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Projet de loi sur la diffusion continue en ligne

Projet de loi modificatif--Message des Communes--Motion d'adoption de l'amendement des Communes et de renonciation aux amendements du Sénat--Motion d'amendement--Débat

26 avril 2023


L’honorable Leo Housakos [ + ]

Honorables sénateurs, avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à répéter que nous sommes tous très déçus d’avoir manqué une occasion de faire valoir, de façon légitime, les voix minoritaires du Canada.

Je tiens à répéter et à préciser, monsieur le leader du gouvernement, qu’aucun d’entre nous ne conteste le droit du gouvernement de recourir à la guillotine, c’est-à-dire à la fixation de délai. C’est une règle légitime qui est prévue dans les procédures du Parlement, et le gouvernement a le droit de s’en prévaloir. Cependant, il faut que ce soit fait de manière transparente. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. On ne peut prétendre appartenir à une Chambre non alignée et indépendante. Tous ceux d’entre nous qui ont étudié la science politique, de près ou de loin, savent qu’un indépendant, dans le contexte du processus parlementaire ou d’une assemblée parlementaire, n’est affilié à aucun parti politique.

Je ne m’engagerai cependant pas à nouveau dans ce débat. Je sais qu’il vous met mal à l’aise. Plus tôt aujourd’hui, nous avons essayé d’insister sur le fait que la seule raison pour laquelle le Président a interprété la règle comme il l’a fait est qu’il suppose, tout comme nous — et je pense que c’est la raison pour laquelle il a fait preuve de souplesse, ce que fait toujours le Président pour favoriser le fonctionnement de ce nouveau Sénat indépendant —, que vous représentez le gouvernement et que ce gouvernement est un gouvernement libéral. Dans la tradition de Westminster, c’est le leader du parti libéral au pouvoir ou le leader du parti conservateur au pouvoir, les deux partis qui ont gouverné ce pays, qui a le droit de recourir à la fixation de délai.

On a beaucoup parlé du nombre de semaines d’étude en comité, du nombre de témoins et des heures de débat qui ont été consacrées à ce projet de loi. Je répète toutefois ce que j’ai dit hier soir, à savoir que ces résultats découlent du fait que l’opposition a fait son travail et a utilisé tous les outils procéduraux à sa disposition pour y parvenir.

On ne peut donc pas, d’une part, comme bon nombre d’entre vous l’ont fait, affirmer que nous avons fait un excellent travail dans cette institution, que nous avons entendu de nombreux témoins, que le comité a été très solide et que nous avons réalisé une étude approfondie, alors que nous savons que c’est l’opposition qui a chaque fois insisté pour qu’il en soit ainsi. Par ailleurs, vous prenez la parole et dites d’un côté que le comité a fait un excellent travail, mais de l’autre, vous dites que nous faisons de l’obstruction. Qu’en est-il? Soit l’opposition fait de l’obstruction et abuse de ses pouvoirs en matière de procédure, soit elle a fait du très bon travail en insistant pour que tous les témoins soient entendus. On ne peut jouer sur les deux tableaux. Le gouvernement aime jouer sur les deux tableaux et faire de beaux discours au public; c’est un exercice de relations publiques. Cependant, les faits énoncés se tordent et diffèrent de la réalité.

Je vous prie donc de cesser de vous en enorgueillir. Oui, le comité entier a fait du très bon travail, mais il est plus que malhonnête d’attribuer maintenant à qui que ce soit d’autre qu’à l’opposition conservatrice le fait que nous ayons résisté aux pressions visant à nous faire adopter ce projet de loi à toute vapeur l’été dernier ou à la mi-novembre. Nous nous sommes battus bec et ongles du début à la fin, tant au comité qu’au Sénat. Le fait que nous ayons consacré autant d’heures de réunion et de délibérations à ce projet de loi ne justifie pas une capitulation dès la première réplique de l’autre endroit, comme si c’était le nombre limite de fois que les deux Chambres peuvent se renvoyer un message.

Plus tôt, je me suis entretenu avec le sénateur Quinn. Sénateur, vous avez raison de dire que l’autre endroit est la Chambre des représentants élus démocratiquement. On parle constamment de démocratie en cet endroit, comme s’il était tout à fait démocratique que 75 % des sénateurs aient été nommés par un premier ministre qui souhaite faire adopter ce projet de loi non pas maintenant ou dans l’immédiat, mais plutôt il y a un an et demi. Quoi qu’il en soit, nous avons le devoir constitutionnel de faire notre travail avec toute la diligence voulue et de faire en sorte, comme je l’ai dit dans le cadre d’un débat auquel j’ai participé hier, que la démocratie en cet endroit ne soit pas seulement le reflet des résultats des sondages, mais bien celui des valeurs et des causes que défendent chacun des sénateurs. Or, tout ce que j’ai entendu jusqu’à maintenant de la part des sénateurs indépendants, c’est que nous devons appuyer le gouvernement parce que c’est lui le gouvernement et passer à autre chose. Circulez! Il n’y a rien à voir ici. Faites-nous confiance.

Le fait que nous ayons consacré autant de temps à étudier ce projet de loi et entendu autant de parties intéressées à son sujet est précisément la raison pour laquelle nous ne devons pas acquiescer automatiquement à la volonté du gouvernement concernant ce projet de loi. Plus nous étudions un projet de loi longtemps, plus nous devons réfléchir longtemps à l’importance de nos amendements.

Sénateur Quinn, je sais que vous êtes déchiré, que vous avez du mal à vous faire une idée. D’un côté, vous estimez qu’on ne doit pas imposer notre volonté à la Chambre élue, mais vous avez aussi pris le temps de réfléchir. Je le sais, je vous ai vu à l’œuvre. Vous posiez les bonnes questions. Vous vous demandiez pourquoi autant de Canadiens créateurs de contenu en général et de contenu numérique sont venus nous dire qu’ils craignent terriblement pour leur avenir. Vous savez que ce n’est pas aussi clair que possible. C’est facile de se satisfaire des observations que le sénateur Tannas a formulées en toute bonne foi, car il espère que le gouvernement va prêter l’oreille. Or, nous avons l’obligation constitutionnelle de soumettre les textes législatifs à un second examen objectif, de nous faire le porte-voix de ces gens et d’insister quand nous croyons que le gouvernement fait fausse route.

Autrement, il ne sert pas à grand-chose de consacrer tant de temps et d’efforts à un projet de loi et de présenter des amendements, n’est-ce pas? Si nous nous contentons d’abandonner au moment où le gouvernement dit : « Nous en avons assez », et que cette décision ne correspond pas à l’ampleur des objections des Canadiens, c’est le moment de leur expliquer pourquoi notre institution coûte 125 millions de dollars. C’est un coût important. L’institution est dispendieuse. Ainsi, ce n’est pas parce que nous trouvons cela ennuyeux ou que cela risque de perturber le programme du premier ministre ou d’un ministre... Désolé, mais je ne suis pas obligé de suivre et de céder tout de suite simplement parce que le gouvernement nous demande d’aller de l’avant et nous dit qu’il n’y a rien à voir et qu’il faut lui faire confiance.

Parlons de ces amendements. Tous ceux qui sont pour l’adoption du projet de loi ne cessent de parler des 20 amendements que le gouvernement a acceptés. Vous êtes très fiers que le gouvernement ait accepté 20 des 26 amendements que nous avons présentés, comme si c’était une réussite colossale. Ce n’est pas le cas. Tout d’abord, cela montre que le texte du projet de loi était mal rédigé au départ. Il n’y a pas lieu de s’en réjouir, chers collègues. Lorsqu’on renvoie 26 amendements et que 67 ont été débattus, cela signifie que plusieurs sénateurs issus de nombreux groupes estimaient que le projet de loi présentait de nombreuses lacunes.

Si nous avons débattu pendant des heures, c’est que nous pensions que le projet de loi comportait des lacunes. Si cette institution a un rôle à jouer lorsqu’une mesure législative comporte de graves lacunes, c’est bien d’y remédier, de s’opposer à la mesure, de rappeler le gouvernement à l’ordre et de lui dire ceci : « Nous avons la même obligation que vous de corriger le problème. »

Sénateur Gold, si l’opposition s’est montrée insistante à ce point ou, pour reprendre vos propres mots, si elle s’est montrée délibérément obstructionniste, c’est que nous estimons que le projet de loi est l’erreur la plus monumentale que nous ayons vu le gouvernement commettre en sept années et demie d’exercice du pouvoir par les libéraux. Si vous n’avez pas utilisé la fixation de délai auparavant — comme je l’ai dit au débat hier, c’est la première fois en sept années et demie que vous y avez recours — c’est que vos projets de loi précédents n’étaient pas aussi mauvais et que nous n’avons jamais eu besoin d’avoir recours à une solution extrême. Dans ce cas-ci, nous avons estimé qu’il fallait prendre les grands moyens parce que trop peu de gens écoutent.

Il s’agit là d’une tendance inquiétante du gouvernement qui devrait tous nous préoccuper.

Il ne faut toutefois pas oublier que l’amendement qui a été motivé par le plus grand nombre de critiques contre le projet de loi et qui a retenu l’attention du comité pendant une grande partie du temps — ce qui était essentiel en raison du peu de temps que l’autre endroit a accordé à l’étude du projet de loi — et qui me préoccupe le plus, ainsi que mes collègues et des centaines de milliers de Canadiens, c’est l’amendement portant sur l’inclusion du contenu généré par les utilisateurs.

L’amendement qui s’attaquait à cette question et qui visait à atténuer les dommages, voire tout bonnement les régler, a été rejeté.

Chers collègues, cette mesure mérite plus qu’une approbation automatique. Elle mérite davantage de réflexion et d’étude au Sénat. Nous devrions tous être préoccupés par le nombre de Canadiens que ce projet de loi inquiète. Il ne s’agit pas d’une poignée de citoyens ou d’une minorité de gens. Nous savons pourquoi ce projet de loi a eu de la difficulté à franchir toutes les étapes tant ici qu’à l’autre endroit depuis près de trois ans.

Revenons au nombre d’heures que nous avons supposément consacrées à débattre de ce projet de loi. Je crois qu’il serait généreux de dire six heures. La majeure partie des six heures de débats qui ont eu lieu depuis que nous avons reçu le message du gouvernement n’a pas été consacrée à discuter du refus du gouvernement d’accepter des amendements essentiels, mais plutôt à parler de choses comme la doctrine de Salisbury et de notre obligation de ne pas défier le gouvernement, car il semble que la principale priorité des sénateurs indépendants consiste à ne pas offenser le gouvernement, à ne pas trop le bousculer et à ne pas trop lui demander de s’expliquer, car au bout du compte, c’est ça, la démocratie.

Comme je l’ai dit, la démocratie ne se manifeste pas au Sénat à la suite d’un vote des électeurs. Je vous rappelle que vous avez tous été nommés. Aucun d’entre vous n’a été élu, et je ne l’ai pas été, moi non plus. Votre droit démocratique vous vient du premier ministre qui vous a nommé, mais aussi, votre mandat au Sénat vous donne l’indépendance dont vous avez besoin pour vous exprimer librement au nom des régions et des citoyens que vous représentez. Je vous encourage à exercer ce droit. N’ayez pas peur. Je l’ai fait à quelques reprises, y compris à l’égard du premier ministre qui m’a nommé, et le ciel ne m’est pas tombé sur la tête. Je n’ai pas été expulsé du caucus. Je n’ai pas reçu 1 000 coups de fouet. En fait, j’ai exprimé publiquement mon désaccord avec le premier ministre qui m’a nommé, et tout le monde pensait que c’était la fin du monde. Or, quelques mois plus tard, ce même premier ministre m’a nommé Président du Sénat. Selon beaucoup de libéraux, cette personne était très draconienne et c’était très, très difficile de travailler avec elle.

Je ne me lancerai pas dans un autre débat sur ce sujet, mais j’ajouterai ceci : si vous adhérez à la croyance que nous sommes régis par la doctrine de Salisbury — et j’ai entendu dire que le sénateur Harder adore la doctrine de Salisbury —, il n’est fait mention nulle part du nombre maximal de fois qu’un projet de loi peut faire l’aller-retour entre les deux Chambres. Il n’est écrit nulle part que les sénateurs n’ont pas le droit d’insister pour défendre les intérêts de leur région ainsi que des habitants, des groupes et des intervenants de leur région. Il n’est fait mention nulle part que cette Chambre ne peut insister pour conserver des amendements quand un gouvernement abuse de ses pouvoirs.

J’aimerais vous communiquer à nouveau mes graves préoccupations concernant les créateurs de contenu numérique de notre pays à cause de ces mesures législatives. Ces créateurs canadiens sont répartis dans toutes les régions de notre pays et ils proviennent de toutes les couches de notre société. Ils représentent un grand nombre de cultures, de religions et de groupe ethnolinguistiques. Ce sont des personnes qui se sont bâti un grand succès au moyen d’Internet. Ces personnes — vos enfants, vos neveux, vos voisins — créent librement et de manière indépendante du contenu journalistique, des documentaires et des vidéos qu’elles téléversent sur YouTube. Nombre de ces Canadiens deviendront un jour des vedettes, comme Justin Bieber ou The Weeknd. Des vedettes et des icônes culturelles du Canada sont découvertes par l’entremise des nouvelles plateformes numériques. Elles ne sont pas toujours découvertes grâce à CBC/Radio-Canada et Téléfilm Canada. De plus en plus de talents sont découverts sur des plateformes internationales qui, soit dit en passant, ne sont pas des diffuseurs traditionnels.

En réalité, la prémisse même du projet de loi est un mensonge. Cette prémisse, c’est d’amener les diffuseurs traditionnels en ligne comme le sont les plateformes numériques. Les plateformes numériques ne sont pas des diffuseurs, loin de là. Ce sont simplement des plateformes qui offrent aux gens des façons gratuites et ouvertes de communiquer. Comme je l’ai dit, qu’il s’agisse de journalistes indépendants, de médias, de sénateurs, de politiciens, d’équipes de hockey locales ou d’organisations, Google, Facebook et les autres plateformes donnent à tout le monde la possibilité d’élargir ses horizons, de communiquer avec des gens et de vendre ce qu’il a à vendre. Certains d’entre nous vendent leurs points de vue politiques, d’autres personnes vendent des cosmétiques. Dans un cas comme dans l’autre, ces plateformes gratuites et ouvertes nous donnent la possibilité de discuter et de débattre.

Je ne crois pas que le premier ministre ou les ministres poursuivent un plan machiavélique et comptent s’installer dans un coin pour tenter de contrôler l’esprit des Canadiens. Je crois plutôt que les entreprises de radiodiffusion traditionnelles sont sur le déclin, qu’elles se dirigent vers la faillite parce que leur modèle d’affaires ne fonctionne plus, et que les gens se servent maintenant de nouvelles méthodes modernes, techniques et numériques pour recevoir de l’information et en exporter. Le premier ministre cherche une façon d’aider ses copains, les géants multimillionnaires traditionnels du pays. Je n’ai d’ailleurs pas peur de les nommer : il s’agit de Bell Média, Québecor, Rogers et CBC/Radio-Canada — qui souhaiterait évidemment obtenir plus que 1,2 milliard de dollars provenant des coffres de l’État. Ces géants veulent que les entreprises numériques leur en donnent davantage pour faire grimper leurs cotes d’écoute.

Le gouvernement dit également que ces gens se sont engagés sur la voie de l’innovation, de l’élimination des obstacles, et ce, sans intervention du gouvernement. Je pense à de nombreux créateurs numériques exceptionnels que le comité a entendus, notamment Darcy Michael, qui se décrit lui-même comme gai et fumeur de cannabis et qui a souligné l’importance d’être propriétaire de son travail, plutôt que d’en céder les droits à CTV. Vous souvenez-vous de lui, sénateur Quinn? C’est un jeune homme brillant. Je pense également à Jennifer Valentyne, qui a parlé des difficultés rencontrées par les femmes dans les médias traditionnels, lorsqu’elles avancent en âge. Vous souvenez-vous d’elle? Nous avons également entendu Vanessa Brousseau, une femme autochtone fière de son appartenance qui a exprimé ses inquiétudes à l’idée de devoir, une fois de plus, prouver qu’elle est Canadienne et qu’elle produit du contenu canadien.

Son Honneur le Président [ + ]

Sénateur Housakos, je suis désolé de vous interrompre, mais votre temps de parole est écoulé. Souhaitez-vous demander cinq minutes supplémentaires?

Le sénateur Housakos [ + ]

J’aimerais beaucoup disposer de cinq minutes de plus.

Son Honneur le Président [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Son Honneur le Président [ + ]

Je suis désolé, sénateur Housakos, j’ai entendu un « non ».

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour appuyer l’amendement proposé par le sénateur Plett au message sur le projet de loi C-11. J’aurais vraiment souhaité que nous ayons plus de temps pour débattre, parce que c’est un sujet qui a mobilisé les Canadiens comme peu d’autres, mais le gouvernement Trudeau a décidé de forcer l’adoption du projet de loi et de couper court au débat pour servir ses propres fins politiques. Il l’a d’abord fait adopter à toute vitesse à la Chambre des communes, et c’est maintenant au tour du Sénat. Après avoir entendu les sénateurs Harder et Gold vanter le gouvernement Trudeau pour ne pas avoir recours à la fixation de délai, il est ironique de voir le gouvernement l’invoquer maintenant pour un projet de loi sur la censure en ligne.

Nous ne devrions pas être surpris, je suppose, car le gouvernement Trudeau a souvent montré sa crainte d’un débat juste et libre sur les questions difficiles — c’est en quelque sorte sa position par défaut. Pourquoi accepter de continuer à débattre d’un projet de loi relatif à la censure en ligne alors qu’il est possible d’y mettre fin unilatéralement et d’y apporter ensuite des modifications qui serviront ses intérêts politiques? Pourquoi mener une enquête publique sur l’ingérence de Pékin dans les élections alors qu’il est possible de demander à un ami de longue date de la famille et membre de la Fondation Pierre Elliott Trudeau de le faire en privé? Après tout, nous savons à quel point le premier ministre admire l’efficacité élémentaire. Il est dommage que cela se fasse au détriment du droit démocratique à la liberté d’expression, mais c’est ainsi.

Après les quelque 70 heures que les sénateurs ont consacrées à l’examen minutieux du projet de loi C-11 au comité, et après le temps supplémentaire qu’ils ont pris pour rédiger des amendements et en discuter, nous sommes maintenant à la croisée des chemins pour déterminer l’avenir de cette mesure législative. Le gouvernement Trudeau a pris en considération nos 26 amendements sénatoriaux, mais il n’a accepté que les plus insignifiants. Le gouvernement a certes accepté l’un de mes propres amendements visant à harmoniser la définition du terme « décision » avec celle de la Loi sur les télécommunications, mais il était loin d’être le plus important de ceux que j’avais proposés au comité sénatorial. Les sénateurs nommés par M. Trudeau au comité ont rejeté deux autres de mes amendements beaucoup plus substantiels qui portaient sur le fond du projet de loi, c’est-à-dire sur les questions de la découvrabilité et du seuil.

Donc, le gouvernement Trudeau a rejeté tous les amendements les plus substantiels proposés par le Sénat — même des amendements raisonnés comme celui proposé par les sénatrices Miville-Dechêne et Simons, qui auraient explicitement retiré le contenu généré par les utilisateurs de la longue portée du projet de loi C-11. Au lieu de cela, le gouvernement Trudeau a demandé aux sénateurs, et, par extension, aux Canadiens, de simplement lui faire confiance pour exclure le contenu généré par les utilisateurs de son projet de loi C-11. Bien entendu, il refuse d’inclure une telle garantie dans le texte de loi lui-même, où elle serait contraignante. Au lieu de cela, on a inséré une disposition dans la motion accompagnant le message du Sénat, et cette notion pourra être sommairement ignorée et oubliée — et ce sera le cas. Le sénateur Scott Tannas a estimé qu’il s’agissait d’un compromis suffisant. Il soutient que les miettes contenues dans le message suffiront pour protéger les utilisateurs. Je ne suis pas d’accord. Honorables sénateurs, ce n’est pas suffisant pour les Canadiens. Ils veulent et ils méritent du pain et non des miettes.

La motion initiale proposée par le leader du gouvernement au Sénat se lisait ainsi :

[...] Que le Sénat prenne acte de l’intention déclarée du gouvernement du Canada que le projet de loi C-11 ne s’applique pas au contenu numérique généré par les utilisateurs et de son engagement à orienter en ce sens la politique du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes [...]

L’amendement proposé par le sénateur Tannas, qui est maintenant adopté, a remplacé les mots « intention déclarée » par « assurance publique », et la motion se lit maintenant ainsi :

[...] Que le Sénat prenne acte de l’assurance publique du gouvernement du Canada que le projet de loi C-11 ne s’applique pas au contenu numérique généré par les utilisateurs et de son engagement à orienter en ce sens la politique du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes [...]

Malheureusement, honorables sénateurs, vous pouvez avoir l’assurance publique que cette promesse ne donnera pas grand‑chose. Ce n’est rien d’autre que l’équivalent législatif d’une promesse jurée crachée de la part d’un gouvernement reconnu pour avoir manqué à ses propres engagements à maintes reprises. Je n’ai même pas le temps d’énumérer toutes ses promesses brisées. Il a promis de ne jamais augmenter la taxe sur le carbone au-delà de 50 $ la tonne; promesse brisée. Il a promis 4,5 milliards de dollars au titre du Transfert canadien en matière de santé mentale, mais les Canadiens n’ont pas vu un cent de cet argent. La réforme électorale a été jetée par-dessus bord. Que dire de la promesse libérale de ne faire que des déficits de 10 milliards de dollars pendant deux ans avant le retour à l’équilibre budgétaire? Dieu sait à quel point les dépenses ont explosé sous le gouvernement Trudeau.

La liste n’en finit pas de s’allonger. Il est juste de dire que la seule chose sur laquelle on peut compter, c’est que le gouvernement Trudeau ne tienne pas ses promesses.

Toutefois, le programme électoral libéral de 2019 nous donne un indice sur les véritables intentions du gouvernement Trudeau à l’égard de ce projet de loi. En effet, le programme électoral de 2019 dit qu’un gouvernement libéral adoptera :

[...] lors de la première année, une loi qui prendra les mesures appropriées pour veiller à ce que les fournisseurs de contenu — y compris les géants du Web — offrent plus de contenu canadien dans leur répertoire, contribuent à la création de contenu canadien dans les deux langues officielles, fassent la promotion de ce contenu et le rendent facilement accessible sur leur plateforme.

D’après cette description des « fournisseurs de contenu », honorables sénateurs, il semble que le gouvernement Trudeau et le Parti libéral n’aient jamais eu l’intention d’exempter de la réglementation les créateurs de contenu généré par les utilisateurs. Pourquoi devrions-nous croire qu’ils le feront maintenant?

Le gouvernement libéral prétend que la modification de la Loi sur la radiodiffusion étant une promesse électorale, les sénateurs n’ont pas le droit de retarder l’adoption du projet de loi C-11 maintenant, mais c’est exagérer l’ampleur du problème. La promesse contenue dans le programme électoral des libéraux de 2021 était très vague. C’était peut-être intentionnel, étant donné les réactions négatives qu’a obtenu le gouvernement à l’égard du projet de loi C-10, le précurseur du projet de loi C-11. Le programme électoral de 2021 dit qu’un gouvernement libéral :

Réintroduire le projet de loi pour réformer la Loi sur la radiodiffusion, durant les 100 premiers jours d’un nouveau mandat, pour faire en sorte que les géants du Web contribuent à la création et la promotion de récits et de musique du Canada.

La Loi sur la radiodiffusion n’avait pas été mise à jour depuis 50 ans. Il ne faisait aucun doute qu’il était temps de la moderniser, surtout compte tenu des progrès technologiques rapides. Cependant, la formulation vague de la promesse dans la plateforme électorale de 2021 des libéraux ne permettait certainement pas de comprendre qu’ils avaient l’intention de réglementer le contenu généré par les utilisateurs, l’une des questions les plus litigieuses soulevées par le projet de loi C-11.

Quoi qu’il en soit, affirmer que le Sénat doit maintenant suivre la Convention de Salisbury parce que le projet de loi C-11 découle explicitement d’une promesse électorale est pour le moins tiré par les cheveux.

Le gouvernement Trudeau et les sénateurs indépendants évoquent fréquemment les amendements apportés aux projets de loi par le Sénat comme une preuve de l’efficacité de leur nouveau régime. Or, la plupart du temps, les amendements du Sénat — ceux qui sont acceptés par le gouvernement Trudeau — viennent du gouvernement pour corriger ses projets de loi mal rédigés à un stade tardif du processus législatif ou sont mineurs et non controversés. Il est rare que le gouvernement Trudeau accepte des amendements qui modifient substantiellement les projets de loi qu’il présente. Le projet de loi C-11 n’a pas fait exception à la règle.

Je l’ai déjà dit et je le répète : cela est tout bonnement inacceptable. Combien de fois avons-nous entendu des sénateurs indépendants déclarer au cours d’un débat : « Le mieux ne doit pas devenir l’ennemi du bien », dissuadant ainsi les sénateurs d’adopter des amendements aux projets de loi du gouvernement?

Honorables sénateurs, au Sénat du Canada, nous devrions nous efforcer d’améliorer les lois. C’est littéralement notre travail. Nous ne devons pas nous contenter de proposer des amendements une seule fois, puis de baisser les bras lorsque le gouvernement les repousse. Il se peut que le gouvernement n’accepte pas les amendements du Sénat qui sont renvoyés deux fois à la Chambre des communes, mais l’insistance de la Chambre haute incite certainement le gouvernement à réfléchir et à en tenir compte.

Le projet de loi C-11 est suffisamment important pour les Canadiens pour que nous agissions de la sorte. Le Sénat a tout à fait le droit d’insister sur ses amendements. Comme l’a déclaré Peter Harder, alors leader du gouvernement au Sénat, dans son document sur la complémentarité :

Depuis 1960, […] sept projets de loi concernant une décision du Sénat insistaient à faire adopter une partie ou la totalité de ses amendements après que la Chambre des communes les eut rejetés.

Nous disposons même d’un précédent assez récent. Certains d’entre vous se souviendront peut-être qu’en 2018, la Chambre des communes a rejeté plusieurs amendements du Sénat concernant le projet de loi C-49, Loi apportant des modifications à la Loi sur les transports au Canada, mais le Sénat a insisté sur deux de ses amendements et a renvoyé le projet de loi à la Chambre une deuxième fois. La Chambre a de nouveau refusé, et le Sénat s’est incliné.

Honorables sénateurs, le fait est que la situation n’est pas sans précédent et que, dans le cas du projet de loi C-11, nous serions justifiés d’insister une deuxième fois pour que nos amendements soient adoptés.

J’ai ceci à dire aux sénateurs indépendants que le premier ministre Trudeau a nommés au Sénat : vous devriez exiger davantage du gouvernement qui vous a nommés. Si vous êtes aussi indépendants que vous le prétendez, profitez de cette occasion pour exprimer à nouveau votre opposition au message de la Chambre des communes au nom des Canadiens. Il est temps de montrer vos muscles. Essayez. Qui sait? Cela pourrait vous plaire.

Honorables sénateurs, s’il y a un moment où le Sénat doit insister pour que ses amendements soient adoptés, c’est bien pour le projet de loi C-11. Accepter si facilement que le gouvernement Trudeau rejette les amendements de fond du Sénat au projet de loi, c’est manquer de respect envers le temps et les efforts que le comité sénatorial a consacrés au projet de loi C-11. Le gouvernement ne devrait pas s’immiscer de la sorte dans la liberté d’expression des Canadiens. Ce projet de loi représente une menace sérieuse pour le gagne-pain des créateurs de contenu canadiens. Il pourrait avoir pour effet de freiner nos industries culturelles et du divertissement sur la scène internationale. Surtout, il s’agit d’une atteinte inutile et sans précédent à la liberté des Canadiens.

Dans cet esprit, je vous demande de vous joindre à moi et de voter pour défendre les amendements du Sénat pour le bien de tous les Canadiens. Merci.

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