Aller au contenu

Règlement, procédure et droits du Parlement

Motion tendant à modifier le Règlement du Sénat--Motion d'amendement--Suite du débat

2 mai 2024


L’honorable Raymonde Saint-Germain [ + ]

Chers collègues, j’ai commencé hier à faire ces commentaires pour présenter mon analyse sur la motion no 165, et j’ai convenu d’emblée avec le sénateur Quinn que le délai de réponse du gouvernement aux questions est beaucoup trop long actuellement et qu’il fallait agir.

Je signalais que nous avons, en ce moment même, 97 questions écrites au Feuilleton qui demeurent toujours sans réponse — certaines depuis plusieurs mois, voire une année et même plus.

Cela étant dit, en ce qui a trait aux questions écrites, la motion no 165 dont nous sommes saisis représente un grand progrès, parce qu’elle donne un délai de réponse que nous n’avons pas déjà dans notre Règlement pour le gouvernement, soit un délai de 60 jours, parce qu’elle oblige le gouvernement à expliquer et à publier la raison pour laquelle il ne respecterait pas un tel délai, et parce qu’elle prévoit comme processus particulier de renvoyer les cas de non-réponse dans le délai imparti au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, comité qui, je vous le rappelle, a pour mandat d’examiner toute question de privilège qui lui est confiée par le Sénat. Nous savons que les questions de privilège peuvent parfois mener à des sanctions importantes.

Par conséquent, chers collègues, non seulement la motion d’initiative ministérielle propose un délai serré de 60 jours civils, mais elle prévoit aussi que le gouvernement doit s’expliquer et encourir une sanction si le délai n’est pas respecté. La sanction en question est assez sérieuse : la question est renvoyée au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement pour qu’il l’examine et en fasse rapport, ce qui est semblable à ce qui se passerait dans le cas d’une atteinte au privilège, un processus qui serait plus rigoureux et plus clair que celui de la Chambre des communes.

Comme la sénatrice Batters et moi-même l’avons noté hier, l’amendement du sénateur Quinn éliminerait également l’obligation pour le gouvernement d’expliquer les raisons pour lesquelles il n’a pas respecté le délai de 60 jours ou, dans le cas de son amendement, le délai de 45 jours. À mon avis, cet amendement rendrait la proposition beaucoup moins efficace et le gouvernement beaucoup moins responsable.

Je suis consciente que la Chambre des communes dispose d’un délai de réponse de 45 jours. Cependant, nous devons comprendre que notre réalité au Sénat est bien différente. À la Chambre, le premier ministre, les ministres et les secrétaires parlementaires peuvent répondre aux questions sur le parquet. Ils ont accès aux ressources de toutes leurs équipes respectives. Au Sénat, seul le bureau du représentant du gouvernement au Sénat a la responsabilité de répondre aux questions, alors nous devons en tenir compte et faire preuve de souplesse. Dans cette optique, j’estime que le délai de 60 jours est réaliste et juste.

En outre, je pense que la motion d’amendement sous-estime un aspect essentiel. Elle ne tient pas compte de la nature et de la complexité des questions souvent posées au gouvernement par les sénateurs. Permettez-moi de souligner quelques-unes des questions complexes dont je parle à cet égard. Ce sont toutes des questions pertinentes; ne vous méprenez pas.

Je prends comme premier exemple une question en six parties que le sénateur Plett a posée le 23 novembre 2021 « concernant les documents classifiés ou protégés » et qui a nécessité un examen approfondi et une enquête de la part de nos services de sécurité et de renseignement. Nous savons à quel point ces questions peuvent être délicates. Si vous voulez plus de détails, il s’agit de la question no 38 inscrite au Feuilleton le mardi 30 avril dernier. Comme vous le savez, chaque mardi, toutes les questions écrites sont publiées dans notre Feuilleton et Feuilleton des préavis.

La deuxième question date du 21 juin 2023. C’est une question en 30 parties de la sénatrice Moodie « concernant les appels à l’action en faveur de la lutte contre le racisme, de l’équité et de l’inclusion dans la fonction publique ». Il s’agit de la question no 236.

Le troisième exemple — j’aurais pu en choisir beaucoup — est une série de questions du sénateur Downe sur les mesures fiscales pour les ressortissants britanniques ou la couverture médicale pour les membres des Forces armées canadiennes. Ce sont toutes des questions pertinentes qui exigent des réponses, des recherches et des analyses judicieuses. Voilà le genre de questions à plusieurs volets qui exigent un examen approfondi et auxquelles on ne peut pas répondre à la hâte.

Dans ce contexte, la motion no 165 est, à mon avis, raisonnable et réaliste. Elle constitue un énorme progrès par rapport à la situation actuelle et on ne devrait pas se disputer pour un amendement aussi malavisé.

J’ai fait quelques calculs en lien avec la motion no 165. Nous avons l’occasion de soumettre simultanément 404 questions écrites au gouvernement. J’ai soustrait les questions émanant de la Présidente du Sénat et des membres du bureau du représentant du gouvernement. Une fois que tous les sénateurs auront été nommés, cela expliquerait le nombre de 101.

En conclusion, après plus de huit ans d’efforts pour modifier le Règlement, on présente enfin à cette Chambre une motion raisonnable et réaliste. Nous avons donc un amendement qui manque de vision, un amendement qui a le nez collé sur l’arbre plutôt que les yeux tournés vers la forêt.

Chers collègues, faisons preuve de vision. Regardons la situation dans son ensemble et rejetons cet amendement pour aller de l’avant avec la motion telle qu’elle est présentée.

Merci.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénatrice Batters, avez-vous une question?

Oui.

La sénatrice Saint-Germain [ + ]

Je ne répondrai à aucune question, car je considère que cet amendement détourne l’attention de nos discussions sur la motion principale. J’estime que mon discours était complet et je n’accepterai pas de répondre à des questions.

L’honorable Pierrette Ringuette [ + ]

Honorables sénateurs, je serai brève. Je n’ai que quelques notes manuscrites.

Premièrement, je tiens à mettre en contexte la discussion d’aujourd’hui. D’abord, je tiens à remercier les honorables sénateurs Woo et Tannas de leurs efforts soutenus en vue de moderniser le Règlement du Sénat.

Je vous lève mon chapeau, messieurs.

La sénatrice Ringuette [ + ]

La deuxième chose, de mon point de vue, c’est qu’il faut remercier la sénatrice Bellemare, qui préside le Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, pour l’excellent discours très juste qu’elle a prononcé au Sénat cette semaine sur la question.

Il est vrai, honorables sénateurs — je suis membre du Comité du Règlement —, que le Comité du Règlement a mené une étude préalable de ces questions. En fait, tous les leaders ont comparu devant le Comité du Règlement pour parler des modifications proposées que nous appelons la motion Woo-Tannas. Tous ont été invités.

Le sénateur Plett était là. Je me souviens l’avoir entendu dire — avec beaucoup de satisfaction de ma part — qu’il acceptait une pause d’une heure pour le souper. C’était un progrès.

Je me souviens aussi lui avoir demandé dans le cadre des travaux du Comité du Règlement si, en tant que parlementaire d’expérience, il était d’accord pour dire que le règlement suit toujours le projet de loi. Sa réponse a été positive. Vous pouvez consulter le compte rendu de la réunion.

Chers collègues, le règlement dont je parlais et qui est pertinent dans le cadre de notre discussion d’aujourd’hui, nous l’avons adopté à l’unanimité en 2022. C’était il y a deux ans. Nous avons essayé, dans le cadre des travaux du Comité du Règlement, de présenter le règlement de coordination qui suit le projet de loi, mais sans succès.

Dieu existe peut-être, car, en fin de compte, si nous étions parvenus à voter sur ces règles au Comité du Règlement et à présenter un rapport au Sénat, combien de temps aurions-nous dû attendre pour que la discussion actuelle ait lieu?

Regardez le Feuilleton d’aujourd’hui. Regardez la liste des rapports de comités qui ont été déposés il y a un certain temps et qui y sont toujours inscrits. Pouvez-vous imaginer la majorité des sénateurs — 80 % d’entre nous — essayer de passer au vote sur des changements au Règlement proposés par le Comité sénatorial du Règlement? Honnêtement, cela aurait été mission impossible.

Sur ce point, je me dois de remercier le sénateur Gold.

Merci, sénateur Gold, d’avoir eu le courage de nous présenter la motion no 165 afin que nous puissions avoir une discussion exhaustive.

Pour en venir à la question qui nous occupe, à savoir l’amendement du sénateur Quinn, je pense que l’amendement proposé par le sénateur Quinn ne tient pas vraiment compte de la manière dont les choses se passent à l’autre endroit. Chaque question écrite y est examinée par un groupe de personnes — y compris le greffier de la Chambre des communes — qui déterminent si elle répond à une série de critères avant d’être inscrite au Feuilleton. Depuis des dizaines d’années, l’autre Chambre dispose d’un système de vérification assorti de critères à respecter pour la période des questions et pour les questions écrites auxquelles le gouvernement doit répondre.

Le sénateur Quinn tient pour acquis que toutes les questions sont légitimes, mais ce n’est pas le cas. Je suis heureuse que la sénatrice Saint-Germain ait fourni quelques exemples.

Je souscris à la proposition dans la motion principale, qui veut qu’une réponse soit fournie aux questions dans les 60 jours. En l’absence de réponse, on renverra l’affaire au Comité du Règlement. Cela permettra à ce dernier, après une certaine période — il y aura, bien sûr, des mesures disciplinaires —, d’établir un processus de vérification pour s’assurer qu’il y a un cadre dans lequel les questions écrites peuvent être inscrites au Feuilleton. Sinon, il faut en discuter avec le sénateur afin de déterminer comment satisfaire à ces critères, comme c’est le cas à l’autre endroit.

Compte tenu de ce que je viens de dire et comme le gouvernement s’impose de nouvelles restrictions relativement à ce délai de 60 jours pour répondre aux questions, je crois que cela va aussi permettre au Comité du Règlement de vérifier les données concernant le nombre de jours qu’il a fallu pour répondre aux questions. À moyen terme, cela nous permettra d’élaborer notre propre processus de vérification au Sénat. C’est nécessaire. C’est nécessaire afin d’obtenir des réponses adéquates dans un délai raisonnable.

On a également dit cette semaine que nous sommes des parlementaires. C’est effectivement le cas, mais nous travaillons dans un contexte différent et selon un échéancier différent. À l’autre endroit, ils ont un échéancier ne dépassant pas quatre ans. Ici, nous n’avons aucune limite de temps. Je dirais qu’un sénateur passe en moyenne entre 12 et 15 ans au Sénat. C’est une évaluation personnelle.

À l’autre endroit, tous les quatre ans, les députés risquent de perdre leur emploi. Ce n’est pas notre cas.

À l’autre endroit, les députés siègent cinq jours par semaine. Nous siégeons trois jours par semaine.

Les séances des comités de l’autre endroit se tiennent en même temps que les séances de la Chambre. Ce n’est évidemment pas le cas au Sénat.

Les députés représentent une circonscription relativement petite. Ils sont 338, alors que, au maximum, nous sommes 105 sénateurs.

Les députés peuvent participer à des séances au format hybride. Ce n’est pas notre cas.

Dernier point, mais non le moindre, les députés, sont prêts à accepter les changements. Les sénateurs y sont extrêmement réfractaires. Pour reprendre les termes qu’utilise la génération actuelle, nous sommes des traînards.

Le Sénat, en général, résiste toujours au changement. Il a fallu discuter pendant 10 ans avant que le Sénat accepte la diffusion de ses débats, alors que ceux de l’autre endroit étaient diffusés depuis 60 ans.

Ce n’est qu’en 1968 que le Règlement du Sénat a été modifié afin de reconnaître le rôle de l’opposition et de tenir des périodes de questions. Il y avait une période des questions et l’opposition était reconnue à l’autre endroit dès le début des années 1900.

Voyez-vous le genre de délai dont je parle? Il n’est pas étonnant que les Canadiens ne se sentent pas vraiment concernés par notre institution. C’est à cause de notre façon de fonctionner et de communiquer. Les Canadiens ne savent pas qui nous sommes et ce que nous faisons.

Chers collègues, je comprends que la majorité des sénateurs ici présents sont relativement nouveaux. Il faut beaucoup de temps pour assimiler nos processus et réussir à les comparer à ce qui se déroule à l’autre endroit. J’ai la chance de pouvoir comprendre et comparer les deux et j’essaie de vous transmettre ces connaissances et ces informations. Toutefois, il est temps que nous adoptions une approche plus globale et plus pragmatique.

Il faut comprendre les conséquences inattendues d’un tel amendement. Par conséquent, je ne l’appuierai pas.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

Merci beaucoup, sénatrice Ringuette, d’avoir précisé si vous alliez voter pour ou contre. Je vous écoutais avec attention, mais j’ai dû attendre à la toute fin pour être certain de votre position sur l’amendement. Au moins, il n’y a plus de doute à ce sujet. Nous vous remercions de cette affirmation sans détour.

J’ai aussi quelques mots à dire sur l’amendement. À l’instar de l’intervenante précédente, je vais moi aussi m’éloigner quelque peu de l’amendement. Après tout, c’est ce qui vient de se passer. Sur les 15 minutes du discours que nous venons d’écouter, 13 minutes ont servi à donner une leçon d’histoire plutôt qu’à parler de l’amendement.

Chers collègues, je suis heureux de participer au débat sur l’amendement du sénateur Quinn. Je commencerai, comme la sénatrice Ringuette l’a fait, par dire que je serai bref.

Je soutiens l’amendement. Comme je l’ai dit mardi, je ne vois pas pourquoi le gouvernement devrait avoir plus de temps pour répondre à nos questions qu’à celles de nos collègues de la Chambre des communes, les députés.

Je parle de députés, et non de parlementaires, parce que je suis d’accord avec le sénateur Quinn. Nous sommes tous des parlementaires. Je ne vois pas en quoi le fait de laisser le gouvernement ne pas répondre à nos questions en déposant simplement un document disant qu’il ne peut pas le faire est utile.

Je saisis également l’occasion, si vous me le permettez, chers collègues, pour rectifier certaines choses qui ont été dites mardi et mercredi.

D’abord, j’ai dit à quelques reprises dans mon discours de mardi que Pierre Poilievre avait pris une avance de 20 points sur les libéraux. Or, trois sondages publiés cette semaine par Abacus, Nanos et Léger indiquent que cette avance est maintenant de 21 points.

Le sénateur Plett [ + ]

J’en prends bonne note. Veuillez m’excuser.

D’ailleurs, je remarque que les libéraux de Trudeau ont perdu du terrain depuis que le sénateur Gold a déposé la motion no 165. De toute évidence, les Canadiens ne sont pas aussi enthousiastes que certains sénateurs le pensent à l’égard du Sénat de Trudeau.

En fait, depuis la mise en place de ce nouveau Sénat, il y a eu deux élections générales, l’une en 2019, l’autre en 2021. Lors de ces deux élections, les chefs conservateurs — M. Scheer et M. O’Toole — ont promis de faire marche arrière sur les changements apportés au Sénat et ils ont obtenu plus de voix que Justin Trudeau. Pierre Poilievre, qui a adopté la même politique que ses prédécesseurs, a maintenant 21 points d’avance dans les sondages. Je me permets donc de prendre avec un grain de sel les arguments selon lesquels les Canadiens soutiennent les changements apportés au Sénat.

Deuxièmement, quand le sénateur Downe m’a demandé mardi si j’étais ouvert à l’idée de négocier avec le gouvernement à propos des changements, j’ai répondu par l’affirmative. Je tiens à signaler à cette Chambre que malgré cette ouverture, je n’ai reçu aucune invitation à négocier depuis, absolument aucune. J’en déduis que cette porte est complètement fermée, qu’il n’y aura pas de négociation, et qu’on poussera pour faire adopter les changements proposés.

Troisièmement, la sénatrice Saint-Germain a justifié la lenteur du gouvernement à répondre aux questions du Sénat par la possibilité de créer une multitude de questions au moyen de l’intelligence artificielle. Je tiens à rassurer la sénatrice Saint-Germain : en premier lieu, mon bureau produit un très grand nombre de questions en utilisant seulement l’intelligence humaine. Il n’a pas besoin de l’intelligence artificielle. En deuxième lieu, selon la motion no 165, les sénateurs seraient limités à trois questions. Quelle que soit l’aide fournie par l’intelligence artificielle, ce serait minime. En troisième lieu, les députés de l’autre endroit, qui ont accès aux mêmes outils que les sénateurs, doivent attendre 45 jours, au lieu de 60, comme le souhaite le sénateur Gold en ce qui nous concerne.

Quatrièmement, on a mentionné que la Chambre des lords sert de modèle pour ces changements. Permettez-moi de rectifier les faits sur deux points. Les indépendants ne pourront jamais avoir la majorité à la Chambre des lords. Ce serait contraire à la loi. Personne ne conteste le fait que les lords peuvent être membres d’un des partis représentés à la Chambre des communes. En 2017, le comité du Président de la Chambre des lords sur la taille de cette assemblée avait recommandé que les nominations des lords soient harmonisées aux résultats de l’élection générale.

Cinquièmement, le sénateur Dalphond a mentionné les modifications apportées au Règlement en 1991 comme preuve que le recours par le gouvernement à une motion pour imposer unilatéralement des modifications au Règlement — la motion no 165 — ne crée pas de précédent. Il est vrai que les changements ont été adoptés par un vote de 40 contre 30. Cependant, le vote portait sur un rapport du Comité du Règlement, et non sur une motion du gouvernement. Nous n’avons rien contre le Comité du Règlement.

Le 18 juin 1991, les sénateurs ont voté sur le rapport du comité. Les libéraux ont voté contre. Oui, les sénateurs nommés conformément à l’article 26 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 — aussi appelés les « sénateurs de la TPS » — ont participé à ce vote. Ils avaient été membres du Sénat pendant neuf mois avant ce vote. L’étonnement du sénateur Dalphond quant au fait que ces sénateurs ont voté sur un rapport du Comité du Règlement en 1991 est surprenant. J’espère qu’il n’est pas en train de dire que nos collègues qui se sont joints au Sénat au cours des neuf derniers mois — ou peut-être même au cours du dernier mois et demi ou des deux derniers mois — ne devraient pas voter sur la motion no 165, parce que c’est ce que j’ai entendu.

Le rapport du comité a été adopté après une semaine de débat. Les libéraux disposaient de nombreux arguments pour faire de l’obstruction pendant longtemps, mais ils ne l’ont pas fait. Ils auraient pu présenter des amendements, ils ne l’ont pas fait. Leur caucus comptait 52 membres. Un seul a pris la parole au sujet de la motion, puis plus de 40 % de leurs membres n’ont pas voté. Cela montre que la position adoptée ne faisait pas l’unanimité, mais que les libéraux étaient parvenus à un consensus, ce qui est étrange.

Le Comité permanent du Règlement et de la procédure, comme on l’appelait à l’époque, a consacré 28 heures à des réunions sur les modifications du Règlement. Il n’y a eu aucune sérieuse discussion, mais beaucoup de travail a été effectué sur le libellé du nouveau Règlement. C’est exactement ce que nous avons dit. Pourquoi ne pas laisser le Comité du Règlement faire son travail comme il l’a fait en 1991? C’est quelque chose que le sénateur Dalphond devrait certainement appuyer.

Enfin, soyons clairs sur un point : l’argument selon lequel un Sénat soi-disant non partisan constitue en quelque sorte un retour au Sénat d’origine est faux. Permettez-moi de le répéter : c’est faux.

Vous pouvez décrire le Sénat de Trudeau comme un nouveau Sénat, un Sénat moderne et un Sénat du XXIe siècle, quoique je n’en convienne pas. Cependant, il y a au moins un argument à faire valoir. Il est tout à fait faux de décrire la motion no 165 et les autres changements apportés au Sénat par Justin Trudeau comme des modifications qui rétablissent en quelque sorte le Sénat de 1867, et cela doit cesser.

Vous ne trouverez jamais dans l’histoire du Canada une période où le Sénat n’était pas une chambre partisane. Ce prétendu âge d’or où des gentlemen s’occupaient tranquillement des affaires de la nation en fumant des cigares et en sirotant du whisky, sans aucun des débats houleux qui se déroulaient à la Chambre, n’a jamais existé. Il s’agit d’une invention.

L’article 14 des résolutions issues de la Conférence de Québec, en 1864, précisait clairement que les nominations au Sénat devaient être faites « afin que tous les partis politiques soient, autant que possible, équitablement représentés ».

Cela mérite d’être répété : « [...] afin que tous les partis politiques soient, autant que possible, équitablement représentés. »

Par conséquent, le refus de Justin Trudeau de nommer des sénateurs partisans va directement à l’encontre de ce que le Sénat était censé être selon les pères fondateurs. Permettez-moi de citer James Bowden, dans un article intitulé « The Founders’ Senate — and Ours: Canada’s Upper House was (and is) supposed to be partisan » publié en 2019 :

Comme le démontrent les procès-verbaux de la Conférence de Québec, les Résolutions de Québec et les Résolutions de Londres, les rédacteurs ont tenu pour acquis le caractère partisan de leurs conseils législatifs provinciaux et du Sénat du Canada; en fait, ils ont considéré que le caractère partisan faisait partie intégrante du fonctionnement des chambres hautes — ce point n’a jamais fait l’objet d’un débat. Ils ont tous accepté le principe et se sont contentés d’argumenter sur les moyens les plus efficaces de garantir le caractère partisan du Sénat du Canada dès sa première réunion.

Parmi les 24 premiers sénateurs du Québec, 16 étaient conservateurs ou libéraux-conservateurs et 8 étaient libéraux. L’Ontario comptait 14 sénateurs conservateurs ou libéraux-conservateurs et 10 sénateurs libéraux. Cela reflétait la volonté des électeurs du Canada-Est et du Canada-Ouest. Par ailleurs, les 12 premiers sénateurs du Nouveau-Brunswick ont maintenu un équilibre sur le plan partisan, avec six libéraux et six conservateurs. Parmi les 12 premiers sénateurs de la Nouvelle-Écosse, 8 étaient conservateurs et 4 étaient libéraux.

Comme l’a déclaré le deuxième premier ministre du Canada, Alexander Mackenzie :

Le Sénat doit nécessairement être composé d’hommes ayant les opinions politiques de l’un ou l’autre des deux grands partis qui divisent la société politique.

Je le répète : l’argument selon lequel un Sénat soi-disant non partisan est en quelque sorte un retour au Sénat d’origine est faux.

Je dois m’écarter du sujet un instant. Lorsqu’une personne comme la sénatrice Ringuette — que je respecte beaucoup comme parlementaire et qui est une bonne sénatrice libérale depuis de nombreuses années — intervient au Sénat pour dire soudainement que nous devrions être une assemblée non partisane, cela me sidère, car elle est probablement — à part moi — la personne la plus partisane au Sénat.

Je suppose que par « absence de partisanerie », elle veut dire que nous ne devons pas agir comme des conservateurs.

Le sénateur Cuzner, au moins, reste à sa place, même s’il ne parle pas souvent, ce qui me déçoit un peu. Néanmoins, il retrouvera son souffle à un moment ou à un autre. Or, je sais qu’il est libéral jusqu’au bout des ongles et qu’il en est fier. Il n’y renoncera pas. C’est un libéral, et il le sait.

On ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre. On ne peut pas dire que ce que fait Justin Trudeau est révolutionnaire et novateur, soutenir qu’il est un grand visionnaire, et prétendre ensuite que ces mêmes changements nous ramènent au Sénat de 1867. On ne peut pas être à la fois révolutionnaire et réactionnaire : c’est l’un ou l’autre.

J’ai encore beaucoup de choses à dire sur cet amendement. Je l’appuie, mais je dois rassembler mes idées. J’ajournerai donc le débat pour le temps de parole qu’il me reste. Je vous remercie, chers collègues.

Haut de page