Projet de loi sur la stratégie nationale pour la santé des sols
Deuxième lecture--Suite du débat
28 octobre 2025
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour parler du projet de loi S-230, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la protection, la conservation et l’amélioration de la santé des sols. Il s’agit de mon premier discours dans cette enceinte…
Pouvez-vous imaginer un agriculteur qui parle des sols?
Je dois admettre que j’ai dû bien me renseigner au moment de préparer mon discours. J’ai notamment appris que le débat à l’étape de la deuxième lecture porte principalement sur le principe ou le bien-fondé du projet. La Procédure du Sénat en pratique note :
Ce débat cherche alors à répondre à des questions telles : « Est-ce une bonne politique? », « Devrait-on aller de l’avant? » et « Est-ce que ce sera une bonne loi? ».
Une autre chose que j’ai apprise dans La Procédure du Sénat en pratique, c’est que le rôle du Sénat consiste avant tout à examiner soigneusement les projets de loi, à mener des études à long terme, à représenter les régions et à protéger les minorités linguistiques et les autres minorités.
Donc, si j’ai bien compris, notre tâche lors de la deuxième lecture du projet de loi S-230 consiste à déterminer collectivement s’il s’agit d’une bonne politique, et ma tâche personnelle consiste à examiner ce projet de loi du point de vue de ma région.
Selon le sommaire, le projet de loi S-230 exige que le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire élabore une stratégie nationale pour soutenir et promouvoir, partout au Canada, des initiatives visant à protéger et à améliorer la santé des sols. Il prévoit aussi la production de rapports sur la stratégie.
Le point de vue du sénateur Black est influencé par la région dans laquelle il habite : l’Ontario se heurte à des problèmes considérables, car une grande partie de ses terres agricoles sont à proximité de ses villes et risquent d’être converties en terrains résidentiels, industriels ou commerciaux. Dans ma province, la Saskatchewan, la situation est un peu différente. En fait, en ce qui concerne la santé des sols, nous avons connu de nombreuses réussites au cours des dernières décennies.
En 2016, Agriculture et Agroalimentaire Canada a publié un rapport intitulé L’agriculture écologiquement durable au Canada. Le rapport définit la qualité du sol comme « [...] l’aptitude du sol à soutenir la croissance des cultures sans se dégrader ni nuire à l’environnement ». La qualité du sol peut être dégradée par des processus naturels comme l’érosion, la salinisation, la perte de carbone organique et l’accumulation d’oligoéléments.
Le rapport d’Agriculture et Agroalimentaire Canada nous montre que, dans la plupart des provinces, la perte de sol due à l’érosion — c’est-à-dire les effets combinés du vent, de l’eau et du travail du sol — a diminué au cours de la période allant de 1981 à 2011. En 1981, seulement 29 % des terres cultivées étaient considérées comme à très faible risque. En 2011, cette proportion était passée à 61 %. Une grande partie de ce changement s’est produite dans les provinces des Prairies, grâce à l’adoption généralisée de méthodes favorisant la conservation des sols, en particulier la culture sans travail du sol.
En ce qui concerne la salinisation du sol, Agriculture et Agroalimentaire Canada indique qu’en 2011, 8 % plus de terres qu’en 1981 se trouvaient dans les catégories de risque « très faible » à « faible ». Cette amélioration s’explique en grande partie par la diminution de 78 % des mises en jachère et l’augmentation de 14 % des terres ayant une couverture végétale permanente. Une réduction des risques a été observée dans toutes les provinces des Prairies, et la baisse la plus importante a été enregistrée en Saskatchewan.
Autre bonne nouvelle, la teneur en carbone organique du sol des Prairies augmente, principalement en raison d’une réduction de l’intensité du travail du sol et des mises en jachère.
On peut lire ceci sur la page Web d’Agriculture et Agroalimentaire Canada sur la matière organique du sol :
Environ 60 % de la matière organique du sol provient du carbone. Les plantes captent le dioxyde de carbone de l’atmosphère au cours de la photosynthèse. Ce carbone est converti en forme solide dans les tissus végétaux. Les animaux et microorganismes consomment les plantes, puis ce carbone est intégré dans le réseau alimentaire. Lorsque les plantes et les animaux meurent, leurs tissus se décomposent. Au cours de ce processus, la majeure partie du carbone retourne dans l’atmosphère. Cependant, une petite partie de ce carbone organique se transforme en matière organique du sol qui ne se décompose pas aussi facilement.
Il s’agit des racines des plantes. Quand on cultive sans travailler le sol, les racines restent dans le sol et ne pourrissent pas. L’air ne les atteint pas et elles ne se transforment pas en carbone. En termes simples, c’est ainsi que fonctionne le cycle du carbone. Les améliorations relatives à la matière organique sont principalement attribuables au fait que le sol n’a pas été travaillé et que les racines n’ont pas été exposées à l’air.
La matière organique du sol fixe ses particules les unes aux autres. Cela permet de stabiliser la structure du sol; de réduire l’érosion; d’améliorer la capacité du sol de stocker et de transporter l’air, l’eau et les éléments nutritifs; d’améliorer la maniabilité du sol ou son état d’ameublissement; de lier les substances potentiellement nocives, par exemple les métaux lourds et les pesticides, ce qui réduit leurs effets néfastes sur l’environnement; et d’agir comme un réservoir de stockage pour le dioxyde de carbone capté dans l’atmosphère.
Dans les Prairies, nous corrigeons d’anciennes pratiques qui ont causé la dégradation des sols. Comme le soulignent Lana Awada et ses coauteurs dans un article publié en 2014 dans la revue International Soil and Water Conservation Research :
Dans les années 1930, les Prairies ont connu une période de grande sécheresse et de tempêtes de poussière. Par conséquent, cette période a été baptisée « les sales années 1930 »; la région faisait alors partie du « bol de poussière » [...]
Comme le souligne Mme Awada, face à la crise du bol de poussière, les gouvernements, les fermes expérimentales, les universités et les agriculteurs ont œuvré de pair. Les agronomes pédologues ont confirmé que le travail du sol devait être réduit au strict minimum, que la terre ne devait être travaillée que pour lutter contre les mauvaises herbes et que les résidus de cultures et de mauvaises herbes devaient rester en surface pour réduire l’érosion du sol.
En 1935, le gouvernement fédéral a mis en place l’Administration du rétablissement agricole des Prairies, ce qui comprenait la création de sous-stations expérimentales, d’associations pour le progrès de l’agriculture, de pâturages communautaires, de projets d’approvisionnement en eau et de programmes d’aménagement de brise-vent. L’Administration du rétablissement agricole des Prairies a collaboré avec des fermes expérimentales, des universités, des organismes provinciaux et des agriculteurs pour favoriser le partage de connaissances et la rétroaction dans le but de mettre au point des pratiques agricoles plus durables.
Les associations pour le progrès de l’agriculture ont facilité l’échange d’information entre les différents membres du réseau. Cependant, ces progrès ont coïncidé avec la Grande Dépression, qui a poussé les agriculteurs à donner la priorité à leur survie immédiate. La conjoncture étant difficile, le travail du sol favorable à la conservation n’était pas la norme.
Après l’introduction du paraquat, un herbicide, et de certains semoirs pour semis direct dans les années 1960, des chercheurs expérimentant des systèmes de semis direct à faible perturbation ont rapporté que les rendements de ce système étaient aussi bons que ceux des systèmes de travail du sol traditionnels. Les premiers adeptes de la technologie du travail du sol favorable à la conservation ont partagé leurs connaissances avec les associations de travail du sol favorable à la conservation, les agents, les scientifiques, les représentants des fabricants d’équipement et d’autres agriculteurs. Néanmoins, les obstacles à l’adoption du travail du sol favorable à la conservation ont persisté dans les années 1970. Dans les années 1980, cependant, le problème de la dégradation des sols, aggravé par la sécheresse, est réapparu.
Mme Awada note que trois publications ont contribué de manière importante à faire comprendre l’importance de la dégradation des sols au Canada : Land Depletion and Soil Conservation Issues on the Canadian Prairies, de l’Administration du rétablissement agricole des Prairies; Will the Bounty End?: The Uncertain Future of Canada’s Food Supply, de Garry Fairbairn; et Nos sols dégradés : le Canada compromet son avenir, du Comité sénatorial permanent de l’agriculture, des pêches et des forêts — comme il s’appelait à l’époque —, alors qu’il était présidé par le sénateur Herb Sparrow.
Mme Awada écrit que le rapport du sénateur Sparrow a ouvert la voie à la création du Conseil canadien de conservation des sols et de la société pour la conservation des sols de la Saskatchewan. Ces organismes ont ensuite répondu aux questions des agriculteurs, fourni une assistance technique, organisé des journées champêtres et des ateliers sur l’utilisation efficace des techniques de travail de conservation du sol et offert du soutien social et moral.
Puis, dans les années 1990, le prix de l’herbicide glyphosate a baissé, celui du carburant a augmenté et les taux d’intérêt ont diminué. La jachère d’été et le travail traditionnel du sol sont devenus plus coûteux que le travail de conservation, ce qui a incité les agriculteurs à profiter des taux d’intérêt plus bas pour investir dans des machines.
Aujourd’hui, plus de 75 % des terres cultivées dans les Prairies font l’objet d’une forme ou d’une autre de travail de conservation du sol, et plus de 50 % sont cultivées sans travail du sol.
Cependant, dans les régions du Canada à l’est du Manitoba, le carbone organique du sol est généralement en diminution en raison de la conversion constante des prairies artificielles et des prairies de fauche en cultures annuelles ou en zones aménagées.
Au cours des sales années 1930, le gouvernement fédéral a créé l’Administration du rétablissement agricole des prairies, ou ARAP. Dans les années 1980, l’ARAP a publié un rapport qui a grandement contribué à faire comprendre l’importance de la dégradation des sols au Canada. Il en va de même pour le rapport rédigé par le Comité sénatorial permanent de l’agriculture, des pêches et des forêts. Ce que je veux dire, c’est que le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer en matière de santé des sols.
Selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, en 2021, plus de la moitié des terres cultivées du centre du Canada et du Canada atlantique présentaient un risque élevé de dégradation des sols en raison de la perte de carbone organique.
Nous devons également faire preuve de vigilance dans l’Ouest canadien. Les prairies accumulent et stockent le carbone, purifient l’eau, atténuent les risques d’inondation et constituent l’habitat des espèces des prairies. Mais plus de 80 % des prairies canadiennes ont disparu au profit de la production agricole ou du développement urbain.
Le sol est à la base de toutes les activités au Canada, que ce soit dans le Nord, le Sud, l’Est ou l’Ouest, dans les zones urbaines ou rurales. C’est pourquoi la protection, la conservation et l’amélioration des sols sont si importantes pour toutes les régions du pays. La santé des sols peut être améliorée grâce à des pratiques de gestion qui ajoutent du carbone aux sols, comme la réduction de la jachère d’été, la réduction du travail du sol, la plantation de cultures à résidus élevés et l’épandage de fumier, ainsi que par la préservation des zones naturelles qui accumulent et stockent le carbone. Cela profite à tous.
Bref, chers collègues, j’estime que le projet de loi S-230 est une bonne politique et je suis fier de l’appuyer à l’étape de la deuxième lecture. Je vous remercie.
Souhaitez-vous poser une question, sénateur Black?
S’il vous plaît, oui. Mon collègue accepterait-il d’y répondre?
Oui.
Merci. Les témoins que nous avons entendus pour la rédaction du rapport sur la santé des sols nous ont dit qu’il existe de grandes disparités entre les régions. Je félicite d’ailleurs l’Ouest du pays, et plus particulièrement la Saskatchewan, car nous avons entendu de bonnes nouvelles sur la santé des sols là-bas.
Je connais l’épaisseur de la couche arable dans ma région de la province, mais j’aimerais en connaître l’épaisseur dans votre ferme, en Saskatchewan.
Nous sommes dans un secteur unique, au sud de Regina. Il s’agit en fait d’anciens fonds marins, et sur une partie des terres près de ma ferme, l’inclinaison est d’à peine un pouce sur plus de trois miles. C’est vous dire à quel point c’est plat. La couche arable fait 25 pieds. Il n’y a donc pas de puits. Il n’y a pas d’eau souterraine. Il faut creuser des mares-réservoirs, et certaines peuvent atteindre 25 pieds de profondeur. Nous étendons la terre sur la surface du sol et nous l’ensemençons l’année suivante. Bref, notre région n’a pas vraiment de profil pédologique. Il n’y a que de la terre noire.
Pour ce qui est du succès que connaît l’Ouest du pays, si j’en parle, c’est parce qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire et protéger nos sols.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Oui.
La question est la suivante : serait-il possible d’expédier une partie de ces sols jusqu’aux Maritimes?
Je ne suis pas certain que le réseau ferroviaire soit adapté à un tel projet.