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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

16 juin 2025


L’honorable Pamela Wallin [ + ]

Propose que le projet de loi S-231, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je demande votre indulgence, car je sais que beaucoup d’entre vous m’ont entendue parler de la question des demandes anticipées à maintes reprises au cours de la dernière décennie. Toutefois, nous avons de nombreux nouveaux collègues, alors permettez-moi d’aborder quelques points. Une demande anticipée est une entente, habituellement présentée par écrit, pour demander l’aide médicale à mourir même si notre mort n’est pas imminente ou dans l’éventualité où nous pourrions perdre la capacité de donner notre consentement dans nos derniers jours.

J’ai été reconnaissante lorsque le Sénat a approuvé et a adopté un amendement demandant l’ajout des demandes anticipées et j’ai été, toutefois, profondément déçue lorsque le gouvernement en place a rejeté nos conseils bien réfléchis, appuyés par les sénateurs de tous les groupes.

Je présente de nouveau ce projet de loi dans sa forme originale pour gagner du temps et parce que les comités ont fait un certain travail à ce sujet au cours des 10 dernières années, mais j’ajoute un préambule reconnaissant la nouvelle loi adoptée par la province de Québec, qui, je l’espère, servira d’orientation. Sur les conseils de nos légistes, ce préambule permettra au comité de faire référence à la nouvelle loi dans le cadre de son étude du projet de loi et de ses amendements.

Pour être claire, je cherche à obtenir des amendements, car il y a eu de nombreux développements juridiques importants au Canada.

Dans le préambule, on dit notamment que la loi québécoise va :

« [...] permet[tre] aux personnes atteintes d’une maladie grave et incurable menant à l’inaptitude à consentir aux soins de formuler une demande anticipée d’aide médicale à mourir ».

Mon projet de loi précise ensuite — et je vais résumer — que nous modifierions le Code criminel de manière à permettre :

a) d’une part, à une personne dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible de conclure une entente par écrit en vue de recevoir l’aide médicale à mourir à une date déterminée si elle perd sa capacité à consentir à l’aide médicale à mourir avant cette date;

b) d’autre part, à une personne atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables peut faire une déclaration écrite pour renoncer à l’exigence du consentement final lorsqu’elle reçoit l’aide médicale à mourir si elle perd sa capacité à consentir à l’aide médicale à mourir, si elle est atteinte des symptômes énoncés dans la déclaration écrite et si toutes les autres mesures de sauvegarde pertinentes énoncées dans le Code criminel ont été respectées.

La mort et la fin de vie font partie intégrante de la vie. Pour le meilleur ou pour le pire, nous sommes la seule espèce consciente de l’inévitabilité de notre propre mort. Cela nous motive, nous aide à trouver un but dans la vie et rend chaque instant précieux et riche de sens. Si nous avons de la chance et si nous le souhaitons, cette connaissance nous prépare également à une fin de vie digne et nous aide à faire face à notre disparition avec grâce et compassion.

Nous vivons aussi dans une époque où nous pouvons raisonnablement prévoir la mort. La science nous permet de diagnostiquer avec une grande précision les maladies mortelles et de déceler les signes de déclin physique et cognitif. Cependant, dans la quête de la longévité, il faut toujours tenir compte de la qualité de vie.

Je crois que nous avons le droit et la responsabilité de prendre nos propres décisions concernant la fin de notre vie. C’est notre fardeau, notre corps et notre choix. J’en suis arrivée à cette conclusion après avoir vu mes deux parents mourir de deux façons très différentes, mais tout aussi tragiques : mon père d’un cancer douloureux, et ma mère, de la maladie d’Alzheimer. Leur souffrance était inutile et aurait pu être évitée. Le seul service qu’ils tenaient à ce qu’on leur rende, c’est de les laisser quitter ce monde avec dignité, de leur épargner les souffrances et les humiliations. Malheureusement, mon père n’avait pas accès à l’aide médicale à mourir, puisqu’il habitait dans une région rurale de la Saskatchewan. Quant à ma mère, la loi ne l’autorisait même pas à en faire la demande.

Ce sont des questions difficiles pour les familles. J’ai eu la chance de grandir dans une famille où l’on discutait de manière pragmatique et honnête presque tous les soirs à table. Quand mon père a dû subir une intervention complexe à cœur ouvert et une transplantation aortique, il a reçu d’excellents soins, il a survécu à une longue intervention chirurgicale et il a vécu encore 10 ans en relativement bonne santé avant que le cancer ne le rattrape. Ce qui m’a frappée, c’est la facilité avec laquelle les intervenants de l’hôpital et mon père ont parlé de l’ordonnance de non-réanimation, qui doit être signée avant l’intervention chirurgicale. Mon père avait été très clair : « Si je ne peux plus marcher, parler, chasser ou penser, la vie n’a aucun sens. » Il accordait plus d’importance à la qualité de la vie qu’à sa durée.

Notre société accepte les ordonnances de non-réanimation et les mandats en cas d’incapacité pour le réconfort qu’ils apportent. Si vous subissez une intervention chirurgicale potentiellement mortelle ou si vous souhaitez exprimer votre volonté de ne pas subir de mesures extraordinaires pour vous maintenir en vie dans un état végétatif en cas d’accident, c’est à cela que servent ces documents. Pour moi, les demandes anticipées font simplement partie de ce continuum.

Permettez-moi de vous donner un peu plus de contexte. En 2016, quand le gouvernement a présenté le projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir), en réponse à une décision de la Cour suprême dans l’affaire Carter, il s’agissait d’accorder aux Canadiens le droit de prendre leurs propres décisions en fin de vie.

Le gouvernement a mis en place — tout comme nous l’avons fait au Sénat — une série de mesures de sauvegarde afin d’éviter toute dérive en matière d’accès à l’aide médicale à mourir et de donner plus de temps aux experts pour réfléchir à la complexité éthique de ces questions.

La principale inquiétude était que l’aide à mourir en vienne à remplacer les services et le soutien essentiels aux personnes sous-représentées ou aux patients réticents ou encore aux personnes qui auraient pu être traitées ou soignées si elles n’avaient pas été victimes d’un système injuste. Nous ne pouvons sous-estimer l’importance de ces préoccupations.

J’ai siégé pendant plusieurs années au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir afin d’étudier ces préoccupations. L’aide médicale à mourir n’est pas une alternative à la pauvreté, aux traitements, au soutien ou à la famille. Elle doit toujours être un choix. Afin de protéger les praticiens, des mesures de sauvegarde ont été mises en place pour veiller à ce que les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir soient tenues de déclarer, littéralement, juste avant leur mort médicalement assistée, qu’elles sont certaines de leur volonté de mourir. Dans la loi, cela s’appelle la renonciation au consentement final.

L’idée était d’éviter toute erreur administrative et de garantir que le patient, son médecin, sa famille et ses proches puissent être absolument certains que la personne qui a reçu l’aide médicale à mourir était réellement prête à mourir. Cependant, au lieu de faciliter les choses, cette mesure a, dans les faits, créé davantage d’ambiguïté pour les patients.

Des personnes admissibles à l’aide médicale à mourir se sont retrouvées dans une situation kafkaïenne tragique où, par exemple, en raison du stade avancé de leur cancer et de son inévitable progression, elles ne pourraient pas donner leur consentement final à haute voix. Par conséquent, elles ont dû mettre fin à leurs jours prématurément, bien avant l’heure, uniquement parce qu’elles risquaient de ne plus être physiquement capables de donner leur consentement à un stade avancé et douloureux de leur maladie.

C’est exactement ce qui est arrivé à Audrey Parker, une Néo‑Écossaise de 57 ans atteinte d’un cancer du sein de stade 4. Elle a dû mettre fin à ses jours deux mois avant Noël, uniquement à cause d’une « mesure de sauvegarde » dans la loi qui était plutôt mal conçue. D’innombrables autres personnes ont probablement dû prendre une décision semblable — nous connaissons leurs histoires — avant qu’on modifie enfin la loi.

Grâce à Mme Parker et au travail de sa famille, le gouvernement a finalement inclus dans la loi ce qu’on appelle aujourd’hui la « modification d’Audrey ».

Il s’agissait d’une première étape importante, car cette modification offrait une première forme de demande anticipée, mais, là encore, uniquement pour les personnes qui ont déjà été évaluées et qui sont admissibles à l’aide médicale à mourir, et uniquement lorsqu’elles sont très proches du terme de leur vie.

Puis, une décision judiciaire clé a été rendue dans l’affaire Truchon et Gladu : Jean Truchon et Nicole Gladu ont intenté une action en justice pour obtenir l’aide médicale à mourir, mais leur demande avait été rejetée parce que leur mort n’était pas naturellement prévisible. Tous deux étaient atteints de maladies dégénératives qui leur causaient des souffrances persistantes et intolérables : M. Truchon était atteint de paralysie cérébrale et Mme Gladu, du syndrome de post-poliomyélite.

En 2019, la Cour supérieure du Québec a reconnu que la condition préalable était inconstitutionnelle. Elle a demandé au gouvernement du Québec et au gouvernement fédéral de donner suite à sa décision. Il s’agit d’une décision très importante, car elle supprime la nécessité que la mort soit « raisonnablement prévisible », ce qui crée en quelque sorte un système à deux volets pour l’accès à l’aide médicale à mourir : un premier pour les cas où la mort est imminente et un second pour les cas où la mort est inévitable, mais n’est pas prévisible.

Chers collègues, c’est dans ce contexte que j’ai proposé une modification à la loi, puis présenté le projet de loi visant à autoriser pleinement les demandes anticipées. J’espérais étendre le droit à une demande préalable aux personnes dont la mort n’est pas imminente, mais inévitable, et accorder aux Canadiens le droit de choisir une fin de vie planifiée et paisible. Pourquoi ne pas offrir ce choix aux gens qui sont pris dans un monde de souffrance ou qui ont reçu un diagnostic de démence, qui les prive de leur droit de prendre des décisions concernant leur fin de vie?

Il y a 1 000 boomers chaque jour qui atteignent l’âge de 65 ans. D’ici 2031, ils seront 1 000 ou plus à atteindre l’âge de 85 ans chaque jour. C’est le quart de la population. L’augmentation de l’espérance de vie s’accompagne d’un nombre de plus en plus élevé d’années à vivre avec une invalidité liée à l’âge. La médecine moderne a rallongé notre vie, mais elle a également fait de nous des victimes des traitements excessifs, qui, trop souvent, sont plus axés sur la durée de vie que sur la qualité de vie.

Une des catégories où la question de la demande anticipée est fondamentale est celle des personnes qui subissent un déclin cognitif, qui réalisent qu’ils se dirigent lentement vers une perte de contact avec la réalité, vers ce qu’on pourrait qualifier de mort lente, la démence. Un Canadien sur quatre de plus de 85 ans est atteint de démence. Pendant des années, la loi disait que, dès que le diagnostic était obtenu, une personne n’était plus apte à prendre des décisions. Nous savons que ce n’est pas le reflet de la réalité, mais c’est l’impasse dans laquelle la loi nous place.

De nombreuses personnes atteintes de différentes formes de démence, comme la maladie d’Alzheimer, n’ont toujours pas accès à l’aide médicale à mourir, parce que l’on considère que le moment de leur mort n’est pas raisonnablement prévisible. C’est pour cette raison que la question du moment opportun est si importante et que nous devons examiner à quelle fréquence les demandes anticipées doivent être mises à jour. Nous devons pouvoir faire des choix éclairés avant de perdre nos capacités. Cela nous donnerait au moins un peu de contrôle à un moment de notre vie où, bientôt, nous n’en aurons plus du tout.

Lorsqu’on perd la mémoire, on perd son identité. On perd les amis qu’on ne reconnaît plus et la famille qu’on aime. On perd le sentiment d’être aimé. Surtout, on perd le sens de qui on est — qui on était vraiment, ce qu’on a accompli et les vies qu’on a touchées — et on perd l’amour et le respect qui étaient autrefois si librement offerts. Tout cela est toujours là, mais on ne peut plus ni le reconnaître ni le voir.

C’est exactement ce qui s’est passé avec ma mère. Elle était enseignante, elle a changé des vies et elle a sauvé des vies. Elle était un modèle avant même que nous utilisions cette expression. La voir décliner était déchirant. Elle a cessé de se souvenir de ce qu’elle avait accompli pendant tant d’années et pour tant de personnes. La perte de la mémoire est brutale. C’est un déni de notre existence de personnes valorisées ayant joué un rôle dans la vie des autres. C’est une peine cruelle et inusitée.

D’aucuns diront que nous ne pourrons jamais vraiment savoir ce qui se passe dans la tête des personnes atteintes de démence ou de la maladie d’Alzheimer. Il peut y avoir des moments de lucidité ou de reconnaissance, et on pourrait penser que si les personnes sont heureuses et qu’elles tapent du pied à la séance de musique hebdomadaire, c’est qu’elles ont une certaine qualité de vie. Dans les résidences pour aînés, on parle de démence heureuse. Malheureusement, c’est surtout nous qui voulons nous sentir mieux pour l’être cher, car, quelques instants plus tard, la peur peut à nouveau l’envahir jusqu’à ce qu’il devienne désemparé.

Ma mère ne pouvait pas exprimer ses désirs ni ses besoins comme l’avait fait mon père à la veille de son opération, et c’est là l’injustice inhérente à un diagnostic par rapport à un autre — ce fameux cercle vicieux. Comme nous en avions si souvent discuté, elle n’a jamais voulu d’une vie dépourvue de sens ou sans conscience de sa famille, de son histoire, de son passé et de sa propre histoire.

Dans notre pays, des familles doivent affronter cette crise tous les jours. Les Canadiens atteints de maladies incurables ou irréversibles souffrent inutilement dans leur lit d’hôpital ou dans des établissements de soins. Ce qui est encore plus triste, c’est qu’ils souffrent parfois accompagnés d’êtres chers, mais qu’ils ne reconnaissent plus, et qu’ils souffrent donc seuls et dans la peur. Le pire de tous les destins est de ne plus savoir qui on est ni qui on a été.

Il est donc temps d’être courageux, d’accepter les choix des personnes que nous aimons et de leur donner — si et seulement si elles le souhaitent — le droit de nous quitter dans la dignité, comme elles ont vécu et aimé dans la dignité. Je vous demande d’examiner ce projet de loi avec votre tête et votre cœur et de le renvoyer à nos collègues du comité pour qu’ils puissent l’améliorer dans les meilleurs délais. Merci.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ + ]

Merci beaucoup de votre discours. Effectivement, c’est une question extrêmement difficile.

Vous avez fait allusion au Québec, qui a légiféré sur cette question. Justement, l’adoption de cette loi a suscité un grand débat au Québec. Plusieurs médecins ont commencé à remettre en question cette idée du consentement à une mort future en disant qu’ils n’étaient pas capables d’évaluer une personne qu’ils n’avaient pas connue avant la maladie. Ils se disaient incapables de mesurer le consentement, quelques années plus tard, d’une personne qui vit un Alzheimer heureux, comme vous le dites, ou qui ne semble pas lui poser de problèmes.

Je comprends que vous avez dit dans votre discours que le consentement est donné bien avant. Cela pose toutefois un problème éthique pour des médecins qui ne connaissent pas forcément cette patiente plusieurs années plus tard. Ils ne peuvent pas tout simplement dire : « Alors voilà, je suis ici pour exécuter un contrat sans poser un jugement médical. »

C’est un vrai débat qui a eu lieu au Québec. Je ne vous dis pas qu’il y a eu résolution, mais cela soulève la question du délai entre la signature et la mort.

La sénatrice Wallin [ + ]

Tout d’abord, le gouvernement du Québec a demandé aux procureurs de la Couronne de ne pas engager de poursuites du fait que cette question relève du Code criminel. C’est précisément pour cela que nous essayons de la traiter. Nous voulons protéger les personnes qui s’engagent dans cette voie.

Je dois dire que je connais de nombreux professionnels de partout au pays qui administrent l’aide médicale à mourir. Leur vie n’est pas facile. Ce n’est pas un geste facile. Ils le font parce qu’ils sont compatissants, parce qu’ils se soucient des autres et parce qu’ils ont promis d’administrer les soins appropriés aux personnes qui en ont besoin.

Je crois que l’enjeu est encore plus crucial qu’auparavant à cause des questions concernant le moment de la demande. J’en ai discuté avec de nombreux experts en éthique, des professionnels de la santé et les membres de familles qui ont vécu cette situation et en ont discuté entre eux.

Il ne s’agit pas seulement de laisser une note lorsqu’on a 29 ans sur laquelle on a écrit : « Je ne veux pas vivre quand je serai vieux ». Nous ne comprenons pas à cet âge. Bon nombre d’entre nous sommes bien plus près de devoir prendre cette décision qu’à l’époque où nous pensions qu’on est vieux à cet âge. Aujourd’hui, nous ne pensons plus la même chose.

Ce sont des questions dont nous devons débattre : celles de savoir quand et comment. Il est clair qu’on m’a conseillé, en raison de ma situation personnelle, d’avoir cette discussion avec ma famille, des professionnels de la santé et des juristes. On nous recommande aussi d’informer le plus grand nombre de personnes possible de notre décision afin d’avoir des témoins si on déménage dans une autre province ou s’il nous faut changer de médecin parce que le nôtre est parti à la retraite. Ces enjeux sont tous réels.

C’est la raison pour laquelle il faut une documentation continue pour appuyer la demande, qui prouve que ce n’est pas une décision impulsive, qu’elle n’est pas le résultat d’une mauvaise journée ou qu’elle n’a pas été influencée par un tiers. C’est un processus. Je crois que plus quelqu’un met des mots sur ce sentiment, plus il en parle aux membres de sa famille et à des professionnels, plus la famille sera rassurée, plus il pourra espérer que son souhait sera respecté, et plus les responsables sur le plan juridique auront l’assurance de faire la bonne chose. Même s’ils ne connaissent pas la personne, ils auront l’historique documenté de sa décision; ce sera consigné. Cela leur donnera l’assurance qu’ils font la bonne chose et qu’ils fournissent à leur patient les soins qu’il a demandés, même s’il s’agit pour eux d’un nouveau patient.

L’honorable Paula Simons [ + ]

Sénatrice Wallin, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Wallin [ + ]

Oui.

La sénatrice Simons [ + ]

Comme vous le savez, j’ai appuyé votre amendement quand nous avons débattu de l’élargissement de l’accès. En vous écoutant ce soir, je me souviens du jour où j’ai emmené ma mère passer un test, et elle a reçu un diagnostic de maladie d’Alzheimer. Ma mère était une femme brillante et pleine d’esprit, et elle a dit : « Eh bien, je voudrais l’aide médicale à mourir, alors. » J’ai dû lui expliquer que ce n’était pas une option et que cela ne le serait jamais.

Elle est morte, hurlant de terreur et de douleur, dans une souffrance insupportable. J’étais incapable de lui expliquer pourquoi elle devait endurer cela et cela me hantera jusqu’à la fin de mes jours. Pourtant, je ne sais pas à quel moment au cours des cinq dernières années de sa vie nous aurions pu dire : « Bon, c’est aujourd’hui. C’est aujourd’hui que cela devient insupportable. C’est aujourd’hui que nous, en tant que famille, devons prendre une décision. »

Je suppose que c’est ma question. C’est plus facile dans le cas d’une personne qui meurt d’un cancer et qui craint de perdre la capacité de donner son consentement. Comment déterminer le moment où la vie d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer est considérée comme insupportable?

La sénatrice Wallin [ + ]

Merci, sénatrice Simons. Je ne pense pas que l’on puisse dire que le jour J est le lundi — quelle que soit la date d’aujourd’hui. C’est pourquoi il y a la notion de demande anticipée : pour parvenir à une conclusion de principe.

J’ai déjà parlé dans cette enceinte de Ron Posno, un homme de London, en Ontario, que j’ai appris à bien connaître. Cet homme a accompli des choses extraordinaires dans sa vie. Il a été enseignant, pilote et plongeur sous-marin. Lui et son épouse, Sandy, vivent actuellement dans un centre de soins de longue durée, car il a reçu très tôt, en 2016, un diagnostic de troubles cognitifs. À partir de ce moment, il est devenu un fervent défenseur de l’aide médicale à mourir et des directives anticipées. Il a accordé des entretiens partout, dans des balados, y compris le mien, et dans des documentaires.

Il s’est mis à l’œuvre parce qu’il savait que son sort était inévitable, comme vous le saviez pour votre mère et comme je le savais pour la mienne. Il a rédigé une liste de huit conditions déterminantes. Cette liste l’a aidé à préciser ses idées, et elle m’a permis d’en faire autant au fil des ans. La voici : lorsque je serai incapable de reconnaître des membres de ma famille, des fournisseurs de soins ou des amis, ainsi que de réagir à leur présence d’une manière appropriée et réfléchie; lorsque je deviendrai constamment violente, verbalement et/ou physiquement; lorsque je me perdrai fréquemment ou que j’errerai sans savoir où je suis; lorsque j’aurai besoin d’être physiquement immobilisé ou enfermé; lorsque je présenterai des symptômes de dépression, de paranoïa, de mélancolie ou de mutisme électif; lorsque je souffrirai fréquemment d’hallucinations visuelles, auditives, olfactives ou tactiles; lorsque j’aurai besoin de soins personnels assistés, car je serai souvent incontinente; lorsque je n’arriverai pas à manger, à me nettoyer ou à m’habiller sans aide.

C’est ce qu’il nous invite à faire. Nous ne pouvons pas savoir quand sera le jour J. Nous le saurons en fonction de notre état. Si nous remplissons une combinaison ou la totalité de ces conditions — Dieu nous en garde —, nous saurons que le moment est venu. Ron nous a rendu ce service. Il a fait ses devoirs, et il a affirmé ceci :

Réfléchissez-y. Créez votre propre liste. Utilisez la mienne. Aidez votre famille. Aidez les professionnels de la santé, car ils sont en mesure d’évaluer ces conditions. Les employés des établissements de soins de longue durée peuvent évaluer ces conditions.

Il existe un moyen de ne pas connaître le moment précis, sauf que nous avons également appris de l’expérience de ceux qui ont dû mettre fin à leurs jours, des personnes qui se sont jetées dans le lac Ontario. Je pense aussi à Audrey, qui a pris cette décision avant Noël, au sein de sa propre famille, parce qu’elle ne voulait pas vivre cette situation ou la faire subir à sa famille une année de plus, et c’était si près d’arriver. Toutefois, si elle avait perdu la capacité de dire « maintenant », ou de dire « je consens, j’accepte », alors il aurait été trop tard.

Pourquoi ne laisser aux gens que le choix de s’enlever la vie? Pourtant, nous pouvons dire clairement à nos familles, à nos proches, aux avocats, aux professionnels de la santé, à la société et au monde ce qui suit :

Nous savons quand nous n’avons plus de qualité de vie. Nous savons quand la vie n’a plus de sens. Nous savons quand nous avons perdu notre identité. Je vous en prie, laissez-moi avoir recours aux choix prévus dans la loi et en bénéficier.

Je pense que c’est là le cœur de la question.

Sénatrice Wallin, lorsque vous avez présenté ce projet de loi, en 2022, je vous ai posé une question au sujet des témoins indépendants qui, selon votre projet de loi, devaient certifier la déclaration faite par la personne qui souhaite obtenir l’aide médicale à mourir.

À ce moment-là, je vous ai demandé une définition du terme « témoin indépendant », mais vous n’aviez pas de réponse définitive à me donner. Étant donné que vous proposez en bonne partie le même projet de loi, j’ai vérifié les dispositions connexes du Code criminel, et j’y ai trouvé la définition de « témoin indépendant ».

La question que je vous pose aujourd’hui est donc la suivante. En ce qui concerne ces témoins indépendants, votre projet de loi dit, à l’alinéa 3.22e), qu’il faut respecter la condition suivante : « [...] un médecin a certifié que [...] (iii) chaque témoin est indépendant conformément au paragraphe (5) ». Il s’agit là des dispositions du Code criminel concernant les témoins indépendants.

Cette définition comprend certaines choses que le médecin serait probablement en mesure de vérifier, mais je pense qu’il y a certaines choses qu’il ne serait pas nécessairement en mesure de certifier. Par exemple, il doit déterminer si la personne :

a) [...] sait ou croit qu’elle est bénéficiaire de la succession testamentaire de la personne qui fait la demande ou qu’elle recevra autrement un avantage matériel, notamment pécuniaire, de la mort de celle-ci [...]

Il y a quelques autres éléments pour lesquels je suis moins sûre de savoir s’il faut faire appel au témoin indépendant ou si le médecin est la bonne personne pour les certifier. J’aimerais connaître votre avis à ce sujet.

La sénatrice Wallin [ + ]

Les circonstances et les changements législatifs, l’affaire Truchon et les mesures prises au Québec nous ont amenés là où nous en sommes aujourd’hui, et je pense que tout cela va modifier l’étude et la réponse du comité, voire les définitions. C’est pourquoi j’ai présenté les choses ainsi, c’est-à-dire qu’il faut se pencher sérieusement sur cette question.

Nous ne sommes pas ici pour la facilité, mais pour faire les choses difficiles. Nous devons trouver la bonne voie à suivre.

Les médecins sont toujours assujettis au Code criminel du Canada. Ils doivent bénéficier d’une sécurité et d’une protection adéquates. Ils doivent pouvoir disposer d’autres sources d’information, en particulier s’ils ne connaissent pas le patient ou la personne concernée, pour une raison quelconque. Voilà pourquoi il est si important de constituer un dossier au fil du temps. S’il n’y a qu’un seul survivant qui va hériter de plusieurs millions de dollars, il doit y avoir d’autres preuves à l’appui.

Je connais des situations où un époux et deux enfants se sont littéralement retrouvés de trois côtés de la question, plutôt que deux. Il est impossible de prédire, d’anticiper ou d’empêcher ce qui va se passer. Les personnes qui ont convenu avec leur mère, avec leur proche, qu’elle pouvait faire ce qu’elle voulait, quand elles en arrivent là, quand le moment arrive, elles perdent leur volonté et leur capacité de participer à la situation. La personne concernée doit également être protégée dans cette situation.

Mes deux principales préoccupations sont la personne qui a fait cette demande et la personne qui doit y répondre. Nous devons trouver toutes les façons possibles de les protéger toutes les deux, afin que le patient obtienne ce dont il a besoin et que le prestataire soit protégé. Il en sera ainsi jusqu’à ce que nous retirions ce type de question du Code criminel et que nous en fassions une question de soins de santé.

Compte tenu des circonstances, le Québec a fait de son mieux en demandant à ses procureurs de ne pas engager de poursuites. Ce n’est pas une bonne solution. Nous devons vraiment dire qu’il s’agit ici de la vie. Il s’agit de la fin d’une vie. Nous devons donner aux gens, j’y reviens sans cesse, le pouvoir de décider sur leur vie, et non les coincer dans une situation où ils doivent mettre fin à leurs jours dans des conditions horribles ou faire des réserves de somnifères. J’ai entendu tellement d’histoires à ce sujet que cela me rend malade.

Donnons ce choix aux gens. Protégeons toutes les personnes impliquées. Quel que soit le processus que nous mettrons en place, celui que nous jugerons le meilleur et que nous recommanderons, ce sera un pas en avant.

Je voudrais présenter un projet de loi visant à supprimer définitivement cette disposition du Code criminel. C’est une chose compliquée à faire. J’ai eu cette conversation avec les légistes plus souvent que je ne le souhaiterais.

Nous devons continuer à réaliser des progrès. Dans ce pays, la seule raison pour laquelle les gouvernements agissent et modifient la loi, c’est quand un tribunal intervient, lorsqu’une famille traverse une situation tragique ou difficile, qu’il s’agisse du cas d’Audrey Parker, de l’affaire Truchon ou de l’affaire Carter. Nous avons en mémoire Sue Rodriguez et même, dans notre propre province, l’affaire Robert Latimer.

Notre hésitation à prendre des décisions courageuses en tant que législateurs place certains de nos concitoyens dans des situations difficiles. Nous devons vraiment nous atteler à la tâche et faire quelques petits progrès vers le libre choix.

(À 20 h 5, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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