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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

16 mai 2019


Propose que le projet de loi C-84, Loi modifiant le Code criminel (bestialité et combats d’animaux), soit lu pour la deuxième fois.

—Honorables collègues, je prends la parole aujourd’hui à titre de marraine du projet de loi C-84, Loi modifiant le Code criminel en ce qui a trait à la bestialité et aux combats d’animaux, qui propose des modifications visant à renforcer les protections contre la bestialité et les combats d’animaux. C’est le premier projet de loi que je parraine. Si j’ai choisi ce projet de loi, c’est parce qu’il revêt une importance personnelle pour moi, notamment en tant que femme autochtone. Je suis profondément honorée de parler au nom de mes amis animaux.

Avant de commencer à parler du projet de loi, je veux brièvement expliquer les raisons pour lesquelles j’ai choisi de discuter de ce projet de loi aujourd’hui.

En réfléchissant au projet de loi, je me suis posé la question suivante : « Qu’est-ce qui différencie les êtres humains des autres animaux? » J’ai pensé au fait que les êtres humains répètent souvent qu’ils sont différents des autres animaux. À ma grande surprise, beaucoup de différences me sont rapidement venues à l’esprit qui semblaient confirmer ce statut distinct.

Par exemple, comme d’autres personnes l’ont fait, je pourrais dire que ce qui nous distingue des autres animaux, c’est la croyance que nous avons une capacité de raisonner qu’ils ne possèdent pas. Je pourrais aussi affirmer que ces différences résident dans le fait que, contrairement aux autres animaux, nous pouvons posséder des biens, et que nous sommes dotés de compassion et d’un sens moral. Les exemples sont nombreux.

En réfléchissant à tout cela, j’ai réalisé que des arguments du même genre avaient été utilisés pour séparer les Autochtones du reste de la société, de la même manière que la colonisation avait soumis les peuples autochtones à des traitements odieux en vertu de lois faites par d’autres, parce que nous étions considérés comme n’appartenant pas à la race humaine, parce que trop proches de la nature et donc peu civilisés.

En dépit de nos farouches tentatives pour prétendre que nous sommes différents les uns des autres, notre interdépendance demeure. De la même manière que pour définir le concept de civilisé, il faut savoir définir le concept de sauvage ou de fruste, savoir définir ce qu’est un humain signifie savoir définir ce qu’est un animal.

En prétendant nous distinguer l’un de l’autre, nous démontrons notre interdépendance. En effet, quoi que nous fassions pour éviter cela, nous sommes dépendants de toutes nos autres connexions à tous les égards.

Pour dire les choses clairement, chez les Autochtones, on intègre et on reconnaît cette interdépendance ou cette interconnexion. Nous ne sommes pas des unités indépendantes, mais plutôt la somme de toutes nos connexions et notre bien-être individuel dépend de ces connexions. C’est quelque chose que je connais très bien puisque j’ai passé ma vie à étudier comment la santé physiologique d’une personne est déterminée par la vigueur du lien qui la lie à sa culture et à sa famille.

J’ai également entendu mes collègues souligner, au sujet de questions environnementales, que la viabilité de notre espèce et de la planète tient à la reconnaissance de notre dépendance et interdépendance par rapport aux ressources naturelles ainsi qu’au maintien de relations saines et sages avec celles-ci.

Nous en sommes venus à comprendre que nous devons protéger et nourrir nos relations avec le monde naturel si nous voulons nous nourrir nous-mêmes. Cela dit, la question demeure  : quels êtres devraient être considérés comme étant les sujets de toutes nos relations et de nos protections?

Le cercle d’influences nous guide et nous indique clairement non seulement qu’il existe une interdépendance entre nous, les bipèdes humains, mais que cette interdépendance s’étend également dans tous les sens pour englober les quadrupèdes, les êtres dotés de branchies et les êtres ailés.

Par conséquent, si nous voulons reconnaître et honorer toutes nos connexions, de même que l’interdépendance qui existe, nous devons, en tant que sénateurs, agir pour nourrir et protéger nos relations avec tous les êtres, y compris les animaux, qui, comme les Autochtones avant eux, sont laissés en marge dans les lois et sont, par conséquent, plus vulnérables à la violence. Voilà une chose que le projet de loi vise à rectifier.

Le projet de loi jouit d’un vaste appui parmi les parlementaires et les parties intéressées. Il apporterait des modifications importantes au Code criminel en remédiant à deux lacunes législatives. Ces modifications refléteront mieux les convictions de la grande majorité des Canadiens, qui trouvent odieuse la cruauté envers les animaux, sous toutes ses formes.

Honorables sénateurs, je vais vous expliquer comment nous pouvons combler certaines lacunes législatives en ce qui concerne la bestialité et les combats d’animaux. De plus, je vais vous montrer dans quelle mesure le projet de loi C-84 permet d’offrir un niveau plus élevé de justice aux animaux et une meilleure protection aux enfants et aux autres personnes vulnérables, et de quelle façon le projet de loi reflète nos valeurs communes.

J’aimerais notamment souligner les efforts de mes collègues parlementaires Nathaniel Erskine-Smith et Michelle Rempel, qui sont des défenseurs infatigables du bien-être des animaux et qui ont persévéré pour faire adopter ce projet de loi à l’autre endroit.

J’aimerais également remercier le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, ainsi que tous les témoins et les intervenants qui y ont comparu pour leurs réflexions approfondies.

Les travaux du comité ont mené à des amendements au projet de loi qui, à mon avis, l’ont renforcé davantage et pour lesquels le gouvernement a également manifesté son appui.

Les Canadiens se sont aussi montrés favorables au projet de loi au moyen de pétitions en ligne qui demandent au gouvernement d’adopter cette mesure législative rapidement.

L’infraction de bestialité a été définie dans le Code criminel pour la première fois en 1892. La bestialité n’a jamais été définie dans une loi canadienne. En effet, les dispositions canadiennes sur la bestialité proviennent d’anciennes lois britanniques. Il est maintenant temps de procéder à une modernisation et d’ajouter des protections pour les êtres les plus vulnérables.

Présentement, le Code criminel comporte trois infractions en matière de bestialité : la première concerne le fait de commettre un acte de bestialité, ce qu’on appelle la bestialité simple; la deuxième concerne le fait de forcer une autre personne à commettre un acte de bestialité; la troisième concerne le fait de commettre un acte de bestialité en présence d’une personne âgée de moins de 16 ans ou d’inciter cette personne à commettre un acte de bestialité.

Le projet de loi C-84 ne modifie pas les peines maximales relatives à ces infractions. Une personne mise en accusation est passible d’une peine de 10 à 14 ans.

La première réforme amenée par le projet de loi C-84 est l’ajout d’une définition de la bestialité à l’article 160 du Code criminel, celui où se trouvent les trois infractions en matière de bestialité que je viens de décrire.

Le projet de loi C-84 propose d’élargir la définition de la bestialité afin qu’elle comprenne :

[...] tout contact, dans un but sexuel, avec un animal.

Cette définition vient répondre à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. D.L.W.. Il s’agissait d’une affaire troublante d’agression d’enfant impliquant des animaux.

Sans entrer dans les détails, je dirai que cette affaire impliquait un accusé qui a été reconnu coupable de nombreuses infractions d’ordre sexuel commises contre ses deux belles-filles sur une période de 10 ans, y compris un chef d’accusation de bestialité mettant en cause un chien. S’interrogeant sur le sens du mot « bestialité », la cour a examiné l’interprétation faite de ce mot par le passé en common law. Elle a statué que, en common law, la bestialité se limitait uniquement à la pénétration sexuelle impliquant un animal. La cour a déclaré que tout élargissement de cette définition relevait entièrement de la compétence du Parlement, et non des tribunaux. L’accusé dans l’affaire D.L.W. a été acquitté du chef d’accusation de bestialité.

En gros, cette décision risque de normaliser un comportement sexuel relevant de la dépravation. Elle compromet le bien-être des animaux au Canada et entrave les efforts visant à lutter convenablement contre l’exploitation sexuelle des membres vulnérables de la société, comme les enfants et les animaux. Par conséquent, il est essentiel de combler cette lacune législative en définissant le mot « bestialité » de telle sorte qu’il signifie tout contact, dans un but sexuel, entre une personne et un animal.

L’expression « dans un but sexuel », qui est employée dans plusieurs autres dispositions du Code criminel, comme celles touchant la pornographie juvénile, le leurre par Internet et le fait de rendre accessible à un enfant du matériel sexuellement explicite, est clairement interprétée par les tribunaux comme voulant dire la preuve que l’acte, considéré objectivement, a été commis pour la gratification sexuelle de l’accusé. On s’attend à ce que l’interprétation de cette définition soit la même dans les cas de bestialité.

Encore une fois, quand le projet de loi a été étudié à l’autre endroit, des amendements ont été adoptés pour favoriser le respect de ses objectifs. Deux de ces amendements sont liés à la bestialité et sont fondés, en partie, sur des témoignages entendus par le comité.

Le premier amendement permettrait au tribunal, lorsque des individus sont reconnus coupables de bestialité, de rendre des ordonnances de prohibition relativement aux animaux et des ordonnances de dédommagement. L’ordonnance de prohibition interdirait à la personne déclarée coupable de bestialité d’être propriétaire d’un animal, d’en avoir le contrôle ou d’habiter un lieu où se trouve un animal pendant une période donnée pouvant aller jusqu’à une interdiction à vie.

De telles ordonnances sont déjà prévues à l’article 447.1 du Code criminel pour les infractions de cruauté envers les animaux. Il est logique que ce même pouvoir soit prévu pour la bestialité. Les personnes reconnues coupables de toute forme de bestialité ne devraient pas être autorisées à être propriétaires d’un animal, à en avoir le contrôle ou à avoir accès à un animal étant donné qu’on sait qu’elles sont capables d’une grande cruauté envers les animaux.

Il convient de noter qu’il a été jugé plus approprié de préciser ce pouvoir à l’article 160 que d’ajouter les infractions de bestialité à l’ordonnance de prohibition pour cruauté envers les animaux prévue dans l’article 447.1. Cette décision a été prise afin que, lorsque des poursuites sont entamées pour bestialité, la disponibilité des ordonnances soit plus évidente pour le procureur et le tribunal que si elles se trouvaient dans une autre partie du Code criminel.

La possibilité de rendre une ordonnance de dédommagement est également un aspect important de cet amendement au projet de loi C-84. Lorsqu’un animal est maltraité, il y a souvent des coûts importants associés aux soins médicaux, à la réadaptation et aux soins généraux. Ces coûts devraient être assumés par la personne qui a blessé l’animal et non par les braves gens et organismes qui sauvent et soignent l’animal pendant son rétablissement. De plus, de telles mesures favorisent la responsabilisation des délinquants, et j’appuie fermement ces modifications.

Le deuxième amendement exigerait que les personnes reconnues coupables d’avoir commis un acte sexuel avec un animal, c’est-à-dire de l’infraction de bestialité simple, soient inscrites au Registre national des délinquants sexuels. Les infractions d’incitation à commettre un acte de bestialité et de bestialité en présence d’enfants figuraient dans la version initiale de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. L’amendement permettrait de couvrir toutes les infractions de bestialité.

Même si l’infraction de bestialité simple ne constitue pas une infraction contre la personne au même titre que les autres infractions désignées, elle est tout de même considérée comme une infraction sexuelle. La définition de « bestialité » contenue dans le projet de loi C-84 le montre clairement : « [...] tout contact, dans un but sexuel, avec un animal. »

En appuyant l’amendement, le Comité de la Justice a fait référence à des témoignages entendus lors de l’étude du projet de loi C-84 selon lesquels, dans de telles situations, les animaux souffrent énormément. Une personne ou une société fait preuve de compassion et montre des signes de maturité quand elle commence à écouter la voix de ceux qui n’en ont pas. Les données scientifiques montrent de plus en plus que les animaux ont une vie émotionnelle riche. C’est ce que les scientifiques appellent la sentience, et, quand on prend le temps d’écouter notre cœur, on ressent facilement un lien avec les animaux.

Le projet de loi C-84 propose aussi de moderniser la loi entourant les combats d’animaux, et j’estime que les changements proposés sont tout aussi importants et nécessaires.

Les modifications législatives prévues dans le projet de loi s’attaquent de deux manières au problème des combats d’animaux. Premièrement, elles étendraient la liste des activités liées à l’industrie des combats d’animaux qui seraient interdites. Cette modification est contenue dans l’article 2 du projet de loi et elle vise l’infraction définie à l’alinéa 445.1(1)b) du Code criminel, qui concerne les combats d’animaux. Il serait désormais interdit d’encourager et d’organiser des combats d’animaux ainsi que de recevoir de l’argent relativement à ceux-ci. La définition de l’infraction serait ainsi plus large, ce qui faciliterait les poursuites. Interdire plus d’activités devrait amener des poursuites en vertu du Code criminel dans un plus grand nombre de cas.

La seconde modification prévue élargirait la portée de l’infraction concernant les arènes pour les combats d’animaux, de manière à ce que l’interdiction s’applique à n’importe quelle arène, quels que soient les animaux qui s’y battent. Cette modification est particulièrement importante quand on sait que les combats de chiens représentent la principale forme de combats d’animaux.

Les combats de chiens constituent un problème très réel et très sérieux au Canada. Alice Crook, qui est professeure auxiliaire au Collège vétérinaire de l’Atlantique, nous indique que la douleur ressentie par les chiens lors de ces combats est à la fois physique et affective. Un chien peut ressentir toutes sortes d’émotions et de souffrances allant de la colère à la peur, en passant par les sentiments de panique et d’impuissance, la douleur aiguë causée par les grosses morsures et le déchirement des tissus ainsi que la douleur chronique et les malaises issus des blessures aux nerfs, aux muscles, aux tendons et aux os.

Les combats prennent fin quand un animal meurt, se soumet ou est gravement blessé. Dans un combat ou un entraînement au combat, pouvant inclure un animal servant d’appât, on observe parfois chez les chiens certains comportements comme des appels de détresse, des tentatives de se retirer ou de fuir, des comportements défensifs, des gestes d’apaisement ou de soumission et des tremblements.

Honorables sénateurs, vous vous demandez peut-être ce qu’on entend par « animaux servant d’appât ». Ce sont des animaux habituellement utilisés pour l’entraînement, comme de petits chiens, mais aussi des chats, des lapins ou des chatons.

Ce sont là des atrocités, et quiconque en entend parler ne peut qu’être indigné. Le projet de loi C-84 vise à remédier à ces situations, et je suis fortement d’accord pour qu’on prenne des mesures pour lutter contre ce grave problème.

Le comité de la justice a adopté un troisième amendement concernant les combats d’animaux. Il propose d’abroger le paragraphe 447(3) du Code criminel. Cette disposition prévoit la destruction des oiseaux trouvés dans une arène pour combats de coqs. Cette disposition est un reliquat du passé et a été incluse dans la loi parce que les oiseaux sont souvent blessés ou entraînés pour être agressifs et ne peuvent être gardés avec d’autres oiseaux. Toutefois, elle n’est pas en phase avec les interventions modernes auprès des animaux maltraités, d’où la proposition de supprimer cet article.

Je ne crois pas qu’un être, qu’il soit humain ou animal, soit fondamentalement violent. Le pire, à mon avis, c’est qu’on exploite et qu’on manipule la réaction de peur de ces chiens en les enlevant à leurs familles et en les habituant à vivre dans la peur, et donc à avoir peur des autres personnes et des autres chiens. Le résultat sert ensuite à alimenter une forme méprisable de divertissement.

Si le motif des changements législatifs est de punir ceux qui forcent cruellement des animaux à vivre dans la peur et la violence, je crois sincèrement qu’il faut prendre des mesures pour réhabiliter et guérir ces animaux. Nous ne devons pas oublier qu’ils sont les victimes de ces crimes et, par conséquent, nous devons veiller à ce qu’ils ne soient pas simplement euthanasiés et que les intervenants évaluent leurs besoins sur une base individuelle pour assurer leur sécurité et leur réhabilitation.

Les liens entre les mauvais traitements infligés aux enfants et la cruauté envers les animaux sont bien fondés. J’ajouterais que les pratiques comme l’organisation de combats de chiens sont souvent liées à d’autres formes de criminalité. Même si je ne pense pas qu’il existe des études universitaires qui lient les combats de chiens au crime organisé au Canada, les agents de la paix ont rapporté avoir trouvé des armes à feu et des stupéfiants sur les lieux des combats de chiens. On a fait écho à cette préoccupation à l’autre endroit; elle constitue un facteur important de la protection des animaux.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-84 est une mesure législative d’une grande importance. Les modifications qu’il propose renforceraient grandement les protections offertes aux enfants, aux personnes vulnérables et aux animaux. Beaucoup de gens sont favorables à ce projet de loi parce qu’il établit un lien entre des actes cruels envers les animaux et des problèmes sociaux comme la maltraitance des enfants, les jeux de hasard et le crime organisé. Il ne faudrait toutefois pas oublier que les animaux font partie de notre société et que nous vivons avec eux depuis des temps immémoriaux. Les animaux et les êtres humains sont interreliés et interdépendants de mille et une façons.

Le projet de loi C-84 représente un petit pas en avant, puisqu’il accorderait plus de protections à ces êtres sensibles, des créatures comme nous, auxquelles nous sommes liés. Il représente une modeste amélioration de la législation archaïque qui encadre le bien-être des animaux au Canada.

Renvoyons ce projet de loi au comité le plus tôt possible. Profitons de cette occasion historique pour améliorer le sort de ces êtres vulnérables et sans voix.

Merci. Meegwetch.

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