leaders des partis reconnus doivent s’entendre avec le leader du gouvernement. La raison d’être du chapitre 7 est de fournir un outil au gouvernement pour mettre fin à des manœuvres dilatoires.

En l’absence d’un tel accord, le leader du gouvernement peut déclarer que les représentants des partis reconnus n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la fixation d’un délai. En vertu du sens premier de l’article 7-2, ils peuvent à tout moment déclarer qu’ils ne sont pas d’accord avec le leader du gouvernement. Comme je l’ai dit dans mes remarques liminaires, il n’y a jamais eu d’accord avec le leader du gouvernement lors des réunions entre leaders, lors des conversations individuelles avec le sénateur Plett ou lors des réunions du plumitif pour convenir que le débat s’achèverait cette semaine. Je vous rappelle que l’article 7-2 ne parle pas d’accord sur la motion. Il concerne le débat qui a été ajourné.

Cela dit, à tout le moins, même si je crois que mon interprétation littérale est celle qui est préconisée, l’article du Règlement n’est certainement pas aussi clair que le laisse entendre mon honorable collègue. Si c’est le cas, toute ambiguïté restante doit être tranchée de manière logique et calculée. En effet, lorsque le libellé d’un article du Règlement appliqué dans un contexte donné crée une ambiguïté, il convient d’examiner le but et l’intention générale de l’article pour choisir, parmi plusieurs significations possibles, celle qui correspond le mieux à son intention générale.

Avant d’en arriver là, chers collègues, je me dois de souligner qu’un autre aspect du sens évident de l’article 7-2 du Règlement rend ce recours au Règlement invalide. L’article ne m’oblige pas, en ma qualité de leader du gouvernement, à prouver que les représentants des partis reconnus n’ont pas réussi à se mettre d’accord pour fixer un délai. Il m’oblige simplement à déclarer que les partis reconnus n’ont pu se mettre d’accord pour fixer un délai.

En français, l’article 7-2 du Règlement prévoit que mon seul fardeau, avant d’enclencher la procédure de fixation de délai, est d’« annoncer » que les représentants des partis reconnus n’ont pu se mettre d’accord pour fixer un délai.

Permettez-moi de répéter cela en anglais. La seule exigence prévue au Règlement est que j’annonce que nous n’avons pas pu nous mettre d’accord. C’est mon seul fardeau.

Le 20 septembre 2000, comme l’a déjà dit le sénateur Plett, le Président Molgat devait évaluer la recevabilité d’une motion de fixation de délai dans laquelle on remettait en question l’existence de consultations menées auprès des dirigeants, comme c’est le cas aujourd’hui. Je vais citer de nouveau le Président Molgat et sa décision :

Honorables sénateurs, le leader adjoint a déclaré que les représentants n’avaient pu s’entendre. Il m’est impossible de savoir s’ils y parviendront plus tard. Tout ce que j’ai devant moi, c’est une motion stipulant que, s’ils ne se sont pas entendus à l’heure actuelle, le Règlement a été observé et les conditions ont été fixées.

Par conséquent, chers collègues, je n’ai pas à justifier les circonstances dans lesquelles les représentants des partis reconnus — ou le représentant du parti reconnu, dans le cas présent —, n’ont pu se mettre d’accord pour fixer un délai. À partir du moment où, à titre de leader du gouvernement, j’ai annoncé que les représentants des partis reconnus n’ont pas réussi à se mettre d’accord pour fixer un délai pour terminer le débat précédemment ajourné, j’ai satisfait à l’exigence formelle de l’article 7-2 du Règlement, et je peux donner préavis, comme je l’ai fait, de la motion de fixation de délai. Comme je l’ai fait en interprétant à la lettre le sens ordinaire de l’article 7-2 du Règlement, la procédure de fixation de délai a été déclenchée en bonne et due forme.

Par conséquent, si, comme l’a indiqué mon collègue, nous nous appuyons sur une lecture purement littérale de cette disposition, il est clair, à mon humble avis, que j’ai satisfait aux exigences énoncées.

Cependant, cela étant dit, je suis fermement convaincu que l’analyse d’une règle qui s’applique à la procédure parlementaire ne devrait pas se limiter à une évaluation de son sens ordinaire, surtout, chers collègues, si cette évaluation devait aboutir à un résultat absurde ou contraire à l’intention évidente de la règle en question. Agir autrement ferait non seulement du tort à notre Règlement, mais également à l’organe — le Sénat — que ce Règlement est censé régir.

Par conséquent, je pense que la première chose à faire est de favoriser une interprétation de la règle qui réponde à son objectif. Si vous me le permettez, chers collègues, je crois qu’il serait utile à notre Président, dans le contexte particulier de ce rappel au règlement, d’examiner les lois canadiennes sur l’interprétation des lois et des règlements. À mon humble avis, ces lois sont pertinentes parce que c’est le cadre que nous avons choisi d’adopter pour donner un sens aux lois et aux règlements qui ont été adoptés par nous, par le Parlement et par les assemblées législatives provinciales.

Il est vrai que ces règles ne sont pas techniquement contraignantes pour le Règlement du Sénat, mais elles fournissent, chers collègues, un guide sur la façon dont nous, en tant que pays, considérons l’interprétation des normes juridiques. Par exemple, il y a plusieurs décennies, le Parlement a adopté la Loi concernant l’interprétation des lois et des règlements. L’article 10 de cette loi est particulièrement instructif. Il stipule ce qui suit :

La règle de droit a vocation permanente [...] de façon que le texte produise ses effets selon son esprit, son sens et son objet.

L’article 12 de la loi précise :

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

La Cour suprême du Canada a aussi souscrit à la raison qui motive l’approche comme principe primordial de l’interprétation juridique, indiquant clairement que les juges devraient aller plus loin que le texte législatif et prendre en considération l’objet et le contexte de la loi en cause. À titre d’exemple, l’un des cas faisant jurisprudence en matière d’interprétation juridique est l’affaire Rizzo Shoes, où la cour a déclaré ceci :

[...] Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi.

D’aucuns pourraient considérer que cette façon de faire ne vaut que pour les lois et les règlements et qu’elle ne doit pas s’appliquer aux règles parlementaires. Là aussi, je réponds « et pourquoi pas? » Pourquoi devrions-nous interpréter le Règlement du Sénat de manière littérale si le résultat est illogique et contraire à l’esprit et à la lettre de la disposition en question?

J’aimerais également renvoyer ceux qui prônent une lecture aussi rigide et inflexible de l’article 7-2 du Règlement aux autorités reconnues dans l’interprétation des règles parlementaires. J’admets que la jurisprudence sur cette question est mince. Il y a toutefois la décision rendue par la présidence de l’autre endroit le 14 avril 1987 qui pourrait guider notre réflexion sur l’évolution du Sénat.

À l’époque, le Président Fraser s’était penché sur la conciliation entre les règles législatives et la nature évolutive du paysage politique. Voici ce qu’il a dit :

En interprétant les règles de la procédure, la présidence doit tenir compte non seulement de leur lettre, mais aussi de leur esprit, et elle doit se guider sur la règle la plus fondamentale entre toutes, celle du bon sens [...]

[...] C’est ce qui permet, en dernier ressort de savoir ce que des personnes raisonnables jugent acceptable dans certaines circonstances.

Chers collègues, s’il y a une règle d’interprétation que nous devrions respecter au Sénat, c’est bien celle du bon sens.

C’est cette règle du bon sens que notre propre Président a suivie implicitement lorsqu’il s’est prononcé sur la question des titres des sénateurs Bellemare et Mitchell, soit coordonnatrice législative du représentant du gouvernement et agent de liaison du gouvernement, respectivement. Dans sa sagesse, le Président a dit :

Bien que les pratiques concernant les affiliations politiques aient évolué avec le temps, il n’en demeure pas moins que le Sénat a fait preuve d’une certaine souplesse pour satisfaire aux désirs raisonnables des sénateurs. Cela peut s’avérer particulièrement important quand le paysage politique évolue plus rapidement que l’institution peut apporter des changements de façon officielle. Il faut se montrer conciliant pour tenir compte de cette réalité.

[...] des exigences officielles n’ont pas toujours à être contraignantes. Il peut y avoir, dans les limites du raisonnable, une certaine souplesse qui tient compte des circonstances particulières. Le Sénat a fait preuve d’une telle souplesse dans le passé, et il continue de le faire. Nous avons bénéficié de cela.

[...] la souplesse à cet égard peut être raisonnablement considérée comme étant conforme à nos traditions et à nos pratiques parlementaires.

Chers collègues, bien franchement, l’interprétation de l’article 7-2 du Règlement présentée par mon estimé collègue est excessivement littérale, incroyablement étroite et complètement incompatible avec la logique du chapitre 7 du Règlement et l’objet d’une motion de fixation de délai. Plus que tout, elle va à l’encontre du bon sens. Il n’est pas exagéré, chers collègues, de faire valoir que cette interprétation, si elle devait être acceptée, pourrait mener à rien de moins qu’une perversion totale de l’article 7-2 du Règlement.

Chers collègues, je ne crois pas que quiconque au Sénat a le moindre doute sur le poste législatif que j’occupe. J’occupe le poste de leader du gouvernement au Sénat et je porte fièrement le titre de représentant du gouvernement. Ce titre reflète le virage nécessaire et positif vers un Sénat moins partisan. Les deux appellations sont interchangeables, et je devrais ajouter qu’elles sont maintenant prévues dans la loi.

Comme le Président Furey l’a indiqué dans sa décision sur les postes de leader adjoint du gouvernement et de whip du gouvernement au Sénat :

Depuis que ce rappel au Règlement a été soulevé, on s’est adressé au sénateur Harder à la fois en tant que leader du gouvernement et en tant que représentant du gouvernement. Quelle que soit l’appellation utilisée, il n’y avait aucun doute à qui les sénateurs s’adressaient.

Le bureau du représentant du gouvernement au Sénat exerce toute une série d’autres fonctions parlementaires réservées au gouvernement qui n’ont jamais été contestées. Il s’agit notamment des dispositions de l’article 4-13(3), qui permet au leader ou au leader adjoint du gouvernement de modifier l’ordre d’appel des affaires du gouvernement, comme nous l’avons fait aujourd’hui et à maintes reprises.

L’article 14-1(1) permet au leader ou au leader adjoint du gouvernement de déposer des documents ayant trait aux « responsabilités administratives du gouvernement ».

Comme c’est indiqué à la page 75 de La procédure du Sénat en pratique :

Après que le Sénat a terminé ses travaux pour la journée conformément au Feuilleton et Feuilleton des préavis, une motion visant la levée de la séance est habituellement présentée par le leader adjoint du gouvernement.

Actuellement, c’est la coordonnatrice législative qui s’occupe des procédures d’ajournement.

Chers collègues, dans l’exercice de mes responsabilités en tant que « leader du gouvernement » — c’est ainsi que l’opposition s’adressait à moi depuis trois ans et demi, jusqu’à tout récemment où j’ai été appelé représentant du gouvernement —, je participe à la période des questions, ce qui est prévu à l’article 4-8(1). L’opposition officielle souhaite-t-elle que je ne participe pas à la période des questions afin de répondre au nom du gouvernement?

En vertu de l’article 9-10, le whip du gouvernement au Sénat, l’actuelle agente de liaison du gouvernement, a la possibilité de reporter un vote par appel nominal.

En ce qui concerne l’article 12-24, le leader du gouvernement au Sénat dépose également les réponses du gouvernement aux rapports des comités lorsqu’une telle réponse a été demandée.

Comme on peut le lire aux pages 67 et 68 de La procédure du Sénat en pratique, seuls le leader du gouvernement ou le leader adjoint peuvent « donner préavis d’une motion du gouvernement » et ce sont habituellement eux qui sont responsables de faire mettre les projets de loi d’initiative ministérielle à l’ordre du jour lorsque des messages sont reçus de la Chambre des communes.

Autant le représentant du gouvernement que le coordonnateur législatif prennent part aux discussions qui ont normalement lieu, notamment lors des réunions d’organisation où sont abordées les affaires du gouvernement. Aucune de ces fonctions n’a jamais été remise en question au Sénat.

Pourtant, nous débattons présentement de ma capacité à employer un autre des outils dont dispose le gouvernement, à savoir la fixation d’un délai. Il est incontestable, chers collègues, que la fixation d’un délai est à l’usage exclusif du gouvernement et uniquement pour les affaires du gouvernement.

Si cet outil existe, c’est parce que cette catégorie d’affaires, les affaires du gouvernement, a droit à un traitement préférentiel. La possibilité de fixer un délai n’est pas fonction du parti reconnu au pouvoir. Cet outil est à la disposition du gouvernement du Canada, que je représente, peu importe le parti politique qui le forme et peu importe la façon qu’il a choisie pour être représenté au Sénat, comme celle préconisée par le gouvernement actuel dans le but de rendre le Sénat moins partisan et plus indépendant. Ce fait, chers collègues, est appuyé sans ambiguïté par les ouvrages de référence.

Tel qu’il est indiqué à la page 107 de La procédure du Sénat en pratique : « Seul le gouvernement peut proposer de fixer un délai, et seulement pour ses propres affaires. »

En octobre 2013, on a demandé au Président Kinsella de se prononcer sur la recevabilité d’une « motion de disposition » proposant d’établir un processus pour traiter de motions placées sous la rubrique Autres affaires qui visaient à suspendre trois sénateurs. Dans sa décision, le Président Kinsella a parlé des « pouvoirs de fixation de délai du gouvernement ».

Le Président a jugé que le fait d’autoriser un processus qui pourrait engendrer l’application des pouvoirs de fixation de délai du gouvernement à des affaires autres que des affaires du gouvernement ne respecterait pas le Règlement et les pratiques du Sénat.

Il a ajouté :

[I]l importe de souligner que, conformément au chapitre 7 du Règlement, le gouvernement a, comme on l’a déjà mentionné, la possibilité de fixer des délais pour les affaires entrant dans la catégorie des Affaires du gouvernement.

Honorables sénateurs, nos règles sont cohérentes. Les affaires du gouvernement ont la priorité, et des mécanismes sont prévus pour en faciliter l’expédition.

Compte tenu de l’important rôle qu’il remplit, le gouvernement dispose de moyens précis, que nous avons décrits précédemment, pour faciliter l’expédition de ses travaux.

Des arguments semblables ont déjà été présentés par la sénatrice Joan Fraser, qui a récemment pris sa retraite et qui était une experte en procédure. C’est elle qui avait invoqué le Règlement. Voici ce qu’elle a dit lors du débat sur la question :

Le chapitre 7 de notre Règlement traite tout entier de l’attribution de temps. Il est très clair, dès le départ, que la fixation de délais s’applique exclusivement aux affaires du gouvernement. C’est vraiment très clair : seul le gouvernement peut la proposer, et seulement pour ses propres affaires, c’est‑à-dire les affaires du gouvernement.

Il convient également de mentionner que, lors du débat sur ce rappel au Règlement, l’ancien sénateur Cowan, qui était alors leader de l’opposition, a fait valoir que le Règlement établissait une distinction claire entre les affaires du gouvernement et les autres et qu’il donnait au gouvernement certains outils pour faire avancer ses affaires :

Le Règlement fournit au gouvernement, de façon légitime, un moyen de faciliter la gestion de son programme. Il accorde la priorité aux affaires du gouvernement. Les affaires du gouvernement ont la priorité et elles doivent être traitées en conséquence même si, parfois, cela ne nous plaît pas. Le gouvernement dispose des outils nécessaires, y compris l’attribution de temps, la clôture, la guillotine et l’interruption des débats. Il dispose de ce pouvoir et il peut s’en servir.

À mon avis, le gouvernement devrait s’en servir plus judicieusement qu’il ne le fait, mais il possède ce pouvoir, qui est prévu dans le Règlement. Ce pouvoir ne tombe pas du ciel. C’est un pouvoir que, dans sa sagesse, le Sénat a accordé au gouvernement afin de faciliter la gestion de ses affaires.

Une autre décision de la présidence, qui a été rendue le 26 juin 2015 par notre estimé collègue le sénateur Housakos, porte également sur la nature de la fixation de délai.

Dans ce cas-là, le Président Housakos avait été appelé à se prononcer sur la recevabilité d’une motion de disposition du gouvernement qui devait s’appliquer à un projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-377.

Dans la décision rendue, qui a été infirmée par le Sénat, le Président Housakos a jugé que la motion de disposition soumettrait les initiatives parlementaires « aux puissants outils mis à la disposition du gouvernement ». Il a ajouté ceci :

Les outils dont le gouvernement dispose pour faciliter l’expédition de ses travaux lui ont été accordés par le Sénat en 1991. Ils comprennent, entre autres, le contrôle de l’ordre dans lequel les Affaires du gouvernement sont appelées et, plus particulièrement, le pouvoir de proposer la fixation de délais.

Le 8 décembre 2015, l’ancien sénateur Joyal a décrit plusieurs des fonctions exercées par le leader du gouvernement au Sénat. Plus précisément, il a souligné ce qui suit :

Premièrement, le leader du gouvernement est le seul qui a le droit ou le privilège de présenter des motions d’attribution de temps. Sans leader du gouvernement, il n’y a pas de motion d’attribution de temps conformément au Règlement.

Je voudrais également rappeler aux honorables sénateurs les commentaires formulés dans cette enceinte par le sénateur Housakos au sujet du rappel au Règlement du sénateur Plett concernant le projet de loi C-210 :

Seul le gouvernement a le droit d’avoir recours à la guillotine, à l’attribution de temps et à la clôture dans cet endroit. Ses membres en ont gagné le droit puisqu’ils ont gagné une élection souveraine.

En tant qu’ancien président du Comité du Règlement, je remercie le sénateur Housakos de nous avoir apporté encore plus de clarté quant au véritable objet du chapitre 7 du Règlement.

La sénatrice Batters a clairement indiqué par le passé qu’à son avis, en vertu des règles actuelles de fixation de délai, ou d’« attribution de temps », comme on le dit parfois, je peux, en tant que leader du gouvernement, conclure une entente avec l’opposition sur la fixation de délai. C’était dans le contexte d’une discussion portant sur l’élargissement de la portée du chapitre sept aux groupes parlementaires, qui sont actuellement exclus du processus.

Je cite la sénatrice Batters :

[...] cette entente de fixation de délais serait conclue entre le leader du gouvernement et le leader ou le représentant du parti de l’opposition, parce que c’est le seul parti reconnu. Avoir une entente avec tous les groupes parlementaires représentés serait certainement l’élément qui diluerait sans doute le plus le pouvoir de l’opposition. Il est manifeste que le sénateur Gold en serait ravi, mais nous ne pouvons absolument pas nous entendre là-dessus.

[...] lorsque le gouvernement ne parvient pas à obtenir une entente pour présenter un projet de loi particulièrement litigieux où le débat n’en finit plus, et qu’il estime devoir recourir à la fixation de délais pour faire avancer le programme législatif et passer aux voix, il ne peut pas agir autrement et il lui faut payer le prix politique que ce geste peut lui coûter.

[...] n’importe quel sénateur peut être en désaccord, causer des retards et des choses du genre, dans les limites du raisonnable. Mais ensuite, bien sûr, le gouvernement peut opter pour la fixation d’un délai, tel qu’établi dans notre Règlement [...]

Comme je suis en mode remerciements, permettez-moi de remercier le sénateur Plett pour la clarté de ses propos aux médias en février 2022 au sujet de ma capacité de proposer la fixation de délais. Voici ce qu’a dit le sénateur Plett, selon iPolitics :

Nous pouvons forcer le sénateur Gold à essayer de proposer la fixation de délai. Si les caucus n’appuient pas sa motion, alors nous pouvons poursuivre.

Chers collègues, de mon point de vue, il y a un consensus clair dans cette enceinte que le gouvernement ou sa personne responsable désignée — que l’on y fasse référence comme le leader du gouvernement ou le représentant du gouvernement — peut recourir à l’outil qu’est la fixation de délai.

Honorables sénateurs, le gouvernement du Canada n’a pas été effacé de cette enceinte et il n’est pas simplement un parti politique. Les outils prévus dans notre Règlement existent pour permettre au gouvernement du Canada de mener à bien les affaires des Canadiens par l’entremise de cette Chambre.

Finalement, je tiens aussi à souligner qu’en cas d’interprétations ou de pouvoirs contradictoires, la présidence doit tenir compte des intérêts du Sénat. Le 23 mars 2004, le sénateur Hays s’est penché sur l’application de « la règle de la question résolue » dans le cas des projets de loi qui touchent des sujets similaires, ainsi que des interprétations divergentes entre les autorités parlementaires. Sa décision est très instructive. Il a déclaré ceci :

Comment pouvons-nous démêler ces dispositions et ces déclarations contradictoires? Je ne suis pas convaincu que nous le pouvons. C’est peut-être la quadrature du cercle. Le rôle du Président est de s’assurer que nous appliquons les meilleures pratiques tout en protégeant les intérêts du Sénat [...]

Nous avons pour pratique régulière, au Sénat, que le leader du gouvernement peut être d’accord ou non avec les autres leaders à propos d’une fixation de délai pour une affaire du gouvernement. Il s’agit d’une pratique exemplaire. Je considère que, s’il était accepté, ce recours au Règlement établirait un précédent très dangereux. Il neutraliserait toute une section du Règlement du Sénat; des dossiers importants pour les Canadiens risqueraient de rester dans les limbes au Sénat, et il n’y aurait pratiquement aucune solution pour un gouvernement qui a toute la confiance de l’assemblée élue qu’est la Chambre des communes. Ce scénario n’est décidément pas conforme à l’esprit véritable ni à la signification du chapitre sept, particulièrement de l’article 7-2.

En résumé, Votre Honneur, j’estime que ce recours au Règlement vise manifestement à éliminer la possibilité pour le gouvernement d’imposer une fixation de délai — alors que l’objet réel de l’article 7-2 est justement de conférer ce pouvoir au gouvernement. L’interprétation présentée avec une superbe éloquence par mon collègue ne satisfait pas au critère du bon sens. J’estime donc que ce recours au Règlement est sans fondement.

Pour conclure, honorables sénateurs, le débat sur ce recours au Règlement nous rappelle malheureusement — et je le dis avec tristesse, et non avec colère —, que des groupes parlementaires représentant plus de 80 % des sénateurs continuent d’être totalement exclus d’importants processus en vertu du chapitre sept du Règlement. Cette exclusion — qui est injuste, inéquitable, et franchement discriminatoire —, n’a aucun bien-fondé. Dans cette mesure, les dispositions du chapitre sept du Règlement appartiennent au passé.

Cela fait huit ans que la réforme visant à rendre le Sénat plus indépendant et moins partisan a été entamée, et les mesures destinées à remédier à l’iniquité de notre Règlement ont toujours été entravées, ralenties et écartées.

Le sénateur Gold [ - ]

Cela va aussi à l’encontre du bon sens.

Cependant, je garde espoir, car je m’attends à ce que cette Chambre décide, au moment opportun, qu’on a assez attendu. Il nous reste encore beaucoup de travail à faire pour moderniser le Sénat du Canada. Mettons-nous au travail.

Je vous remercie de m’avoir permis de m’exprimer à ce sujet, Votre Honneur.

L’honorable Leo Housakos [ - ]

Je vous remercie, Votre Honneur. Maintenant que nous avons entendu l’interprétation très libérale du Règlement, voici les faits.

Honorables collègues, le sénateur Gold a soudainement décidé d’assumer ses fonctions de leader du gouvernement. Pendant sept ans, ses prédécesseurs et lui ont pris leurs distances par rapport à ce poste qui confère des pouvoirs exceptionnels, ce qui est évidemment légitime dans un système parlementaire fondé sur le modèle de Westminster et dans notre propre Chambre, mais le sénateur Gold a pris ses distances par rapport à ces fonctions pour diverses raisons.

La réalité, c’est que cette Chambre compte maintenant un groupe majoritaire dont les membres sont nommés par le parti au pouvoir. Si, dans les huit dernières années, vous n’avez pas pris de mesures pour changer la façon de fixer des délais, sénateur Gold, c’est pour une raison très simple. C’est parce que vous êtes en présence d’une opposition très coopérative depuis tout ce temps.

Le sénateur Housakos [ - ]

Vous pouvez rire et trouver que c’est drôle, mais, un jour, vous vous retrouverez dans l’opposition et vous réaliserez qu’il y a un travail à faire. Laissez-moi vous dire que nous avons adopté rapidement la grande majorité des projets de loi du gouvernement, surtout en 2016-2017, lorsqu’il n’y avait pas de majorité de libéraux nommés par Trudeau au Sénat. Nous y sommes arrivés grâce à la coopération de l’opposition.

Vous pouvez rire autant que vous voulez. Tout au long de ce processus, le sénateur Plett a toujours négocié avec le sénateur Gold et avec son prédécesseur, le sénateur Harder. Cependant, il arrive un moment où l’opposition impose des limites. Vous avez tout à fait raison : le gouvernement a tout à fait le droit d’utiliser la fixation de délai. Je répète qu’il s’agit d’un outil légitime du système parlementaire de Westminster.

Sénateur Gold, je vous remercie d’avoir mis en exergue ma merveilleuse décision de 2015. Vous avez tout à fait raison : j’ai dit dans cette décision ce que je dis encore aujourd’hui, à savoir qu’il s’agit d’un outil légitime du gouvernement, sauf qu’à ce moment-là, c’est un gouvernement honnête, transparent et responsable qui a nommé le leader du gouvernement au Sénat, le leader adjoint du gouvernement et le whip du gouvernement.

En outre, ce qui est plus important par rapport au Règlement, sénateur Gold, c’est que le caucus conservateur était majoritaire au sein de cette assemblée. Tous ceux d’entre nous qui comprennent les règles parlementaires de Westminster dans le monde entier savent que ce sont nos partis politiques qui forment les gouvernements et élisent les premiers ministres. Soit dit en passant, notre légitimité vient de ces premiers ministres qui nous nomment au Sénat par le biais du processus des partis politiques.

Merci d’avoir parlé de cette décision, mais il faut la comprendre dans son contexte et dans son intégralité.

Deuxièmement, dans votre interprétation libérale du Règlement, en ce qui concerne les négociations évoquées par le sénateur Plett pour tenter de trouver un accord entre le gouvernement et l’opposition, le mot « gouvernement » n’apparaît nulle part dans ce Règlement rédigé en 1991. Le Règlement était normatif et clair : la fixation de délai n’est possible qu’à condition qu’un parti politique enclenche le processus. Ce n’est pas quelque chose que nous inventons, sénateur Gold.

À moins d’un changement qui aurait été apporté dans la dernière heure et dont je ne serais pas courant — j’ai bien sûr vérifié avant de venir ici —, le site Web du Sénat continue de vous qualifier, sénateur Gold, de « non affilié ». Je suis persuadé que les délibérations télévisées d’aujourd’hui incluent une bannière sous le nom du sénateur Gold indiquant qu’il est non affilié. Il n’est pas indiqué qu’il est le « leader du gouvernement ». Certes, vous n’avez ménagé aucun effort à cette fin, et nous avons soulevé des rappels au Règlement qui remettaient en question cette approche malavisée du gouvernement qui joue à cache-cache avec le Sénat, en faisant du leader du gouvernement un représentant.

Vous avez créé ce contexte où vous n’êtes plus qu’une personne qui reçoit de l’information sans la transmettre au Sénat. Je pense que vous avez parlé de « recevoir passivement de l’information ». Nous ne vous avons pas imposé un tel rôle. C’est le premier ministre qui l’a imposé au titulaire et au Sénat lors des élections de 2015, lorsqu’il s’est livré à des jeux politiques visant cette institution. C’est la réalité.

Certains ont approuvé ce programme politique. Nous avons joué le jeu parce que nous comprenons que nous avons perdu trois élections successives. Il incombait à l’opposition d’assurer le fonctionnement du Sénat. Nous avons fait de petites concessions, mais il y a des limites à ne pas dépasser.

Nous avons tous entendu le sénateur Gold et le sénateur Harder, son prédécesseur, dire dans des entrevues aux médias et dans cette enceinte qu’ils ne sont affiliés à aucun parti politique. Je pense tout particulièrement à ce qui s’est passé à 14 h 45 pile, le 15 juin 2021, quand le sénateur Gold a été questionné à propos du fait qu’une ancienne députée du Parti vert, qui avait épousé des opinions assez antisémites, avait traversé le parquet pour rejoindre les libéraux. Voici la réponse que vous aviez donnée, sénateur Gold :

Au risque de sembler pointilleux, je représente le gouvernement au Sénat. Je ne suis pas membre du Parti libéral.

En ce qui concerne la décision du parti d’accepter cette députée et les circonstances entourant cette décision, ce serait au Parti libéral de répondre aux questions.

Vous en souvenez-vous? Bien sûr, le problème n’était pas seulement que la députée s’était jointe au Parti libéral, mais qu’elle était devenue membre du caucus libéral, une députée ministérielle. Or, vous avez refusé toute responsabilité à cet égard. En tout cas, chers collègues, ce sont là les propres mots du sénateur.

Le sénateur Gold, dans son rôle de leader du gouvernement ou de représentant du gouvernement, selon le jour, n’est pas affilié au Parti libéral ni à aucun autre parti reconnu par Élections Canada. Je n’invente rien. Or, c’est le critère élémentaire — le critère le plus fondamental — pour que le sénateur Gold soit autorisé à jouer un rôle dans les démarches visant à fixer un délai. Le Règlement est clair. Il n’est pas ambigu et ne laisse aucune place à l’interprétation, ni de la part des libéraux ni de la part des conservateurs. Il ne laisse place qu’à une interprétation factuelle indépendante.

Si cela venait à changer aujourd’hui, ou si jamais une décision de la présidence venait à changer cela, je m’attends certainement à ce que l’on fasse immédiatement parvenir un communiqué de presse à la Direction des communications du Sénat et au Service de télédiffusion du Sénat pour que le sénateur Gold, la sénatrice Gagné, la sénatrice LaBoucane-Benson et tous les autres soient désormais adéquatement identifiés à titre de représentants du gouvernement sur le site Web du Sénat et lors de la télédiffusion des délibérations de cette institution, de manière à rendre des comptes au public et à faire preuve de transparence.

Même après cela, sénateur Gold, cela ne vous donne pas le droit de fixer un délai. Pour pouvoir le faire, vous devez former un gros caucus libéral assorti de votre budget de 2 millions de dollars pour représenter le gouvernement, et encore, vous devez tenter de parvenir à une entente. C’est le Règlement. Il doit y avoir des négociations en vue de se mettre d’accord. Or, vous n’avez pas le droit d’entreprendre de telles négociations puisque vous n’êtes pas le leader du gouvernement. Votre Honneur, l’article 7-1(1) du Règlement dit :

Le leader ou le leader adjoint du gouvernement peut, à tout moment pendant une séance, annoncer que...

 — et je souligne ceci —

... les représentants des partis reconnus se sont mis d’accord pour attribuer un nombre déterminé de jours ou d’heures [...]

De plus, sans accord, l’article 7-2(1) prévoit que :

Le leader ou le leader adjoint du gouvernement peut, à tout moment pendant une séance, annoncer que les représentants des partis reconnus n’ont pu se mettre d’accord pour fixer un délai pour terminer le débat précédemment ajourné [...]

Je ne suis pas juriste, mais c’est assez clair.

Conformément à l’article régissant la fixation de délais, le seul rôle du leader ou du leader adjoint du gouvernement dans notre structure actuelle est d’informer le Sénat de la décision du leader actuel de l’opposition quant à sa volonté de fixer ou non un délai.

L’article indique clairement que, avec ou sans accord, le leader ou le leader adjoint du gouvernement peut déclarer que les représentants des partis reconnus se sont entendus ou n’ont pas réussi à s’entendre pour fixer un délai. Il ne précise pas que le leader ou le leader adjoint du gouvernement participe à cette décision. Ce sont plutôt les partis politiques reconnus qui doivent le faire.

Si telle était l’intention de l’article, il faudrait lire « étant parvenu à un accord avec » ou « n’étant pas parvenu à un accord avec ».

Ce n’est pas ce qui est écrit. Le libellé de l’article établit à dessein une distinction entre les représentants du gouvernement et les représentants des partis reconnus. Par contre, il ne précise pas si l’accord ou l’absence d’accord doit avoir lieu entre le gouvernement et les partis reconnus. Il laisse clairement le gouvernement à l’écart de cette décision. Le libellé actuel de l’article est clair : seuls les représentants des partis reconnus peuvent s’entendre sur la fixation de délais. C’est la règle.

À des fins de clarté, Votre Honneur, la définition de « parti reconnu » se trouve à l’annexe I, si quelqu’un a des doutes :

Un parti reconnu au Sénat est formé d’au moins neuf sénateurs qui sont membres du même parti politique, qui est enregistré conformément à la Loi électorale du Canada ou qui a été enregistré conformément à la Loi au cours des 15 dernières années.

C’est assez clair, n’est-ce pas? Nous respectons au moins les lois d’Élections Canada — la plupart d’entre nous, en tout cas.

Voici la suite de l’annexe I :

Un groupe parlementaire reconnu au Sénat est formé d’au moins neuf sénateurs et est constitué à des fins parlementaires. Un sénateur peut appartenir à un parti reconnu ou à un groupe parlementaire reconnu. Chaque parti reconnu ou groupe parlementaire reconnu a un leader ou un facilitateur au Sénat.

Vous remarquerez que la définition établit même une distinction — c’est important — entre les partis reconnus et les groupes parlementaires reconnus.

Chers collègues, encore une fois, nous l’avons fait en collaboration, en raison d’un programme très politique imposé à notre institution parlementaire.

C’est important parce que, encore une fois, l’article du Règlement qui gouverne la fixation de délai fait seulement mention des représentants des partis reconnus, c’est-à-dire affiliés à un parti politique enregistré conformément à la Loi électorale du Canada.

La dernière fois que j’ai vérifié, le Groupe des sénateurs indépendants, le Groupe des sénateurs canadiens et le Groupe progressiste du Sénat ne sont pas reconnus par Élections Canada. Vous pouvez faire une demande d’enregistrement si vous le voulez, mais, en ce moment, vous n’êtes pas reconnus. Dans notre modèle de Westminster, seul le gouvernement peut fixer un délai, et les gouvernements sont formés par des partis politiques élus à la Chambre des communes. Bien sûr, par extension, comme je l’ai déjà dit, le premier ministre nous confère une légitimité en nous nommant au Sénat. Il est question de partis politiques — le Règlement ne fait nulle part mention des représentants des groupes parlementaires.

Comme je l’ai dit, nous avons déjà eu sept ou huit ans. Nous avons modifié la Loi sur le Parlement du Canada. Il ne semblait pas y avoir d’urgence, à l’époque, pour changer cela. Nous avons eu huit ans pour changer la façon de fixer des délais au Sénat. Il n’y a rien d’ambigu à cela.

Par ailleurs, avant que l’on ne saute aux conclusions en criant qu’il s’agit d’un oubli, il ne faut pas oublier que l’on a consacré beaucoup de temps, d’efforts et de ressources pour modifier le Règlement du Sénat au fil des années. Ces dispositions particulières n’ont pas échappé à notre attention. Ce n’est pas un accident si les représentants des partis reconnus ont été désignés en vue de conclure une entente sur la fixation de délai. Si vous ne voulez pas me croire sur parole, comment expliquez-vous que l’on a spécifiquement désigné et inclus les leaders des groupes parlementaires reconnus pour le temps de parole durant les débats sur une motion de fixation de délai? Le débat sur la question a bel et bien eu lieu.

Votre Honneur, l’article 7-3(1)f) du Règlement stipule ce qui suit au sujet du débat sur une motion de fixation de délai non convenu :

(i) [le] leader du gouvernement et [le] leader de l’opposition [...] disposent chacun de 30 minutes, et

(ii) [le] leader ou facilitateur de tout autre parti reconnu ou groupe parlementaire reconnu [...] dispose de 15 minutes [...]

Autrement dit, la distinction est clairement indiquée entre les leaders des partis reconnus et des groupes parlementaires reconnus. Ils ne sont donc pas interchangeables dans cette Chambre. Cette décision a été rendue il y a quelques années avec la participation de l’ensemble des personnes dans cette enceinte.

Par conséquent, quand le Règlement dit que ce sont les leaders des partis reconnus qui doivent se mettre d’accord ou non, étant donné notre composition actuelle, cela ne désigne que le représentant du caucus conservateur. Ce choix n’est pas le nôtre : il a été imposé au Sénat par le premier ministre actuel, qui ne serait peut-être pas satisfait du résultat aujourd’hui. Le représentant du gouvernement aimerait peut-être être leader du gouvernement. Peut‑être aimeriez-vous même avoir un caucus libéral de 60 membres associé au budget de 2 millions de dollars, mais ce n’est pas le cas.

Le représentant du gouvernement n’est pas inclus parce que vous avez insisté pour qu’il en soit ainsi. Vous avez fait ce choix. Votre gouvernement l’a fait. Cela ne vient pas de nous.

Si vous n’êtes toujours pas convaincus que la formulation de cet article rend bien l’intention visée ou si vous croyez qu’une certaine ambiguïté laisse place à interprétation, je vous renvoie au témoignage présenté au défunt Comité sur la modernisation, le 23 mai 2018, par celui qui était alors leader du gouvernement. Le sénateur Harder parlait, entre autres choses, de la possibilité d’établir un comité de gestion des affaires du Sénat dans le but d’accroître l’efficacité des travaux du Sénat de diverses manières. Ce n’est pas la voie qu’a choisie le Sénat, comme on le sait, mais il est clair que nous pensions à la fixation de délais, à l’époque. Encore une fois, ce n’est pas comme si cela était passé inaperçu.

À ce moment-là, le sénateur Harder a affirmé lors de son témoignage que l’approche adoptée devait protéger « le droit qu’ont tous les sénateurs de prendre part à un débat sur un projet de loi, d’examiner un projet de loi, d’y proposer des amendements et de s’y opposer ».

Cela expliquerait certainement le libellé de l’article sur la fixation de délai, qui protège le rôle de l’opposition dans sa détermination, surtout si l’on considère que le sénateur Harder a poursuivi en disant que l’article devrait également préserver « la capacité du gouvernement à se prononcer dans les débats » entourant la détermination de ses propres priorités. La durée des sonneries, le report des votes ainsi que le fait de permettre aux leaders du gouvernement de siéger comme membres d’office aux comités — de surcroît, il n’a rien dit au sujet du rôle du représentant du gouvernement dans la fixation de délai.

Tout cela vient établir encore davantage que la règle concernant la fixation de délai, qui désigne les représentants des partis reconnus comme les seuls participants à un accord était et est délibérée.

Pour conclure, je cite encore une fois le témoignage du sénateur Harder devant le Comité sur la modernisation. Le sénateur Harder a parlé des modifications à apporter à la Loi sur le Parlement du Canada pour refléter les nouvelles règles que le Sénat s’imposait à lui-même, soulignant à juste titre que de telles modifications nécessiteraient le consentement des deux Chambres du Parlement. Le sénateur Harder a déclaré, et je cite :

Du fait que le Sénat est un organe autonome, ce n’est cependant pas au gouvernement de procéder unilatéralement avec sa propre interprétation des modifications à apporter à la Loi sur le Parlement du Canada, qui pourrait nuire au fonctionnement interne du Sénat.

Le sénateur Harder a dit qu’il convenait, comme notre ancien collègue le distingué sénateur Serge Joyal, que tous les changements devaient venir du Sénat lui-même et être renvoyés à la Chambre pour qu’ils soient inclus dans un projet de loi.

Le sénateur Harder a ensuite cité les propos tenus le 24 février 2016 par l’honorable Dominic LeBlanc, qui était alors leader du gouvernement à la Chambre. Votre Honneur, voici ce qu’a dit le ministre LeBlanc :

Je serais disposé à entendre les suggestions des sénateurs ou à connaître le processus que vous, madame la présidente, ou vos collègues jugez approprié [...]

Vous comprendrez que ce n’est pas à un député de la Chambre des communes de dire aux sénateurs de quelle façon changer ou adapter leur propre règlement [...] Je serais donc heureux de travailler de façon collective ou collégiale pour faire en sorte que, si le gouvernement propose un projet de loi visant à modifier la Loi sur le Parlement du Canada, nous puissions en même temps corriger, amender ou mettre à jour [...] tous les éléments que vous et vos collègues jugez importants.

Chers collègues, Votre Honneur, la règle sur la fixation de délai est claire. Elle a été mise en place avec l’accord du Sénat pour tenir compte du fait qu’il n’y a plus de caucus gouvernemental ni de leader du gouvernement qui s’identifie comme étant affilié au parti au pouvoir. Il ne s’agit pas d’une règle archaïque que l’on n’a pas eu le temps de changer. Nous avons apporté des changements pour refléter le fait que ce n’est plus une Chambre composée uniquement de caucus politiques.

Si le gouvernement est autorisé à invoquer la fixation de délai, nous lui permettons de fixer librement les règles de cette enceinte. Je ne pense pas seulement que c’est irrecevable. J’irais même jusqu’à dire qu’il s’agit d’une atteinte au privilège et aux principes de cette institution, à savoir le respect des règles du Parlement.

Même si tous les autres sénateurs et vous estimez que le leader du gouvernement devrait être autorisé à invoquer la fixation de délai indépendamment de son affiliation ou de son absence d’affiliation, il s’agit d’une modification du Règlement qui ne devrait pas être décidée de cette manière. Il existe des procédures appropriées à cet égard. Nous pouvons renvoyer cette question au Comité du Règlement pour qu’il l’étudie comme il se doit, afin de lui permettre de faire rapport au Sénat dans le respect des règles du Parlement.

En procédant de la sorte maintenant, le gouvernement place aussi le Président, comme mon honorable collègue le sénateur Plett l’a dit plus tôt, dans une position absolument intenable. Il ne lui revient pas de rédiger le Règlement ou de passer outre à celui-ci, sénateur Gold, surtout pas au gré d’une personne de l’autre endroit — le premier ministre — qui impose des modifications au Règlement du Sénat.

Au bout du compte, sénateur Gold, le premier ministre a nommé une majorité de sénateurs dont le discours correspond à celui du gouvernement. Ils expriment les positions du gouvernement et il vote massivement pour celles-ci. Nous finançons en ce moment l’équipe du leader du gouvernement au Sénat même si elle nie qu’elle fait partie du gouvernement depuis sept ans et demi. Bien sûr, c’était jusqu’à aujourd’hui, où vous avez accepté votre rôle au sein du gouvernement. Je ne comprends donc pas pourquoi la partie de cache-cache se poursuit avec cette institution.

S’il y a une véritable volonté d’indépendance, montrons-le et veillons à ne pas bafouer le texte du Règlement. Après tout, nous nous trouvons dans un lieu où des lois sont élaborées, Votre Honneur. Si, en tant que législateurs, nous ne respectons même pas notre propre Règlement, comment diable pourrions-nous avoir une quelconque forme de légitimité en tant qu’institution aux yeux des Canadiens?

Merci, Votre Honneur.

Son Honneur le Président [ - ]

Honorables sénateurs, le débat sur ce très important recours au Règlement soulevé par le sénateur Plett dure maintenant depuis 90 minutes. Nous entendrons quatre autres intervenants, soit la sénatrice Saint-Germain, la sénatrice Batters, le sénateur Dalphond et le sénateur Cotter, mais je préviens les sénateurs que beaucoup d’arguments importants ont déjà été présentés plus d’une fois et que les répéter ajouterait peu au débat.

L’honorable Raymonde Saint-Germain [ - ]

Honorables sénateurs, mes observations se veulent un complément de celles du sénateur Gold, avec qui je suis entièrement d’accord.

Le premier point que j’aimerais soulever concerne le dernier argument présenté par le sénateur Plett, c’est-à-dire sa conviction que le Sénat n’a pas de leader du gouvernement.

Je crois que l’époque où cette objection était valable est révolue. J’estime qu’elle aurait dû être soulevée à la première occasion, c’est-à-dire en novembre 2015 ou, à tout le moins, au début de la présente législature, puisque, chaque jour, le sénateur Plett, le sénateur Housakos et beaucoup d’autres de nos collègues appellent le sénateur Gold « monsieur le leader du gouvernement », et manifestement, il ne fait aucun doute que le sénateur Gold est le représentant du gouvernement et qu’il a les pouvoirs et les responsabilités que le Règlement du Sénat confère et confie au leader du gouvernement. Un précédent a été établi et cela fait maintenant partie intégrante de nos conventions parlementaires.

De plus, la Loi sur le Parlement du Canada, qui définit les règles et les traditions du Parlement du Canada en soi, a été modifiée et reconnaît maintenant au même titre le sénateur occupant le poste de leader du gouvernement au Sénat et celui occupant le poste de représentant du gouvernement du Sénat. Le Document d’accompagnement du Règlement du Sénat définit le leader du gouvernement ainsi :

Sénateur qui agit à titre de chef des sénateurs membres du parti au pouvoir. Selon l’usage actuel, le leader du gouvernement est aussi membre du Cabinet. Le titre complet est « Leader du gouvernement au Sénat ».

Le sénateur Gold est régulièrement considéré comme le leader du gouvernement. Il dispose d’un temps de parole illimité. La sénatrice Gagné exerce régulièrement les pouvoirs dévolus à la fonction de leader et de leader adjointe du gouvernement.

Il ne fait aucun doute que le sénateur Gold est à la tête des sénateurs appartenant au parti ministériel. La Loi sur le Parlement du Canada a été modifiée. Le titre du sénateur Gold est maintenant reconnu et la Loi sur le Parlement du Canada a préséance sur le Règlement du Sénat et, bien entendu, sur le site Web du Sénat.

Deuxièmement, en ce qui concerne les négociations, je suis d’accord avec le sénateur Gold. J’ai assisté avec d’autres collègues à la réunion des leaders et il est clair qu’il y a eu des offres et des tentatives de négociation à la suite de ce message. Je ne parlerai pas des négociations précédentes où tous les leaders étaient d’accord lorsque nous avons signé des accords sur un terrain d’entente, mais cette fois-ci, il est clair qu’il y a eu des tentatives. Je n’ai pas assisté aux réunions bilatérales entre le sénateur Plett et le sénateur Gold, évidemment, mais à ce sujet, j’aimerais vous renvoyer à une décision rendue par le Président Kinsella le 20 septembre 2000, à la suite d’un rappel au Règlement soulevé par le leader adjoint de l’époque.

Voici ce qu’a dit le Président Kinsella dans sa décision :

[L]e leader adjoint a déclaré que les représentants n’avaient pu s’entendre. Il m’est impossible de savoir s’ils y parviendront plus tard. Tout ce que j’ai devant moi, c’est une motion stipulant que, s’ils ne se sont pas entendus à l’heure actuelle, le Règlement a été observé et les conditions ont été fixées. Par conséquent, je déclare irrecevable le recours au Règlement.

Je crois, monsieur le Président, que vous vous trouvez dans le même type de situation parce que, en tant que Président du Sénat, vous ne prenez pas part à nos négociations. Vous ne participez pas à nos rencontres. Ce n’est pas votre rôle de lire nos courriels ou nos textos, ni d’écouter toutes nos conversations.

Votre rôle consiste à recevoir une motion indiquant qu’on n’a pas réussi à se mettre d’accord pour fixer un délai pour terminer le débat précédemment ajourné, et c’est pourquoi je vous renvoie à la décision rendue par le Président Kinsella le 20 septembre 2000.

Dans un autre ordre d’idées, il est clair, même d’après les observations du leader de l’opposition, que des efforts ont été déployés pour moderniser le Règlement du Sénat du Canada afin qu’il reflète les pratiques du Sénat. On trouve les expressions « partis reconnus » ou « partis » à 14 reprises dans le Règlement du Sénat. Le seul article où cette expression n’est pas accompagnée de l’expression « groupe parlementaire reconnu » est celui qui porte sur la fixation de délai. Je ne crois pas que l’intention du Sénat soit de rendre les dispositions relatives à la fixation de délai entièrement inopérantes du fait de cette omission involontaire.

Je répète que le recours au Règlement concernant le statut du représentant du gouvernement aurait dû être fait plus tôt, à la première occasion qui s’est présentée, c’est-à-dire il y a longtemps, à la fin de 2015, ou au début de la prochaine législature.

Je vous remercie.

Votre Honneur, je prends la parole afin d’exprimer mon appui au recours au Règlement du sénateur Plett.

Comme on l’a mentionné, le recours à l’article du Règlement du Sénat en question, l’article 7-2, exige le respect de deux critères : premièrement, le leader du gouvernement doit consulter les représentants des partis reconnus; deuxièmement, il faut que les « représentants des partis reconnus » n’aient pu se mettre d’accord pour fixer un délai pour terminer le débat.

En ce qui concerne la motion de fixation de délai sans accord du sénateur Gold, aucun de ces critères n’est rempli. Le terme « parti reconnu » n’est pas un synonyme de « groupe reconnu ». Comme nous l’avons déjà entendu quelques fois, selon la définition qui figure dans le Règlement du Sénat, un « parti reconnu » est :

[...] formé d’au moins neuf sénateurs qui sont membres du même parti politique, qui est enregistré conformément à la Loi électorale du Canada ou qui a été enregistré conformément à la Loi au cours des 15 dernières années.

Manifestement, parmi les cinq groupes parlementaires qui sont représentés au Sénat à l’heure actuelle, seul le Parti conservateur du Canada, qui forme l’opposition, peut être qualifié de parti reconnu aux termes de cette définition.

Comme l’a affirmé le sénateur Plett, le sénateur Gold n’a pas consulté l’opposition conservatrice pour tenter d’arriver à un accord sur l’établissement d’un délai pour terminer le débat au sujet du message relatif au projet de loi C-11. Le premier critère n’a donc pas été rempli.

Le fait que le sénateur Gold ait approché d’autres groupes parlementaires pour obtenir leur consentement n’a pas d’importance. S’il n’a pas cherché à obtenir le consentement du leader du caucus conservateur du Sénat, le sénateur Gold n’a pas respecté les diktats clairement prescrits par le Règlement du Sénat.

En outre, étant donné qu’il n’a pas consulté le sénateur Plett — le représentant du seul « parti reconnu » au Sénat —, le sénateur Gold ne peut pas déclarer avec exactitude qu’il n’y a aucun accord pour fixer un délai, conformément à l’article 7-2(2), et ne peut donc pas proposer en conséquence une motion de fixation de délai.

Bien que les Présidents aient refusé par le passé de se prononcer sur la nature et la qualité des consultations entre les parties sur la fixation de délai ainsi que leur nombre, il est certain que le leader du gouvernement doit quand même approcher d’une manière ou d’une autre les partis reconnus pour tenter de se mettre d’accord avec eux avant de pouvoir annoncer qu’ils n’ont pas réussi à s’entendre, et ainsi invoquer l’article. Dans le cas contraire, l’article est totalement dénué de sens. Le gouvernement pourrait simplement imposer la fixation de délai quand il le souhaite et aucune disposition ne serait nécessaire pour régir le processus.

En termes parlementaires, la fixation de délai est un sujet on ne peut plus sérieux. Elle fait tomber la guillotine sur le débat, la plus précieuse de nos libertés démocratiques au Sénat. Il serait absurde que les articles encadrant le recours à ce mécanisme soient dénués de sens. De toute évidence, ce n’est pas ce qui était prévu.

En 2014, dans l’ombre du scandale des dépenses au Sénat, Justin Trudeau, alors chef du Parti libéral, troisième parti à la Chambre, a choisi, par opportunisme politique, de rompre les liens entre le caucus libéral du Sénat et le Parti libéral du Canada. Lors des élections de 2015, Justin Trudeau a proposé son nouveau modèle de Sénat indépendant.

Lorsque les libéraux ont pris le pouvoir après ces élections, Justin Trudeau a mis ce plan à exécution et a nommé Peter Harder à la tête de son équipe de transition. Depuis, le gouvernement Trudeau s’est donné beaucoup de mal pour faire comprendre que les nouvelles nominations du premier ministre Trudeau au Sénat ne sont en aucun cas affiliées au Parti libéral. Elles doivent être « indépendantes » et « non partisanes ».

Les libéraux prétendent souvent que le leader du gouvernement au Sénat est à l’écart de tout lien partisan. Le bureau du représentant du gouvernement n’a plus qu’un caucus de trois personnes.

Dans ces conditions, je soutiens que les membres du bureau du représentant du gouvernement, y compris le représentant du gouvernement lui-même, ne pourraient pas non plus être considérés comme des « représentants des partis reconnus » et, par conséquent, qu’ils ne pourraient pas du tout présenter une motion de fixation de délai.

Il est important d’examiner attentivement la formulation de l’article 7-2(2). Le Cambridge Dictionary définit le terme « accord » comme « une décision ou une entente, souvent officielle et écrite, entre deux ou plusieurs groupes ou personnes ».

Il n’est donc pas possible d’avoir un accord avec un seul représentant — dans ce cas-ci, le sénateur Plett. Ajoutons que le terme « parti reconnu » dans l’article 7-2(2) du Règlement du Sénat de désigne pas non plus une entité qui est partie à un accord contractuel légal.

Dans cette institution politique qu’est le Sénat, la définition de « parti reconnu » qui se trouve dans l’Annexe du Règlement du Sénat précise qu’un parti reconnu doit être composé de sénateurs qui sont membres du même parti politique.

Le représentant du gouvernement au Sénat nous a souvent répété que le bureau du représentant du gouvernement n’avait aucun lien partisan. Pour ce qui est de leur affiliation, les trois membres du caucus du bureau du représentant du gouvernement se déclarent « non affiliés », notamment sur le site Web du Sénat, lors de la diffusion des travaux du Sénat et des comités, et sur le site Web du bureau du bureau du représentant du gouvernement.

Sur le site du bureau du représentant du gouvernement, le BRG, on trouve la question suivante parmi les questions courantes : « Pourquoi les membres du BRG sont-ils désignés comme non affiliés plutôt qu’en tant que membres d’un parti? »

La réponse commence comme suit :

Le caucus du parti au pouvoir à la Chambre des communes ne comprend pas les sénateurs, une décision qui a été prise pour atténuer la partisanerie et accroître l’indépendance au Sénat.

Les sénateurs du parti ministériel ont choisi de ne pas s’allier au parti du gouvernement libéral. Ils ne peuvent pas faire volte-face et choisir maintenant de s’appuyer sur le gouvernement dans le but d’étouffer le débat sur un projet de loi des plus controversés.

Le premier ministre Justin Trudeau a intentionnellement établi le nouveau système de nomination des sénateurs de cette manière. Il souhaitait ainsi éloigner le Parti libéral et le gouvernement libéral du scandale des dépenses au Sénat. La première fois qu’il a utilisé le nouveau système pour nommer des sénateurs, en 2016, le premier ministre a déclaré ceci dans son communiqué de presse :

Les nominations au Sénat que j’ai annoncées aujourd’hui aideront à atteindre l’objectif important de transformer le Sénat en une institution moins partisane et plus indépendante [...] puisque nous éliminons la partisanerie afin d’assurer que les intérêts des Canadiens priment sur les allégeances politiques.

Le leader du gouvernement à la Chambre des communes du premier ministre Trudeau à l’époque, Dominic LeBlanc, a déclaré, lors de l’annonce des changements apportés au système de nomination au Sénat en décembre 2015 :

Comme l’a souligné la ministre, la nomination des premiers sénateurs non partisans revitalisera le Sénat et contribuera à changer le ton au début de l’année 2016. D’autres sénateurs indépendants rejoindront leurs rangs au cours de l’année prochaine. Le gouvernement est heureux de faciliter ce changement en nommant son représentant au Sénat parmi les rangs des nouvelles recrues non partisanes.

Le ministre LeBlanc a poursuivi en anglais :

Le gouvernement est impatient de diriger ce changement en nommant l’un des nouveaux sénateurs indépendants qui seront désignés, comme l’a dit ma collègue, avec un peu de chance très tôt dans la nouvelle année, pour être le représentant du gouvernement au Sénat.

Lorsqu’il a comparu avec la ministre des Institutions démocratiques de l’époque, Maryam Monsef, au Comité du Règlement du Sénat en février 2016, M. LeBlanc a réitéré :

Nous nommerons un représentant du gouvernement parmi les cinq premiers sénateurs indépendants nommés dans le cadre de ce nouveau processus. Ce sénateur fera office de représentant du gouvernement à la Chambre haute [...] Cependant, contrairement à un leader du gouvernement traditionnel, la personne nommée n’aura ni liens avec un parti ni liens politiques, comme ce fut le cas par le passé.

Le gouvernement Trudeau voulait clairement que les nouvelles nominations au Sénat, y compris la personne sélectionnée pour le rôle de leader du gouvernement au Sénat, n’aient plus d’affiliation officielle avec le Parti libéral du Canada.

En fait, le premier critère d’évaluation énoncé sur le site Web du gouvernement Trudeau pour les nominations au Sénat sous les « Critères fondés sur le mérite établis par le gouvernement » est « Impartialité ». Voici l’explication fournie :

Les personnes devront démontrer au comité consultatif qu’elles sont en mesure d’apporter des points de vue et de contribuer aux travaux du Sénat de façon indépendante et non partisane.

Dès le début, et de manière cohérente depuis, le gouvernement Trudeau s’est vanté que l’impartialité est le critère fondamental de son nouveau processus de nomination au Sénat.

Le premier « représentant du gouvernement » autoproclamé, le sénateur Peter Harder, s’est exprimé sur la distance entre lui et tout lien de partisanerie libérale. Quand il a témoigné devant le Comité de la modernisation du Sénat, en septembre 2016, le sénateur Harder a dit ceci :

Je pense que je ne dois pas être affilié à un parti ou à un caucus en particulier [...]

Il a aussi déclaré ceci :

[...] Je félicite le premier ministre Trudeau pour l’initiative qu’il a lancée [...] à la fois en instaurant un processus de nomination indépendant [...] et en dissociant le caucus de son parti du caucus national, chose qu’il a faite en soulignant l’indépendance institutionnelle de notre Chambre par rapport à l’autre Chambre, ainsi qu’en nommant un représentant plutôt qu’un leader, qui est indépendant au départ, et non partisan [...]

En avril 2016, dans son discours inaugural au Sénat, le sénateur Harder a déclaré :

Contrairement aux anciens leaders du gouvernement au Sénat, je siège à titre de sénateur indépendant. Je n’appartiens à aucun caucus politique [...]

Pour remplir mon mandat, je n’ai pas besoin d’être membre d’un parti politique et je ne serai pas membre d’un caucus national ni d’aucun caucus politique.

Lorsque le sénateur Harder a témoigné devant le Comité de la régie interne du Sénat en avril 2016 pour demander que l’on finance le bureau du représentant du gouvernement, je lui ai demandé s’il avait l’intention de demander aux nouveaux sénateurs nommés par Trudeau de former un caucus gouvernemental. Voici sa réponse :

Absolument pas. Ce n’est pas à moi de former un caucus ou d’orienter les sénateurs indépendants dans une direction quelconque.

Le sénateur Harder a encore affirmé la volonté du gouvernement de rompre avec l’esprit partisan dans son document de discussion daté d’avril 2018.

Je cite :

L’approche actuelle du gouvernement vis-à-vis du Sénat cherche, en ayant éliminé le caucus du gouvernement et la nomination des sénateurs indépendants qui ne possèdent pas d’intérêts personnels dans l’élection d’un parti ou d’un autre, à générer les conditions susceptibles de permettre au Sénat de tirer profit de ses qualités uniques et de démontrer aux Canadiens sa valeur en tant qu’organisme complémentaire fournissant un second examen objectif.

En 2019, le bureau du représentant du gouvernement a publié un rapport sur les progrès du nouveau Sénat de Trudeau. On peut y lire ceci :

L’une des différences fondamentales entre le nouveau et l’ancien système est soulignée par l’absence de discipline de parti envers les sénateurs indépendants sur les votes et autres questions législatives. Auparavant, les sénateurs acceptaient dans une large mesure de voter comme le voulait la direction de leur parti. C’est toujours le cas pour les sénateurs conservateurs. En revanche, les sénateurs indépendants (qu’ils soient non affiliés, membres du Groupe des sénateurs indépendants ou des libéraux indépendants au Sénat) ne se font pas dire comment voter et ils ne coordonnent pas de stratégies partisanes avec les députés.

Le bureau du représentant du gouvernement a aussi dit ceci :

Parmi les trois groupes de sénateurs — le GSI, les libéraux indépendants et les conservateurs — seuls les [29] sénateurs conservateurs font toujours partie d’un caucus politique national, et ils se consacrent à l’élection de leurs collègues à la Chambre des communes.

Il est évident que le gouvernement Trudeau considère que les sénateurs conservateurs font partie du seul parti reconnu au Sénat. Cela n’a pas changé depuis que le groupe des sénateurs indépendants libéraux est devenu le Groupe progressiste du Sénat, ou GPS, ni depuis la naissance du Groupe des sénateurs canadiens, ou GSC, qui comprend des sénateurs qui venait du caucus conservateur et de ce qui était auparavant le caucus libéral. Comme nous le savons, depuis ce temps, des sénateurs nommés par le premier ministre Trudeau se sont joints à eux, mais le GSC est fier de dire qu’il n’est affilié à aucun parti.

En 2017, le sénateur Gold, qui allait devenir plus tard le deuxième représentant du gouvernement, a dit ceci au sujet de la partisanerie :

[...] il a pris une importance particulière depuis l’arrivée d’un nouveau groupe de sénateurs, dont je fais partie, qui ne sont affiliés à aucun des partis politiques, qui ne font partie d’aucun caucus politique et qui se définissent comme des sénateurs non partisans.

L’automne dernier, le sénateur Gold a réfléchi à sa distance par rapport aux liens partisans en tant que deuxième représentant du gouvernement au Sénat. En octobre 2022, lors d’une réunion du Comité sénatorial du Règlement, il a dit :

La capacité d’avoir un temps de parole illimité est un important outil que moi et mon prédécesseur avons dû utiliser [...] C’est un outil très important, plus important que jamais peut-être, car je n’ai pas de caucus à diriger.

En novembre 2022, lors d’une réunion du Comité sénatorial du Règlement, le sénateur Gold a réaffirmé qu’il n’avait aucun lien politique avec le gouvernement. Il a déclaré :

[...] ce gouvernement, que j’ai le privilège de représenter, a pris la décision, a fait le choix, de libérer le Sénat du contrôle du gouvernement à un moment où, à cet égard, il cherchait à lui conférer une plus grande indépendance et à en réduire la partisanerie. Oui, cela a pour conséquence que je n’ai pas de caucus et que je ne contrôle pas les votes. C’est une décision de ce gouvernement [...]

Le gouvernement Trudeau a d’abord proposé de modifier la Loi sur le Parlement du Canada avec le projet de loi S-4 pour refléter cette nouvelle réalité non partisane du Sénat. En mai 2021, en comité plénier, j’ai demandé au leader du gouvernement Trudeau à la Chambre, Dominic LeBlanc, pourquoi le gouvernement avait négligé de définir ces nouveaux rôles dans le projet de loi. Il m’a répondu ce qui suit :

[...] le Sénat peut très bien définir lui-même ces rôles en fonction de ses propres règles et pour les personnes qui sont nommées à ces postes, afin de décider avec les divers groupes du Sénat et leurs collègues d’un certain groupe, par exemple, le genre de rôles qu’ils souhaitent entreprendre et le travail qu’ils souhaitent réaliser. Nous n’avons pas cru qu’il serait particulièrement normatif d’établir des descriptions de tâches ou des listes de postes en particulier.

Le projet de loi S-4 et son successeur, le projet de loi S-2, visaient également à modifier la disposition de la Loi sur les mesures d’urgence à propos de la composition du comité d’examen parlementaire. Selon la disposition de la Loi sur les mesures d’urgence en vigueur à ce moment-là, le comité devait compter au moins un député de chaque parti reconnu à la Chambre des communes et :

[...] au moins un sénateur de chaque parti, représenté au Sénat, dont un député appartient au comité.

Seuls les membres du caucus conservateur du Sénat avaient le droit de siéger au comité selon cette définition d’affiliation à un parti. Par conséquent, le comité ne comporte actuellement aucun représentant du bureau du représentant du gouvernement. Les leaders du Sénat ont dû conclure une entente pour permettre l’inclusion de représentants du Groupe des sénateurs indépendants, du Groupe progressiste du Sénat et du Groupe des sénateurs canadiens quand le comité d’examen parlementaire a commencé son travail en mars 2022, car ces groupes n’étaient pas affiliés à des chefs de parti.

La disposition de la Loi sur les mesures d’urgence régissant la composition du comité d’examen parlementaire n’a pas été officiellement modifiée pour autoriser l’inclusion de ces groupes sénatoriaux non partisans jusqu’à l’adoption du projet de loi d’exécution du budget, le C-19, à la fin de juin 2022. De la même façon, le seul parti reconnu en vertu du Règlement du Sénat est aussi le caucus de l’opposition conservatrice représentant le Parti conservateur du Canada, l’opposition officielle à la Chambre des communes.

L’automne dernier, au Comité du Règlement du Sénat, les sénateurs ont examiné attentivement les règles régissant la fixation de délai. Bon nombre des leaders des groupes parlementaires étaient présents à ces réunions, y compris Marc Gold, le représentant du gouvernement. Certains participants ont exercé beaucoup de pression pour modifier le Règlement afin que les groupes parlementaires puissent donner leur accord sur la fixation de délai. Toutefois, il a été impossible d’obtenir le consensus. Par conséquent, selon l’article du Règlement du Sénat en vigueur, il faut encore seulement l’accord des partis reconnus.

Nous pouvons également nous référer aux règles régissant l’attribution du temps à la Chambre des communes pour plus de clarté. L’article 78(1) du Règlement régit les motions d’attribution de temps présentées après la conclusion d’un accord entre les « représentants de tous les partis ».

Il convient de noter que, dans la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, on peut lire à la page 162 que « les mots “représentants de tous les partis”, tels qu’ils apparaissent à l’article 78 du Règlement, ne visent pas les députés indépendants ». En outre, la Chambre peut également nous donner des indications sur l’obligation de consultation avant que le gouvernement n’impose l’attribution de temps. Je me réfère à la même citation de La procédure et les usages de la Chambre des communes à laquelle le sénateur Plett a fait référence concernant le fait de réunir les parties pour négocier. Il n’y aurait pas de « réunion des partis pour négocier » si le gouvernement n’était pas tenu de consulter d’abord les autres membres de parti.

En conclusion, Votre Honneur, je vous exhorte à juger irrecevable la motion du sénateur Gold invoquant la fixation des délais pour l’examen du message relatif au projet de loi C-11. Le sénateur Gold n’a pas demandé à notre leader conservateur au Sénat, le représentant du seul parti reconnu au Sénat, de s’entendre pour mettre fin au débat, et il n’aurait donc pas pu ne pas s’entendre sur le temps à consacrer à la réponse au message, comme il l’a indiqué au Sénat dans sa motion.

De plus, le leader du gouvernement au Sénat ne peut pas être le chat de Schrödinger du Sénat, lié au Parti libéral au pouvoir dans le but de représenter un parti reconnu en vertu du Règlement du Sénat, tout en prétendant simultanément être indépendant de toute affiliation politique. Depuis sept ans et demi, le gouvernement libéral et les deux représentants du gouvernement au Sénat insistent pour dire qu’ils n’entretiennent aucun lien partisan. Donc, je soutiens que le sénateur Gold ne peut pas présenter une motion de fixation de délai.

Merci.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ - ]

Honorables sénateurs, je suis le quatrième ou peut-être le cinquième à prendre la parole, mais je promets d’être celui qui sera le plus bref.

Je comprends que le point soulevé par le sénateur Plett concerne son droit à une certaine négociation avec le sénateur Gold avant que ce dernier puisse présenter une motion aux termes de l’article 7-2(1) et il a le droit de vous demander de vérifier si ce droit a été respecté. En tout respect, je ne suis pas d’accord avec cette interprétation et j’expliquerai brièvement pourquoi en fondant ma réponse sur le Règlement et sur les décisions antérieures du Président Molgat dont la sénatrice Saint-Germain et le sénateur Plett ont parlé.

Le chapitre 7 du Règlement du Sénat, qui porte sur la fixation d’un délai, précise que seuls « le leader ou le leader adjoint du gouvernement » peuvent présenter une motion de fixation de délai. Le chapitre 7 prévoit deux cas de figure : soit le leader ou le leader adjoint du gouvernement présente une motion avec l’accord des représentants des partis ou groupes reconnus, soit il le fait sans avoir l’accord de ces derniers. Il n’est inscrit nulle part dans le Règlement que le leader du gouvernement a l’obligation de tenter d’arriver à un accord avec les représentants des autres groupes quant au délai à fixer avant de présenter une motion sans accord.

Le représentant du gouvernement peut toujours décider de présenter la motion sans accord s’il est d’avis qu’il serait impossible d’arriver à un accord, mais ce choix a une conséquence. Il peut s’ensuivre un débat de deux heures et demie, alors que si la motion est proposée à la suite d’un accord, la question doit être mise aux voix immédiatement sans débat ni amendement, comme le prévoit l’article 7-1(3).

Lorsque le représentant du gouvernement au Sénat choisit de procéder sans accord, la question est simple du point de vue de la procédure, étant donné qu’il s’agit d’une déclaration de désaccord et non d’une invitation à mener une enquête factuelle sur la probabilité d’un accord, ce qui supposerait vraisemblablement de divulguer des discussions confidentielles.

Votre Honneur, pour faire une telle affirmation, je me fonde sur la décision qu’a rendu l’un de vos prédécesseurs, le Président Molgat, le 20 septembre 2000, concernant le recours au Règlement auquel le sénateur Plett et la sénatrice Saint-Germain ont fait référence. Cependant, je vais la relire, car je ne crois pas que son sens correspond à l’interprétation qu’en fait le sénateur Plett :

En ce qui concerne le point soulevé par le sénateur Kinsella, je voudrais que vous vous reportiez au paragraphe 39(1), qui prévoit simplement que, si « [...] le leader adjoint du gouvernement au Sénat, de sa place au Sénat, peut déclarer que les représentants des partis n’ont pas réussi à s’entendre pour attribuer un nombre précis de jours et d’heures[...] », cela autorise le leader adjoint à donner avis.

Honorables sénateurs, le leader adjoint a déclaré que les représentants n’avaient pu s’entendre. Il m’est impossible de savoir s’ils y parviendront plus tard. Tout ce que j’ai devant moi, c’est une motion stipulant que, s’ils ne se sont pas entendus à l’heure actuelle, le Règlement a été observé et les conditions ont été fixées. Par conséquent, je déclare irrecevable le recours au Règlement.

La validité de cette décision est confirmée par le texte français de notre article 7-2(1).

Cet article dit que le leader ou le leader adjoint du gouvernement peut « annoncer que les représentants des partis reconnus n’ont pu se mettre d’accord ». C’est un simple constat de faits. Les partis n’ont pu se mettre d’accord.

Autrement, Votre Honneur, en supposant que le Règlement vous oblige à enquêter sur la possibilité d’une entente sur la fixation de délai — et je ne crois pas qu’il le fasse —, permettez-moi d’ajouter qu’il n’est pas nécessaire de tenter une telle démarche préalable lorsqu’une entente semble impossible. En droit, il existe un principe bien connu : « À l’impossible, nul n’est tenu. »

Dans le cas qui nous occupe, le sénateur Gold, représentant du gouvernement, que le groupe conservateur appelle toujours « leader du gouvernement », a décidé de présenter une motion de fixation de délai sans l’accord du représentant du groupe conservateur, étant d’avis qu’un tel accord est impossible. Cette conclusion est tellement raisonnable qu’elle ne peut être contestée — du moins pas sérieusement. Le groupe conservateur avait proposé un amendement, et quelques minutes plus tard, un amendement à cet amendement, afin d’imposer deux débats distincts supplémentaires en plus du débat sur la motion du sénateur Gold en réponse au message de la Chambre des communes. En outre, plusieurs votes pour ajourner le débat, y compris une sonnerie d’une heure chaque fois au lieu d’une sonnerie plus courte, nous ont été imposés.

Autrement dit, les sénateurs du groupe conservateur ont clairement démontré qu’ils souhaitent prolonger le débat le plus longtemps possible et que, à leur avis, aucune limite de temps n’est acceptable. Dans un tel contexte, Votre Honneur, il est clair à mes yeux que le représentant du gouvernement, le sénateur Gold, peut déclarer sans hésitation que le représentant du groupe conservateur au Sénat a démontré qu’un accord de fixation de délais est inacceptable aux yeux de son groupe et qu’en conséquence aucun accord n’est possible.

Sinon, la seule autre conclusion possible serait que le sénateur Plett prenne la parole aujourd’hui et déclare qu’il accepte la motion visant à consacrer six heures de débat au message de l’autre endroit. Ensuite, si les représentants des autres groupes y consentent également, la question de fixation de délais devrait être mise aux voix, sans débat ni amendement, comme le stipule l’article 7-1(3).

Manifestement, toutefois, ce n’est pas ce que les sénateurs conservateurs demandent.

Pour conclure, je vais parler de la tentative d’établir une distinction entre le bureau du leader du gouvernement et le bureau du représentant du gouvernement au Sénat. On a beaucoup parlé de l’annexe de notre Règlement. C’est intéressant, mais commençons par les principes fondamentaux du droit. En premier lieu, il y a la Constitution, à laquelle on ne peut déroger. En second lieu, il y a les lois adoptées par le Parlement, auxquelles on ne peut déroger. Il faut lire notre Règlement en fonction des lois qui s’appliquent à nous et de la loi ultime, soit la Constitution.

La Loi sur le Parlement du Canada, telle que modifiée en 2022, prévoit, au paragraphe 62.4(1) :

Malgré l’article 62.3, les personnes ci-après reçoivent, à compter du 1er juillet 2022, les indemnités annuelles supplémentaires suivantes :

a) le sénateur occupant le poste de leader ou représentant du gouvernement au Sénat, sauf s’il reçoit un traitement prévu par la Loi sur les traitements, 90 500 $ [...]

Votre Honneur, il est intéressant de lire cette loi. Le premier responsable nommé dans cette disposition, c’est-à-dire à l’alinéa a), est « le sénateur occupant le poste de leader ou représentant du gouvernement au Sénat ». En ce qui concerne le Parlement, ces deux titres désignent le titulaire du même poste. Ils sont traités au même endroit dans la Loi sur le Parlement du Canada et sont assortis du même salaire. Pourquoi? Parce que le titulaire, qu’il soit leader ou représentant du gouvernement, exerce les mêmes fonctions. Pour moi, c’est si évident que je n’ai même pas besoin de citer la décision de la Cour suprême dans l’affaire Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., qui dit que si une interprétation soulevée mène à une conclusion absurde, la cour ne peut retenir cette interprétation.

C’est exactement ce qu’on nous demande de faire aujourd’hui.

Je ne suis pas d’accord, et je dirais que cela ne fera pas long feu devant les tribunaux. Puisque nous parlons d’une loi du Parlement, Votre Honneur, je vous dirai que vous vous trouvez dans la même position qu’un juge : vous devez interpréter de manière juste et raisonnable cette mesure législative. Ce qui a été proposé est tout absolument déraisonnable.

Si ça marche comme un canard et que ça cancane comme un canard, c’est un canard.

Voilà ce qui nous est soumis, Votre Honneur. Ce rappel au Règlement va à l’encontre de toutes les interprétations du Règlement, et ne peut pas être accepté.

Merci beaucoup, Votre Honneur. Merci. Meegwetch.

L’honorable Brent Cotter [ - ]

Votre Honneur, je n’ai pas eu autant de temps que d’autres sénateurs pour préparer mon intervention sur ce sujet. Je serai bref et je me chercherai exclusivement à vous inviter à adopter une certaine approche concernant l’interprétation de cette question.

Le sénateur Plett a proposé une interprétation très littérale du Règlement sur cette question. Elle est tellement littérale qu’il a même été impressionné par l’absurdité d’un ou deux de ses propres points. J’avoue que j’ai également été impressionné et que j’ai ri un peu dans ce coin.

Le sénateur Gold a également fourni une interprétation littérale dans sa réponse. Il s’agissait d’une interprétation littérale contre une autre, ce qui porte à croire qu’une personne n’a qu’à déclarer quelque chose. C’est peut-être littéralement vrai, mais je préfère de loin les observations du sénateur Dalphond selon lesquelles il doit y avoir quelque chose de raisonnable à cet égard. Votre Honneur, je vous invite à rejeter chacun de ces points.

Votre Honneur, je pense que vous ne feriez pas honneur à l’institution du Sénat si vous appliquiez une interprétation purement littérale. Comme je crois que le sénateur Dalphond l’a dit, vous êtes l’arbitre de l’interprétation législative de cette question. J’aimerais citer un extrait de l’affaire dont a parlé le sénateur Gold. Avec tout le respect que je lui dois, je pense qu’il s’agit d’un meilleur extrait qui démontre ce point; il fait valoir aussi le même point que le sénateur Dalphond a soulevé.

Voici un extrait de l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. de la Cour suprême du Canada. Il a été rédigé par le juge Iacobucci, un juge très respecté mais pas particulièrement — je me contenterai de dire qu’il est très respecté. Cet arrêt est souvent décrit comme le plus important en matière d’interprétation législative concernant l’absurdité. Voici ce que dit le juge Iacobucci :

Selon un principe bien établi en matière d’interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes.

 — ce que serait, selon moi, l’affaiblissement du rôle du sénateur Gold —

[...] on qualifiera d’absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatif [...]

Je poursuis en citant la principale commentatrice dans le domaine de l’interprétation législative, une dénommée Sullivan :

Sullivan partage cet avis en faisant remarquer qu’on peut qualifier d’absurdes les interprétations qui vont à l’encontre de la fin d’une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile [...]

C’est exactement ce qui est proposé dans le cas qui nous intéresse, selon moi. Je crois que l’argument principal du sénateur Gold, argument que je soutiens, c’est qu’il faut adopter ici une interprétation axée sur le fond et l’intention. Je souscris à ce point de vue, que je vous encourage vivement à adopter pour rendre votre décision. Merci beaucoup.

L’honorable Claude Carignan [ - ]

Je vais reprendre le point du sénateur Dalphond et du sénateur Cotter. L’un dit que si l’interprétation mène à une conclusion stupide, c’est donc que ce n’est pas la bonne conclusion. Le sénateur Cotter nous a parlé d’une interprétation absurde qui est illogique ou incompatible avec l’objet.

L’article 7-1 du Règlement évoque deux situations : avec accord ou sans accord. Avec accord, on s’assoit et on négocie, comme c’est la coutume et comme je l’ai souvent fait comme leader du gouvernement lorsque j’occupais ce poste. L’autre situation se produit quand il n’y a pas d’entente. L’article qui évoque l’absence d’accord dit ceci :

7-2(1) Le leader ou le leader adjoint du gouvernement peut, à tout moment pendant une séance, annoncer que les représentants des partis reconnus n’ont pu se mettre d’accord pour fixer un délai [...]

Je répète : le leader peut annoncer « que les représentants des partis reconnus n’ont pu se mettre d’accord ». L’interprétation que l’on vous donne ici, c’est qu’ils n’ont pas besoin de se parler, ils n’ont même pas besoin de faire une tentative de discussion pour annoncer leur désaccord. Cela me semble illogique. Cela me semble aller à l’encontre même de l’objet de l’article 7-2(1) du Règlement, qui prévoit spécifiquement que le leader, lorsqu’il se lève, doit déclarer qu’il y a eu une discussion, qu’il a fait une tentative pour en arriver à une entente — avec le leader de l’opposition dans ce cas-ci, parce que c’est le seul parti reconnu — et qu’il n’a pas pu s’entendre avec lui. C’est la base même de l’article 7-2.

Tout le Règlement du Sénat, vous le savez, on le connaît bien, vous le connaissez bien, je le connais quand même assez bien, parce que je l’ai rédigé de A à Z dans la version française... Vous vous rappelez sûrement le travail de révision que l’on a fait pour réécrire le Règlement. Je siégeais au comité avec la sénatrice Joan Fraser et on a revu le Règlement article par article, jugement par jugement. Dans chacune des situations, on parlait de négociations de bonne foi, et le Règlement est fait pour que les parties se parlent.

D’ailleurs, c’est pour cette raison que, pour les projets de loi d’intérêt privé, on doit négocier. On doit négocier pour les faire avancer. Cette partie du Règlement est rédigée de façon à favoriser la négociation. De la façon dont il est interprété actuellement, lorsqu’il n’y a même pas eu de tentative de négocier, on appelle cela « prendre l’autre par surprise ». En effet, quand le préavis a été donné, personne ne s’y attendait de ce côté-ci, parce qu’il n’y a même pas eu de tentative de négociations ou de tentative de discussion, ce qui est essentiel si l’on se conforme au texte de l’article 7-2 et à l’esprit du Règlement, selon lequel les sénateurs doivent tenter de conclure des ententes et se parler. De toute évidence, ce n’est pas la situation qui s’est produite ici.

J’ai lu la décision du Président Molgat qui a été soulevée par le sénateur Kinsella, mais il y avait eu un début de négociations. Dans ce cas-ci, même pas. Nous en sommes à la première journée du débat et franchement, lorsqu’il y a eu ajournement et que le sénateur Gold a présenté son préavis, nous étions extrêmement surpris, parce qu’il n’y avait pas eu de discussion. D’ailleurs, j’ai demandé à mon leader s’il en avait discuté, et il m’a répondu que non.

On ne peut pas se lever et annoncer qu’il n’y a pas eu d’entente s’il n’y a pas eu même le début d’une discussion. C’est essentiel pour appliquer le Règlement. Sinon — et je sais que ce n’est pas un mot parlementaire, mais nous avons une discussion —, on autorise le leader à mentir. Le leader pourrait affirmer qu’il n’y a pas eu d’entente avec les partis reconnus, et cela déclenche l’« avis de guillotine », cela déclenche la fixation de délai. Ce n’est pas l’esprit du Règlement, et ce ne sont pas les us et coutumes du Sénat.

J’ai fait le travail avant, Marjory LeBreton l’a fait avant, et je n’ai jamais vu de préavis de motion de fixation de délai sans échanges, sans discussion. Je documentais ces discussions et je m’assurais d’avoir des écrits de ces échanges. Ce sont les us et coutumes qui existent entre les leaders du gouvernement et les autres partis reconnus. Il doit y avoir eu des échanges avant de pouvoir faire une déclaration comme celle-là. On ne peut pas se lever du jour au lendemain, dès la première journée du débat, et faire ce genre de déclaration.

Je vous soumets tout cela respectueusement, Votre Honneur. Je m’excuse de mon retard, mais j’ai eu des problèmes sur la route qui ont retardé mon arrivée. Je n’ai pas entendu tous les autres arguments, mais je tenais à vous faire part des miens ce soir. Merci.

L’honorable Frances Lankin [ - ]

Certains points pertinents à votre décision et à votre jugement ont été soulevés. Je ne les répéterai pas. J’essaierai d’ajouter quelques observations au compte rendu, à la fois pour le contexte et pour soutenir la proposition avancée par le sénateur Gold — à savoir que votre travail consiste à interpréter, et qu’il existe des pratiques importantes et des règles reflétant « l’esprit du Sénat » qu’il faut prendre en considération.

Tout d’abord, j’aimerais répondre à l’argument soulevé par le sénateur Carignan ainsi que par la sénatrice Batters. Tous deux ont affirmé catégoriquement qu’il n’y a eu aucune consultation ni aucune discussion sur le moment où le message sur le projet de loi C-11 ferait l’objet d’un vote. Je suis d’avis que ce n’est pas le cas. La semaine dernière, j’ai très distinctement entendu le sénateur Gold présenter, dans ses propres mots, une chronologie qui comprenait des discussions à la fois lors de réunions d’organisation et de réunions des leaders. J’ai aussi entendu le sénateur Plett déclarer que ce ne serait pas terminé pour vendredi, alors que c’était clairement l’intention avancée par le gouvernement à ce moment-là.

Je ne sais donc pas comment la sénatrice Batters et le sénateur Carignan pourraient avoir des informations de première main à ce sujet, à part ce qu’ils ont entendu de leur chef. Les informations dont je dispose proviennent de discussions générales au sein de notre groupe sur le déroulement des travaux de la semaine. J’ai clairement eu l’impression que ces discussions étaient en cours. Je pense que vous n’êtes pas en mesure d’aller au-delà de ce que l’honorable sénateur a dit. Il a expliqué très clairement que ces discussions avaient eu lieu la semaine dernière.

Je voudrais ensuite aborder la question des pratiques au sein de cette Chambre. Nous avons beaucoup entendu parler du fait que l’article 7-2 n’a pas été modifié pour inclure expressément, par exemple, la référence aux groupes reconnus, alors que d’autres l’ont été. Je vous dirais que vous devriez vous remémorer — et je pense que vous savez ceci d’après les décisions que vous avez prises dans cette enceinte par le passé — que pendant de nombreux mois avant que certains libellés soient modifiés, nous avons fonctionné sur la base d’un certain consensus dans cette enceinte. Dans les faits, nous reconnaissions les groupes reconnus, l’existence des facilitateurs et de personnes qui interviennent à tour de rôle sur les projets de loi, et toute une série de choses. C’est cela qui a établi la pratique en place avant que les libellés ne soient modifiés. Je vous demande de garder cela à l’esprit parce que, dans l’esprit de l’évolution du Sénat, il est important que nous puissions continuer à faire progresser notre compréhension du mode de fonctionnement du Sénat et de ce qui est dans l’intérêt fondamental des Canadiens. Il ne faut pas nous laisser paralyser par le Comité du Règlement, dont tout le monde dit que c’est le comité où les choses n’aboutissent pas.

Si les choses n’aboutissent pas — j’ai entendu la sénatrice Batters en parler encore, et j’ai entendu la sénatrice Frum en parler à maintes reprises à mes débuts au Comité du Règlement —, c’est peut-être notamment parce que le Comité fonctionne par consensus. Or, le consensus, ce n’est pas accorder un droit de veto à un groupe, mais c’est ainsi que nous avons fonctionné. Nous avons adopté des pratiques, et ces pratiques devraient être comprises. Le caucus de l’opposition a clairement démontré qu’il a comme pratique de négocier avec le représentant du gouvernement au Sénat. De toute évidence, il a fait preuve de respect à l’égard des gens au pouvoir et a su travailler avec eux. Je sais qu’il attendait cette motion depuis longtemps pour faire ce rappel au Règlement. Or, maintenant, il veut faire une autre proposition.

Enfin, je veux parler du contexte dans lequel on soulève cette question. Le sénateur Dalphond l’a déjà fait pour moi, alors je vais simplement ajouter certains éléments. Nous sommes de toute évidence dans une situation où on utilise depuis un certain temps le Règlement pour mener des manœuvres dilatoires afin de torpiller le projet de loi ou d’empêcher qu’il ne fasse l’objet d’un vote pour de nombreuses raisons. Je suis persuadée, sans être partisane dans mon analyse, que l’opposition a d’importantes raisons politiques de faire ce qu’elle fait, et je respecte qu’elle fasse valoir son opinion de ce qui est important. Cependant, le contexte implique en fait que, tout comme dans le cas du rappel au Règlement de la semaine dernière, ce rappel particulier au Règlement est en fait une manœuvre dilatoire où l’on se sert du Règlement. Il est question ici de retarder les travaux du Sénat. Ce serait le comble de l’ironie, comme d’autres sénateurs l’ont déjà dit, ce serait un résultat absurde si on parvenait, en utilisant le Règlement pour des manœuvres dilatoires, à empêcher le gouvernement d’exercer son droit de mettre fin au débat alors qu’on est déjà à la fin de la période prévue.

En réponse à la remarque du sénateur Plett selon laquelle le gouvernement souhaite faire adopter ce projet de loi à toute vitesse, je dirai que ce projet de loi — sans parler de ce qui s’est passé à la Chambre des communes — a fait l’objet, au Sénat, de 138 témoignages, de quatre études article par article, de 31 réunions, de 67 heures et 30 minutes d’études préalables, d’études, et ainsi de suite. Le nombre d’amendements débattus s’est élevé à 73. Le nombre d’amendements adoptés a été de 26. Ces amendements ont été débattus ici à l’étape de la troisième lecture, ils ont été renvoyés à l’autre endroit et nous avons reçu un message en retour.

Nous sommes maintenant à la toute fin de ce processus, qui n’est que le message, et, dans mon argumentation contextuelle, vous pouvez constater les efforts que l’opposition déploie pour retarder davantage le processus. Je dirais que cela sape complètement le rôle du Sénat de même que notre devoir de traiter en priorité les projets de loi du gouvernement. Merci.

L’honorable Renée Dupuis [ - ]

Votre Honneur, je voudrais soulever un élément qui n’a pas été abordé jusqu’ici. Dans votre étude du recours au Règlement qui vient d’être fait aujourd’hui, j’attire votre attention sur le fait que la rédaction de l’article 7-2(1) du Règlement du Sénat comporte une disparité dans ses versions anglaise et française.

Quand vous prendrez en considération ce rappel au Règlement, je souhaite que vous éclaircissiez la question; dans l’interprétation que vous ferez de la question, je souhaite que vous examiniez de façon particulière les deux rédactions, qui ne sont pas les mêmes. Dans la version anglaise, quand on dit « have failed to agree », cela ne veut pas dire la même chose que dans la version française, qui dit « n’ont pu se mettre d’accord pour fixer un délai ».

Je voulais attirer votre attention sur cet élément. Je ne veux pas prendre plus de votre temps. Je vous remercie.

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