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Le Sénat

Motion tendant à exhorter le gouvernement du Canada à condamner l’agression de la Turquie et de l’Azerbaïdjan contre la République d’Artsakh--Suite du débat

5 novembre 2020


Depuis le 27 septembre dernier, l’Azerbaïdjan mène une offensive militaire musclée contre les républiques d’Artsakh et d’Arménie. Cette agression est en violation directe des accords de cessez-le-feu de 1994 et constitue une atteinte grave aux droits de la personne.

En 1921, alors que Staline délimitait les frontières internes de l’Union soviétique, le territoire du Haut-Karabagh, Artsakh, en arménien, a été annexé à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan, malgré le fait qu’environ 95 % de ses habitants en représentaient la population autochtone arménienne chrétienne. Après la dislocation de l’URSS, la population d’Artsakh a tenu un référendum sur la question de son indépendance. Avec un taux de participation de plus de 80 %, 99 % des voix se sont prononcées en faveur de l’indépendance. En exerçant ainsi son droit à l’autodétermination, le peuple d’Artsakh a proclamé la création de sa république, comme bien d’autres républiques, à la suite de la chute du rideau de fer soviétique. Cependant, ce mouvement a été violemment réprimé, ce qui a entraîné une guerre de trois ans qui a causé quelque 30 000 morts. Un cessez-le-feu international a été décrété en 1994. Depuis, le Haut-Karabagh est une région autonome dont la population quasi totale est arménienne, dirigée par un gouvernement indépendant qui maintient des liens étroits avec l’Arménie.

Il faut mentionner que le territoire du Haut-Karabagh a toujours été habité en grande partie par des Arméniens, qu’il n’a jamais fait partie d’un Azerbaïdjan libre et indépendant et que, en faisant appel au principe d’intégrité territoriale pour ses intérêts géopolitiques, la défense de l’Azerbaïdjan ne repose que sur la décision de diviser pour régner d’un dictateur soviétique.

Il faut aussi préciser que le référendum du Haut-Karabagh a été tenu conformément aux normes du droit international et aux lois nationales existantes; en somme, sur les mêmes bases juridiques qui ont permis à l’Azerbaïdjan de proclamer sa propre indépendance en 1991.

Depuis le cessez-le-feu de 1994, la communauté internationale a été témoin de violences sporadiques à la frontière entre les deux territoires, ce qui amène beaucoup de journalistes et de dirigeants gouvernementaux à situer le conflit actuel dans ce contexte et à le qualifier de dispute territoriale. Cependant, la situation actuelle dans le Caucase est extrêmement grave et devrait plutôt être envisagée comme une crise des droits de la personne. L’Azerbaïdjan, soutenu sans équivoque par la Turquie, tant au chapitre militaire que diplomatique, a été accusé de pratiques illégales, comme l’embauche de mercenaires, et l’utilisation de bombes à fragmentation et de munitions au phosphore. Ses bombardements atteignent des villes et des villages. Des écoles, des églises et des hôpitaux ont été délibérément ciblés et détruits, ainsi que des infrastructures comme les lignes d’électricité.

Aujourd’hui, l’ONG internationale de prévention de génocide Genocide Watch considère que les habitants d’Artsakh sont sous alerte d’urgence de génocide. Il nous faut donc rappeler ici que la Turquie et l’Azerbaïdjan sont les deux seuls pays au monde qui nient activement le génocide arménien de 1915. Celui-ci avait été perpétré par l’Empire ottoman sous le couvert de la Première Guerre mondiale. Il est donc aujourd’hui nécessaire de constater que l’agression actuelle contre le peuple arménien, menée lors d’une pandémie mondiale, constitue un acte génocidaire.

Depuis le début de cette guerre, les médiations internationales se sont multipliées. Pas moins de trois cessez-le-feu humanitaires internationaux ont été négociés, mais tous ont été violés dans les minutes qui ont suivi leur entrée en vigueur. Cependant, la France est à ce jour le seul pays à avoir nommé les pays belligérants et condamné l’agression turco-azérie contre la population civile arménienne.

Il est par ailleurs particulièrement alarmant pour nous d’être témoins de la neutralité du Canada, dans la mesure où des preuves irréfutables indiquent que notre technologie militaire canadienne contribue aujourd’hui à la mort de civils innocents et à la destruction de l’héritage culturel, religieux et social d’une des plus anciennes civilisations du monde. Rappelons-nous que l’Arménie a été la première nation à décréter le christianisme comme religion d’État en l’an 301 après Jésus-Christ. Le monde entier sait aujourd’hui, avec preuves à l’appui, que le Canada a vendu des armes à la Turquie malgré le fait que le commerce d’armements avec cette dernière ait été banni.

Il est de notre devoir de nous prononcer sur la situation et de faire montre d’intégrité en acceptant la responsabilité de nos gestes à titre de puissance mondiale qui a toujours fait preuve de pacifisme, et qui a promu et maintenu la paix partout dans le monde.

La population d’Artsakh a déclaré la création de sa république par un processus démocratique il y a trois décennies déjà, mais aucun État membre des Nations unies n’a à ce jour reconnu cette indépendance.

Par ailleurs, la communauté internationale n’a jamais sanctionné la Turquie pour le génocide qu’elle a perpétré envers les Arméniens, celui-là même que le président Erdogan nie à ce jour. Il est de notre avis que la communauté internationale est en partie responsable de la création de la situation vulnérable dans laquelle se trouvent aujourd’hui les habitants d’Artsakh. Nous croyons aussi qu’un retour en arrière à l’ère soviétique n’est pas une option et que seule la reconnaissance de la République d’Artsakh peut désormais permettre d’arrêter le massacre d’innocentes victimes du peuple arménien, sept fois millénaire, pour ainsi mettre fin aux barbaries actuelles imposées sur ce peuple pacifique, et enfin, pour établir une paix durable non seulement en Artsakh, mais aussi dans toute la région du Caucase.

Le Canada est un chef de file exemplaire sur la scène internationale. Sa société est fondée sur d’admirables valeurs : la justice, la démocratie, la protection des droits de la personne et la paix. Aujourd’hui, il est de notre devoir, dans cette Chambre haute, d’agir en fonction de ces principes et de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour nous ranger du côté de la paix et de la démocratie afin de prévenir l’extermination des peuples, comme ce qui s’est produit avec les peuples juifs, rwandais, grecs et arméniens au cours des 100 dernières années de l’histoire.

Je vous demande donc, honorables sénateurs, d’appuyer la motion du sénateur Housakos.

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