Projet de loi sur la stratégie nationale pour les enfants et les jeunes
Deuxième lecture--Suite du débat
11 avril 2024
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-282, Loi concernant une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes au Canada.
En tant que pédiatre, mère, grand-mère et maintenant sénatrice, je veux remercier la sénatrice Moodie d’avoir présenté ce projet de loi. Il est particulièrement pertinent maintenant, à cette époque, en ce lieu, à ce moment de notre histoire, alors que le pays fait face à divers chocs mondiaux, comme la relance après une pandémie historique dont les effets à long terme se révèlent maintenant à nous, alors que nous nous heurtons aux changements climatiques, à l’instabilité économique, aux guerres et aux menaces pesant sur la sécurité, au déclin de la productivité, à une crise de l’innovation et de l’abordabilité, aux vastes répercussions d’Internet, des médias sociaux et de l’intelligence artificielle, à une crise nationale du logement, au déclin de l’apprentissage, à l’absentéisme scolaire croissant, à la pauvreté infantile et à l’insécurité alimentaire, au nombre record d’enfants et de jeunes aux prises avec l’anxiété et la dépression ainsi qu’à la crise continue dans nos systèmes de soins de santé, y compris ceux qui touchent les enfants.
Ce discours est dédié à mes petites-filles, les jumelles Hope et Faith. L’espoir, c’est que notre pays, avec le concours des parlementaires et des sénateurs, poursuivra la vision et la promesse du travail réalisé par d’autres personnes, en particulier celui d’une autre grande Canadienne, la sénatrice Landon Pearson, défenderesse active des intérêts des enfants. L’acte de foi, c’est qu’en tant que société, nous ferons le travail de fond nécessaire pour libérer la promesse et le potentiel de ce pays qui est le nôtre.
Il s’agit d’une période critique dans le développement du Canada. Nelson Mandela a déjà dit que rien n’était plus révélateur de l’âme d’une société que la façon dont elle traite ses enfants.
Le Canada a réalisé des progrès majeurs dans son engagement à atteindre les résultats visés pour les enfants et les familles. Cependant, nous avons dévié de notre course et nous nous sommes laissé distraire. Nous avons perdu du terrain.
Le projet de loi S-282 vise à nous remettre sur les rails et à recentrer notre énergie sur nos buts, nos objectifs et nos résultats en ce qui concerne les enfants et les familles. Au fond, il s’agit de savoir qui nous sommes en tant que nation.
Chers collègues, nous sommes appelés à inscrire nos valeurs dans la loi, comme nous l’avons fait avec la Constitution et avec la Charte canadienne des droits et libertés. Ne nous y trompons pas : notre monde est le fruit des mots, de nos mots. Ce que nous écrivons, disons et faisons est important et façonne notre réalité et notre avenir collectif.
Oui, nous devons continuer à perfectionner notre fédéralisme coopératif en tenant compte de la répartition des pouvoirs et des responsabilités entre les instances fédérales, provinciales, territoriales et autochtones, et en devenant une société plus inclusive. Nous devons revoir nos priorités, comme l’indique le préambule de ce projet de loi, en respectant la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, en donnant suite à notre engagement en faveur de la vérité et de la réconciliation auprès des Premières Nations, des Inuits et des Métis, et en tenant compte des jeunes vulnérables, marginalisés, noirs et racisés, des jeunes LGBTQAI+ et bispirituels, des enfants et des jeunes handicapés. J’ajouterais qu’il nous faut respecter nos engagements au sujet des droits relatifs aux langues officielles et des droits linguistiques des minorités.
Le parcours législatif du projet de loi S-282 fait fond sur le projet de loi C-371. En effet, en 1993, le gouvernement du Canada a adopté la Loi sur la journée de l’enfant. Depuis, la Journée nationale de l’enfant est célébrée le 20 novembre et marque l’adoption de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, ratifiée en 1989. Le projet de loi dont nous sommes saisis s’appuie aussi sur la vie et le travail politique de la sénatrice Landon Pearson, sur les objectifs communs de différentes tables de concertation provinciales, territoriales et autochtones, et sur la Stratégie nationale du Canada pour le Programme 2030.
Ce qu’il faut faire maintenant, chers collègues, c’est inscrire dans la loi ces politiques et programmes en cours qui représentent nos valeurs. Nous disposons de tous les ingrédients nécessaires.
Pour faire valoir l’importance de ce projet de loi, je propose de vous parler, encore une fois, du travail de la sénatrice Landon Pearson, des conclusions du Bilan Innocenti 18 de l’UNICEF, des tendances qui se dégagent des données du Carrefour de données liées aux objectifs de développement durable de Statistique Canada, d’un rapport récent du Conference Board of Canada et des anecdotes tirées de ma propre expérience professionnelle. J’espère montrer que l’absence d’une stratégie et d’un plan cohérents nuit à nos enfants et nous coûte des billions de dollars.
Chers collègues, en 2004, la sénatrice Landon Pearson a dirigé les travaux et la publication du rapport historique intitulé Un Canada digne des enfants. Le rapport établit une feuille de route visant à concrétiser une vision canadienne commune pour les enfants, un plan d’action pour créer un Canada digne des enfants. Il définit des stratégies, des objectifs et des mesures.
Le rapport précise aussi les indicateurs et les résultats qui pourraient être utilisés pour suivre les progrès et rester sur la bonne voie. Il se termine par un résumé impressionnant des investissements et des engagements du gouvernement du Canada en faveur des enfants.
Malheureusement, chers collègues, nous avons dévié de notre course. Voici quelques statistiques qui donnent à réfléchir. Le Bilan Innocenti 18 de l’UNICEF compare les niveaux de pauvreté chez les enfants dans les pays les plus riches, les progrès réalisés par ces pays pour mettre fin au problème et l’efficacité des politiques adoptées pour protéger tous les enfants contre la pauvreté. Le Canada se classe au 19e rang sur 39 pays à ce chapitre. Plus de 1 million d’enfants grandissent dans la pauvreté. Ces chiffres datent de 2021, et nous savons qu’ils sont en hausse.
En 2022, les enfants avaient les taux d’insécurité alimentaire les plus élevés de tous les groupes, ce qui représente 1,8 million d’enfants. Qui plus est — écoutez bien cela, chers collègues —, la mortalité des enfants de moins de 5 ans se situait au 34e rang, alors qu’elle était au 12e rang en 2013.
Je souligne également que tous ces paramètres sont amplifiés chez les enfants et les jeunes noirs, autochtones et vulnérables. Le taux de suicide chez les jeunes autochtones est l’un des plus élevés au monde. Le Canada a du mal et ne parvient pas à respecter ses engagements relatifs au principe de Jordan ni à financer pleinement les services sociaux et de protection de l’enfance pour les enfants autochtones.
Chers collègues, au regard de l’objectif 3 du carrefour de données de Statistique Canada relatif aux objectifs de développement durable, soit « Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge », et des cibles et indicateurs pour l’adoption de comportements sains, par exemple, que d’ici le 31 mars 2022, 30 % des Canadiens déclarent consommer des fruits et des légumes au moins 5 fois par jour, nous sommes dans la zone rouge et la situation se détériore. C’est ici que le programme national d’alimentation en milieu scolaire annoncé récemment pourrait être utile. Jusqu’à maintenant, les recherches ont montré que ce genre de mesures fonctionnent, améliorent le rendement scolaire et les indicateurs de la nutrition et pourraient réduire l’obésité chez les enfants.
En ce qui concerne le taux de vapotage, une autre cible est de réduire à moins de 10 % d’ici 2030 le nombre d’élèves de la 7e à la 12e année qui rapportent avoir utilisé un produit de vapotage dans les 30 derniers jours. Selon les cibles et les indicateurs, nous sommes déjà en zone rouge et la situation se détériore. Quant à la consommation abusive d’alcool chez les 12 à 17 ans, là aussi, nous sommes en zone rouge et la situation se détériore.
Comme l’a mentionné la sénatrice Greenwood dans son discours, il y a quelques semaines, l’outil d’évaluation des répercussions sur les droits de l’enfant peut être utilisé au Canada, mais rien n’oblige les gouvernements à s’en servir. L’outil vise à aider les gouvernements et les organisations non gouvernementales à vérifier si les politiques qu’ils proposent amélioreront le bien-être des enfants et des jeunes. Il s’agit d’une approche qui repose sur les droits de l’enfant.
La sénatrice Greenwood avait mentionné que :
[...] si le gouvernement du Canada peut imposer l’égalité des sexes, le respect de la vie privée et la protection de l’environnement dans ses processus décisionnels, il est temps pour nous d’inclure une évaluation des répercussions sur les droits de l’enfant.
Merci, sénatrice Greenwood. C’est vraiment un honneur de travailler à vos côtés.
De récents rapports indiquent une augmentation de l’absentéisme dans les écoles primaires et secondaires. Cela dit, il n’existe pas d’ensemble de données national sur l’absentéisme dans les écoles au Canada.
Selon un article publié par la CBC il y a quelques semaines, Maria Rogers, psychologue pour enfants et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la santé mentale et le bien-être des enfants et des adolescents à l’Université Carleton, a dit :
Si nous ne disposons pas de données qui montrent que nos enfants s’absentent beaucoup de l’école, bien plus que par le passé [...] il est facile de fermer les yeux sur le problème [...]
Elle a ajouté : « [...] de façon générale, la réussite scolaire est l’un des meilleurs indicateurs mondiaux d’une vie d’adulte saine. »
Chers collègues, les données et les tendances sont irréfutables. Ce que nous faisons ne fonctionne pas. Nous nous trouvons à un point d’inflexion, à la croisée des chemins, et nous devons décider comment nous allons relever ce défi et nous montrer à la hauteur des circonstances.
Les recommandations importantes du Bilan Innocenti 18 de l’UNICEF méritent d’être lues. Je souhaite mettre l’accent sur l’une d’entre elles, qui consiste à instaurer un système de suivi budgétaire axé sur les enfants pour l’allocation et l’utilisation des ressources dans le cadre du budget.
Permettez-moi de vous raconter quelques anecdotes tirées de ma propre expérience.
Ayant consacré ma carrière au bien-être des enfants, à l’instar de beaucoup d’entre vous, et ayant travaillé dans le domaine de la santé mentale des enfants pendant la majeure partie de ma carrière de pédiatre, la compréhension des déterminants sociaux de la santé comprenant un paradigme écologique, qui est une approche écologique, biologique et psychosociale, m’a aidé à trouver la meilleure voie à suivre avec les patients et leurs familles.
Lorsqu’un enfant m’était adressé pour des problèmes de comportement, il était important de comprendre que plusieurs facteurs pouvaient contribuer à sa présence devant moi. S’agissait-il d’un problème d’ouïe ou de vision, d’un problème d’apprentissage, ou peut-être d’un TDAH? La pauvreté, un logement inadéquat, ou un parent aux prises avec des problèmes de santé mentale pouvaient aussi entrer en ligne de compte. Cette compréhension me permettait de défendre l’intérêt supérieur de l’enfant.
C’était extrêmement complexe parce qu’on a affaire à des systèmes cloisonnés dans des systèmes de soins cloisonnés, et à l’intersection des systèmes de santé, d’éducation, sociaux et de justice.
Cette situation perdure au sein des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, des agences et des organisations malgré les appels à l’action et les ententes de partenariat.
Enfin, chers collègues, permettez-moi d’attirer votre attention sur un rapport du Conference Board du Canada intitulé Nurturing Minds for Secure Futures, publié en décembre 2023, et sur le coût de l’absence d’une stratégie pour l’ensemble de la société. Parmi les principales constatations, on estime que 1,6 million d’enfants et de jeunes au Canada souffrent d’un trouble de santé mentale.
Ce rapport ajoute :
En l’absence d’investissements opportuns, le coût à vie d’une seule cohorte d’enfants présentant un début d’anxiété ou de dépression à l’âge de 10 ans s’élève à près de 1 billion de dollars.
Il conclut également qu’en investissant aujourd’hui dans la santé mentale des enfants en mettant l’accent sur des programmes accessibles et inclusifs pour les populations vulnérables, on pourra économiser 28 milliards de dollars par année.
Chers collègues, pensez-y un instant. D’autres rapports montrent l’effet positif sur le PIB au fil du temps. Selon une recommandation essentielle, il serait bon de concevoir et de financer une stratégie pancanadienne en matière de santé infantile dont l’un des principaux piliers serait la santé mentale. Il faudrait aussi investir dans des programmes qui prennent appui sur des données probantes et sont axés sur l’atteinte de résultats, et créer une stratégie nationale sur la collecte de données.
En terminant, je tiens à remercier la sénatrice Moodie pour son esprit visionnaire qui l’a menée à présenter ce projet de loi, ainsi que son équipe qui a travaillé avec diligence pour le préparer.
Nos enfants sont ce que nous avons de plus précieux et ils incarnent notre avenir. Sans des jeunes dynamiques et en bonne santé, notre société et notre pays feront face à des menaces existentielles. Le projet de loi S-282 est la prochaine étape à franchir afin de codifier dans nos lois le fruit de nos efforts pour véritablement faire du Canada un pays adapté aux enfants.
Nous avons tous, dans cette enceinte, l’occasion de prendre le relais de la sénatrice Landon Pearson dans l’histoire de notre pays. Ainsi, nous veillerons à ce que tous les enfants aient le meilleur avenir possible en ne laissant pour compte aucun d’entre eux.
Je termine là où j’ai commencé, avec mes petites-filles, Hope et Faith. Quand vous penserez à vos propres enfants et petits-enfants, à vos petites-nièces et petits-neveux, rappelez-vous qu’il faut un village pour élever un enfant. Ils comptent sur nous. Chers collègues, après mûre réflexion et un débat approfondi, je vous exhorte à voter en faveur du renvoi de ce projet de loi à un comité. Merci. Meegwetch.