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Projet de loi sur la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire (Loi de David et Joyce Milgaard)

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

8 octobre 2024


L’honorable Pierre J. Dalphond [ - ]

Chers collègues, permettez-moi d’expliquer pourquoi je suis en faveur de l’adoption rapide du projet de loi C-40, Loi sur la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire, appelée Loi de David et Joyce Milgaard, qui propose la création d’une commission indépendante pour traiter des demandes alléguant des erreurs judiciaires.

La nécessité d’un mécanisme indépendant pour traiter d’erreurs judiciaires possibles est une question qui m’intéresse depuis mes années à la Cour d’appel du Québec.

J’ai été saisi une fois d’une révocation d’une condamnation, maintenue quelques années plus tôt malgré des appels portés jusqu’en Cour suprême du Canada. Tout au long du processus judiciaire, l’accusé maintenait son innocence et affirmait qu’il n’était pas l’auteur du document incriminant qui comportait des menaces de mort à l’égard de son ex-conjointe, ce que le juge n’avait pas cru.

Or, deux ans plus tard, des rapports d’expertise en écriture, dont l’un du ministère public, ont conclu qu’il ne pouvait être la personne qui avait écrit le document incriminant et que la pseudovictime en était l’auteur.

Mon étude du dossier m’a amené à conclure que le fait que l’accusé était un immigrant du Moyen-Orient, sans moyens financiers pour engager un expert, avait été un facteur déterminant dans cette erreur judiciaire.

Un autre dossier m’a troublé, soit l’affaire Dumont. Ce dernier a été condamné pour meurtre sur la base d’une preuve circonstancielle dont l’élément clé était le témoignage d’une inconnue, qui a affirmé au procès l’avoir entrevu pendant quelques secondes dans un club vidéo à proximité de la résidence de la victime, peu avant l’heure du crime. Dumont a toujours clamé son innocence, en s’appuyant pour bien faire sur un alibi qui s’est révélé faux.

Quelques années plus tard, dans une entrevue télévisée, la témoin vedette a déclaré regretter son témoignage, ajoutant qu’elle croyait désormais que ce n’était pas M. Dumont qu’elle avait entrevu le soir du meurtre, mais quelqu’un d’autre.

Chers collègues, je mentionne ces deux affaires pour illustrer le fait que notre système de justice criminelle repose essentiellement sur le travail de policiers, les versions des témoins, l’obtention de preuves documentaires et autres et l’analyse du dossier par le ministère public et l’avocat de la défense. La décision de culpabilité revient soit à un juge, soit à un jury de 12 personnes sans formation juridique, dans les cas les plus graves.

Même si une condamnation n’est possible qu’en présence de la conclusion hors de tout doute raisonnable que l’accusé a commis l’infraction, il reste que les facteurs humains sont omniprésents dans tout le processus, depuis l’intervention de la police jusqu’au prononcé du jugement de culpabilité.

Cela peut impliquer la présence de préjugés, la vision en tunnel de la preuve par les enquêteurs, les omissions dans le traitement des dossiers par des avocats débordés de la poursuite ou de l’aide juridique, l’incapacité de l’accusé de se payer un expert, et cetera.

J’ajoute que la faillibilité du système est amplifiée par le manque de ressources judiciaires, la pression d’être plus efficace malgré tout et les encouragements répétés à faire des aveux de culpabilité à une infraction moindre pour éviter des procès.

Malheureusement, il peut en résulter plus de condamnations de personnes innocentes, surtout issues de groupes défavorisés ou vulnérables.

Cela peut se produire même dans les affaires les plus graves. Comme le mentionnait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt États-Unis c. Burns et Rafay, qui a été rendu en 2001, la découverte incessante de déclarations erronées de culpabilité pour meurtres au Canada et aux États-Unis au cours des dernières années fait tragiquement ressortir la faillibilité du système juridique, et ce, malgré les garanties étendues qui existent afin de protéger les innocents.

Un site Web de l’Université de Toronto, Canadian Registry of Wrongful Convictions, a répertorié à partir d’articles de journaux et de jugements 89 cas de condamnations erronées entre 1956 et 2016, lesquelles concernent de manière disproportionnelle des membres des communautés racisées et autochtones. Malheureusement, il ne pourrait s’agir que de la pointe de l’iceberg.

M’inspirant de la méthode Cotter, le reste de mon discours sera divisé en quatre parties : premièrement, le système actuel et ses lacunes; deuxièmement, l’affaire Milgaard; troisièmement, l’instigateur de ce projet de loi; enfin, les caractéristiques de la commission proposée.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Sénatrice Batters, aviez-vous une question? Est-ce une question brève? Je devrai tenir compte de l’heure.

Oui, j’ai deux questions brèves. D’abord, sénateur Dalphond, merci de votre discours. Voici une de mes questions : présentement, les révisions sont traitées par le ministre de la justice, par l’intermédiaire — vous l’avez mentionné dans votre discours — du Groupe de la révision des condamnations criminelles. Vous avez ajouté qu’il s’agissait d’un groupe au sein du ministère de la Justice. Qui sont les membres de ce groupe? S’agit-il tous d’avocats?

Le sénateur Dalphond [ - ]

Merci beaucoup. C’est une excellente question. Ce sont des avocats. Ils sont sous la supervision d’un directeur, qui est également avocat, et ils travaillent séparément du cabinet du ministre. Ils ne rendent pas de comptes au ministre, sauf à la fin, lorsqu’ils présentent un rapport d’enquête et quelques suggestions sur le type de décisions qui seront prises, y compris des avis juridiques.

Je m’interroge : vous avez parlé du petit nombre d’environ 200 cas qui ont été renvoyés devant les tribunaux au cours des 20 dernières années; je suis désolée, 30 cas sur les 200 ont été renvoyés devant les tribunaux. Aucune de ces affaires ne concernait une femme. Vous en avez parlé dans votre discours, tout comme le sénateur Arnot, et on a discuté de la possibilité que les femmes, en tant que groupe, soient mal servies.

Je me suis demandé quelle était la proportion de femmes parmi les personnes condamnées au Canada. Mon assistante vient de me faire parvenir une statistique selon laquelle 6 % des délinquants fédéraux au Canada sont des femmes. C’est donc un très petit pourcentage.

Je me demande si vous savez également quel est le pourcentage de femmes parmi les personnes condamnées pour des crimes violents au Canada, car j’imagine qu’il est aussi très faible.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Honorables sénateurs, il est 19 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l’heure?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : J’ai entendu un « non ».

Honorables sénateurs, le consentement n’a pas été accordé. Par conséquent, la séance est suspendue, et je quitterai le fauteuil jusqu’à 20 heures.

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