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La Loi sur les juges

Projet de loi modificatif--Message des Communes--Motion de renonciation aux amendements du Sénat--Débat

21 juin 2023


L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Propose :

Que, en ce qui concerne le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges, le Sénat n’insiste pas sur ses amendements auxquels la Chambre des communes n’a pas acquiescé;

Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.

 — Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je prends la parole à l’étape du message de l’autre endroit en réponse aux amendements proposés par le Sénat au projet de loi C-9, un projet de loi qui envisage une réforme majeure du processus d’examen de plaintes d’inconduite portées contre les juges de nomination fédérale.

Tout d’abord, je tiens à remercier le parrain du projet de loi, le sénateur Dalphond, ainsi que la sénatrice Batters, qui a joué le rôle de porte-parole. Je remercie également tous les sénateurs qui ont participé à l’étude et aux débats relatifs à cette importante initiative. Bien que nous ne soyons pas tous sur la même longueur d’onde quant à certains détails du projet de loi, il est clair que nous partageons les objectifs du gouvernement et de la magistrature fédérale.

Mon allocution sera relativement brève. Je tenterai de vous expliquer le message de l’autre endroit et de vous communiquer brièvement la position du gouvernement vis-à-vis des amendements apportés par le Sénat. Le sénateur Dalphond étant un expert en la matière, je lui laisserai le soin, à titre de parrain du projet de loi, de vous présenter une analyse plus étoffée de certains éléments clés du message.

Le projet de loi C-9 a été méticuleusement élaboré à la suite de vastes consultations tenues auprès d’intervenants de la magistrature et du milieu juridique ainsi que de membres du public. Il jouit de l’appui des institutions fondamentales de la magistrature, notamment du Conseil canadien de la magistrature, qui est au cœur du processus disciplinaire que le projet de loi vise à réformer.

Le projet de loi C-9, dans sa mouture actuelle, laquelle comprend désormais quelques-uns des amendements proposés par le Sénat, représente fidèlement ces consultations.

Dans le message qui nous est adressé, l’autre endroit accepte deux des amendements adoptés par le Sénat.

En premier lieu, les députés ont appuyé notre amendement tenant à supprimer les mots « dans la mesure du possible » du texte proposé par l’article 84 de la Loi sur les juges, à l’article 12 du projet de loi.

La disposition concernée exige que le Conseil canadien de la magistrature fasse de son mieux pour refléter la diversité de la population canadienne en dressant la liste de juges puînés et la liste de non-juristes parmi lesquels seront choisis les décideurs pour les différentes étapes du nouveau processus proposé. Cette modification, proposée au comité par la sénatrice Clement, contribuera à renforcer le message qui ressort de nos textes législatifs, à savoir que, comme parlementaires et comme Canadiens, nous attachons de l’importance à la grande diversité de notre pays et nous tenons à ce qu’elle se reflète dans nos institutions, ce qui inclut les organes décisionnels du nouveau processus disciplinaire de la magistrature.

L’autre endroit a aussi accueilli favorablement un autre amendement du Sénat proposé au comité sénatorial par la sénatrice Clement, visant à ajouter les allégations d’« inconduite sexuelle » aux types de plaintes qui ne peuvent pas être rejetées par un agent de contrôle et qui doivent être examinées par un membre du conseil.

Les deux autres types de plaintes visées concernent les allégations de harcèlement sexuel et les allégations de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’esprit de cette modification concorde avec les objectifs généraux du projet de loi et n’aurait pas pour effet de nuire au fonctionnement du nouveau processus disciplinaire de la magistrature.

Ce sont deux contributions tangibles et positives du Sénat qui, de l’avis du gouvernement, sont conformes à l’objectif du projet de loi C-9, et le gouvernement était heureux de les appuyer.

Les autres amendements proposés par le Sénat n’ont pas été appuyés par le gouvernement et ont été respectueusement rejetés par l’autre endroit. Le gouvernement est sincèrement sensible à l’esprit constructif dans lequel ces amendements ont été proposés; toutefois, il en est arrivé à la conclusion que, ensemble, les amendements restants risquent de miner les buts et les objectifs fondamentaux du projet de loi C-9, et ce, de trois façons.

Premièrement, les autres amendements perturberaient l’équilibre délicat entre les impératifs de confidentialité et de transparence du projet de loi C-9 aux étapes initiales d’enquête du nouveau processus de déontologie judiciaire. Le projet de loi C-9 comprend d’importantes garanties de transparence qui reflètent le droit du public à des procédures ouvertes, ainsi que d’importantes garanties de confidentialité qui protègent le droit à la vie privée des plaignants, des juges et des tiers potentiels qui pourraient être impliqués dans des plaintes. Les amendements proposés par le Sénat auraient rompu cet équilibre délicat en exigeant la divulgation de toutes les décisions prises aux premières étapes du processus, même lorsque les délibérations ne sont pas encore terminées. Plus important encore, ces amendements du Sénat ne prévoient aucune mesure de protection pour veiller à ce que le conseil protège l’identité des plaignants qui craignent des représailles de la part de la personne en cause.

La même série d’amendements exige la collecte et la divulgation publique de renseignements dans le but d’obliger le ministre de la Justice à se demander s’il doit recommander au Conseil canadien de la magistrature de créer de nouveaux séminaires de formation des juges fondés sur ces informations. Chers collègues, étant donné que le ministre peut parler au conseil à tout moment des possibilités de formation des juges, de tels amendements sont superflus. De plus, en tant qu’amendements dont l’objectif principal est l’établissement de nouvelles possibilités de formation des juges, le gouvernement est également d’avis qu’ils dépassent la portée du projet de loi.

La deuxième lacune des amendements au projet de loi concerne la participation de non-juristes, c’est-à-dire des personnes qui n’ont aucune formation juridique, à la prise de décisions juridiques. Chers collègues, l’importante contribution et la valeur ajoutée des non‑juristes à des processus comme celui-ci sont incontestables. Cela dit, il est essentiel d’établir un juste équilibre entre les avantages de la participation de non-juristes et ses limites inhérentes. La participation de non-juristes est la façon la plus appropriée et la plus utile de renforcer la confiance du public aux étapes de la recherche des faits du processus de traitement des plaintes, c’est-à-dire à l’étape où les faits sont établis, les conclusions d’inconduite ont été tirées et les sanctions appropriées ont été imposées. C’est précisément là que le projet de loi C-9, tel qu’il nous a été renvoyé par l’autre endroit, propose de faire participer des non-juristes.

Les amendements du Sénat ont mis en péril cet équilibre soigneusement calibré en affectant des non-juristes à des fonctions décisionnelles pour lesquelles une formation juridique est soit essentielle, soit un atout important. Le plus troublant, c’est que cet amendement prévoyait d’affecter des non-juristes aux comités d’appel — des comités qui sont conçus pour fonctionner comme des cours d’appel, leur travail étant essentiellement axé sur la correction des erreurs de droit. Pour être clair, les non-juristes participant au nouveau processus de déontologie judiciaire seront des personnes hautement qualifiées; même si elles n’ont pas d’expérience en tant qu’avocat ou juge, leur qualification la plus essentielle sera, et devra rester, qu’elles apportent leur expérience et leur perspective pour aider à établir les faits, et le point de vue extérieur qu’elles peuvent apporter aux étapes clés du processus pour établir les faits.

Enfin, et plus sérieusement, les amendements du Sénat menaçaient de réintroduire dans le nouveau processus de déontologie judiciaire la plupart des coûts et des retards que le projet de loi C-9 vise précisément à réduire. L’objectif le plus important de ce projet de loi est de réduire les coûts et les retards inacceptables du processus actuel. La principale raison de ces coûts et de ces retards est tout simplement que le processus actuel est dépassé.

Même si le processus de traitement des plaintes du conseil doit être dirigé par des juges, et il comprend effectivement une majorité de juges en exercice à chaque étape de la prise de décision, ses organismes décisionnels ne sont techniquement pas des tribunaux. Ce sont des décideurs administratifs et ils doivent le rester afin de pouvoir fonctionner avec le degré de souplesse procédurale que nécessite habituellement un processus de traitement de plaintes. Cependant, au Canada, l’examen par le tribunal des décideurs administratifs est un impératif constitutionnel, ainsi, qu’ils soient dirigés ou non par des juges, ceux qui sont assujettis au processus d’examen de la conduite judiciaire ont le droit de faire examiner ses décisions par un tribunal.

Bref, c’est cette exigence constitutionnelle de surveillance judiciaire qui permet à un juge qui n’est pas d’accord avec une recommandation de révocation des fonctions d’un juge au ministre de la Justice, formulée par le Conseil canadien de la magistrature, de demander un examen judiciaire de la recommandation. Par l’application de la Loi sur les Cours fédérales, le contrôle judiciaire doit être porté devant la Cour fédérale. La décision de la Cour fédérale peut faire l’objet d’un appel de plein droit devant la Cour d’appel fédérale. De là, on peut faire une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada.

Par ailleurs, pour des raisons liées à l’indépendance de la magistrature, lors de l’examen de la conduite d’un juge, celui-ci a droit à un avocat payé avec des fonds publics. Compte tenu de ce droit à un avocat et du long processus d’examen judiciaire qui suit un processus d’enquête publique tout aussi long, on se retrouve non seulement avec des délais déraisonnables pour la résolution des dossiers d’inconduite judiciaire, mais aussi avec des coûts déraisonnables. Dans certains cas, ces coûts ont grimpé rapidement pour atteindre des millions de dollars. Un processus qui entraîne de tels coûts et de tels délais peut sembler inefficace. C’est principalement à cause de ces problèmes qu’on assiste à une érosion de la confiance du public à l’égard du processus d’examen de la conduite des juges, et il faut corriger cela.

La solution en deux volets proposée par le projet de loi C-9 est à la fois simple et bien conçue.

Premièrement, une fois que le comité qui tient des audiences publiques et qui est saisi de la preuve — ce qu’on appelle le comité d’audience dans le projet de loi — rend sa décision sur le cas d’inconduite, le juge visé par l’examen a le droit d’interjeter appel non pas devant un tribunal, car les procédures d’un tribunal sont moins souples, étant donné qu’elles doivent s’appliquer à tous les appels instruits par le tribunal, mais plutôt devant un comité administratif qui est quand même composé de juges, mais dont les procédures peuvent être adaptées le mieux possible aux circonstances en vue d’accélérer le processus d’appel le plus possible. On propose de donner à ce comité d’appel tous les pouvoirs d’une cour d’appel provinciale et de prendre les mesures nécessaires pour que ce comité puisse agir essentiellement comme un tribunal d’appel intermédiaire.

Deuxièmement, pour satisfaire à l’exigence d’une surveillance judiciaire, les décisions de ce comité d’appel pourraient faire l’objet d’une révision directement par la Cour suprême du Canada avec l’autorisation du tribunal, comme les décisions des véritables tribunaux d’appel intermédiaires.

Pris ensemble, ce groupe de mesures résout adroitement le problème des coûts et des délais déraisonnables d’une manière qui répond pleinement à l’exigence de surveillance judiciaire des processus administratifs. Un juge accusé de mauvaise conduite bénéficie effectivement d’un procès tenu par un comité d’audience, puis d’un droit d’appel automatique devant un comité d’appel qui fonctionne, à tous égards, comme un tribunal d’appel intermédiaire, et, enfin, de la possibilité d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada avec l’autorisation du tribunal.

Chers collègues, si cette série d’étapes vous semble familière, c’est parce qu’elle reflète ce que chaque Canadien obtient dans tous les domaines du droit : un procès, un appel de plein droit et le droit de demander l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême. La seule différence, c’est que l’audience et l’appel prévus par le projet de loi C-9 demeurent techniquement de nature administrative afin que leurs procédures puissent être optimisées pour être aussi efficaces que possible tout en respectant les exigences d’équité procédurale applicables aux procédures administratives et garanties par les principes fondamentaux de notre régime constitutionnel.

Malheureusement, le gouvernement est d’avis qu’un des amendements proposés ajouterait un deuxième niveau d’appel intermédiaire, ce qui répéterait le travail du premier en permettant, de plein droit, d’interjeter appel des décisions des comités d’appel auprès de la Cour d’appel fédérale. Contrairement à tout autre Canadien dans tout autre domaine du droit, un juge faisant l’objet de procédures disciplinaires aurait donc droit à deux appels au niveau intermédiaire — un à un comité d’appel, puis un à la Cour d’appel fédérale — avant de demander l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême.

Puisque les comités d’appel prévus par le projet de loi C-9 sont censés fonctionner comme une cour d’appel, un deuxième droit d’appel devant la Cour d’appel fédérale serait complètement redondant. De plus, compte tenu des délais d’appel à la Cour d’appel fédérale, cela ajouterait, dans le meilleur des cas, entre un an et un an et demi à la résolution des cas d’inconduite judiciaire, y compris ceux où la révocation est en cause. Enfin, comme le projet de loi C-9 prévoit la nomination d’un quasi-procureur — également payé à même les fonds publics — pour plaider la cause contre le juge, le contribuable devra assumer les frais juridiques de tous les avocats impliqués dans les appels devant la Cour d’appel fédérale.

Autrement dit, ces amendements seraient contre-productifs puisqu’ils engendreraient à nouveau la plupart des coûts et des retards que le projet de loi C-9 vise justement à éliminer pour rétablir la confiance du public dans le processus disciplinaire de la magistrature. Pour toutes ces raisons, le gouvernement et l’autre endroit n’ont pas accepté ces changements.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-9 est un bon projet de loi. C’est également un projet de loi essentiel afin de corriger des lacunes importantes au sein de l’actuel processus disciplinaire de la magistrature, lacunes qui ont miné considérablement la confiance du public.

Comme l’a indiqué le juge en chef Richard Wagner, de la Cour suprême du Canada, le 13 juin dernier, lors de sa mise à jour sur les travaux de la cour, le Conseil canadien de la magistrature ne peut modifier son processus de sa propre volonté; seul le législateur peut le faire.

Le projet de loi C-9 est la troisième version de ce projet de loi et est attendu depuis longtemps.

Comme l’a dit le juge en chef Wagner :

Le projet de loi C-9 propose un processus transparent et efficace pour traiter des allégations relatives à l’inconduite des juges de nomination fédérale, un processus équitable à la fois pour les juges et pour les plaignants.

Honorables sénateurs, les instances judiciaires réclament le projet de loi C-9 et en ont besoin depuis longtemps. J’exhorte les sénateurs à satisfaire à leur demande en appuyant le message de l’autre endroit de sorte que le projet de loi puisse recevoir la sanction royale avant que le Sénat fasse relâche pour l’été. Merci beaucoup.

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du message de la Chambre des communes relatif au projet de loi C-9, qui vise à moderniser considérablement, pour la première fois en plus de 50 ans, le processus disciplinaire pour les juges nommés par le gouvernement fédéral. Dans ce nouveau processus, les plaintes contre un juge nommé par le gouvernement fédéral seraient uniquement examinées par des comités d’audience établis par le Conseil canadien de la magistrature plutôt que de faire l’objet d’une série d’appels auprès de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. En fin de compte, un juge faisant l’objet d’une telle procédure pourrait, en dernier recours, demander l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada.

Récemment, Richard Wagner, juge en chef de la Cour suprême du Canada, a déclaré qu’il souhaitait que le projet de loi C-9 soit adopté rapidement, étant donné que le projet de loi a été présenté au Parlement à plusieurs reprises. Cependant, c’est le gouvernement Trudeau qui a retardé cette réforme du système disciplinaire de la magistrature. Le premier projet de loi, le projet de loi S-5, est mort au Feuilleton lorsque le gouvernement libéral a déclenché des élections inutiles. Le gouvernement libéral a ensuite présenté de nouveau le projet de loi au Sénat sous le numéro S-3, ce qui s’est avéré une erreur puisqu’il impliquait des dépenses. Celui-ci a donc été retiré pour être présenté de nouveau sous le numéro C-9.

Quoi qu’il en soit, le Comité sénatorial des affaires juridiques a consacré plus de deux fois plus de temps à l’étude du projet de loi C-9 que le Comité de la justice de la Chambre des communes. Les membres du Comité sénatorial des affaires juridiques ont adopté six amendements raisonnés et bien formulés, fondés sur les témoignages d’experts entendus par le comité. Le Sénat a ensuite transmis à la Chambre des communes le projet de loi comportant les amendements apportés par le comité. Faisant fi du bon sens du Sénat et des nombreuses preuves fournies par le comité pour appuyer ses amendements, le ministre Lametti n’a accepté que deux amendements mineurs du Sénat, et a rejeté tous les autres.

Il y a comme un air de déjà vu, honorables sénateurs. Une fois de plus, le Sénat a investi des efforts considérables dans l’étude de questions importantes, et, une fois de plus, le gouvernement Trudeau a dit au Sénat de se calmer et de rentrer dans le rang. Veulent-ils un second examen objectif, oui ou non? Le gouvernement Trudeau traite le Sénat comme un vulgaire cachet d’approbation. En fait, l’attitude dédaigneuse du gouvernement Trudeau à l’égard du Sénat s’est manifestée tout au long de la progression de ce projet de loi au Parlement.

En tant que porte-parole pour le projet de loi C-9, j’ai été surprise d’apprendre par un article de presse que le ministre de la Justice avait l’intention de rejeter certains des amendements du Sénat à ce projet de loi. Les commentaires de cet article de presse n’émanaient même pas du ministre lui-même, mais de son attaché de presse. Bien entendu, cela s’est passé bien avant que le ministre Lametti ne dépose sa réponse aux amendements du Sénat à la Chambre des communes. Son attaché de presse n’a donné aucune indication précise sur les amendements qui seraient rejetés ni sur les raisons de ce rejet.

Honorables sénateurs, ce n’est pas ainsi que les messages sont censés se transmettre entre les Chambres. Toutefois, c’est la façon dont le ministre Lametti a traité le Sénat dans le cadre de ce projet de loi.

Pendant les audiences du Comité sénatorial des affaires juridiques sur le projet de loi C-9, le sénateur Dalphond a semblé vouloir dire que le gouvernement présenterait des amendements, mais il s’est rétracté à la séance suivante. Un membre du Groupe des sénateurs indépendants faisant partie du comité a proposé une motion demandant au ministre Lametti de comparaître une deuxième fois devant le comité afin d’expliquer certains problèmes qui étaient devenus évidents au sujet du projet de loi après des semaines d’examen, motion que le Comité des affaires juridiques a adoptée. Mais le ministre Lametti a refusé. C’est presque du jamais vu, et cela fait 10 ans que je fais partie du Comité sénatorial des affaires juridiques.

Nous avons donc procédé à l’étude article par article et adopté certains amendements majeurs, entièrement soutenus par des témoins importants et des témoignages au comité. Comme les dispositions sur les mesures disciplinaires à l’égard de la magistrature de la Loi sur les juges n’avaient pas été modifiées en 50 ans, nous voulions nous assurer de bien faire les choses. Nous avons donc procédé à notre second examen objectif. C’est ce qui caractérise le Sénat du Canada. C’est ainsi que fonctionne le Parlement.

Pendant le débat sur le message du Sénat, le ministre Lametti a dit être « déçu de voir les résultats de son second examen objectif ». Il est malheureux que le ministre n’ait pas lui-même procédé à un « second examen objectif » avant de déclarer ceci plus tard le même soir à la Chambre des communes :

[...] j’ai une relation saine avec le Sénat. Je plaisante parfois en disant que j’y suis plus souvent que certains de ses propres membres, mais je ne dirai pas cela à l’autre endroit.

Honorables sénateurs, le mépris du gouvernement Trudeau envers le Sénat n’a rien de drôle.

Même la façon dont le ministre de la Justice, M. Lametti, a parlé des amendements du Sénat était méprisante. En général, le ministre reconnaît que les amendements du Sénat qui sont acceptés sont bons et importants. Toutefois, ses observations sur ces amendements à la Chambre des communes la semaine dernière étaient plutôt tièdes. Le ministre Lametti était loin de déborder d’enthousiasme même si ces deux amendements ont amélioré son projet de loi.

J’ai cru que le ministre plaisantait encore une fois lorsqu’il a affirmé ce qui suit pendant son discours :

Le projet de loi C-9, dans sa version adoptée à l’unanimité à la Chambre, est une mesure législative équilibrée, méticuleusement rédigée et mûrement réfléchie. Il s’appuie sur de vastes consultations menées auprès du milieu juridique, de la magistrature et de membres du grand public.

A-t-il dit « méticuleusement rédigée »? D’abord, les deux amendements que le ministre Lametti a acceptés corrigent en fait des erreurs de rédaction qui auraient dû être corrigées par des amendements du gouvernement, qui a refusé de le faire. Ces deux amendements du Sénat auraient pu être évités si seulement le gouvernement Trudeau avait bien fait son travail.

Revenons aux « vastes consultations » que le gouvernement aurait menées sur ce projet de loi : la consultation publique sur ce sujet qui a été menée en 2016 — il y a sept ans — s’est résumée à un sondage en ligne avec seulement 74 réponses et à l’examen de quelques lettres envoyées au ministre de la Justice. On est loin de pouvoir parler de vastes consultations. La plupart des gouvernements provinciaux que le gouvernement Trudeau avait consultés à ce sujet en 2016 ont depuis été remplacés par des gouvernements d’une allégeance différente.

Nous avons appris au cours de notre étude qu’un certain nombre de groupes n’avaient pas été consultés directement par le gouvernement au sujet de ce processus, notamment l’Association canadienne des juristes musulmans, The Advocates’ Society, la Roundtable of Diversity Associations et l’Association canadienne pour l’éthique juridique. Il y en a assurément d’autres.

Le Comité sénatorial des affaires juridiques a reçu de nombreux experts lors de son étude du projet de loi C-9. Ils nous ont communiqué des renseignements fort utiles et ils ont même proposé des amendements pour améliorer le projet de loi. J’ai moi-même proposé deux amendements importants qui ont été adoptés d’abord par le Comité des affaires juridiques, puis par le Sénat. L’un proposait d’inclure des non-juristes à toutes les étapes du processus disciplinaire et l’autre proposait de ramener la Cour fédérale d’appel dans le processus avant l’étape où un juge a la possibilité de demander l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada, une autorisation rarement accordée — cela n’arrive que dans 7 ou 8 % des cas. Ces deux amendements ont été rejetés par le gouvernement Trudeau.

Le ministre Lametti a affirmé qu’il avait écarté certains des amendements proposés par le Sénat parce qu’ils :

[...] briseraient [le projet de loi] de plusieurs façons arbitraires qui vont à l’encontre de l’objectif central du projet de loi, soit rétablir la confiance du public dans le processus disciplinaire de la magistrature. Par conséquent, ces amendements iraient tout simplement à l’encontre de l’objectif du projet de loi. Le projet de loi C-9 est essentiel pour assurer le maintien de la confiance dans l’indépendance de la magistrature et, par extension, dans le système de justice canadien.

Toutefois, le ministre se trompe complètement sur ce point. Les deux amendements que j’ai fait adopter renforceront plutôt la confiance du public dans la magistrature et le système judiciaire dans son ensemble. Prenons, par exemple, mon amendement visant à accroître la participation des non-juristes à chaque étape du nouveau processus disciplinaire de la magistrature. Le ministre Lametti a lui-même admis au Comité sénatorial des affaires juridiques que la rétroaction recueillie pendant les consultations publiques avait révélé que les gens étaient très en faveur d’une plus grande participation des non-juristes. Le fait que le public soit représenté à chaque étape du processus donne une perception différente du processus de traitement des plaintes pour inconduite judiciaire ainsi que de ses répercussions sur le public. Cela renforcerait la surveillance publique tout en accroissant la confiance dans le système judiciaire.

Contrairement à ce que certains croient, les juristes ne savent pas tout et, chers collègues, c’est en tant que juriste que je le dis. Cependant, le rejet de mon amendement sur les non-juristes par le ministre Lametti et le gouvernement Trudeau tient de l’élitisme et d’un gouvernement déconnecté de la réalité. Dans sa réponse au message du Sénat, le ministre Lametti a défini les non-juristes comme « des personnes qui n’ont justement pas la formation requise pour répondre à des questions de droi[t] ».

Il a dit :

[...] le Sénat a proposé l’ajout de non-juristes là où ils ne doivent pas apporter leurs perspectives. Cela nuirait à l’efficacité et au caractère éminemment juste du nouveau processus prévu dans le projet de loi [...]

Le message est clair : le gouvernement Trudeau et le ministre de la Justice pensent que seules les opinions des juristes comptent. Or, les non-juristes apportent un point de vue nouveau et pertinent. Il y a suffisamment de juristes dans chacun des groupes d’experts de ce processus pour être en mesure de passer au crible les points de droit les plus fins. L’ajout d’un non-juriste dans chacun de ces groupes ne perturbera pas cet équilibre, comme le dit le ministre. La présence de non-juristes à chaque étape du processus ne fera que renforcer la confiance du public dans le système. Le public doit avoir confiance, puisque les juges jugent le public.

De nombreuses organisations professionnelles font participer des profanes à leurs processus disciplinaires. Le Conseil de la magistrature de l’Ontario a dit devant notre comité qu’il y en a à tous les niveaux de ses comités disciplinaires. La Law Society of Saskatchewan en fait siéger à ses comités disciplinaires pour les avocats. Au comité, la sénatrice Clement a donné un exemple de son travail passé au Tribunal d’appel de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail, qui inclut la participation de profanes.

Plusieurs personnes ont témoigné devant le Comité sénatorial des affaires juridiques de la nécessité de cette mesure, notamment le professeur Richard Devlin, de l’Association canadienne pour l’éthique juridique, qui a publié deux livres sur les procédures disciplinaires de la magistrature. Il a déclaré « qu’il n’y a pas suffisamment de non-juristes dans le processus, ce qui compromet les principes d’impartialité, d’indépendance et de représentation ».

Le fait de faire participer des non-juristes à chaque étape du processus disciplinaire de la magistrature renforcera la confiance du public dans le système juridique, et non pas l’inverse. Mon amendement a été adopté haut la main au Comité des affaires juridiques, par 8 voix contre 4, avec une abstention et le soutien d’une majorité évidente des groupes du Sénat.

Mon deuxième amendement, qui visait à inclure la Cour d’appel fédérale à la fin du processus disciplinaire de la magistrature, mais avant de pouvoir demander l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada, offrirait une autre voie fort utile pour étudier des points de droit. Pour cette raison, ces deux amendements cadrent très bien l’un avec l’autre, et mon amendement visant à inclure la Cour d’appel fédérale augmenterait encore plus la confiance du public dans le processus d’examen de l’inconduite des juges. C’est une erreur de la part du ministre Lametti d’assimiler les comités disciplinaires à un véritable tribunal. L’inclusion d’un tribunal dans le système disciplinaire peut conférer une valeur de précédent aux décisions, ce que les audiences ne font pas.

Ce serait une façon de renforcer la surveillance du processus et de faire en sorte que le système inspire confiance au public, tout en répondant au besoin d’équité des juges qui encourent à des conséquences désastreuses et qui interjettent appel.

Cet amendement a été suggéré par la Société des plaideurs, qui représente plus de 6 000 avocats, juges et plaideurs. Il a reçu l’appui de la plus grande association d’avocats au Canada — l’Association du Barreau canadien, forte de 37 000 membres —, dont le président a témoigné devant le Comité sénatorial des affaires juridiques, ce qui est rare. L’Association canadienne des juges des cours supérieures, qui regroupe plus de 1 200 magistrats, a également manifesté son soutien. Ces associations et organisations reconnaissent que l’inclusion de la Cour d’appel fédérale renforcerait la confiance envers le processus, tant pour le public que pour les juges. Le ministre ne peut pas rejeter sommairement ce genre de dignité juridique.

La Cour d’appel fédérale assurerait également un contrôle judiciaire externe précieux. Comme Sheree Conlon, de la Société des plaideurs, l’a dit au Comité sénatorial des affaires juridiques :

La Société des plaideurs est préoccupée par le fait que le projet de loi C-9 crée un régime législatif dans lequel le Conseil canadien de la magistrature est l’enquêteur, le décideur et l’autorité d’appel en ce qui concerne les allégations d’inconduite judiciaire.

L’inclusion de la Cour d’appel fédérale rétablirait une surveillance judiciaire externe du processus et elle préserverait l’indépendance judiciaire.

Le ministre Lametti a tenté de faire valoir que l’inclusion de la Cour d’appel fédérale minerait l’efficacité du régime disciplinaire de la magistrature que le projet de loi C-9 vise à rationaliser. Or, même si la Cour d’appel fédérale est insérée à la fin du processus, la première instance qui est actuellement en place, à la Cour fédérale, serait quand même éliminée. Cela réduirait considérablement les coûts et les retards. Le gouvernement a déjà réglé la question des juges qui continuent d’accumuler des droits ouvrant droit à pension tout en faisant traîner le processus. Cette échappatoire a été éliminée dans un projet de loi antérieur.

Par conséquent, tous les arguments du gouvernement pour rejeter les amendements ne tiennent pas la route. Mes amendements augmenteraient la confiance du public dans le système de justice et le processus encadrant l’inconduite judiciaire, assureraient une surveillance externe tout en assurant l’équité pour les juges, et permettraient une rationalisation considérable du processus actuel en éliminant tout un niveau du processus judiciaire.

Honorables sénateurs, le Sénat a procédé et doit continuer de procéder à un second examen objectif du projet de loi C-9. Combien de fois encore le gouvernement Trudeau rejettera-t-il les amendements du Sénat? Nous effectuons des études approfondies et des études préalables en comité, et nous convoquons des témoins experts qui ont pris le temps de préparer des témoignages importants sur des projets de loi d’initiative ministérielle. Nous préparons des amendements réfléchis, appuyés par une majorité de sénateurs de tous les groupes. Et tout ce travail acharné est inutile lorsque le gouvernement rejette les amendements importants que nous avons adoptés.

Assez, c’est assez.

Bien que je sois fièrement conservatrice, comme vous le savez, je n’ai pas proposé ces amendements pour des raisons partisanes. En tant que sénateurs, notre travail consiste à améliorer les projets de loi. Comme le processus disciplinaire des juges n’a pas été mis à jour depuis plus de 50 ans, nous, sénateurs, avons l’obligation de faire en sorte qu’il soit le meilleur possible. Voilà pourquoi j’ai proposé mes amendements : pour faire participer des non-juristes à toutes les étapes du processus disciplinaire des juges, et pour inclure la Cour d’appel fédérale dans le système. Ces amendements, soutenus par des témoins experts et de nombreux témoignages, amélioreront la confiance du public dans les systèmes judiciaire et juridique du Canada.

J’espère que vous vous joindrez à moi pour insister sur mes amendements cruciaux. C’est l’occasion pour le Sénat de faire preuve de fermeté et d’améliorer ce projet de loi pour les Canadiens.

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