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L'équité en matière de santé mentale, d'abus de substances et de toxicomanie

Interpellation--Ajournement du débat

19 septembre 2024


Ayant donné préavis le 19 juin 2024 :

Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur les préoccupations persistantes concernant l’équité en matière de santé mentale, d’abus de substances et de toxicomanie au Canada.

— Honorables sénateurs, c’est un honneur et un privilège de présenter cette interpellation. Le 19 juin 2024, j’ai pris la parole pour attirer l’attention du Sénat sur les préoccupations persistantes concernant la parité en matière de santé mentale, d’abus de substances et de toxicomanie au Canada. Je veux remercier mon équipe, l’équipe de recherche de la Bibliothèque du Parlement, mes collègues du Sénat et les membres du personnel qui ont été si généreux de leur temps, alors qu’ils ont patiemment écouté mes idées et suggéré des façons de faire avancer cette question. Je tiens à remercier plus particulièrement les sénateurs Lankin, Kutcher, Boyer, Hartling, Bernard, Cordy, Batters, Brazeau, Greenwood, Coyle, Black, Osler, Patterson, McCallum et Seidman, ainsi que mon groupe, le Groupe des sénateurs canadiens.

Je veux également remercier les organisations et les personnes qui ont généreusement fourni leur expertise et donné de leur temps. Au cours des six derniers mois, nous avons rencontré environ 200 personnes et 30 organisations. Nous avons examiné 100 rapports et consacré plus de 600 heures de travail à cette question.

Nous avons consulté la Commission de la santé mentale du Canada, l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux, le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, l’Association canadienne pour la santé mentale, le Centre de toxicomanie et de santé mentale, l’Agence de la santé publique du Canada, le Bureau du médecin hygiéniste en chef de l’Ontario, des organismes autochtones et des Premières Nations, des universitaires ainsi que des personnes ayant une expérience vécue, pour n’en nommer que quelques-uns. Certains de ces intervenants participeront aux discussions de la table ronde sur la parité en matière de santé mentale qui aura lieu le 20 septembre, à 13 heures. Je vous invite tous à y participer.

La table ronde sera animée par le Dr Paul Roumeliotis, médecin hygiéniste en chef de l’Est de l’Ontario. Paul et moi avons été résidents en pédiatrie ensemble il y a 40 ans à l’Université McGill, à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Qui aurait cru que, toutes ces décennies plus tard, nous travaillerions ensemble sur une question aussi monumentale?

Je tiens à saluer l’ancien sénateur Percy Mockler. Quelques mois après ma nomination, il est venu me voir à l’extérieur de la Chambre et, avec sa douce voix et ses yeux perçants, il m’a posé une question cruciale : qu’est-ce que je voulais accomplir ici, au Sénat? Ma réponse a été complètement instinctive : « Je veux travailler sur la parité en santé mentale », ai-je dit. Le sénateur a répondu : « Personne ne saura qui vous êtes tant que vous ne saurez pas de quoi vous vous souciez. »

Je vais expliquer pourquoi le moment est venu d’instaurer la parité en santé mentale. À aucun autre moment de notre vie, la question pressante du bien-être mental, de la santé mentale, de la toxicomanie et des dépendances n’a été à l’esprit et sur les lèvres de presque tous les Canadiens comme aujourd’hui. Pendant plus de 30 ans, j’ai été pédiatre spécialisée en santé mentale. J’ai constaté les longs délais d’attente et le manque de services de santé mentale et pour les troubles du comportement en milieu hospitalier et dans la collectivité. J’ai aussi vu les conséquences parfois dévastatrices de cette situation pour les enfants, les adolescents et leur famille. Je vais vous raconter deux ou trois histoires.

Par exemple, un enfant aux idées suicidaires — qui a tenté de sauter d’une voiture en marche parce qu’il ne voulait pas aller à l’école — était, au bout du compte, atteint d’un grave trouble de l’apprentissage non diagnostiqué. Je me souviens aussi d’un parent aux prises avec des problèmes de dépendance qui n’arrivait pas à trouver des services de garde pour suivre un traitement de la toxicomanie en consultation externe.

Je n’ai pas seulement traité des patients atteints de problèmes de santé mentale. Comme beaucoup d’autres Canadiens, ma propre famille a été touchée. En juillet 1976, nous avons quitté la Jamaïque pour immigrer dans ce grand pays. L’avenir était rempli de promesses étant donné que mes parents étaient tous les deux très instruits et que leur langue maternelle était l’anglais. Ils auraient dû facilement trouver de bons emplois dans leur domaine respectif, mais, comme beaucoup le savent, la transition n’est pas aussi simple qu’elle devrait l’être.

Mon père était un homme brillant, un orateur hors pair et un lecteur avide dont la bibliothèque était remplie d’ouvrages allant des textes économiques de John Kenneth Galbraith à l’histoire de la Grèce antique. Quatre ans après avoir émigré au Canada, il a reçu un diagnostic de dépression grave et de diabète. Lui qui était habituellement le premier à se lever le matin, qui était toujours bien mis, qui était extrêmement bien organisé et qui n’avait jamais manqué un jour de travail de sa vie, n’arrivait pas à sortir du lit. Ma famille n’avait jamais affronté quelque chose d’aussi difficile. Cependant, grâce à un médecin de famille extraordinaire, qui faisait même des visites à domicile, mon père a fini par s’en remettre.

Cette expérience est restée gravée dans ma mémoire et c’est probablement l’une des raisons pour lesquelles j’ai répondu à l’appel dans les années 1990 pour aider à mettre en place un programme de services en santé mentale et de services pour les troubles de comportement en milieu hospitalier et de stabilisation pour les enfants et les familles de ma communauté, avant de fonder ADHD Windsor en 2006.

De nombreuses personnes ont travaillé dur, essayant de fournir des soins pour des problèmes de santé mentale, d’abus de substances et de toxicomanie, mais les résultats que nous souhaitons tous — un accès universel et équitable aux services de traitement en santé mentale et de la toxicomanie, un modèle de soins échelonnés, un traitement fondé sur des données probantes, un soutien au sein de la communauté, et de meilleurs résultats quant au rétablissement — sont de plus en plus hors de portée.

La proportion de Canadiens âgés de 12 ans et plus qui ont déclaré avoir une santé mentale mauvaise ou passable a doublé entre 2018 et 2022. Au cours d’une année donnée, 6,7 millions de Canadiens — soit une personne sur cinq — souffrent d’une maladie mentale. À l’âge de 40 ans, ce chiffre passe à un Canadien sur deux. Les groupes marginalisés, les Noirs et les groupes 2ELGBTQIA+ présentent un risque accru de troubles de santé mentale. Les communautés autochtones sont confrontées à des niveaux épidémiques et records de maladies mentales, de troubles liés à l’abus de substances, de surdoses et de décès enracinés dans des traumatismes coloniaux, historiques, remontant aux pensionnats autochtones et actuels.

Comme nous devrions tous le savoir maintenant, 70 % des troubles de la santé mentale commencent pendant l’enfance. On estime à 1,6 million le nombre d’enfants et de jeunes au Canada qui souffrent d’un trouble mental. D’ailleurs, l’organisme Children’s Mental Health Ontario signale que 28 000 enfants ontariens sont sur des listes d’attente pour des services de santé mentale, et que certains attendent plus de deux ans avant d’avoir accès à des soins appropriés. C’est inacceptable.

Une étude de la Commission de la santé mentale du Canada a révélé que les coûts directs et indirects des maladies mentales se sont élevés à 90 milliards de dollars en 2021 et qu’ils devraient atteindre plus de 300 milliards de dollars d’ici 2041. Le Conference Board du Canada indique qu’en l’absence d’investissements opportuns, le coût à vie d’une seule cohorte d’enfants souffrant d’anxiété et de dépression à l’âge de 10 ans s’élève à près de 1 billion de dollars — j’ai bien dit billion avec un « B ». L’étude montre également que les investissements réalisés aujourd’hui dans le domaine de la santé mentale des enfants, en mettant l’accent sur des programmes accessibles et inclusifs pour les populations vulnérables, peuvent permettre d’économiser 28 milliards de dollars par an. En outre, un mémoire de l’Association canadienne pour la santé mentale souligne que chaque dollar consacré à la santé mentale rapporte de 4 à 10 dollars à l’économie.

C’est en raison de mes expériences personnelles et professionnelles que je m’engage à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que cette question reste au haut de la liste des priorités du gouvernement fédéral et pour tous les Canadiens. J’espère être à l’origine d’une mesure législative qui fera de la parité en matière de santé mentale une obligation.

Chers collègues, comme vous, je sais que le rôle du gouvernement fédéral est de faire preuve de leadership en définissant un problème, en établissant un cadre et en affectant des fonds aux solutions possibles. Sachant que la prestation des soins de santé relève principalement de la compétence des provinces et des territoires, toute mesure législative fédérale devrait être élaborée en collaboration avec les différents ordres de gouvernement et les corps dirigeants autochtones.

En 2006, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a publié un rapport historique intitulé De l’ombre à la lumière : la transformation des services concernant la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie au Canada. J’étais présente lorsque le président du comité, l’ancien sénateur Michael Kirby, a présenté ces conclusions à Windsor. J’ai désormais le privilège d’être membre de ce comité et j’ai l’intention de poursuivre cet important travail.

Au cours de cette interpellation, j’espère que vous parlerez, estimés collègues, en partant de vos diverses expériences et de vos divers domaines d’expertise, de la manière dont nous pouvons sensibiliser les gens à l’importance capitale de la parité en matière de santé mentale, de votre définition de la parité, de la manière dont nous pouvons établir des liens tout au long de la durée de vie et à l’échelle de la société, et que vous discuterez du rôle de la santé comme déterminant social et de la manière dont nous pouvons définir des politiques et des mesures législatives fédérales qui peuvent faire de la vision de la parité une réalité.

Qu’entend-on par « parité »? Selon l’Association canadienne des travailleurs sociaux, la parité de santé mentale ou parité d’estime signifie :

valoriser la santé mentale autant que la santé physique afin de réduire les inégalités en matière de mortalité, de morbidité ou de prestations des soins.

En 1953, le Dr Brock Chisholm, premier directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, a déclaré que « sans santé mentale, il ne peut y avoir de véritable santé physique ».

La Loi canadienne sur la santé a pour objectif qu’on fournisse des soins de santé universels et intégraux afin de promouvoir le bien-être physique et mental des Canadiens. Le sens véritable de cette idée n’a toutefois jamais été concrétisé, d’où l’importance de cette interpellation.

Les recherches montrent très clairement qu’il y a un lien fondamental entre santé mentale et santé physique. À titre d’exemple, les patients atteints d’un diabète de type 2 sont deux fois plus susceptibles de souffrir de dépression que la population générale. Chez les patients déprimés, le risque de crise cardiaque est plus de deux fois plus élevé que dans la population générale. Les enfants aux besoins médicaux complexes risquent davantage de souffrir de troubles neurodéveloppementaux et de troubles de santé mentale que les autres enfants, et ils utilisent davantage les services de santé et les services sociaux.

Le gouvernement fédéral a reconnu la nécessité d’agir. Il a promis des milliards de dollars et convenu de priorités communes avec les instances provinciales, territoriales et autochtones, mais, jusqu’à présent, les résultats laissent à désirer.

La lettre de mandat de 2021 du ministre de la Santé de l’époque dictait à ce dernier d’établir un transfert canadien permanent en matière de santé mentale afin d’élargir la prestation des services de santé mentale, conformément à la plateforme libérale, afin que :

[...] les soins de santé mentale [soient] traités de façon égale et intégrale dans le système public de santé universel du Canada.

Dans leur plateforme de 2021, les libéraux ont promis un investissement initial de 4,5 milliards de dollars. Le Fonds pour la santé mentale des jeunes annoncé dans le budget de 2024 est un bon départ, mais 500 millions de dollars sur cinq ans, c’est loin d’être suffisant.

En juin, l’Association canadienne pour la santé mentale a adressé une lettre ouverte au ministre de la Santé, Mark Holland, où elle déclare :

Le Canada a échoué à instaurer un cadre juridique fédéral permettant de traiter les soins de santé mentale et de santé liée à l’utilisation de substances de manière équivalente aux soins de santé physique.

Le Royaume-Uni et les États-Unis ont tous deux adopté une loi sur la parité en matière de santé mentale, ce qui change les choses. Au Canada, seulement 7 à 9 % des fonds pour les soins de santé sont consacrés à la santé mentale, alors que le Royaume-Uni y consacre 13 % de son budget.

Il n’y a pas de meilleur moment que maintenant pour maintenir cette question parmi les priorités des politiques publiques et du programme législatif. Ainsi, aujourd’hui, en nous appuyant sur le travail de ceux qui nous ont précédés, prenons le relais. Poursuivons sur la lancée de la Loi canadienne sur la santé et donnons suite au rapport Kirby; passons à l’étape suivante et continuons notre travail pour que l’équité en matière de santé mentale, d’abus de substances et de toxicomanie devienne une réalité au Canada, pour qu’on puisse enfin passer de l’ombre à la lumière.

J’ai hâte d’entendre vos histoires, vos idées et vos points de vue, et j’espère que vous envisagerez de participer à notre table ronde coparrainée par la sénatrice Seidman et le sénateur Kutcher demain, le 20 septembre.

Merci, meegwetch.

L’honorable Ratna Omidvar [ - ]

Sénatrice Burey, tout d’abord, je vous félicite pour vos arguments convaincants et pour le raisonnement logique que vous avez présentés avec passion. Je pense que cela fait toute la différence.

Ma question porte sur la reddition de comptes. Comme vous le savez, au Canada, les fonds affectés à la santé sont acheminés aux gouvernements provinciaux; il est arrivé par le passé que le gouvernement fédéral finance des services en matière de santé mentale. La difficulté réside dans la reddition de comptes. Le projet de loi que vous présenterez tiendra-t-il compte de cet aspect?

Merci beaucoup, et merci d’être intervenue pour donner une impulsion au projet de loi. Lorsque le projet de loi sera déposé, que ce soit à l’autre endroit ou ici, cet aspect sera pris en compte.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Honorables sénateurs, le Sénat a épuisé l’ordre du jour, en dehors de la période des questions avec le ministre à 16 h 55.

Les sénateurs sont-ils d’accord pour suspendre la séance jusqu’à cette heure et pour la reprendre après une sonnerie de cinq minutes? Êtes-vous d’accord pour suspendre la séance jusqu’à ce que le ministre soit parmi nous?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Il en est ainsi ordonné. La sonnerie retentira à 16 h 50 et le Sénat siégera à 16 h 55 pour la période des questions.

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