La Loi sur l'accès à l'information—La Loi sur la protection des renseignements personnels
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat
7 mai 2019
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’occasion de la troisième lecture du projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence.
La première chose que j’aimerais dire est que ce projet de loi m’a grandement déçu. Pourquoi ai-je été déçu? Parce que j’avais des attentes importantes à son endroit.
La Loi sur l’accès à l’information est un outil fondamental dans une société libre et démocratique. C’est ce qu’est le Canada, une société libre et démocratique. La réforme de la Loi sur l’accès à l’information, vieille de plus de 30 ans, était attendue par plusieurs, mais le résultat est très décevant.
En lisant les lettres de mandat des différents ministres associés à cette réforme, soit le ministre de la Justice, la ministre des Institutions démocratiques et le président du Conseil du Trésor, on constate que le gouvernement leur avait pourtant donné des directives claires. On peut même espérer que si trois ministres sont mandatés pour agir sur un même objectif, c’est qu’il s’agit d’une réelle priorité pour le gouvernement.
Prenons l’extrait de la lettre de mandat du ministre de la Justice, qui porte sur la réforme de la Loi sur l’accès à l’information et qui se lit comme suit :
Travailler avec le président du Conseil du Trésor afin d’accroître l’ouverture du gouvernement, notamment en prêtant votre concours au président du Conseil du Trésor dans le cadre la révision de la Loi sur l’accès à l’information de manière à ce que les Canadiens et les Canadiennes puissent accéder plus facilement à leurs renseignements personnels, à ce que la commissaire à l’information soit autorisée à ordonner la divulgation des renseignements du gouvernement et à ce que la Loi s’applique de manière adéquate au Cabinet du Premier ministre, aux cabinets des ministres ainsi qu’aux organismes administratifs qui sont au service du Parlement et des tribunaux.
Vous en conviendrez, honorables sénateurs, ce menu était prometteur, voire alléchant. Malheureusement, le projet de loi C-58 n’était pas à la hauteur de ces attentes.
Permettez-moi maintenant de citer les commentaires de certains témoins.
L’ancienne commissaire à l’information déclarait ce qui suit le 28 septembre 2017 :
Après avoir étudié le projet de loi, il n’y a qu’une conclusion à tirer : les modifications proposées à la Loi sur l’accès à l’information ne feront pas progresser la transparence gouvernementale [...]. Le projet de loi ne respecte pas les promesses du gouvernement. S’il est adopté, il entraînerait une régression des droits existants.
Plus tard, le 23 février 2018, elle déclarait ce qui suit :
On avait eu l’espoir que la réforme de l’accès à l’information serait [progressiste], mais c’est une réforme [rétrograde] et c’est extrêmement inquiétant.
Pour sa part, le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, M. Stéphane Giroux, a déclaré tout récemment ce qui suit à notre comité :
Les ministères continueront d’évoquer des exceptions à la loi pour ne pas donner l’information, et rien n’est réglé pour les délais. C’est un échec sur toute la ligne.
Comme vous pouvez le constater, je n’étais pas le seul à être déçu. Il y a une année et demie, nous adoptions à l’unanimité, dans les deux Chambres, le projet de loi S-231 sur la protection des sources journalistiques. Tout observateur externe voyant les deux Chambres voter à l’unanimité un tel projet de loi, qui s’appuyait sur des principes et des valeurs hautement démocratiques et qui reconnaissait que le travail des journalistes est un fondement de notre société libre et démocratique, n’arriverait pas à croire que ce même gouvernement, qui a appuyé ce projet de loi, est celui qui propose le projet de loi C-58. Vraiment, c’est très difficile à comprendre.
Très honnêtement, honorables sénateurs, je m’attendais à ce que le gouvernement Trudeau envisage cette réforme avec beaucoup plus de sérieux et d’ambition. Je ne m’attendais certainement pas à ce qu’il nous présente un projet de loi qui fasse reculer l’accès à l’information pour les citoyens et les différents professionnels du domaine de l’information.
Je le dis sans mesquinerie. J’étais sincèrement convaincu que le gouvernement allait nous présenter un projet de loi moderne et robuste qui répondait à la réalité de cette ère marquée par les communications rapides. Hélas, ce n’est pas le cas. Encore une fois, le gouvernement a mis son clignotant à gauche, puis a tourné à droite. Il faut bien le reconnaître, cela devient sa marque de commerce.
Cependant, il y a une bonne nouvelle, et la bonne nouvelle s’appelle le Sénat.
Vous le savez toutes et tous, le rôle du Sénat est de porter un second regard sur les lois adoptées à l’autre endroit. C’est ce que nous avons fait avec le projet de loi C-58. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles y a porté un regard minutieux et attentif. Certains disent que nous avons pris trop de temps; je ne partage pas ce point de vue. Le Sénat est indépendant et ne doit pas subir de pression indue dans l’étude des projets de loi. Nous sommes parties au processus législatif et nous devons comprendre et respecter l’importance de notre rôle.
Par ailleurs, je me permets tout de même de souligner, chers collègues, qu’une des raisons pour lesquelles l’étude du projet de loi C-58 s’est étendue sur plusieurs mois est que l’ancienne ministre de la Justice ne s’est jamais présentée pour témoigner devant le comité. Nous le soulignons, d’ailleurs, dans nos observations annexées au rapport. Il m’apparaît irrespectueux qu’un ministre qui a une aussi grande responsabilité ne daigne venir témoigner devant un comité du Sénat. Toutefois, je tiens à souligner la rapidité dont a fait preuve le nouveau ministre de la Justice, lorsqu’il a été nommé, pour se rendre disponible à venir témoigner. Nous en conviendrons, il est assez inquiétant de voir un ministre se comporter de la sorte et se défiler de ses responsabilités, alors qu’on traite justement de transparence gouvernementale.
Avant d’aller plus loin, j’aimerais souligner le travail remarquable qu’ont fait les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, notamment notre président, le sénateur Serge Joyal, ainsi que les deux vice-présidents, le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu et la sénatrice Renée Dupuis. Il s’agissait d’une étude imposante, voire astreignante, et tout un chacun y a consacré beaucoup de temps et de sérieux. Le résultat final est éloquent. L’étude article par article du projet de loi C-58 a démontré sans l’ombre d’un doute toutes les failles que le texte de loi gouvernemental comportait dans sa forme originale. Nous avons adopté plus de 50 amendements au projet de loi C-58, ce qui est très rare pour un comité sénatorial. Habituellement, lorsqu’un projet de loi du gouvernement est modifié au Sénat, il est question d’environ un à cinq amendements. Cette fois, même le gouvernement a suggéré une vingtaine d’amendements. Cela démontre simplement que le gouvernement n’a pas pris au sérieux la réforme de la Loi sur l’accès à l’information.
Plusieurs amendements ont été présentés par l’opposition afin d’augmenter la transparence et de faciliter l’accès à l’information, des composantes qui, rappelons-le, sont essentielles à l’exercice de la démocratie.
La majorité des sénateurs au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles ont notamment bloqué la tentative du gouvernement de réduire l’accès à l’information en abolissant l’obligation pour les institutions fédérales de maintenir un répertoire des institutions fédérales, soit l’article 5 de la Loi sur l’accès à l’information, qui est mieux connu sous le nom d’Info Source. Les sénateurs l’ont simplement abrogé. Cet article avait donc pour effet de faire disparaître Info Source.
Comme le disait la Fédération professionnelle des journalistes du Québec dans le mémoire qu’elle a déposé au comité sénatorial l’automne dernier, et je cite :
Le corollaire de la production et de la conservation des documents [...] suppose que les organismes mettent en place les systèmes requis pour le repérage efficace des documents.
De la même manière, les sénateurs ont fait disparaître de nouvelles dispositions contraignantes pour les demandeurs d’accès à l’information. L’article 6 du projet de loi avait pour effet d’ajouter des obstacles à l’accès à l’information, et les sénateurs l’ont passablement allégé. Selon l’article original, il fallait préciser de façon très stricte les types de documents recherchés et les périodes précises de leur publication. Tout cela, rappelons-le, sans l’existence d’Info Source. De plus, cet article ajoutait des motifs sur lesquels les institutions auraient pu s’appuyer pour refuser de donner suite à des demandes d’accès à des documents gouvernementaux qui auraient été par ailleurs légitimes.
Le comité a également apporté un amendement qui limite les délais de réponse aux demandes d’accès à l’information. Ainsi, un délai additionnel pour la production de documents faisant l’objet d’une demande d’accès à l’information, dont le délai normal est de 30 jours, ne pourra dépasser une période supplémentaire de 30 jours, sauf avec l’accord écrit du commissaire à l’information. Cet amendement avait notamment été demandé par plusieurs intervenants, y compris la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. À l’heure actuelle, aucun délai maximal n’existe pour la prorogation du délai légal de 30 jours en vertu de l’article 9 de la Loi sur l’accès à l’information.
Une autre modification importante apportée par les sénateurs qui siègent au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles vise à donner la possibilité au commissaire à l’information de déposer ses ordonnances à la Cour fédérale. La nouvelle disposition se lit comme suit, et je cite :
(6) Aux fins d’exécution, les ordonnances rendues en vertu du paragraphe (1) qui sont en vigueur peuvent, selon la procédure habituelle ou dès que le Commissaire à l’information en dépose au greffe de la Cour fédérale une copie certifiée conforme, être assimilées aux ordonnances rendues par celle-ci.»;
Cette modification a une importance capitale à mes yeux, car plusieurs témoins nous ont mentionné que les ordonnances émises par le commissaire à l’information, lorsqu’elles n’étaient pas suivies et exécutées par les institutions visées, ne donnaient pas les effets escomptés et qu’aucune conséquence n’existait à l’accord des organismes fautifs. De plus, aucun mécanisme réel de suivi n’existait. Grâce à ce nouveau pouvoir conféré au commissaire à l’information, un refus d’obtempérer à une ordonnance du commissaire, déposée au greffe de la Cour fédérale, pourrait être assimilé à un outrage au tribunal.
Le comité a également adopté un nouvel amendement qui fait en sorte qu’il sera désormais interdit d’utiliser tout code, surnom, mot ou phrase fabriqué dans un document, au lieu du nom de toute personne, société, entité ou organisation ou de tout tiers. Cet amendement fait écho au dossier du vice-amiral Norman, qui subit en ce moment un procès pour abus de confiance. Il a été démontré que l’accusé n’avait pas eu accès à plusieurs documents du ministère de la Défense, car son nom avait été substitué par des noms de code. L’avocate de M. Norman a adressé des requêtes au ministère de la Défense pour obtenir toutes les communications entourant le vice-amiral Norman. Or, le responsable de l’accès à l’information ne trouvait rien. Il s’est alors adressé à son supérieur, qui lui a simplement mentionné que toutes les communications liées à M. Norman étaient codées. En effet, le seul document qui a été trouvé était justement la liste des noms de code donnés au militaire. C’est l’équité du procès de M. Norman qui s’en trouve entachée par une pratique qui contourne l’accès à l’information, et ce, de façon insidieuse et inacceptable. L’amendement que nous avons adopté permet de remédier à cette situation.
Les sénateurs conservateurs ont tenté de faire adopter des amendements qui auraient eu pour effet de forcer les institutions fédérales à documenter davantage le processus de la prise de décisions en imposant l’obligation aux ministres de voir à la rédaction des instructions et directives concernant la création et la conservation de documents d’administration fédérale et leur diffusion auprès des institutions. Cette obligation aurait forcé le cabinet du premier ministre et les cabinets des ministres à documenter et à publier certains renseignements qu’ils prennent en considération dans le cadre de la prise de décisions.
Il est reconnu que les hauts fonctionnaires ont adopté une pratique qui consiste à déposer simplement le crayon lors des réunions afin de laisser le moins de notes possible qui pourraient éventuellement faire l’objet d’une demande d’accès à l’information. L’amendement que nous avons proposé visait simplement à faire en sorte que les ministres donnent des directives quant à l’information à colliger et à conserver. Malheureusement, cet amendement a été rejeté par les sénateurs indépendants.
Le même sort a été réservé à un amendement visant à rendre obligatoire la divulgation proactive des frais de déménagement et de réinstallation des employés politiques. Rappelons que plus de 220 000 $ de frais de déménagement pour la réinstallation de Gerald Butts et de Katie Telford, du bureau du premier ministre, ont été dévoilés grâce à une demande d’accès à l’information des conservateurs. Ce fait à lui seul démontre à quel point il est important que ces dépenses soient déclarées en temps opportun. Malheureusement, encore une fois, la majorité des sénateurs indépendants ne semblait pas trouver cette information pertinente.
Il reste beaucoup de travail à faire pour améliorer le projet de loi. J’ose espérer que nous pourrons, à l’étape de la troisième lecture, continuer à le peaufiner. À ce titre, je tiens à vous lire un autre extrait de la lettre de mandat du président du Conseil du Trésor. Cette simple petite phrase revêt une importance capitale :
Collaborer avec la ministre de la Justice afin d’accroître la transparence du gouvernement, y compris diriger un examen de la Loi sur l’accès à l’information afin que les Canadiens aient plus facilement accès à leurs renseignements personnels, que le commissaire à l’information soit habilité à ordonner la communication de renseignements gouvernementaux et...
—j’attire particulièrement votre attention sur cette portion—
...que la Loi s’applique de façon appropriée au Cabinet du premier ministre et aux cabinets des ministres ainsi qu’aux institutions administratives à l’appui du Parlement et des tribunaux.
Tristement, honorables sénateurs, le projet de loi, tel qu’il est rédigé, n’atteint pas cet objectif. Pourtant, c’était là un des engagements majeurs du premier ministre lors de la dernière campagne électorale. Que s’est-il passé pour que le premier ministre recule aujourd’hui de son engagement? En ne soumettant pas les cabinets ministériels à la Loi sur l’accès à l’information, le gouvernement adopte une attitude opaque qui s’éloigne de celle d’un gouvernement ouvert et transparent. De plus, en refusant d’amender le projet de loi afin d’obliger les ministres à émettre des directives pour accroître l’information liée aux différentes décisions du gouvernement, ce dernier fait planer une nouvelle couche de brouillard sur son administration.
À cet égard, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec nous soulignait ce qui suit :
[...] les journalistes qui voudraient obtenir certains documents cruciaux qui témoignent de décisions gouvernementales, ne peuvent vérifier qu’ils ont bel et bien été produits, puisque rien dans ce projet de loi n’oblige le gouvernement et ses entités à les divulguer en amont. C’est ce qui fait que, bien souvent, on répond aux journalistes, à la suite de demandes d’accès, que ces documents n’existent pas.
Recommandation : Qu’une disposition explicite de la Loi soit introduite afin d’assurer la production et la conservation des documents gouvernementaux qui témoignent des décisions gouvernementales.
Manifestement, le gouvernement ne se donne pas l’obligation de documenter ses décisions.