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Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
8 octobre 2024
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-291, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence relativement au matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels.
Avant de commencer mon discours, comme nous débattons de projets de loi portant sur des sujets particulièrement délicats, je tiens à préciser que la teneur de celui dont nous sommes saisis en ce moment pourrait en traumatiser certains. Comme nous n’avons pas tous le même vécu, j’invite mes collègues, le personnel du Sénat ou les personnes du public qui nous écoutent à faire une pause s’ils se sentent dépassés et à chercher du soutien au besoin.
Chers collègues, comme la sénatrice Batters l’a mentionné dans son discours jeudi dernier, ce projet de loi est une question de mots. Les mots sont des instruments très puissants. Nous utilisons tous des mots pour conceptualiser et décrire la vie, les objets, les êtres vivants, mais nous utilisons aussi des mots pour qualifier les gens. Les mots peuvent être positifs, mais ils peuvent aussi être négatifs.
Dans le cas du projet de loi C-291, on demande aux sénateurs et à nos collègues de l’autre endroit, en tant que parlementaires, de changer les mots qui servent à nommer ce que nous appelons actuellement la pornographie juvénile.
Ce que nous appelons pornographie n’est pas nécessairement illégal en soi et jouit même de la protection de la liberté d’expression lorsqu’il s’agit d’adultes consentants. Cependant, lorsqu’il s’agit d’un enfant, d’un mineur qui ne peut en aucun cas consentir à ce qui lui arrive, c’est quelque chose d’horrible qui ne relève pas de la liberté d’expression.
Le fait de qualifier quelque chose de pornographie juvénile brouille les pistes, car, je le rappelle, les enfants, par définition — et je ne saurais trop insister sur ce point —, ne peuvent pas consentir à ce qui se passe. Par conséquent, je crois que le mot « pornographie » est impropre quand le matériel concerne des enfants et qu’il fait horreur à la plupart des Canadiens.
J’applaudis et je remercie les députés Mel Arnold et Frank Caputo d’avoir défendu cette cause et fait les premiers pas relativement au projet de loi C-291. Le projet de loi C-291 vise, à juste titre selon moi, à remplacer le terme « pornographie juvénile » par « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels », car c’est bien de cela qu’il s’agit, et ce n’est pas seulement l’acte de créer ce genre de matériel qui est abusif et exploiteur; chaque fois qu’une image est retransmise, qu’une vidéo est téléchargée ou diffusée en continu, la victime — l’enfant — est revictimisée, si bien que, dans les faits, elle continue d’être exploitée indéfiniment.
Dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’ai mentionné qu’on utilise le terme actualisé à l’échelle internationale et j’ai présenté des statistiques sur la victimisation sexuelle des enfants. Je n’ai pas l’intention de revenir sur ces points aujourd’hui. Je veux plutôt vous parler de devoir et de responsabilité : le devoir que nous avons, en tant que parlementaires, de clarifier la loi.
En tant que législateurs, nous avons tous la responsabilité de veiller à ce que nos lois contiennent des termes clairs qui ne laissent aucune ambiguïté, qu’il s’agisse d’un projet de loi du gouvernement, d’un projet de loi d’intérêt public du Sénat ou d’un projet de loi d’initiative parlementaire, et c’est ce que fait le projet de loi C-291. Il fournit un langage clair exempt d’ambiguïté au sujet d’un crime dont les victimes sont des enfants.
Lorsque le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles a étudié le projet de loi, les sénateurs ont débattu de l’observation qui a été annexée au rapport du comité sur le projet de loi C-291 et qui souligne :
[...] la façon dont le Code criminel [a été] modifié à la pièce depuis des décennies et [est] devenu trop lourd, parfois même répétitif ou contradictoire, et qu’il [doit] faire l’objet d’une réforme approfondie [...]
Je ne suis pas juriste, mais j’ai trouvé cela intéressant, en particulier dans le contexte du projet de loi C-291, car il s’agit en quelque sorte d’une modification à la pièce du Code criminel. Son champ d’application est assez restreint pour ce qu’il entend changer, mais opérer un changement de culture concernant quelque chose comme le libellé a beaucoup d’importance.
Bien que la modification du libellé soit un grand pas en avant, je me demande où nous allons maintenant, car comme je l’ai dit plus tôt, le projet de loi C-291 est un premier pas. J’appelle cela un premier pas parce que, lors de son témoignage devant le Comité des affaires juridiques, j’ai demandé à l’auteur du projet de loi, le député Frank Caputo, ce que nous, en tant que parlementaires, allions faire à partir de maintenant. Il a soulevé un certain nombre de points intéressants en réponse à ma question, et en revenant sur ce qu’il avait répondu à d’autres honorables sénateurs, trois choses m’ont frappée quant à ce qui semble être des lacunes du projet de loi.
Je suis la porte-parole du projet de loi et je me dois d’en faire amicalement la critique, alors je voudrais vous faire part de ces lacunes.
Le premier point que je veux soulever concerne la sensibilisation du public et des victimes elles-mêmes aux crimes d’abus et d’exploitation pédosexuels. M. Caputo a raconté comment son expérience de procureur de la Couronne lui a montré qu’une victime peut ne réaliser que plus tard dans sa vie qu’elle a été agressée sexuellement pendant son enfance.
Pour quelqu’un qui, comme moi, a une formation en soins de santé, ce constat se vérifie à bien des égards. Nous savons que de nombreuses victimes d’abus et d’exploitation pédosexuels peuvent avoir peur d’en parler, surtout si l’agresseur est un proche. Beaucoup refoulent également leurs souvenirs en réaction au traumatisme et, pire encore, de nombreuses victimes continuent souvent à se sentir coupables. Nous savons tous qu’il y a probablement beaucoup d’autres victimes et que ce crime est plus répandu que nous pouvons l’imaginer.
Même si le projet de loi ne prévoit rien pour promouvoir la prise de conscience de l’ampleur et la portée du matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels, nos débats ont un pouvoir. À l’avenir, à titre de parlementaires, nous avons le devoir d’élargir les discussions et les débats sur les abus visant les membres plus vulnérables de la société. Si nous négligeons ce devoir, des crimes comme ceux-ci peuvent plus facilement passer inaperçus, ne pas être signalés et ne pas être détectés. Dans nos conversations, et même ici aujourd’hui, nous devons viser à sensibiliser davantage la population à la question. Les gens sont à l’écoute.
La deuxième lacune du projet de loi concerne les difficultés à rassembler des preuves et à poursuivre les auteurs de crimes liés à l’abus et à l’exploitation d’enfants. En effet, l’identification positive des victimes peut s’avérer difficile en raison de la nature mondiale des crimes et, une fois que les images ont été diffusées par voie électronique, nous savons qu’elles se propagent indéfiniment dans le temps et l’espace — et ce n’est pas faute d’avoir essayé.
Ici, au Canada, la GRC a mis sur pied le Centre national contre l’exploitation des enfants, que nous avons visité, et en assure la gestion. Le centre travaille en étroite collaboration avec le département de la Justice des États-Unis, qui s’est associé au National Center for Missing and Exploited Children. Ensemble et en collaboration avec d’autres alliés, ces pays fournissent aux forces de l’ordre les moyens d’identifier les victimes de matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels, mais il y a des limites puisqu’une grande partie de ce matériel est trouvé, stocké et échangé en ligne et, comme je l’ai dit précédemment, il peut sillonner le monde instantanément dans le cyberespace, ce qui entraîne des difficultés et souvent des retards lorsqu’il s’agit de mettre la main sur le matériel et d’identifier les victimes. Le manque de preuves rend les poursuites très difficiles, mais cela peut être encore plus difficile pour les forces de l’ordre lorsque la terminologie ne correspond pas à celle utilisée par nos partenaires internationaux.
À ce stade, je dois reconnaître le traumatisme indirect subi par les enquêteurs et les analystes qui examinent ce matériel des plus odieux et déshumanisant qui victimise les enfants. Nous vous sommes éternellement reconnaissants du dévouement et de la persévérance dont vous faites preuve pour tenter de protéger les enfants.
Je vais revenir un instant sur la sensibilisation, car même le débat que nous avons aujourd’hui sur le projet de loi favorise la sensibilisation. Grâce à une sensibilisation accrue, quelqu’un pourrait signaler à la police un cas potentiel d’abus et d’exploitation pédosexuels. Or, ce signalement ne sert à rien si les forces de l’ordre ne peuvent pas trouver les gens qui victimisent un enfant, enquêter sur eux et éventuellement les poursuivre en justice. Afin de trouver les agresseurs, d’enquêter sur eux et de les poursuivre en justice, nous devons, en tant que parlementaires, demander des ressources accrues et durables pour mieux soutenir toutes les procédures judiciaires afin de traduire les auteurs des crimes en justice.
La troisième lacune que je tiens à porter à votre attention est la disparité des peines infligées aux personnes reconnues coupables d’abus et d’exploitation pédosexuels. Je peux vous dire que j’ai été frappée par la disparité des peines infligées au Canada.
Honorables sénateurs, saviez-vous que la peine maximale pour l’entrée par effraction est l’emprisonnement à vie? En revanche, la peine d’emprisonnement maximale pour une agression sexuelle est de 10 ans, et celle pour une agression sexuelle contre un enfant est de — devinez — 14 ans.
Compte tenu de cette disparité, comment peut-on regarder dans les yeux une victime d’abus et d’exploitation pédosexuels, qui ne pourra jamais échapper à la source de son mal, qui gardera des séquelles permanentes et qui restera traumatisée — qui purgera essentiellement une peine à perpétuité —, alors que son agresseur, lui, s’il est reconnu coupable, pourrait purger une peine plus courte qu’une personne reconnue coupable d’entrée par effraction?
Je ne cherche pas à entrer dans le débat plus général sur les peines minimales obligatoires, mais M. Caputo a souligné dans son témoignage que malgré la propension du gouvernement précédent pour les peines minimales obligatoires, la plupart des peines minimales obligatoires adoptées concernaient les armes à feu et la drogue, et non les crimes sexuels et certainement pas les crimes commis à l’égard d’enfants. Il semblerait donc que même le gouvernement précédent ignorait ou sous-estimait l’ampleur de ces crimes. C’est pourquoi la sensibilisation est si importante.
C’est là que nous, parlementaires, pouvons travailler à la mise à jour du Code criminel et examiner si les peines sont adéquates dans les cas où des enfants sont victimes de sévices sexuels et d’exploitation sexuelle. En effet, toute la sensibilisation du monde, et même les enquêtes et les poursuites menées correctement et dans des délais acceptables, ne signifieront rien s’il n’y a pas de peines appropriées pour les crimes d’exploitation et d’abus sexuels sur des enfants.
Ce que je considère comme les trois lacunes du projet de loi que j’ai soulignées aujourd’hui, à savoir la sensibilisation, les enquêtes ainsi que les poursuites et la détermination de la peine, ne sont pas abordées dans le projet de loi C-291, mais cela ne signifie pas que je ne le soutiens pas. Comme je l’ai dit, l’adoption de ce projet de loi est une première étape essentielle, et je tiens à dire aux sénateurs que ce n’est que le début d’une conversation plus générale que nous devons avoir en tant que législateurs.
En terminant, j’aimerais vous faire entendre l’autre partie des observations du comité, et je cite à nouveau :
Le comité réitère sa recommandation antérieure selon laquelle un organisme indépendant devrait entreprendre une révision approfondie du Code criminel. La Commission du droit du Canada, rétablie, pourrait entreprendre cette révision, qui devrait intégrer une étude portant sur toutes les dispositions du Code relatives aux crimes et infractions contre les personnes vulnérables.
Les enfants sont des personnes très vulnérables.
Chers collègues, je pense que c’est une excellente suggestion. Toutefois, je crois que nous pourrions entreprendre une telle révision à titre de sénateurs d’un Sénat indépendant. Dans le cadre d’une telle révision, le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles pourrait examiner le Code d’une manière plus exhaustive, et je vous laisse à tous le soin d’y réfléchir pour la suite des choses.
Cependant, encore une fois, nous devons faire ce premier pas, c’est-à-dire adopter le projet de loi C-291 et mettre à jour ce qu’on appelle actuellement la pornographie juvénile pour la désigner comme ce qu’elle est : du matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels. Bien que je sois la porte-parole pour ce projet de loi, je vous demande de vous joindre à moi pour l’appuyer à l’étape de la troisième lecture. Je vous remercie.
Sénatrice Patterson, accepteriez-vous de répondre à une question?
Oui.
J’ai l’impression que la raison pour laquelle on veut changer l’expression « pornographie juvénile » par « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels » est qu’il y aurait des formes de pornographie qui sont légales ce qui ferait, au sens juridique strict, qu’il serait possible que des formes de pornographie juvénile soient également légales. Je ne dis pas que c’est le cas, mais j’ai l’impression que c’est la conclusion logique à laquelle on peut arriver.
Je suis certain qu’il en a été question au comité, et il serait intéressant de savoir comment le comité a dénoué cette question.
Je vous remercie, sénateur Woo. Avant d’aller plus loin, je souligne que l’exploitation sexuelle des enfants est illégale. Il est donc illégal de regrouper, dans un même terme, la notion de « pornographie » et celle d’« enfant ». Nous avons eu des discussions à ce sujet, en effet. Si le terme a été élargi, c’est notamment en raison d’un certain nombre de recommandations faites par l’autre endroit et par nos partenaires internationaux, y compris par les Nations unies et d’autres organismes de premier plan qui s’emploient à repérer ce genre de cas, à mener des enquêtes et à poursuivre les responsables en justice. À titre d’exemple, le Comité de la justice et des droits de la personne a dit qu’il fallait inclure le mot « exploitation », éviter « pornographie », parler plutôt d’« exploitation » et utiliser des mots qui décrivent bien de quoi il est question.
Le ministère de la Justice a aussi souligné que l’ajout de l’expression « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels » pourrait servir à englober certains des aspects que vous avez mentionnés au début de votre intervention, y compris des œuvres de fiction et bien d’autres choses. Je ne souhaite pas m’étendre là‑dessus ici.
Bref, la pornographie est légale entre des adultes consentants, et le partage doit se faire entre adultes consentants. Dès qu’on ajoute la notion d’« enfant » à l’idée de pornographie, ces activités sont toujours illégales, puisque les enfants ne peuvent pas donner leur consentement.
Je ne suis pas en désaccord avec votre caractérisation de l’exploitation des enfants et ainsi de suite, mais vous avez en quelque sorte déjà dit pourquoi la pornographie juvénile, par sa nature, est mauvaise. Il s’agit peut-être simplement d’utiliser des termes qui décrivent plus précisément le problème.
Je me demande simplement si un avocat astucieux payé par un ignoble fournisseur de ce type d’activité et de matériel serait en mesure d’utiliser une échappatoire précisément parce que nous nous sommes éloignés d’un terme, parce que le mot « pornographie » a un caractère légal dans certaines circonstances. Je me demande simplement si cette possibilité a été évoquée et si nous y avons mis fin.
Merci encore. Je ne suis pas avocate, mais je comprends très bien où vous voulez en venir. Le problème, c’est le mot « pornographie », si c’est bien ce que vous voulez dire. Un avocat habile pourrait-il dire : « Eh bien, c’est de la pornographie juvénile »? La pornographie juvénile est illégale.
Je le répète, je ne suis pas avocate et je vais devoir laisser cela aux gens brillants dans la salle, mais ce que les différentes personnes qui ont témoigné ont dit, y compris les représentants du ministère de la Justice, c’est que cela aidera à colmater cette faille et nous permettra de nous attaquer aux comportements réellement illégaux contre la victime, c’est-à-dire l’enfant. Je suis désolée de ne pas avoir été plus claire. Je crois que c’est une question juridique.
Je vous remercie pour votre discours aujourd’hui et pour votre appui à cet important projet de loi.
Je suis avocate et j’ai assisté à cette réunion. N’est-il pas exact que le projet de loi remplace le terme « pornographie juvénile » — qui est un terme tout à fait inapproprié et offensant puisqu’il implique un consentement alors que l’enfant ne consent pas à cet abus et à cette exploitation — chaque fois qu’il est mentionné dans le Code criminel et dans toutes nos lois fédérales, par celui beaucoup plus approprié de « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels »? Il ne change pas la définition. Il ne change que le terme, n’est-ce pas?
Sénatrice Batters, vous avez raison.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)