Affaires sociales, sciences et technologie
Motion tendant à autoriser le comité à étudier la prévention du suicide et les besoins en santé mentale des Canadiens--Suite du débat
16 juin 2020
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour parler de la motion présentée par mon honorable collègue, le sénateur Brazeau. Cette motion vise à autoriser le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie à examiner, afin d’en faire rapport, la prévention du suicide et les besoins en santé mentale des Canadiens, l’accent étant mis tout particulièrement sur les hommes et les garçons, et sur la surreprésentation des peuples autochtones en ce qui a trait au taux de suicide.
La santé mentale est un sujet très important sur lequel on ne s’est pas penché ouvertement avant les dernières années. Même aujourd’hui, les préjugés qui persistent font en sorte qu’il est difficile pour les personnes qui souffrent de problèmes de cet ordre de parler ouvertement de leur situation sans honte.
Je remercie le sénateur Brazeau d’avoir attiré l’attention sur cette question. Je lui en suis reconnaissant et je le félicite du courage dont il a fait preuve en parlant de son cas personnel dans cette enceinte. Il inspire bien des gens qui cachent leur souffrance et qui pensent que personne ne se soucie d’eux ou ne peut les comprendre.
De nombreuses questions sont préoccupantes en ce qui concerne la façon de composer avec les problèmes de santé mentale dans nos foyers, nos milieux de travail, nos collectivités et dans l’ensemble du pays. Toutefois, je me concentrerai aujourd’hui principalement sur les problèmes de santé mentale auxquels sont confrontés les agriculteurs.
Un sondage mené par le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail auprès de plus de 1 100 agriculteurs a révélé que 45 % des répondants étaient très fortement stressés et que 58 % présentaient des symptômes d’anxiété et 35 % des symptômes de dépression. Par surcroît, 40 % des répondants ont indiqué être réticents à l’idée de consulter un professionnel pour obtenir de l’aide.
Les agriculteurs sont pour la plupart des travailleurs indépendants qui évoluent dans un monde soumis à énormément de facteurs externes comme la température, le marché, la réglementation gouvernementale et maintenant la pandémie de COVID-19. Les agriculteurs peuvent très bien faire leur travail mais être quand même confrontés à de grands défis.
Financement agricole Canada, qui appuie les travaux concernant la santé mentale des agriculteurs et offre des ressources à ces derniers, a déterminé que la volatilité des marchés, les longues heures de travail, les querelles familiales, le manque de sommeil, des objectifs personnels irréalistes, les conditions météorologiques imprévisibles et l’incertitude quant aux rendements qui en découlent, la paperasse, les bris de machinerie, les frustrations créées par de la technologie défectueuse, la manipulation de matières dangereuses et le bien-être du bétail comptent parmi les principaux facteurs de stress des agriculteurs.
Les clubs 4-H du Canada offrent aussi des ressources en santé mentale aux jeunes des régions rurales. En général, les plus jeunes générations sont plus conscientisées et ouvertes en ce qui concerne les problèmes de santé mentale. Je crois qu’il est primordial de banaliser les discussions à ce sujet dès le plus jeune âge. Lorsque ces jeunes des 4-H exploiteront leur propre entreprise agricole, j’ose espérer que les préjugés seront chose du passé et qu’il sera normal de discuter de santé mentale dans le secteur agricole.
Comme je l’ai indiqué plus tôt, les agriculteurs travaillent souvent seuls, ce qui constitue un fardeau supplémentaire en matière de santé mentale. Plus que jamais auparavant, les agriculteurs souffrent de préjugés de la part de la population, qui a une image négative de l’agriculture. De nombreux agriculteurs estiment que les gens ont une perception négative de la manière dont ils traitent leurs animaux et leurs terres, et ce malgré la fierté qu’ils tirent de leur travail et de tout le soin qu’ils y apportent. Ils sont souvent ridiculisés en ligne et en personne par des groupes de militants qui remettent en question leur sens moral et leur intégrité et les traitent d’assassins, voire pire.
En mai 2019, le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes présentait son rapport intitulé Santé mentale : une priorité pour nos agriculteurs. Le rapport décrit les mesures que le gouvernement pourrait et devrait mettre en œuvre en réponse aux défis vécus par les agriculteurs et aux sources de stress qui les touchent. Ces mesures comprennent notamment d’examiner la manière dont sont menés les vérifications et les examens de la main-d’œuvre, de travailler au déploiement d’Internet haute vitesse dans les régions rurales, de concevoir des campagnes de sensibilisation concernant les défis en santé mentale qui touchent les agriculteurs, ainsi que les autres initiatives que le gouvernement met en place, y compris de veiller à « coordonner les différents efforts de recherche et de prévention visant la santé mentale des agriculteurs à l’échelle nationale ». Le rapport recommandait également le recours à des services téléphoniques et électroniques d’assistance en santé mentale destinés aux agriculteurs vivant dans des régions rurales.
Un autre rapport publié récemment par Gestion agricole du Canada indiquait une corrélation positive entre une bonne santé mentale chez les producteurs primaires et l’utilisation de pratiques de gestion d’entreprise à la ferme. Seulement 21 % des producteurs interrogés ont indiqué suivre un plan d’affaires écrit. Parmi eux, 88 % ont affirmé que l’utilisation d’un plan d’affaires écrit leur apportait une certaine tranquillité d’esprit et contribuait à réduire leur stress. Lorsque les événements se bousculent ou qu’ils nous dépassent, la planification des finances et des affaires est souvent la première à être négligée.
Le gouvernement offre plusieurs programmes de gestion des risques de l’entreprise, à savoir : Agri-protection, Agri-stabilité, Agri-investissement et Agri-relance. Or, le taux d’inscription à ces programmes est relativement peu élevé, surtout depuis que la couverture qu’ils offrent a diminué, en 2013. Bon nombre d’agriculteurs considèrent qu’ils n’en valent plus la peine, et divers regroupements agricoles, dont la Fédération canadienne de l’agriculture, souhaitent qu’on y apporte des changements. Chose certaine, s’ils étaient plus utiles pour les agriculteurs et si ceux-ci pouvaient s’en prévaloir plus aisément, ce serait déjà une bonne façon d’atténuer les problèmes de santé mentale qui les accablent.
Le monde agricole est essentiellement un monde d’hommes, et on sait que les hommes sont à la fois plus susceptibles de s’enlever la vie et moins susceptibles de demander de l’aide quand ils souffrent d’une maladie mentale. Je ne suis pas en train de dire que les agricultrices ont la vie plus facile, loin de là. Comme le disait le sénateur Brazeau dans sa proposition, il serait bien d’analyser les différences entre les sexes quand il est question de maladie mentale, car nous pourrions alors trouver des solutions mieux adaptées à chacun.
Il y a aussi des variations d’une région à l’autre. Même quand les agriculteurs demandent de l’aide, il arrive souvent que les services et les ressources se fassent plus rares dans les milieux ruraux que dans les centres urbains.
Les agriculteurs qui ont des problèmes de santé mentale ne peuvent pas s’absenter du boulot pour un temps comme la plupart d’entre nous. Pour eux, c’est souvent impossible. Ils doivent continuer à travailler, ce qui veut dire demeurer exposés aux mêmes facteurs de stress, ce qui ne fait qu’exacerber le problème.
Les agriculteurs ne sont qu’un des sous-groupes de Canadiens qui souffrent de problèmes de santé mentale. Tous ont besoin d’aide et méritent de l’aide. Je voulais parler des agriculteurs dans le présent débat, parce que, selon moi, la plupart des Canadiens n’associent pas la maladie mentale et le suicide au domaine de l’agriculture bien que ces problèmes y soient répandus. Bien entendu, les agriculteurs ne forment qu’un des nombreux groupes qui ont besoin d’aide.
Comme l’a souligné le sénateur Brazeau, les Autochtones du Canada sont grandement surreprésentés dans les statistiques sur le suicide. En fait, le sénateur a indiqué que les communautés inuites affichent les taux de suicide les plus élevés dans le monde. Il est évident, chers collègues, qu’il faut en faire davantage. Selon moi, une étude sénatoriale est un bon point de départ.
Merci, meegwetch.