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Projet de loi de 2021 sur les opérations au port de Montréal

Troisième lecture--Débat

30 avril 2021


Son Honneur le Président [ + ]

Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5b) du Règlement, je propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois maintenant.

Son Honneur le Président [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Gold [ + ]

Honorables sénateurs, je tiens d’abord à vous remercier de vous être réunis un vendredi avec un préavis aussi court pour examiner une question très urgente pour l’intérêt public. Je sais qu’aucun sénateur ne souhaite vraiment être ici aujourd’hui, et, croyez-moi, c’est avec beaucoup de regret et de déception que je prends la parole à titre de parrain du projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal.

D’entrée de jeu, je serai clair : cette mesure législative est une solution de dernier recours, qui, comme la ministre l’a dit — et je vais le répéter —, n’est pas prise à la légère par le gouvernement, je peux vous l’assurer. Je sais que les 255 députés qui ont voté en faveur du projet de loi au petit matin jeudi n’en ont pas tiré une grande satisfaction. Toutefois, le différend au port de Montréal est dans l’impasse et il s’est aggravé au point où cette mesure législative est devenue essentielle pour protéger l’intérêt public.

Comme vous le savez, les activités au port de Montréal ont été réduites le 13 avril en raison d’un arrêt de travail partiel, et la situation s’est depuis transformée en un arrêt de travail complet à partir du 26 avril, paralysant de fait le port, comme nous l’avons entendu. Les deux parties en question, le Syndicat des débardeurs du port de Montréal — la section locale 375 du Syndicat canadien de la fonction publique — et l’Association des employeurs maritimes négocient depuis septembre 2018, date à laquelle leur ronde actuelle de négociations collectives a débuté. Malheureusement, jusqu’à présent, ils n’ont pas été en mesure de conclure une entente, même après les tentatives répétées du gouvernement du Canada, par l’intermédiaire de ses médiateurs, d’aider les deux parties à trouver un terrain d’entente. Sans entente en vue, on n’entrevoit pas non plus la fin de cet arrêt de travail.

Je crois profondément à la liberté d’association et au processus de la négociation collective, mais je suis aussi un sénateur représentant la province de Québec et un Montréalais. Aujourd’hui, mes paroles tiennent compte de ces deux réalités.

À ce titre, malheureusement, je sais qu’il n’y a pas d’autre choix viable que d’adopter ce projet de loi. Nous en sommes arrivés au point où il serait irresponsable de la part du gouvernement fédéral de ne pas intervenir.

Honorables sénateurs, je vais commencer par décrire brièvement les mesures que le gouvernement fédéral a prises à ce jour pour aider les parties à conclure une entente.

Les parties ont entamé les négociations en septembre 2018. Le mois suivant, le Service fédéral de médiation et de conciliation a été mis à contribution, d’abord dans le cadre des efforts de conciliation, puis lors du processus de médiation, qui a commencé en décembre 2018.

Le 2 juillet 2020, le syndicat a entamé une grève partielle avec l’appui de 99 % de ses membres. Cela s’est produit moins d’un mois après la décision du Conseil canadien des relations industrielles, ou CCRI, sur le maintien des activités.

Le conseil a dû se pencher sur les éventuels services qui devraient être maintenus advenant un arrêt de travail, mais aucune des parties n’a pu exercer de moyens de pression. Finalement, le CCRI a établi que, advenant un arrêt de travail, les parties n’auraient pas à maintenir d’autres activités que celles nécessaires au respect de leurs obligations législatives au titre du Code canadien du travail, qui les oblige à continuer de desservir les navires céréaliers. Il a cependant précisé que le syndicat s’est engagé à continuer de desservir deux navires qui approvisionnent Terre-Neuve-et-Labrador.

À la suite de cette décision, les parties étaient en mesure d’entamer une grève ou un lock-out en toute légalité, à condition de respecter le préavis obligatoire de 72 heures. Par la suite, au cours de l’été, il y a eu quatre arrêts de travail dont la durée et les conséquences sont allées en augmentant, puis une grève illimitée à partir du 10 août 2020.

Onze jours plus tard, les parties ont conclu une trêve de sept mois pendant laquelle ils allaient poursuivre les négociations et suspendre les arrêts de travail. Comme nous le savons, cette trêve a pris fin le 21 mars 2021.

Chers collègues, tout au long de la trêve et depuis qu’elle est terminée, les parties ont reçu un soutien important et continu de la part des médiateurs fédéraux.

Malgré cela, le 13 avril, l’employeur a modifié les conditions de travail et le syndicat a entamé une grève partielle. L’Administration portuaire de Montréal a déclaré que cet arrêt de travail partiel a réduit sa capacité de 30 %. D’ailleurs, ce montant ne tient pas compte de la réduction des marchandises envoyées par des expéditeurs prudents, qui craignent que leurs marchandises soient touchées par ce différend.

Depuis, la situation s’est envenimée. L’employeur a informé le syndicat qu’il invoquerait les dispositions de la convention collective qui imposent un horaire de travail précis exigeant que les travailleurs effectuent la totalité du quart de travail. Le syndicat a ensuite cessé tout travail au port, à compter de 7 heures le 26 avril.

Pour mettre les choses en perspective, le port de Montréal est le deuxième plus grand terminal portuaire à conteneurs au Canada. Chaque année, il traite plus de 1,6 million d’équivalents vingt pieds et 35 millions de tonnes de marchandises, ce qui représente environ 40 milliards de dollars de marchandises.

La grève à laquelle nous assistons cause des problèmes en ce moment et pourrait causer des dommages durables à l’économie canadienne. Il convient de noter que bon nombre d’entre vous ont reçu une déclaration écrite de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, ou CCMM, signée par un échantillon représentatif de centaines d’entrepreneurs et de petites entreprises qui dépendent des chaînes d’approvisionnement qui les relient au port de Montréal. Voici ce que dit la note :

Il est essentiel que la fluidité de la chaîne d’approvisionnement soit maintenue. C’est la survie de nombreuses entreprises qui en dépend.

La situation a une incidence sur plus de 19 000 emplois directs et indirects associés au transport de marchandises qui passent par le port de Montréal, notamment dans les industries du rail et du camionnage. Des intervenants ont aussi indiqué que la grève a une incidence sur le mouvement des marchandises essentielles, ce qui pourrait entraîner des pénuries ou des retards dans les soins ou les traitements donnés aux Canadiens — par exemple, livraison retardée de certains ingrédients nécessaires à la fabrication de certains médicaments — et certains produits nécessaires pour des traitements médicaux spécialisés, comme la dialyse. Medtech Canada, association nationale représentant l’industrie de la technologie médicale, a indiqué que la grève pourrait compromettre l’approvisionnement en solutions de dialyse partout au Canada.

Bien que le syndicat ait assuré verbalement qu’il continuerait à charger et à décharger les fournitures médicales urgentes, le blocage du port a fait que des conteneurs essentiels n’ont pas pu être déplacés. Le sous-ministre des Transports, Michael Keenan, a déclaré devant le comité plénier que 15 conteneurs contenant des marchandises essentielles étaient immobilisés. Il avait été informé que 5 de ces 15 conteneurs contiennent des équipements prioritaires liés à la COVID, tandis que les autres contiennent des produits pharmaceutiques et des équipements médicaux.

Le sous-ministre Keenan a aussi déclaré que plus de 100 conteneurs renfermant des marchandises essentielles se trouvaient à bord de quatre navires ancrés au port, en attendant sa réouverture. Étant donné les défis logistiques que représente la tentative d’accoster ces navires uniquement pour décharger certains conteneurs, on ne s’attend tout simplement pas à ce que ces derniers soient déplacés avant la reprise des opérations au port de Montréal.

Par ailleurs, plusieurs intervenants du secteur agroalimentaire ont indiqué que l’arrêt de travail nuit à leur capacité d’expédier des produits agricoles par conteneur et porte atteinte à la réputation du Canada en tant qu’exportateur fiable de ce type de produits. Il nuit aussi à notre sécurité alimentaire puisque les producteurs ont du mal à recevoir des intrants essentiels comme de l’engrais. Karen Proud, PDG de Fertilisants Canada, qui représente de nombreux fabricants et distributeurs de l’industrie des engrais, a dit ceci :

Alors que le Canada continue de combattre la COVID-19, nos citoyens ont besoin d’un approvisionnement alimentaire sur lequel ils peuvent compter. Toute grève signifie que les engrais essentiels n’atteindront pas les agriculteurs de l’Est et de l’Atlantique du Canada. Cette grève menace la sécurité alimentaire à un moment critique.

Certains producteurs d’aliments ont également signalé, avant le début de la grève, qu’ils réachemineraient leurs exportations à d’autres ports, canadiens et américains. Le sous-ministre du Transport, M. Keenan, a témoigné qu’environ 10 % du volume de marchandises à destination du port de Montréal avaient été réacheminés à d’autres ports à titre préventif avant cet arrêt de travail, mais que, bien franchement, de nombreux expéditeurs sont coincés, car la capacité des autres ports est limitée.

Des intervenants de diverses industries, y compris l’agriculture et l’agroalimentaire, la foresterie, le commerce de détail, la fabrication, le transport, le transport maritime et la logistique, ont exprimé de graves préoccupations concernant l’incidence potentielle de l’arrêt de travail. Parmi ces intervenants, mentionnons notamment la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, Manufacturiers et Exportateurs du Québec, l’Association canadienne des importateurs et exportateurs, l’Association canadienne de la distribution de fruits et légumes, la Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard, Soy Canada ainsi qu’Ontario Bean Growers.

Exemples d’inquiétudes exprimées au gouvernement, des fabricants, y compris des fabricants de médicaments et les constructeurs automobiles, risquent de devoir interrompre ou cesser leur production par manque de matériel. Des grossistes de produits alimentaires risquent de voir une partie de leurs produits gaspillée ou détériorée. Des producteurs agricoles risquent de manquer d’engrais. Des fournisseurs canadiens risquent de perdre des clients, ceux-ci préférant faire affaire avec des fournisseurs américains parce qu’ils sont « plus fiables ». Le secteur de la construction risque d’être aux prises avec une pénurie de matériaux alors que l’activité reprend au printemps.

En fait, selon la modélisation économique, la grève entraînerait des pertes de 40 millions de dollars à 100 millions de dollars par semaine pour l’économie canadienne.

La grève et l’arriéré qui en résulte devraient entraîner une réduction des heures de travail ou des mises à pied temporaires pour les travailleurs et les entreprises qui ne sont pas en mesure de réacheminer les intrants de production nécessaires par d’autres ports. Par exemple, un raffineur de sucre a indiqué qu’il pourrait devoir suspendre ses activités, car il n’a plus accès au sucre brut par l’entremise du port, ce qui a une incidence sur 215 emplois.

Les intervenants du secteur agroalimentaire ont également indiqué qu’ils s’attendent à des mises à pied à court terme, alors que le système de transport est retardé et que la chaîne d’approvisionnement reposant sur les produits agricoles est interrompue.

Nous savons également que les autres ports de la côte Est du Canada ont eu du mal à gérer l’augmentation du volume des cargaisons qui ont été détournées vers eux à la suite de moyens de pression exercés au port de Montréal à l’été 2020, et que les ports de la côte Est des États-Unis sont déjà extrêmement occupés.

La réalité, c’est que les chaînes d’approvisionnement mondiales et régionales sont déjà très serrées, et il y a donc très peu de possibilités d’accorder de la flexibilité ou de trouver d’autres arrangements efficaces.

Honorables sénateurs, le gouvernement estime qu’il est temps de prendre des mesures décisives.

Je tiens toutefois à ce qu’une chose soit parfaitement claire. Aujourd’hui, nous avons entendu des représentants du syndicat et de l’employeur, ce qui nous a permis de mieux comprendre les enjeux au port. Cependant, chers collègues, lors de l’examen de ce projet de loi, il est important de garder à l’esprit ce qui suit, et je reprends les paroles de la sénatrice Lankin : pour le gouvernement du moins, il n’est pas question ici de choisir un camp. Il ne s’agit pas de savoir qui a fait quoi et quand, qui a peut-être raison et qui a peut-être eu tort. Ce n’est pas un jugement sur la qualité des négociations qui se sont déroulées jusqu’à présent.

Comme le sénateur Harder nous l’a rappelé dans le cadre de nos délibérations sur le projet de loi C-89, avec le syndicat et l’employeur, le gouvernement constitue la troisième partie de la relation tripartite en cause dans la négociation collective. Il a pour tâche de garantir des négociations justes et équitables, mais aussi de concilier ce processus et la manière dont il se déroule avec les autres droits et intérêts essentiels à la bonne marche du pays.

En ce qui concerne les questions soulevées au sujet de la négociation collective, le projet de loi C-29 ferait en sorte que la convention collective qui était en vigueur entre 2013 et 2018 soit prolongée jusqu’à ce qu’une nouvelle convention collective entre en vigueur. Je rappelle aux sénateurs que cette convention collective avait été négociée avec succès par les mêmes parties et qu’elle avait été accueillie très favorablement en 2013. Les parties seraient tenues de respecter toutes les conditions de la convention collective ainsi prolongée jusqu’à la date d’entrée en vigueur d’une nouvelle convention collective.

Toute modification unilatérale apportée par l’une ou l’autre partie deviendrait caduque à l’adoption du projet de loi C-29. Les dispositions contenues dans la convention collective qui est arrivée à échéance le 31 décembre 2018 reprendraient alors effet.

Au bout du compte, chers collègues, le gouvernement propose le projet de loi C-29, une politique publique responsable et équilibrée, en réponse à une situation objectivement nuisible au port de Montréal. Dans le projet de loi C-29, il est question de trouver un juste milieu entre le droit de grève des débardeurs et un éventail d’autres intérêts vitaux, y compris ceux des milliers de personnes qui font les frais de cette grève, comme les entreprises dans la chaîne d’approvisionnement qui subiront des coûts directs et indirects importants associés à ce conflit et dont beaucoup souffrent déjà depuis 13 mois en raison d’une pandémie qui a coûté à d’innombrables Canadiens leur gagne-pain. Pour être franc, le gouvernement doit tenir compte des emplois qui ne seront pas protégés s’il permet à la grève de se poursuivre, car ces emplois seront perdus.

Honorables sénateurs, la nécessité du projet de loi C-29 est reconnue par tous les ordres de gouvernement les plus directement touchés par le conflit, notamment le gouvernement du Québec, le gouvernement de l’Ontario et la Ville de Montréal, qui se trouve à être dirigée par l’une des mairesses les plus progressistes de l’histoire de la ville.

Tous ces ordres de gouvernement sont dirigés par des partis politiques ayant des allégeances et des idéologies très différentes. Cependant, ils ont tous la responsabilité commune de gouverner, ce qui les oblige parfois à prendre des décisions difficiles et contraires à leur idéologie dans l’intérêt général de la région relevant de leurs compétences respectives.

Bien qu’une loi de retour au travail soit toujours un dernier recours, pour les parties au différend, le projet de loi C-29 représente un mécanisme de règlement des différends impartial, neutre et efficace qui est conforme aux exigences des développements les plus récents en droit du travail canadien.

Honorables sénateurs, la mesure législative a été rédigée de façon à respecter les plus récentes décisions des tribunaux concernant la Charte canadienne des droits et libertés. Avec votre permission, j’aimerais aller plus loin et fournir une analyse plus exhaustive de la Charte, à titre de complément à la déclaration du ministre de la Justice.

Comme les sénateurs le savent et comme l’indique l’énoncé concernant la Charte, légiférer le retour au travail des employés du port pourrait mettre en cause la liberté d’expression et la liberté d’association, qui sont protégées au titre des alinéas 2b) et 2d) de la Charte respectivement. Toutefois, invoquer la Charte ne signifie pas nécessairement qu’on la viole.

Comme nous le savons, les droits prévus dans la Charte ne sont pas absolus. L’article premier de la Charte prévoit que les droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte, mais la Charte n’est pas violée si la justification de ces limites peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Honorables sénateurs, le gouvernement est d’avis que le projet de loi C-29 ne viole pas la Charte canadienne des droits et libertés.

Commençons par le droit à la liberté d’association protégé par l’alinéa 2d) de la Charte. La liberté d’association englobe le droit à un processus véritable de négociation collective. Cela comprend le droit de grève en cas d’échec des négociations menées de bonne foi. Il s’ensuit que des mesures du gouvernement qui entravent substantiellement un tel processus constituent une atteinte à la liberté d’association et qu’elles doivent être justifiées par application de l’article 1 de la Charte.

Cela dit, la question de savoir si une intervention législative comme le projet de loi que nous examinons aujourd’hui constitue une ingérence substantielle dans le processus de négociation collective dépend des faits d’un cas particulier, et je vais y revenir dans un instant.

Honorables sénateurs, il est toutefois important de reconnaître que le droit de grève en vertu de la Charte est relativement nouveau sur le plan juridique. En 1987, la Cour suprême du Canada a décidé que le droit de grève n’était pas protégé. Les choses ont changé en 2015, avec la décision de la Cour suprême dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan dont il a déjà été question. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a infirmé des décisions antérieures et elle a reconnu que le droit de grève constituait un aspect du droit à un processus véritable de négociation collective protégé par l’alinéa 2d) de la Charte.

Il faut garder à l’esprit que, comme cette vision d’un droit de grève protégé par la Constitution est encore récente, il y a peu de jurisprudence pour en définir l’étendue. En fait, depuis 2015, seulement deux affaires ont porté sur la constitutionnalité de projets de loi de retour au travail. La première est la décision rendue en 2016 par la Cour supérieure de l’Ontario dans l’affaire du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Sa Majesté du chef du Canada. Une deuxième décision très récente, rendue le 7 avril 2021 par la Cour d’appel du Québec, porte sur l’affaire du Procureur général du Québec c. Les avocats et notaires de l’État Québécois.

La première de ces deux affaires, qui concerne les travailleurs des postes, porte sur une loi de retour au travail adoptée par le Parlement en 2011 à propos de Postes Canada. La deuxième affaire porte sur une loi de retour au travail adoptée en 2015 par le gouvernement du Québec pour ses propres avocats et notaires.

Je parlerai brièvement de ces deux dossiers, mais je tiens tout d’abord à préciser que ces décisions concernent des lois dont le contenu et le contexte diffèrent grandement de ceux du projet de loi à l’étude aujourd’hui.

Il convient aussi de souligner que l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour concernait une loi sur les services essentiels. Elle éliminait complètement le droit de grève d’un vaste éventail d’employés et ne leur fournissait aucun mécanisme neutre de résolution des différends, comme l’arbitrage.

C’est un contexte différent de la situation que nous envisageons aujourd’hui. Les employés du port de Montréal ont le droit de grève et ils l’ont maintenant exercé à quatre différentes occasions, notamment par le biais d’arrêts de travail partiels, puis de deux grèves générales.

Bien que le projet de loi C-29 soit un moyen de légiférer pour mettre fin à la grève, il comprend également un processus neutre de règlement des différends, dont je parlerai sous peu.

Étant donné que la jurisprudence est limitée dans ce domaine et que l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour portait sur des lois très différentes, on ne devrait pas présumer que le projet de loi à l’étude aujourd’hui restreint la liberté d’association telle qu’elle est interprétée par les tribunaux selon la Charte.

Le projet de loi C-29 est rédigé différemment des lois de retour au travail sur lesquelles se sont penchés les tribunaux de l’Ontario et du Québec que je viens de mentionner. En effet, le projet de loi C-29 a été fondé sur les principes qu’explique la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour, afin d’en assurer la conformité avec la Charte.

Chers collègues, bien que le gouvernement soutienne que le projet de loi n’entrave pas substantiellement le processus de négociation collective, il faut reconnaître qu’un tribunal pourrait conclure le contraire et affirmer que le projet de loi constitue une entrave aux droits garantis par l’alinéa 2d) et qu’il doit, par conséquent, être justifié en vertu de l’article premier.

Mais avant de passer aux considérations qui étayent l’opinion selon laquelle le projet de loi C-29 est constitutionnel en vertu de l’article 1 de la Charte, je signale que le gouvernement comprend également que la liberté d’association n’est peut-être pas le seul droit garanti par la Charte qui est mis en cause. Comme l’indique l’énoncé concernant la Charte, le projet de loi C-29 pourrait mettre en cause l’alinéa 2b) de la Charte, car il est possible que l’acte de se retirer du travail pour exprimer son mécontentement à l’égard des conditions d’emploi soit une forme d’expression protégée par la Charte.

En effet, bien que des cours inférieures soient arrivées à cette conclusion, d’autres ont exprimé des réserves par rapport au fait de considérer l’acte de faire la grève comme une forme d’expression protégée par la Charte. En fait, la Cour suprême du Canada a refusé de se prononcer là-dessus dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour, et donc la question demeure ouverte.

Honorables sénateurs, comme je l’ai dit, il est bien établi en droit que le Parlement peut adopter des lois limitant les libertés, pourvu que de telles lois puissent être justifiées dans une société libre et démocratique. De l’avis du gouvernement, le projet de loi C-29 respecte la Charte.

Le critère à appliquer en vertu de l’article 1 de la Charte consiste à déterminer si l’objectif de la loi contestée est réel et urgent. Le cas échéant, l’analyse se poursuit pour déterminer si la loi établit un équilibre raisonnable entre l’objectif législatif et les conséquences sur les droits touchés, en vérifiant s’il existe un lien rationnel entre la loi et l’objectif, si la mesure porte une atteinte minimale et si la contrainte est proportionnelle aux effets positifs associés à l’objectif législatif. Je vais parler brièvement de chacun de ces éléments tour à tour.

L’objectif du projet de loi C-29 est de freiner les graves répercussions de la grève et de prévenir des pertes économiques majeures et récurrentes pour des entreprises canadiennes, pour leurs employés, et pour ceux qui comptent sur leurs services.

Dans les deux cas d’examen d’une loi de retour au travail depuis l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour, les tribunaux n’ont eu aucun mal à accepter l’idée que la mesure législative visait un objectif urgent et réel.

À la lumière des conséquences graves de la poursuite de l’arrêt de travail, dont j’ai parlé plus tôt et dont nous avons beaucoup entendu parler en comité plénier, le gouvernement est convaincu qu’il serait convenu que l’objectif est urgent et réel.

En ce qui concerne le critère de la proportionnalité en vertu de l’article 1, il s’agit de déterminer si la restriction du droit est rationnellement liée à l’objectif du gouvernement.

Dans le cas de l’arrêt de 2016 concernant la Société canadienne des postes, le tribunal ontarien n’a eu aucune peine à conclure que la mesure législative passait le volet de l’analyse sur le lien rationnel. Le tribunal a conclu que la décision du gouvernement de légiférer pour assurer le retour au travail des employés de Postes Canada était directement liée à son objectif d’éviter les préjudices économiques associés à la grève.

De même, dans la récente décision concernant les avocats et les notaires du gouvernement du Québec, la Cour d’appel du Québec a aisément conclu que la loi provinciale de retour au travail avait un lien rationnel avec l’objectif d’assurer la continuité des services.

En ce qui concerne le projet de loi C-29, l’interdiction des grèves et des lock-out qui est proposée, même si les efforts pour promouvoir une résolution négociée du conflit se poursuivent par ailleurs, est rationnellement liée à l’objectif visant à atténuer les perturbations que pourrait causer la grève et à prévenir les préjudices économiques persistants et importants qui y sont associés.

Dans le deuxième volet de l’analyse de la proportionnalité, la question est de savoir si la loi limite le droit ou la liberté plus que ce qui est raisonnablement nécessaire pour atteindre l’objectif. C’est à cette étape de l’analyse que les lois antérieures de retour au travail ont échoué devant les tribunaux du Québec et de l’Ontario.

Chacun de ces tribunaux a fondé son analyse sur le principe suivant énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour. La juge Abella a écrit au paragraphe [25] au nom de la majorité de la Cour suprême :

Lorsque le législateur limite le droit de grève d’une manière qui entrave substantiellement un processus véritable de négociation collective, il doit le remplacer par l’un ou l’autre des mécanismes véritables de règlement des différends couramment employés en relations de travail. La loi qui prévoit un tel mécanisme de rechange voit sa justification accrue au regard de l’article premier de la Charte. À mon avis, l’absence d’un tel mécanisme dans la PSESA représente ce qui, en fin de compte, rend les restrictions apportées par celle-ci inadmissibles sur le plan constitutionnel.

La loi en cause dans la récente décision de la Cour d’appel du Québec ordonnait aux membres du syndicat de retourner au travail et imposait une négociation à durée limitée ainsi qu’un processus de médiation. Si les parties étaient incapables de parvenir à une entente au bout de trois mois environ, la convention collective précédente serait rétablie pendant environ cinq ans à l’exception des salaires, des primes et des allocations, qui seraient déterminés par la loi.

La loi québécoise ne prévoyait pas de processus d’arbitrage. En cas d’échec des négociations et de la médiation, l’employeur public établirait les modalités d’emploi par l’entremise d’une mesure législative. La Cour d’appel du Québec a jugé que la loi ne portait pas atteinte de façon minimale à la liberté d’association car elle ne comportait aucun véritable mécanisme de règlement des différends.

La Cour d’appel a par ailleurs précisé ceci au paragraphe 112 :

Se prévalant de ce pouvoir qui, notons-le, n’appartient à aucun autre employeur, le gouvernement, comme la législature, doit aussi et en tout temps respecter les libertés fondamentales garanties par la constitution, au rang desquelles figure la liberté d’association. Il se trouve que celle-ci, depuis l’arrêt Saskatchewan Federation, a acquis plus de lustre qu’autrefois par l’ajout d’un nouvel attribut. Celui-ci n’est pas le droit à la grève en tant que telle puisque la loi, personne ne s’en étonnerait, continuera d’encadrer étroitement la faculté de se mettre en grève dans la logique déjà ancienne, mais toujours dominante du Wagner Act. Il s’agit plutôt, en contexte de négociation collective, du droit pour les syndiqués exerçant leur liberté d’association, et qui voient une loi, spéciale ou non, supprimer leur droit de grève, d’obtenir simultanément de la part du législateur, en échange de cette suppression, un mécanisme quelconque de règlement des différends. Et ce mécanisme, ajoute explicitement la Cour suprême, doit être véritable et efficace[82]. Je mets ces mots bien en évidence puisque, selon moi, ils fournissent à eux seuls la clé de voûte des pourvois en cours. Voilà ce à quoi la constitution oblige le législateur envers les syndiqués dans un cas comme celui-ci.

En se fondant sur les conclusions de la Cour suprême dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour, la Cour d’appel du Québec a noté qu’un mécanisme véritable et efficace de règlement d’un différend comportera nécessairement un élément d’indépendance ou d’impartialité, en donnant explicitement comme exemple l’arbitrage contraignant. Voici ce qu’on peut lire au paragraphe 116 du jugement :

[...] un mécanisme véritable et efficace de règlement d’un différend comportera nécessairement un élément d’indépendance ou d’impartialité, et qu’en tout état de cause cela ne peut être le cas d’un processus par lequel une partie est en mesure, en dernière analyse, de dicter ses conditions à l’autre. L’arbitrage de première convention collective, prévu aux articles 93.1 et suivants du Code du travail, est un exemple parmi d’autres d’un tel mécanisme et passe pour une réelle amélioration du modèle Wagner Act classique.

Honorables sénateurs, le projet de loi à l’étude aujourd’hui est fort différent de celui dont ont été saisis les tribunaux que j’ai mentionnés. Pour dire les choses simplement, le projet de loi C-29 prévoit un mécanisme de règlement des différends impartial qui respecte les directives énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour. Le projet de loi C-29 établit en outre un processus impartial de sélection d’un arbitre. Par exemple, les deux parties contribuent à l’établissement d’une liste de candidats. Si les deux parties proposent une même personne, le ministre peut la nommer. Le projet de loi stipule également que toutes les questions sur lesquelles les parties n’ont pas réussi à s’entendre seront soumises à l’arbitrage.

Enfin, rien dans le projet de loi n’incite l’arbitre à privilégier une solution en particulier ni ne vient autrement rompre l’équilibre des rapports de force entre les parties.

Dans l’affaire Société canadienne des postes, la Cour supérieure de l’Ontario a relevé un certain nombre d’éléments préoccupants qui l’ont amenée à conclure que la disposition législative en cause ne respectait pas le principe d’atteinte minimale. Comme je l’ai dit, la disposition législative dans cette affaire avait été élaborée avant que la Cour suprême du Canada n’énonce ses directives dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour et elle n’a donc pu en bénéficier.

Le premier élément préoccupant, dans l’affaire de l’Ontario, était que la mesure législative fixait les hausses salariales et la durée de l’entente. Or, selon les tribunaux, le fait d’exclure ces éléments de la négociation était préjudiciable à la constitutionnalité du projet de loi. À titre de comparaison, le projet de loi C-29 ne prévoit aucune mesure du genre. Le premier élément préoccupant ne s’applique donc pas au projet de loi à l’étude aujourd’hui.

La deuxième préoccupation était que la mesure législative autorisait le ministre à nommer un arbitre sans consulter le syndicat. Comme je viens de le mentionner, ce n’est pas le cas avec le projet de loi C-29.

La troisième préoccupation soulignée dans la décision de la cour ontarienne était que la mesure législative ne permettait pas aux employés de continuer à s’exprimer au moyen de grèves menées dans un lieu précis.

Chers collègues, le projet de loi C-29 ne répond certes pas à cette préoccupation. Toutefois, avec tout le respect que je dois à la Cour supérieure de justice de l’Ontario, cela ne veut pas dire qu’un autre tribunal adoptera nécessairement la même approche dans une autre affaire. En fait, l’idée que l’arbitrage et la grève puissent, voire doivent avoir lieu en même temps va à l’encontre du principe fondamental selon lequel il s’agit de deux façons mutuellement exclusives de régler un conflit de travail.

Dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour, la Cour suprême a reconnu ce principe en indiquant que l’arbitrage était une solution de rechange acceptable au droit de grève des travailleurs essentiels.

Il faut également noter que le projet de loi C-29 privilégie une résolution volontaire du conflit en prévoyant que le médiateur ou l’arbitre s’emploie d’abord à obtenir une entente négociée. Qui plus est, comme il est indiqué dans l’énoncé concernant la Charte, le projet de loi C-29 a été présenté uniquement en raison des efforts infructueux en vue de conclure un accord satisfaisant pour toutes les parties dans le cadre du processus de négociation collective, qui dure depuis septembre 2018.

Pour toutes ces raisons, le projet de loi C-29 diffère considérablement de la mesure législative dont les tribunaux de l’Ontario et du Québec avaient été saisis en ce qui concerne son incidence sur le processus de négociation collective et le droit de grève. On a tenu compte des décisions de la Cour suprême dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour afin qu’il soit conforme à la Charte.

La dernière étape de l’analyse de l’article 1 consiste à déterminer si les effets négatifs sur les droits garantis par la Charte sont compensés par les effets bénéfiques de la loi.

Voici ce que j’ai à dire à ce sujet : le gouvernement estime que de laisser les employés poursuivre la grève entraînerait de graves conséquences à long terme pour les entreprises canadiennes, la population et l’économie dans son ensemble. Les avantages du projet de loi, qui permettra d’éviter d’autres contrecoups et d’atténuer les répercussions qui sont déjà ressenties, l’emportent sur les conséquences sur les droits des employés, d’autant plus que les employés négocient sans succès une convention collective depuis plus de deux ans et demi et qu’ils auront accès à un processus de règlement des différends équitable et neutre.

Pour toutes ces raisons, le gouvernement est convaincu que le projet de loi C-29 respecte la Charte des droits et libertés.

Honorables sénateurs, comme vous l’avez entendu — et je vais le répéter — le gouvernement fédéral reconnaît que les ententes négociées sont toujours la meilleure solution. En fait, certains vont même jusqu’à reprocher au gouvernement — et nous en avons été témoins dans cette enceinte aujourd’hui — d’avoir cru si longtemps que les parties allaient résoudre leurs différends et conclure une nouvelle convention collective.

Cependant, comme je l’ai clairement indiqué, nous devons trouver un moyen d’aller de l’avant. Les Canadiens et les entreprises canadiennes comptent sur nous.

En fin de compte, du point de vue de la gouvernance, le gouvernement du Canada considère que le projet de loi C-29 est devenu nécessaire pour protéger l’intérêt public.

Les gouvernements du Québec et de l’Ontario, la Ville de Montréal, la Chambre des communes et d’innombrables intervenants ont tous été clairs : ce n’est tout simplement pas viable ou acceptable pour le port de Montréal de rester fermé indéfiniment en pleine période de pandémie, une pandémie qui a déjà causé des dommages importants à notre économie et à notre population.

Tout comme le gouvernement du Canada, ils estiment que l’adoption du projet de loi C-29 est maintenant la seule façon responsable de procéder.

Honorables sénateurs, j’espère que vous vous joindrez à eux pour faire adopter cette mesure législative, regrettable mais nécessaire. Merci beaucoup.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal.

La convention collective des débardeurs du port de Montréal est échue depuis décembre 2018. Près de deux années et demie plus tard, nous nous retrouvons devant une impasse dans les négociations entre les parties et face à une catastrophe économique provoquée par la grève générale des débardeurs du port de Montréal. Le gouvernement, après s’être traîné les pieds encore une fois dans ce dossier, dossier névralgique s’il en est un, doit se résoudre à intervenir en adoptant une loi spéciale afin de dénouer ce conflit aux nombreuses ramifications sur l’économie de Montréal, du Québec et du Canada.

Souvenons-nous que, déjà, au mois d’août 2020, une grève de 19 jours a paralysé les activités du port de Montréal. Cette grève, à elle seule, a entraîné des pertes de 600 millions de dollars. Il me semble qu’il s’agissait d’un énorme signal d’alarme que le gouvernement aurait dû entendre et il aurait dû, dès lors, exercer un leadership plus vigoureux.

Même avant la grève de l’été dernier, le gouvernement aurait dû assumer ses responsabilités pour que les parties puissent s’entendre sur une nouvelle convention collective.

Le Code canadien du travail est pourtant clair. On peut lire ce qui suit au paragraphe 105(1) :

Pour les cas où il le juge à propos, le ministre peut à tout moment, sur demande ou de sa propre initiative, nommer un médiateur chargé de conférer avec les parties à un désaccord ou différend et de favoriser entre eux un règlement à l’amiable.

Puis, l’article 107 nous dit ce qui suit :

Le ministre peut prendre les mesures qu’il estime de nature à favoriser la bonne entente dans le monde du travail et à susciter des conditions favorables au règlement des désaccords ou différends qui y surgissent; à ces fins il peut déférer au [Conseil canadien des relations industrielles] toute question ou lui ordonner de prendre les mesures qu’il juge nécessaires.

Malgré tous les pouvoirs qu’a le gouvernement, le fait que l’on se retrouve, après deux ans et demi de la fin de la convention collective des débardeurs du port de Montréal, à devoir débattre d’une loi spéciale de retour au travail pour ces employés est plus qu’étonnant; c’est même décourageant.

Le gouvernement nous dira que son action dans ce dossier a été limitée par la pandémie, mais rien n’est plus faux. Plusieurs médiateurs ont été nommés par le gouvernement pour accompagner les parties dans les négociations. Que s’est-il passé pour que, après plus de 90 rencontres de négociations et malgré la présence de médiateurs représentant le gouvernement, rien ne débloque et qu’on en soit à discuter d’une loi spéciale? C’est troublant.

D’un côté, les syndiqués exercent leur droit de grève pour tenter notamment d’obtenir des améliorations à leur horaire de travail pour mieux concilier travail et vie personnelle. Le 23 avril dernier, un article de Stéphane Bordeleau, publié sur le site Web de Radio-Canada, rapportait ce qui suit :

[...] le président du comité exécutif du syndicat, Martin Lapierre, explique que cet arrêt de travail est devenu nécessaire à la suite de la décision de l’[Association des employeurs maritimes] de modifier unilatéralement les horaires de travail. […] Une décision qui a été reçue comme un acte de provocation par les syndiqués [...]

Le droit à la déconnexion et des questions relatives aux mesures disciplinaires seraient d’autres points en litige importants pour les syndiqués.

D’un autre côté, on le sait, les activités dans tous les ports du Canada, et particulièrement dans le port de Montréal, qui est le deuxième plus important au pays, sont stratégiques, névralgiques et représentent une composante essentielle d’une chaîne logistique fondamentale pour notre économie, à plus forte raison lorsque notre économie est mise à mal, comme c’est le cas actuellement en raison de la crise liée à la COVID-19.

En quelques chiffres, voici ce que représentent les activités portuaires à Montréal. Plusieurs des statistiques suivantes proviennent de la décision du Conseil canadien des relations industrielles du 8 juin 2020, qui est mentionnée dans l’énoncé sur la Charte sur le projet de loi C-29. Avec 20 kilomètres de rivages, le port de Montréal soutient annuellement plus de 19 000 emplois directs ou indirects. Ce sont 40 millions de tonnes de marchandises qui y transitent, pour une valeur annuelle estimée à 100 milliards de dollars, ce qui est gigantesque. Cela représente plus de 2,5 milliards de dollars par année en retombées économiques, car 90 % des exportateurs et des importateurs du Québec et de l’Ontario utilisent cette porte d’entrée et de sortie pour soutenir leurs activités commerciales. J’ajoute ce qui suit, en citant le paragraphe 21 de la décision rendue le 8 juin 2020 :

En 2018, 1,7 million de conteneurs ont transité au Port de Montréal. Environ 2000 navires par année accostent au Port de Montréal et jusqu’à 2500 camions se rendent chaque jour au Port.

Le port de Montréal figure parmi les cinq plus importants ports de la côte Est de l’Amérique du Nord et le plus important port de l’Est du Canada. Relié à plus de 140 pays, il représente une porte d’entrée des marchandises en Amérique du Nord, notamment en provenance de l’Europe, mais aussi, de plus en plus, en provenance de l’Asie.

Des conteneurs transportent du matériel médical utilisé dans le contexte de la crise sanitaire que nous vivons actuellement, mais ce ne sont évidemment pas les seuls biens essentiels qui sont transportés au port. Comme le mentionne le paragraphe 22 de la décision du Conseil canadien des relations industrielles du 8 juin 2020 :

Les marchandises qui transitent par le Port de Montréal comprennent notamment des biens périssables et des biens dangereux, des produits pharmaceutiques, de l’équipement pour la protection contre les incendies et la protection civile, des plantes à usage médical, des parasiticides, des produits chimiques […]

Son Honneur le Président [ + ]

Sénateur Carignan, je regrette de devoir vous interrompre. Vous pourrez poursuivre votre intervention pour le reste de votre temps de parole lorsque la séance reprendra à 19 heures.

Honorables sénateurs, comme il est 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement et aux ordres adoptés le 27 octobre 2020 et le 17 décembre 2020, je suis obligé de quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures, à moins que le Sénat ne consente à ce que la séance se poursuive. Si vous voulez suspendre la séance, veuillez dire « suspendre ».

Son Honneur le Président [ + ]

J’ai entendu un « suspendre ». La séance est suspendue pendant une heure.

Son Honneur le Président [ + ]

Honorables sénateurs, la séance reprend. Sénateur Carignan, il vous reste 30 minutes.

Comme je le disais avant la pause, la décision du Conseil canadien des relations industrielles au sujet des marchandises qui transitent indique ce qui suit, et je cite :

Les marchandises qui transitent par le Port de Montréal comprennent notamment des biens périssables et des biens dangereux, des produits pharmaceutiques, de l’équipement pour la protection contre les incendies et la protection civile, des plantes à usage médical, des parasiticides, des produits chimiques, des produits alimentaires, des fertilisants, des minerais et des explosifs [...]

Or, plusieurs matériaux de construction transitent également par le port de Montréal. Comme vous le savez, nous connaissons actuellement une crise réelle du logement. De nombreux chantiers de construction d’habitations sont en marche et plusieurs autres verront le jour. Déjà, on assiste à une flambée des coûts liés aux matériaux de construction. Une raréfaction de la disponibilité de ces matériaux occasionnée par une interruption des activités au port de Montréal accroîtra forcément leurs coûts d’acquisition, ce qui aura un impact direct sur la capacité des Canadiennes et des Canadiens à se loger.

Je vous rappelle ceci, en citant le paragraphe 25 de la décision de juin 2020 du Conseil canadien des relations industrielles :

[...] le Port dessert 110 millions de personnes et […] de nombreux habitants sont approvisionnés en produits essentiels dont dépendent leur santé et leur sécurité.

Je mentionne aussi que 6 300 entreprises utilisent les services du port et que la valeur moyenne des marchandises d’un conteneur est d’environ 50 000 $ ou l’équivalent du salaire annuel moyen d’un Québécois.

De plus, il est question de 250 millions de dollars de recettes fiscales pour les gouvernements, et le corridor de commerce Saint-Laurent–Grands Lacs représente une voie multimodale d’importance majeure pour le commerce nord-américain.

Le rôle du port de Montréal dans l’économie est vital. Il constitue une suite essentielle et tout ralentissement a des impacts non seulement sur le Québec et l’Ontario, mais aussi sur l’ensemble du pays et du secteur du nord-est des États-Unis. Les biens qui transitent par le port de Montréal sont multiples et, dans bien des cas, il s’agit d’articles de première nécessité.

On le voit, le port de Montréal est un poumon économique important pour notre pays. L’incertitude générée par ce conflit de travail a des répercussions à long terme. On n’a qu’à penser au déplacement de l’activité portuaire vers d’autres ports de la côte Est canadienne et américaine. Les acteurs économiques liés au port de Montréal craignent à terme un exode des activités portuaires montréalaises vers d’autres sites plus stables qui ne sont pas bousculés par ces conflits de travail qui perdurent dans le temps. À titre d’exemple, le port de Montréal a constaté une baisse de 6 % du trafic de marchandises pour le quai no 1 en 2021. Il note également une baisse de 11 % du tonnage de conteneurs en mars 2021, comparativement à une baisse de 5,7 % pour l’année 2020, en pleine pandémie. Cette baisse équivaut à 300 000 tonnes de marchandises, l’équivalent de deux tours du Stade olympique. Notons enfin que le port de New York et de New Jersey a quant à lui enregistré une hausse du trafic de marchandises de 12,6 % en janvier et février 2021.

Certains attribuent ces variations — baisses à Montréal et augmentations dans les autres ports — à l’instabilité au port de Montréal qu’ont entraînée les négociations ardues et infructueuses ainsi que les épisodes sporadiques de grève. La grève de l’été dernier a asséné un dur coup à l’activité portuaire montréalaise et au commerce en Amérique du Nord. D’ailleurs, 80 000 conteneurs ont été détournés ou immobilisés. Près de 40 % des PME québécoises craignaient de subir des effets négatifs, car près de 600 millions de dollars de ventes ont été perdus pour les grossistes. Il aura fallu trois mois pour rattraper les retards, et plusieurs entreprises ont décidé de détourner leurs marchandises vers d’autres ports, comme celui d’Halifax. Ces détournements augmentent les coûts de transport, qui sont parfois jusqu’à 20 fois plus élevés que les coûts habituels. Les conteneurs détournés vers le port d’Halifax entraînent des coûts de transport terrestre additionnels qui varient de 300 $ à 700 $ par boîte, et des marchandises sont demeurées au port d’Halifax pendant deux mois à cause de cette grève.

Ces perturbations peuvent représenter des millions de dollars de pertes pour certaines entreprises, par exemple dans les secteurs d’exportation comme l’aluminium, l’automobile ou les matières premières.

Il est donc très urgent que ce conflit de travail puisse se régler pour le bien de tous et, en ce sens, je vous invite, honorables sénateurs, à appuyer ce projet de loi, sachant qu’il est tout à fait du ressort du gouvernement d’agir en cette matière.

Essentiellement, ce projet de loi prévoit deux choses. Il ordonne un retour au travail immédiat sans quoi des sanctions financières importantes seront imposées aux parties qui décideraient de défier la loi, et il donne à un « médiateur-arbitre » le pouvoir de recourir à une formule qui permettra d’adopter une nouvelle convention collective si les parties ne s’entendent pas. Cette formule est la médiation-arbitrage, et celle de l’arbitrage des offres finales, à laquelle je reviendrai plus tard, a été éliminée. Certains se questionnent sur la constitutionnalité d’une telle loi spéciale, qui brime, affirme-t-on, les droits fondamentaux des travailleurs. Qu’en est-il exactement ?

L’alinéa 2d) de la Charte protège la liberté d’association. Les tribunaux ont précisé ce droit, comme le rappelle la Cour d’appel du Québec dans un arrêt rendu plus tôt ce mois-ci, et je cite :

La liberté d’association protège un droit à la négociation collective qui demeure un droit à portée restreinte. Il ne garantit pas l’atteinte de résultats particuliers à l’issue de la négociation.

Le jugement que je viens de citer s’intitule Procureur général du Québec c. Les avocats et notaires de l’État québécois. Cet arrêt mentionne que pour qu’une loi spéciale contrevienne à l’alinéa 2d), il doit être démontré que les mesures de cette loi perturbent l’équilibre des rapports de force entre les employés et l’employeur, de telle sorte que ces mesures entraînent une entrave substantielle à un processus véritable de négociation collective.

D’ailleurs, en 2015, la Cour suprême du Canada a indiqué ceci au paragraphe 25 de l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan :

Lorsque le législateur limite le droit de grève d’une manière qui entrave substantiellement un processus véritable de négociation collective, il doit le remplacer par l’un ou l’autre des mécanismes véritables de règlement des différends couramment employés en relations de travail. La loi qui prévoit un tel mécanisme de rechange voit sa justification accrue au regard de l’article premier de la Charte.

Le dernier passage que je viens de citer est important puisque la suite de mon discours portera sur l’article premier de la Charte. Je suis convaincu que le projet de loi C-29, s’il est contesté devant les tribunaux, sera jugé constitutionnel, ou sera à tout le moins jugé compatible avec l’article premier de la Charte. Rappelons que cet article prévoit qu’une violation à un droit de la Charte — comme celui qui est prévu à l’alinéa 2d) — peut être justifiée dans une société libre et démocratique, si cette violation vise à répondre à un objectif urgent et réel et qu’elle porte minimalement atteinte au droit de la Charte. Le projet de loi satisfait à ces critères. D’abord, la grève au port causera un préjudice sérieux, grave et immédiat à des entreprises et à des secteurs névralgiques, ce qui met également en cause la santé et la sécurité du public. Selon l’article premier de la Charte, ces éléments représentent des objectifs urgents et réels auxquels répond le projet de loi.

Pour vous convaincre de l’intensité de ce préjudice, je cite de nouveau des exemples des conséquences que pourrait avoir une grève au port de Montréal, tirés de la décision du Conseil canadien des relations industrielles du 8 juin 2020 :

[...] s’il y avait une grève ou un lock-out au Port de Montréal, plusieurs médicaments à destination du Québec, de l’Ontario et des États-Unis pourraient être livrés en retard ou être périmés au moment de la livraison.

[...] 48 882 tonnes de produits pharmaceutiques passent par le Port de Montréal au cours d’une année donnée.

[...] la chaîne logistique qui prévaut au Port de Montréal fait en sorte qu’il y a très peu d’entreposage dans les entreprises. Selon le témoin, les entrepôts se trouvent maintenant sur le fleuve Saint-Laurent, en mer, dans les camions ou les trains, ou sur les quais du Port .

Étant donné que plusieurs secteurs névralgiques de l’économie reposent sur l’approvisionnement « juste à temps », un préjudice considérable sera causé immédiatement, par exemple dans l’industrie de l’acier, qui dépend du transport par bateau du minerai de fer, si la grève se prolonge pendant plusieurs jours encore.

Si les tribunaux en venaient à conclure que le projet de loi porte atteinte au droit constitutionnel d’association des débardeurs, j’ai pleinement confiance qu’ils jugeront également que le projet de loi constitue une atteinte minimale à ce droit. Je m’explique.

Le projet de loi fait en sorte que les parties seront consultées et il leur permet de s’entendre sur le choix d’un médiateur-arbitre neutre et indépendant. Ce dernier disposera d’un délai de 14 jours, ou, si les parties y consentent, de 21 jours pour poursuivre la médiation avant de procéder à l’arbitrage. Après cette période, les parties peuvent aussi continuer à négocier pour s’entendre sur une nouvelle convention collective sans se voir imposer une convention collective par arbitrage, pourvu que leur accord précède le dépôt du rapport médiateur-arbitre, que ce dernier doit déposer dans les 90 jours suivant sa nomination. Ces éléments du projet de loi offrent une solution de rechange à l’exercice du droit de grève pour maintenir un rapport de force entre les employés et l’employeur afin de négocier la nouvelle convention collective. Cette caractéristique déterminante du projet de loi fait en sorte qu’il permet de respecter le test de raisonnabilité et de justification en vertu de l’article 1. D’ailleurs, en 2015, les professeurs Drouin et Trudeau ont publié un article dans la Revue de droit de McGill, qui disait ce qui suit à la page 438 :

La présence d’un mécanisme de résolution des différends par un tiers neutre et indépendant représente une autre considération importante dans le cadre du test de l’atteinte minimale. En fait, l’absence d’un tel mécanisme risque d’être fatale dans le cas d’une loi interdisant la grève. À ce sujet, plusieurs des lois spéciales de retour au travail [au Canada] étudiées précédemment prévoient une formule de médiation ou d’arbitrage pour régler le différend. Une formule de médiation-arbitrage […] est certes moins attentatoire que le simple arbitrage non précédé d’une médiation ou, à tout le moins, d’une dernière période de négociation directe entre les parties. C’est aussi le cas de la loi qui laisse aux parties le soin de choisir l’arbitre qui interviendra pour trancher leur différend, contrairement à celle qui impose cet arbitre, surtout si son adoption n’est précédée d’aucune consultation à cet égard.

Le projet de loi C-29, en plus de permettre le recours à la formule de médiation-arbitrage, permet également au médiateur-arbitre de recourir à une autre formule, soit celle de l’arbitrage des offres finales. Avant l’amendement apporté par la Chambre des communes, il s’agissait d’un autre élément du projet de loi positif qui appuyait l’idée de respecter le critère de l’atteinte minimale de l’analyse de l’article 1 de la Charte. Je cite encore une fois l’article des professeurs Drouin et Trudeau, publié dans la Revue de droit de McGill en 2015 :

[...] Cette formule impose à l’arbitre de choisir la dernière proposition formulée par la partie syndicale ou la dernière émanant de la partie patronale pour trancher le différend et déterminer les conditions de travail applicables. [...] il est plausible de considérer l’arbitrage des offres finales, précédé d’une période de négociation imposée aux parties en présence d’un médiateur, comme une formule moins attentatoire au processus de négociation collective que l’arbitrage régulier de différend.

Je cite ce passage qui rappelle que le dirigeant syndical, M. Murray, en évoquant l’amendement au projet de loi, s’est félicité du retrait du processus de la meilleure offre. Il serait fort particulier que le syndicat, qui a manifesté son intention de contester la loi, prétende aujourd’hui que le processus de la meilleure offre finale ne respecte pas le critère de l’atteinte minimale.

Le projet de loi propose maintenant un seul processus de médiation et d’arbitrage par un tiers neutre et indépendant, qui pourrait même être choisi par les parties. Cette situation se distingue donc — comme le sénateur Gold l’a très bien expliqué — de l’arrêt que la Cour d’appel du Québec a rendu ce mois-ci. En effet, cet arrêt a jugé inconstitutionnelle la loi provinciale qui ordonnait en 2017 le retour au travail de juristes de l’État québécois, parce que le législateur québécois n’avait pas offert dans sa loi un mécanisme de règlement des différends véritable et efficace, ce qui contrevenait aux conclusions de l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan de la Cour suprême du Canada, que j’ai cité précédemment.

Je conclus donc mon discours en paraphrasant le paragraphe 103 de l’arrêt de la Cour d’appel du Québec. En présentant le projet de loi C-29, le gouvernement a déterminé que la négociation de la convention collective au port de Montréal se trouvait dans une réelle impasse. Il a soupesé l’intérêt public en considérant notamment les préjudices sérieux, réels et graves que causerait au Canada un prolongement, même court, de la grève des débardeurs, y compris les dangers d’une pénurie de biens essentiels en plein milieu d’une pandémie. Le législateur a décidé d’intervenir en présentant une loi de retour au travail. Cette décision fait partie de sa prérogative et les tribunaux devront faire preuve de déférence quant à ce choix social et politique. Toutefois, le législateur a choisi — et il devait le faire, selon moi — de compenser la fin de l’exercice de ce droit de grève par un mécanisme de règlement des différends entre l’employeur et les employés qui permettra de résoudre équitablement, efficacement et promptement l’impasse au port de Montréal, et ce, dans l’intérêt supérieur du pays. C’est pourquoi j’appuie le projet de loi et je vous invite, chers collègues, à faire de même pour qu’il soit adopté dès la fin de cette journée. Merci.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ + ]

Je prends la parole à l’étape de la troisième lecture pour exprimer mon appui au projet de loi C-29, loi spéciale visant à forcer le retour au travail des débardeurs du port de Montréal.

À titre de vice-présidente du Comité des transports et des communications, j’ai été sensibilisée aux activités cruciales du port de Montréal et de celui de Prince Rupert, en Colombie-Britannique. Je suis Montréalaise, j’ai été journaliste et je suis donc au fait des relations de travail empoisonnées qui prévalent au port de Montréal, qui sont caractérisées par des lock-out et des grèves dures. Lors d’une grève coûteuse des débardeurs, l’été dernier, des cadres et des agents de sécurité ont rapporté avoir été frappés et agressés par une cinquantaine de syndiqués. Le syndicat des débardeurs a rétorqué que c’était un piquet de grève qui avait mal tourné, car il y avait des briseurs de grève sur place, ce qui a été perçu comme de la provocation. Le discours syndical est parfois brutal. Bien des Montréalais ont été consternés d’entendre le conseiller syndical des débardeurs inviter sur Twitter la mairesse de Montréal, Valérie Plante, et je cite, à « fermer sa gueule », car elle n’en connaissait pas plus que cela sur la situation au port de Montréal. Mme Plante s’inquiétait des effets d’une grève générale sur la métropole. Certes, il y a une impasse dans les négociations. De plus, au début d’avril, la partie patronale a arrêté de payer les heures non travaillées durant une période tendue, ce qui a allumé la mèche. En effet, nous sommes au cœur d’une pandémie, où bien des gens souffrent. Je crois utile de rappeler, sans entrer dans les détails, que les débardeurs de Montréal ont des conditions enviables en comparaison avec leurs collègues d’autres ports canadiens. Un débardeur montréalais dissident de son syndicat nous a écrit ceci, et je cite : « Les salaires sont extraordinaires. Quand tu veux devenir débardeur, tu connais et tu sais ce que c’est le boulot. »

Le droit de grève, qui jouit d’une protection constitutionnelle, est essentiel pour créer un rapport de force entre employeurs et employés. Cela dit, les jugements selon lesquels les conséquences d’ordre économique ne sont pas un argument valable pour limiter ce droit de grève datent d’avant la pandémie.

Donc, l’analyse constitutionnelle du projet de loi C-29 ne peut faire fi du contexte actuel. Bien que nous nous trouvions face à une grève légale, l’exercice de ce droit survient durant une crise humanitaire sans précédent. D’autres droits fondamentaux ont été affaiblis pour faire face à la pandémie. Je pense notamment à la liberté de circulation entravée par le couvre-feu. À mon avis, cette grève générale des débardeurs, en plein milieu de la troisième vague de la pandémie, est légale, mais illégitime, car elle constitue une épreuve de trop pour les autres travailleurs, les entreprises et les commerces qui ont traversé une année infernale ou qui sont au bord de la faillite.

Beaucoup d’entreprises, des hôpitaux et des sociétés pharmaceutiques dépendent d’un approvisionnement en marchandises transitant par le port de Montréal.

Deux experts entendus par le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), en 2019, indiquaient que les chaînes logistiques sont conçues pour être et je cite :

[...]« juste à temps », c’est-à-dire que les produits sont livrés au moment où l’on en a besoin, car les détaillants et les fabricants ont de moins en moins d’entrepôts et dépendent d’arrivages à des moments précis.

On apprend aussi dans ces audiences, que le sénateur Carignan a aussi citées, que 425 000 tonnes de produits dangereux peuvent transiter en un an par le port, et qu’en cas d’arrêt de travail, ces produits sont coincés quelque part, possiblement dans un entrepôt.

De plus, le principal fournisseur de matériel médical pour les établissements de santé, dont le CHUM, reçoit une quantité importante de matériel du port de Montréal.

Cependant, c’était avant le début de la pandémie, et à l’époque, le CCRI avait conclu que ces inconvénients ne constituaient pas un risque imminent et grave pour la sécurité ou la santé du public au sens du Code canadien du travail. Une décision qui fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale.

Les débardeurs ne sont pas les seuls à avoir de la difficulté à négocier leur convention collective durant la pandémie. D’autres groupes de travailleurs au Québec sont insatisfaits de leurs conditions de travail. Je pense aux infirmières épuisées qui sont obligées de faire des heures supplémentaires, et qui risquent à tout moment d’être contaminées. Je pense aux enseignants qui doivent se réinventer, se préoccuper constamment des masques des tout-petits, enseigner à leurs élèves en classe et à ceux isolés chez eux. Leurs syndicats ont fait connaître haut et fort leur mécontentement, mais pas en réduisant la cadence ou en refusant les heures supplémentaires. Ils font plutôt des campagnes de publicité chocs qu’on voit en boucle à la télévision — une stratégie syndicale adaptée, et qui ne fait pas de victimes, justement parce qu’on est en pandémie —, parce qu’on ne peut pas se passer de nos services essentiels quand la société entière et les chaînes d’approvisionnement sont à ce point perturbées. N’en rajoutons pas. L’intérêt public doit primer.

Il est vrai que l’ensemble des activités du port de Montréal n’a pas été jugé comme un service essentiel par le CCRI avant la pandémie. Mais le gouvernement devrait-il légiférer en ce sens en modifiant le Code canadien du travail? Le gouvernement fédéral l’a déjà fait pour les produits destinés à Terre-Neuve transitant par le port de Montréal. Il me semble que cette option devrait être examinée. La ministre du Travail, Filomena Tassi, interrogée plus tôt, ne s’est pas avancée sur ce sujet.

En plus de régler le conflit actuel, cette solution permettrait d’éviter le jeu du chat et de la souris auquel se livrent depuis trop d’années les débardeurs et leurs employeurs, qui sont plusieurs grands armateurs, ce qui complique les négociations. Les menaces répétées de paralysie du port font peser un lourd poids sur l’économie de l’Ontario et du Québec.

Des experts estiment que chaque jour de grève coûte entre 10 et 25 millions de dollars à l’économie, et c’est sans compter tous les problèmes de pertes de contrat, de révisions de logistique, de temps et de revenus perdus non seulement pour les entreprises, mais aussi pour leurs employés, qu’il s’agisse par exemple de machinistes, de vendeurs ou de camionneurs.

Un mot sur un restaurateur d’origine vietnamienne à bout de souffle que je connais depuis 20 ans, et qui arrive tout juste à survivre grâce aux commandes pour emporter depuis l’été. La seule menace de grève au port, l’anxiété des marchés, a fait soudain grimper le coût de ses produits d’emballages. Il applaudit la loi spéciale.

Dans ce conflit, les parties négocient depuis déjà trop longtemps sans parvenir à s’entendre. Malgré une centaine de séances de médiation, les grèves de l’été dernier et une trêve de sept mois, aucune entente n’est en vue.

Les activités normales doivent reprendre au port de Montréal, et si, en définitive, c’est le médiateur-arbitre qui écrit la convention collective, une partie comme l’autre pourrait devoir faire face à de mauvaises surprises. Cette menace sera peut-être suffisante pour que syndicat et employeurs s’entendent. Tant mieux si c’est le cas.

Pour toutes les raisons que je viens d’invoquer, je réitère donc que je vais voter pour la loi spéciale. Ce dernier recours est nécessaire.

Je vous remercie.

L’honorable Jean-Guy Dagenais [ + ]

Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur le projet de loi C-29 pour vous faire part de toute mon indignation et vous expliquer pourquoi je vais voter contre cette loi voulant forcer le retour au travail des débardeurs du port de Montréal.

Dans un premier temps, le gouvernement Trudeau nous demande aujourd’hui d’adopter une loi qui, de toute évidence, sera déclarée illégale par les tribunaux d’ici trois ou quatre ans, mais qui, entre-temps, dépouille les débardeurs d’un droit fondamental de faire la grève, et qui va permettre aux employeurs maritimes de retirer aux travailleurs certaines de leurs conditions de travail sans passer par le véritable jeu de la négociation.

Le gouvernement Trudeau ignore aujourd’hui une décision de la Cour suprême dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, rendue en 2015, selon laquelle seules la santé et la sécurité du public peuvent justifier d’enlever le droit de grève par une loi spéciale.

Bien plus, le même tribunal a aussi affirmé dans sa décision que les dommages économiques anticipés ne sont pas une raison pour priver des travailleurs de leur droit de grève. Cela me semble assez clair, et cela semble l’être aussi pour plusieurs experts en droit du travail et en relations de travail qui se sont prononcés publiquement au cours des derniers jours.

Vous avez donc devant vous aujourd’hui non seulement le sénateur que vous connaissez, mais aussi l’ancien chef syndical qui constate avec désolation l’irresponsabilité du gouvernement en place et son manque de respect pour les travailleurs.

Avec le projet de loi C-29, les libéraux rééditent le même jeu qu’ils ont joué avec leur première version de la loi sur l’aide médicale à mourir. Peu importe l’illégalité de leur texte de loi, ils forcent les parlementaires de cette Chambre, du moins ceux qui le feront plus tard aujourd’hui, à adopter une loi qui sera éventuellement déclarée illégale par une cour de justice.

Comment ne pas être indigné devant autant d’arrogance politique et autant de mépris libéral des décisions judiciaires de notre pays?

Comment ne pas être également indigné du mépris des libéraux pour les droits des travailleurs, des droits qui ont été acquis au fil des ans par la voie de la négociation?

De toute évidence, le respect des jugements et des droits des travailleurs ne fait pas partie de l’ADN de M. Trudeau.

Parlons maintenant plus précisément du conflit au port de Montréal.

Tout d’abord, personne ici ne devrait trouver normal que les débardeurs soient sans contrat de travail depuis 2018, comme c’est le cas actuellement.

C’est ce qui arrive quand des employeurs évitent stratégiquement, à mon avis, de négocier, sachant qu’ils peuvent compter sur la complaisance et la complicité du gouvernement en place pour passer des lois qui auront pour effet de brimer les droits des syndiqués.

Les débardeurs du port de Montréal n’ont pas volé leurs conditions de travail actuelles. Ils les ont obtenues au fil des ans au moyen de négociations. Ce sont les employeurs maritimes qui leur ont consenti les conditions de travail actuelles.

Aujourd’hui, si ces mêmes employeurs veulent modifier ces conditions, la logique des relations de travail serait que cela se fasse aussi au moyen de la négociation, et non par le biais d’une loi spéciale du gouvernement qui va désigner un arbitre pour faire fixer sans encadrement les conditions futures des débardeurs.

La stratégie des employeurs maritimes m’apparaît assez claire. Ils ont refusé de négocier sérieusement, ils ont tenté de modifier unilatéralement certaines dispositions sur les horaires de travail, ce qui a entraîné le débrayage de lundi dernier; ils ont surtout dénoncé malicieusement sur la place publique les salaires payés aux débardeurs dans le but de les faire stigmatiser par une certaine partie de la population, et je dirais même par certains politiciens aveuglés.

Dans ce conflit, ce ne sont pas les salaires qui sont en cause, ce sont les horaires de travail. Les débardeurs veulent des améliorations dans le but de mieux concilier le travail et la famille et de ne plus être au travail 19 jours sur 21.

Il me semble avoir déjà entendu le premier ministre Trudeau se décrire comme un homme qui veut valoriser la famille. Encore une fois, force est de constater sa grande capacité d’en parler, tout en faisant le contraire de ce qu’il a promis.

Ceux qui ont pris la peine d’examiner les différentes étapes du conflit actuel sont capables de constater la stratégie des employeurs maritimes.

Historiquement, les cinq employeurs maritimes sont des concurrents qui se disputent le marché du transport maritime à Montréal et se volent littéralement des contrats. Chacun joue son jeu.

Toutefois, quand arrive le temps de négocier, ces mêmes cinq employeurs ont choisi de faire front commun pour affronter le syndicat des débardeurs.

Pour arriver à leurs fins, les employeurs maritimes du port de Montréal ont choisi, il y a moins de deux ans, Martin Tessier, qu’on a reçu aujourd’hui, comme président de leur association.

D’où vient M. Tessier? Il vient de chez Bombardier, où comme vice-président des Ressources humaines pendant plusieurs années, il a participé à ce que certains appellent la restructuration. En réalité, il a participé à des mises à pied et a été, à ce titre, le complice des hauts dirigeants de l’entreprise qui sont partis avec des millions de dollars en poche au détriment des petits investisseurs et des payeurs d’impôt qui ont vu leur gouvernement soutenir les opérations douteuses et déficitaires de l’entreprise. Donc, c’est à lui, Martin Tessier, que les employeurs maritimes ont confié la tâche d’affronter le syndicat des débardeurs en nous le présentant dans un communiqué, en juillet 2019, comme un homme dont la capacité de gestion est, et je cite ce communiqué, « résolument orientée vers les relations humaines ».

Toutefois, nous avons appris aujourd’hui que cet homme aux si grandes qualités n’était pas à la table de négociations depuis sa nomination.

Je me permets d’ajouter les informations suivantes pour soutenir ce que je disais sur la stratégie des employeurs maritimes. Pas plus tard qu’hier, la partie patronale publiait un communiqué affirmant que les employeurs maritimes allaient respecter la loi spéciale en rétablissant la sécurité d’emploi et en respectant les dispositions de la convention collective.

Si vous m’avez bien compris, ce communiqué n’est rien d’autre qu’un aveu des employeurs confirmant qu’ils ne respectaient plus la convention collective en vigueur. Dans le monde des relations de travail, nous appelons cela de la pure provocation patronale — une stratégie qui consiste à provoquer une grève en sachant que les libéraux au pouvoir feront une loi spéciale.

Comment peut-on accorder de la crédibilité à M. Tessier? Il y a quelques heures, il a témoigné en Chambre pour nous dire qu’il était prêt à faire aujourd’hui ce qu’il a refusé de faire il y a une semaine, ce qui aurait permis d’éviter la grève et la loi spéciale.

Demandez-vous si les employeurs maritimes avaient déjà en poche une promesse de Justin Trudeau que le Parlement allait intervenir s’ils laissaient pourrir les négociations pour entraîner un débrayage qui fait bien leur affaire. Posez-vous cette simple question avant de sanctionner aveuglément le projet de loi C-29.

Nous avons devant nous une loi inutile, inconstitutionnelle et qui viole un arrêt de la décision de la Cour suprême dans l’affaire Saskatchewan, une loi anti-travailleurs. Nous avons surtout devant nous une loi qui ne règle rien de ce conflit de travail, mais qui vient appuyer un employeur hypocrite qui n’a aucun respect pour les travailleurs du port de Montréal.

Devant un tel comportement, Justin Trudeau et son gouvernement avaient bien d’autres options que le projet de loi C-29, une loi inconstitutionnelle qui matraque les droits des travailleurs. Dans quelques années, un juge statuera de toute évidence l’illégalité de cette loi dont je n’ai pas l’intention d’être complice en l’approuvant aujourd’hui.

Je vais peut-être me répéter. Je n’ai jamais été et je ne serai jamais du genre à approuver les projets de loi des libéraux et de Justin Trudeau, tels quels, les yeux fermés. Je ne fermerai pas les yeux et ne me boucherai pas le nez pour voter en faveur de cette loi spéciale. Je vous remercie.

Le sénateur Plett [ + ]

Votre Honneur, nous n’entendons pas l’interprétation.

Son Honneur le Président [ + ]

Honorables sénateurs, nous allons suspendre la séance cinq minutes pour régler ce problème technique. Est-ce d’accord?

L’honorable Pierre J. Dalphond [ + ]

Honorables sénatrices et sénateurs, permettez-moi de vous présenter quelques observations, comme juriste et sénateur québécois.

Les premières porteront sur le rôle du Sénat par rapport à la Chambre des communes et au gouvernement, maintenant qu’il s’agit d’une institution non contrôlée par les partis politiques représentés à la Chambre des communes. Les deuxièmes traiteront des droits fondamentaux en jeu, et les troisièmes du contenu du projet de loi C-29 qui est devant nous.

Le grand public ne le réalise peut-être pas encore pleinement, mais plus des trois quarts des membres de cette chambre sont affiliés à trois groupes qui n’ont pas de liens avec les partis politiques ou le gouvernement. Qui plus est, aucun de ces groupes n’impose une position à ses membres à l’égard des votes qui sont tenus au Sénat.

En d’autres mots, une très grande majorité des membres de cette Chambre croit en l’indépendance individuelle et à l’égalité entre les sénateurs et sénatrices. Il s’ensuit que les pratiques anciennes sont désormais révolues. Le gouvernement du jour doit composer avec cette nouvelle réalité, comme c’est le cas aujourd’hui avec la tenue d’un comité plénier composé non seulement de ministres, mais de représentants des deux parties. En passant, il n’y a pas eu un tel exercice à la Chambre des communes, où la loi a été adoptée avec le bâillon.

Cette nouvelle indépendance nous permet de mieux nous acquitter de notre mission et de prendre des décisions en nous appuyant sur les faits et en respectant pleinement les droits fondamentaux de tous les Canadiens, comme les droits des peuples autochtones issus des traités, les droits des minorités, et les droits reconnus par la Charte des droits et libertés comme le droit à l’égalité, la liberté d’association et la liberté d’expression.

Je passe maintenant à des commentaires sur les droits fondamentaux auxquels nous faisons face aujourd’hui, une dimension qui doit être prise en considération dans notre discussion et dans notre réflexion à l’égard de ce projet de loi.

Dans le jugement Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, rendu en 2015, auquel le sénateur Gold a fait référence plus tôt, la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur la portée du droit d’association, notamment pour y inclure le droit des travailleurs qui se sont associés librement de négocier collectivement et en cas d’échec des négociations et après l’expiration d’une convention collective, d’exercer des moyens légaux de pression pour forcer la conclusion d’une nouvelle entente, dont celui, ultimement, de faire la grève.

La juge Abella, une juriste remarquable qui quittera bientôt la Cour suprême, où elle œuvre depuis 2004, a écrit ceci au nom de la majorité en 2015, et je cite :

L’histoire, la jurisprudence et les obligations internationales du Canada confirment que, dans notre régime de relations de travail, le droit de grève constitue un élément essentiel d’un processus véritable de négociation collective. [...] Le droit de grève n’est pas seulement dérivé de la négociation collective, il en constitue une composante indispensable. Le temps me paraît venu de le consacrer constitutionnellement.

Comme l’ont souligné la majorité des juges de la Cour suprême du pays, le droit de grève favorise l’équité dans le processus de négociation. Il presse les deux parties à négocier de bonne foi, ce qui place les employés sur un pied d’égalité avec leur employeur.

En l’espèce, la dernière convention collective librement intervenue entre l’Association des employeurs maritimes et le Syndicat des débardeurs, SCFP section locale 375, est entrée en vigueur le 20 mars 2013. Cette convention représentait alors l’intention commune des parties. Elle n’a pas été imposée par une loi ou par un arbitre. Elle n’est pas le fruit du hasard, mais d’une longue négociation par des gens expérimentés de part et d’autre. En fait, depuis 1970, toutes les conventions collectives au port de Montréal ont été librement négociées.

Comme vous le savez, les conventions collectives sont par définition d’une durée limitée. Celle convenue en mars 2013 est venue à échéance en décembre 2018. Malheureusement, plus de deux années plus tard, les parties sont toujours incapables de convenir des termes d’une nouvelle convention collective. Si je retiens bien ce qui nous a été dit aujourd’hui lors du comité plénier, il semble que les positions des parties sont éloignées sur une trentaine d’aspects.

C’est dans ce contexte qu’en avril, l’employeur a décidé de modifier les garanties de salaire, puis les modalités sur les heures de travail. Ces gestes se voulaient des réponses aux moyens de pression exercés par les salariés, mais ils ont contribué à intensifier un climat d’affrontement. Les travailleurs ont rétorqué par une grève générale, un droit qui leur est reconnu par la loi. L’intervention d’un médiateur et de nombreux intervenants extérieurs appelant à un retour au statu quo précédant les événements qui ont provoqué la grève n’ont pas réglé la situation.

Entre-temps, les conséquences de cette grève générale — tout à fait légale, je le répète — sont très importantes pour la région de Montréal, l’ensemble du Québec, et de nombreuses entreprises et personnes situées dans l’Est ontarien et dans certaines provinces des maritimes. Ces conséquences, nous dit-on, affectent même certaines entreprises reliées aux fournitures médicales alors que nous traversons une pandémie.

C’est sans doute pour cela que la mairesse de Montréal, le gouvernement du Québec et de nombreux intervenants économiques québécois réclament unanimement l’intervention du gouvernement fédéral. Selon eux, ce qui est en jeu ne se limite pas aux intérêts économiques de l’employeur, mais à la stratégie de développement de Montréal et du Québec et à la fourniture de biens essentiels à des tiers, notamment en raison de la pandémie.

Sur la foi de rapports de médiation, le gouvernement en est venu à la conclusion qu’une entente pour assurer la reprise des activités était impossible. C’est dans ce contexte très particulier qu’il a proposé au Parlement d’adopter une loi spéciale.

Le gouvernement propose alors une loi spéciale comme représentant de la collectivité et non comme un employeur qui force l’autre partie à accepter ses conditions, comme ce fut le cas dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, ni pour forcer son intérêt économique, comme dans le cas de la Société canadienne des postes, dont le gouvernement est l’actionnaire principal.

En d’autres mots, l’intervention de l’état est dans ce cas-ci mue uniquement par sa perception de ce qui doit être fait dans l’intérêt public dans toutes ses dimensions. En l’espèce, le projet de loi aura plusieurs effets, dont l’un est l’obligation pour les travailleurs de reprendre le travail ou, en d’autres mots, de mettre fin à leur droit de grève.

À mon avis, une telle intervention est toujours exceptionnellement possible, même si elle met fin à l’exercice d’un droit constitutionnellement reconnu, celui de faire des grèves légales dans l’exercice du droit d’association, pourvu qu’elle satisfait aux critères exigeants de l’article 1 de la Charte des droits et libertés.

Qu’en est-il, en l’espèce? Il y a d’abord la décision du Conseil canadien des relations de travail qui a refusé, dans une décision rendue en juin 2020, de déclarer que le maintien de tous les services requis pour la pleine opération du port constituait des services essentiels. En fonction de la preuve qui avait été faite précédemment devant lui, le Conseil a conclu que l’employeur en demandait trop. Il faut se rappeler qu’on ne saurait qualifier de service essentiel tellement de choses que le droit de grève deviendrait vide de sens.

Je note aussi que la loi aura pour effet de rétablir la convention collective expirée et de prévoir un arbitrage obligatoire à défaut d’entente entre les parties après une période de médiation. Cet arbitrage pourra porter sur l’ensemble des modalités de la convention collective qui sont en litige entre les parties, soit une trentaine de sujets.

En d’autres mots, la loi impose une cessation des hostilités, force une reprise des discussions et, entre-temps, rétablit une convention collective qui avait été librement signée en mars 2013, incluant une obligation de l’employeur de payer pour les heures garanties. Je vous rappelle que c’est la décision de renverser ces heures garanties à la suite de l’expiration de la convention collective qui a provoqué la grève.

Comme toute convention collective, elle encadrera aussi les droits de gérance de l’employeur. Est-ce que l’ensemble de ces mesures constitue une atteinte justifiée et minimale au droit de grève des salariés du port de Montréal? Je comprends que les syndicats soumettront cette question aux tribunaux. J’éviterai donc d’y répondre tout en soulignant que ce dossier m’apparaît bien différent de celui de la Société canadienne des postes, dont l’historique de lois spéciales était plutôt impressionnant.

Voilà pourquoi, Monsieur le Président, je ne voterai ni pour ni contre cette loi, mais je m’abstiendrai si un vote par appel nominal est tenu. En cas de vote de vive voix, ce discours confirmera que je n’ai pas voté en faveur de la loi.

Avant de conclure, je tiens à souligner qu’en réponse à mes questions plus tôt aujourd’hui, M. Tessier, au nom de l’Association des employeurs maritimes, s’est engagé à annuler dès demain matin, si le projet de loi est adopté, les deux modifications unilatérales des conditions de travail des 9 et 22 avril qui ont déclenché la grève générale.

Je rappelle que le syndicat a répété à plusieurs reprises depuis une semaine que ses membres reprendraient le travail dès que ces mesures seraient révoquées. Il est bien dommage que la médiation n’ait pas conduit à ce résultat, mais je suis heureux de constater que, dans le cadre des travaux du Sénat, ces engagements de l’employeur, réclamés par le syndicat, ont été enfin exprimés clairement.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Tony Loffreda [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal. En tant que sénateur montréalais, je crois qu’il est de mon devoir de dire quelques mots sur cette question.

Comme d’autres personnes l’ont déjà expliqué, le projet de loi C-29 vise à mettre fin à l’arrêt de travail en cours au port de Montréal et à offrir à l’Association des employeurs maritimes et au Syndicat des débardeurs — SCFP, section locale 375, un processus neutre de médiation-arbitrage pour résoudre leurs différends.

Nous savons que les deux parties sont à la table de négociations depuis septembre 2018, mais en vain. Depuis, elles ont tenu plus de 100 réunions, une grève a eu lieu en août 2020, et, malgré les bonnes intentions de chacun, nous nous trouvons toujours dans une impasse qui a mené à la grève actuelle. Évidemment, je tiens à remercier les deux parties d’avoir accepté de comparaître devant nous plus tôt cet après-midi.

Je tiens à souligner que je crois au processus de négociation collective et que je reconnais que les Canadiens ont le droit de revendiquer de meilleures conditions de travail et d’exercer leur droit de grève. Je ne remets pas cela en question. Au contraire, je regrette que nous en soyons au point où le gouvernement se voit forcé d’intervenir par l’intermédiaire d’une loi spéciale.

Dans l’énoncé concernant la Charte au sujet du projet de loi C-29, je note que le gouvernement reconnaît que la mesure législative pourrait mettre en cause deux alinéas de la Charte, y compris l’alinéa qui prévoit que chacun a la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression. Je sais que le gouvernement a présenté ce projet de loi en dernier recours pour éviter que notre économie subisse des contrecoups supplémentaires et pour que les produits recommencent à circuler, tout en permettant aux deux parties de poursuivre les négociations au moyen d’un processus de médiation et d’arbitrage défini dans la loi. J’ai bon espoir que les parties parviendront à résoudre les questions en litige avec l’aide du médiateur-arbitre et qu’une nouvelle convention collective sera conclue.

J’admets qu’appuyer ce projet de loi me met un peu mal à l’aise : je me retrouve dans une position difficile en accordant la priorité aux droits, aux libertés et à la capacité de gagner sa vie de certains Canadiens au détriment des autres. Je ne prends pas cette question à la légère.

Cela dit, je crois aussi qu’il serait mal avisé de seulement prendre en compte les revendications des travailleurs et de réduire ce dossier au droit des travailleurs et à la capacité de négocier une entente collective. Dans mon évaluation de la situation, il m’a semblé important de tenir compte de la vision globale et des effets à court et à long terme de l’arrêt de travail.

J’ai eu du mal à me faire une tête à propos du projet de loi C-29, mais c’est le bien-être général de l’économie canadienne, surtout dans un contexte de pandémie, qui me pousse à l’appuyer. À mon avis, le gouvernement s’efforce de trouver un juste équilibre entre les droits des débardeurs du port et la capacité des entreprises canadiennes d’exporter et d’importer des produits et de mener leurs affaires.

Il m’apparaît évident que si la grève se poursuit, elle nuira à notre économie, aux entreprises et à la main-d’œuvre. On dit que cette grève coûte chaque jour entre 10 et 20 millions de dollars à l’économie du pays. Nous en sommes au cinquième jour.

De plus, des données confirment que l’économie a souffert de l’arrêt de travail de l’été dernier. À titre d’exemple, 80 000 conteneurs ont été renvoyés ou immobilisés. Les grossistes ont perdu près de 600 millions de dollars de ventes, et il a fallu trois mois pour rattraper les retards. Nous savons aussi que des entreprises américaines ont déjà décidé de faire affaire avec des ports américains et que des entreprises canadiennes choisissent maintenant de faire transiter leurs produits par Hamilton et Halifax. Bien que je trouve positif qu’une partie de l’achalandage passe maintenant par d’autres ports canadiens, comme je viens de Montréal, je crains évidemment que ces contrats ne reviennent jamais à Montréal et que la réputation de ma ville soit entachée à tout jamais.

D’après la ministre Tassi :

Cet arrêt de travail touche plus de 19 000 emplois directs et indirects associés au transit par le port de Montréal [...] jusqu’à 250 000 emplois à Montréal et 273 000 emplois en Ontario liés à la production de produits de conteneurs d’expédition seraient touchés par cet arrêt de travail.

Je remercie également la ministre Tassi et le ministre Alghabra d’avoir fourni des détails supplémentaires sur l’impact économique de la grève durant leur comparution devant le comité plénier aujourd’hui.

Je rappelle aux sénateurs que le port de Montréal est le plus grand port de l’Est du Canada, qu’il a des liens avec plus de 140 pays et qu’il est le deuxième port à conteneurs le plus important du Canada. En 2019, plus de 41 millions de tonnes de marchandises y ont transité. En moyenne, plus de 2 000 navires par année, jusqu’à 2 000 camions par jour et entre 60 et 80 trains par semaine passent par le port. Toute cette activité représente environ 40 milliards de dollars en marchandise.

Je comprends que nous étions en pandémie l’an dernier, mais il importe aussi de souligner que le tonnage des cargaisons a baissé de 13,25 % l’an dernier par rapport à 2019. Autrement dit, l’économie ne peut pas supporter un autre arrêt de travail d’une durée indéterminée au port. Et les entreprises, dont beaucoup arrivent à peine à survivre, ne devraient pas avoir à faire face à plus d’incertitude et risquer encore davantage de perdre des revenus et des emplois — pas en ce moment.

Un collectif de six grandes organisations, notamment la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le Conseil du patronat du Québec et Manufacturiers et exportateurs du Québec, a demandé au gouvernement d’intervenir dans cette affaire depuis un certain temps, et il a accueilli favorablement le projet de loi C-29. Le collectif, qui comprend aussi plus de 400 signataires, considère que les activités portuaires sont essentielles au bon fonctionnement de l’économie et que le port de Montréal est une infrastructure stratégique sur laquelle nos entreprises doivent pouvoir s’appuyer au moment où elles mettent les bouchées doubles pour assurer leur relance.

Le gouvernement du Québec partage aussi cet avis. Le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, croit que le port de Montréal est un service public stratégique pour la relance économique, alors que son homologue aux Transports affirme que l’économie québécoise ne peut se permettre que ce conflit de travail perdure. Effectivement, je suis d’avis que, dans le contexte actuel de la relance économique, alors que nous sommes toujours en pleine pandémie, les entreprises canadiennes ne sont pas en mesure d’absorber d’autres coups. Cet arrêt de travail serait catastrophique pour elles. Certaines personnes ont demandé au gouvernement de défendre les débardeurs du port de Montréal, de protéger leurs droits et de retirer ce projet de loi. Bien que j’accepte le bien-fondé de cette revendication, je crois qu’il faut aussi se soucier du sort de notre économie en général et de celui de nos entreprises, qui doivent pouvoir se fier à un système de transport des biens efficace, fiable et compétitif.

Je tiens à préciser qu’il n’est pas question pour moi de défendre l’intérêt des plus riches en appuyant ce projet de loi, comme l’ont avancé certains politiciens, mais bien l’intérêt des PME du Québec et des travailleurs du Québec. D’ailleurs, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a affirmé que 53 % des PME québécoises sont d’avis qu’une grève aurait des effets néfastes sur leurs entreprises, et 72 % des répondants ont demandé aux élus d’agir.

Étant donné ces circonstances exceptionnelles et les conséquences négatives anticipées, je suis prêt à appuyer ce projet de loi et j’exhorte le Sénat à ne pas retarder son adoption.

L’honorable Terry M. Mercer [ + ]

Honorables sénateurs, aujourd’hui, j’aimerais vous faire part de mes observations sur le projet de loi C-29, qui prévoit la reprise des opérations au port de Montréal. Est-ce qu’on voulait en arriver là? Non, mais je crois qu’il est important d’essayer de comprendre comment on en est arrivé là.

Nous avons entendu les témoignages des deux parties. Évidemment, chaque partie a une vision différente des raisons qui ont mené à cette situation, mais nous devons maintenant nous demander ce que nous pouvons faire.

J’ai grandi près du port d’Halifax. Je suis issu d’une longue lignée de fiers travailleurs syndiqués. Depuis longtemps, les syndicats se battent avec ardeur pour que les travailleurs qu’ils représentent puissent atteindre l’équité salariale, avoir suffisamment de congés, prendre leur retraite dans la dignité et jouir d’une foule d’autres garanties. Je continuerai d’appuyer les syndicats dans cette noble entreprise.

Je reconnais aussi que l’employeur a le devoir de traiter ses employés de manière équitable tout en assurant la rentabilité de l’entreprise, mais quels sont les coûts réels? Les deux parties sont dans une impasse. Je salue les efforts qui ont été déployés de part et d’autre pour trouver un terrain d’entente, mais comme ils n’ont pas abouti à une entente satisfaisante, nous sommes maintenant saisis d’un projet de loi de retour au travail.

Honorables sénateurs, des échanges commerciaux de centaines de millions de dollars et des milliers d’emplois sont en jeu. N’oublions pas non plus que la grève menace la libre circulation des biens et pourrait faire grimper leur coût. En plus de nuire à tous les Canadiens à un moment où ils ne peuvent pas se permettre ce genre de tracas, cette grève ternit notre image de pays commerçant. Il y a beaucoup en jeu.

Il y a déjà eu des grèves dans divers secteurs de notre économie et, dans bien des cas, des ententes équitables ont été conclues. Ce n’est pas le cas ici.

Quel est donc le problème? Est-ce que ce sont les salaires, les horaires, les conditions de travail? Tout dépend à qui vous posez la question. Ce que je sais, c’est que les deux parties doivent arrêter de se blâmer mutuellement et parvenir à une entente. C’est dommage qu’un tel projet de loi s’impose, mais espérons qu’une entente équitable puisse être conclue. J’encourage les deux parties à faire tout en leur pouvoir pour trouver une solution raisonnable, que le projet de loi soit adopté ou non.

Le port de Montréal pourrait subir de graves pertes économiques et pertes de stocks, ce qui ne fera que causer du tort aux Canadiens alors que notre pays se débat avec la troisième vague de cette pandémie mortelle.

Par le passé, le trafic portuaire a été détourné vers le port d’Halifax. Même si nous allons bien sûr accepter cette occasion d’affaires, je ne tolérerai pas que l’on dresse une partie du pays contre l’autre, même si la chaîne d’approvisionnement l’exige. Le port d’Halifax jouit d’une paix constante dans les relations patronales-syndicales depuis des années, et je félicite les syndicats et l’employeur d’avoir respecté et maintenu les ententes. J’espère que toutes les parties concernées continueront à le faire.

Au fil des ans, par exemple, il y a eu aussi de nombreux conflits de travail au port de Vancouver, comme c’est le cas actuellement au port de Montréal.

D’où la question que j’ai posée plus tôt : pourquoi continuons-nous à avoir des négociations difficiles, longues et parfois acrimonieuses? Ne pouvons-nous pas apprendre les uns des autres partout au pays sur la manière de faire les choses correctement et respecter les deux parties?

Bien que je ne souhaite pas d’interruption des chaînes d’approvisionnement, je trouve difficile de voter pour un projet de loi qui mine les efforts du syndicat. Cependant, les dommages causés au port de Montréal et la perte de profits, comme nous l’avons entendu lors d’un témoignage plus tôt, pourraient être importants, et avec le détournement temporaire du transport maritime vers d’autres ports, que ce soit vers celui d’Halifax ou ailleurs le long de la côte Est, il n’y aura pas moyen de compenser tout cela. Cela va nous faire perdre des emplois et nous faire du tort à tous.

Cela dit, chers collègues, j’appuierai le projet de loi dans l’espoir que les deux parties parviendront à une entente convenable, même si elle est forcée. Les Canadiens en dépendent.

Honorables sénateurs, merci.

L’honorable Frances Lankin [ + ]

Honorables sénateurs, j’aimerais remercier mes collègues qui sont intervenus avant moi. Des observations et des points de vue très intéressants ont été présentés. C’est une bonne discussion. J’ai quelques préoccupations par rapport au processus. J’en parlerai dans un instant. Cela dit, je remercie tous les intervenants de leur contribution.

J’aimerais également remercier le sénateur Gold. Votre exposé était complet, professionnel et sage. Bien entendu, je ne m’attendais à rien de moins de votre part, et à rien de moins de la part d’un avocat très habitué d’enseigner, d’analyser et de déterminer la constitutionnalité. Je vous en suis reconnaissante.

Je vous remercie également de la réponse que vous m’avez donnée lorsque je vous ai appelé plus tôt cette semaine pour demander que le comité plénier inclue à la fois l’employeur et le syndicat et non uniquement les ministres. Je suis très reconnaissante que tous les leaders aient consenti à cette demande que nous ayons pu tenir cette séance aujourd’hui.

Je remercie les personnes qui ont comparu devant le comité plénier pour représenter le gouvernement, les ministères, l’Association des employeurs maritimes et le syndicat.

J’ai également eu l’occasion de parler au téléphone avec le président national du SCFP. Il y a deux jours, j’ai parlé directement à M. Tessier, de l’Association des employeurs maritimes, qui était avec nous un peu plus tôt. D’ailleurs, il m’a appelée pendant la pause du souper pour savoir si j’avais d’autres questions, ce que j’ai vraiment apprécié. Il y a aussi le dirigeant de l’Administration portuaire de Montréal — tous m’ont beaucoup aidée à comprendre les enjeux en fonction des différents points de vue.

Je veux aussi parler du contenu du projet de loi, puisque c’est ce qui est le plus important, mais en ce qui a trait au processus, je trouve complètement inacceptable, même si je comprends qu’il s’agit d’un projet de loi d’urgence, que, avec le peu de temps que nous avons eu pour l’étudier et seulement en comité plénier, nous n’ayons pas pu examiner certaines des questions relatives à la constitutionnalité et au respect de la Charte, alors que c’est l’un des rôles prédominants qui incombent aux sénateurs. Nous avons bien rempli notre rôle en matière de représentativité des régions, et je remercie tous les sénateurs du Québec et de Montréal qui ont pris la parole jusqu’à maintenant pour nous aider à comprendre leur point de vue concernant les impacts économiques. Je ne remets pas en question l’idée qu’une grève puisse avoir des répercussions économiques, en particulier dans le secteur privé. Je crois qu’il est important que nous réalisions que, vu le régime négociations collectives, lorsque les négociations piétinent ou achoppent, l’employeur dispose de droits d’avis de lockout et de lockout et le syndicat, de droits d’avis de grève et de grève. Ces droits ont des répercussions économiques, chaque cas étant particulier et devant être examiné en tant que tel. Au bout du compte, toutefois, chaque partie a, dans la négociation, un pouvoir qui lui est conféré par le régime des négociations collectives.

Je respecte tous les points de vue qui ont été exprimés, mais je tiens à préciser ce que je peux accepter ou admettre, ou non. Je ne peux admettre que nous prenions la décision d’appuyer ou non une loi de retour au travail essentiellement en déterminant s’il existe une justification ou des motifs raisonnables pour conclure que l’article 1 de la Charte doit l’emporter sur les droits prévus à l’article 2 de la Charte. Je ne peux accepter qu’on dise qu’il s’agit d’une grève légale, mais illégitime. Je pense que de telles affirmations ne sont que des opinions, et je les respecte comme telles.

Selon moi, si des parties adoptent et suivent un cadre juridique — sans chercher à retarder sciemment le processus ou à se positionner stratégiquement — en utilisant les règles établies de manière temporisatrice, il faut en conclure que ces parties devraient s’entendre. Elles n’y sont pas arrivées. Que faire?

La prochaine étape, à mon avis, n’est pas de dire que trois jours après un arrêt de travail complet, il n’y a plus d’espoir et qu’il faut outrepasser les droits prévus à l’article 2.

Je souhaite simplement poser quelques questions, car je me demande si l’information qui nous a été donnée jusqu’ici nous a tous convaincus. J’ai entendu dire qu’il était possible que Montréal ne récupère pas son tonnage. Les pertes pourraient être de l’ordre de 10 à 20 millions de dollars. Du matériel médical pour soigner la COVID ou d’autres maladies pourrait ne pas être livré. Il y a eu beaucoup d’affirmations, mais celles-ci sont toujours hypothétiques. Notre économie est sous le coup de pressions énormes. La croissance économique se poursuit, mais bien trop lentement. Nous avons besoin d’une reprise. Je suis d’accord avec vous tous sur ce point. Cependant, pourquoi faut-il que dans ce cas précis, les travailleurs du port soient ceux qui assument le coût du mode de fonctionnement des activités de leur employeur — bref, qu’ils le subventionnent.

Je crois que nous n’avons pas reçu assez d’information pour pouvoir débattre de l’aspect constitutionnel aussi attentivement que nous pourrions le faire. De toute évidence, chaque tribunal rendra une décision fondée sur les faits de l’affaire dont il sera saisi. Nous ne pouvons pas prédire les décisions futures. Nous connaissons toutefois les précédents, et ils indiquent clairement qu’il faut avoir des raisons très solides et valables pour empiéter sur ces droits. L’énoncé concernant la Charte que nous avons reçu ne parlait que très vaguement de grandes conséquences économiques. Cela n’a rien d’un critère. Quelle est l’atteinte dont il est question? Quel est le déséquilibre dont il est question? Il est essentiel de réduire ce déséquilibre du mieux possible.

Les parties se sont entendues pour respecter les dispositions du Code du travail en ce qui concerne les grains, bien sûr. Pour ce qui est des services à destination de Terre-Neuve, notons qu’ils ne sont pas mentionnés dans le code, mais que le syndicat et l’employeur se sont entendus à leur sujet et à propos du transport de médicaments, dont ceux qui sont nécessaires pour le traitement de la COVID-19.

Par conséquent, pourquoi des fonctionnaires nous disent-ils qu’il y a actuellement des conteneurs avec des fournitures pour lutter contre la pandémie de COVID-19 qui dorment sur les quais? J’ai posé la question à M. Tessier lors de notre entretien au téléphone. Il ne connaissait pas la réponse. Les fonctionnaires nous ont dit qu’aucun conteneur n’avait été déplacé, mais d’après ce que M. Tessier m’a dit, pendant la dernière grève, lorsqu’on a demandé au syndicat de déplacer des conteneurs conformément à l’entente et à ce que le syndicat s’était engagé à faire de façon volontaire, ces exigences ont été respectées. On n’a pas eu à le demander souvent. M. Tessier m’a dit que c’est une question de logistique.

On n’a pas été en mesure de se pencher de plus près sur cette question de part et d’autre, et encore une fois, je pense qu’au bout du compte, le processus ne nous a pas aidés à régler la question.

Je ne sais pas si la présidente pourrait me dire combien de temps il me reste, mais j’aimerais discuter de la disposition.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Vous avez sept minutes.

La sénatrice Lankin [ + ]

Merci beaucoup, c’est très apprécié. J’ai l’intention de présenter un amendement. Je vais donc conclure mes observations sur le projet de loi en disant que je ne prête aucune intention au gouvernement et que je ne l’accuse pas d’adopter une approche antisyndicale. À mon avis, tous les gouvernements et tous les Canadiens subissent d’énormes pressions dans les circonstances actuelles. Le gouvernement cherche un équilibre. Suis-je d’avis qu’il a bien fait les choses? Non. Je crois que les droits constitutionnels n’ont pas fait l’objet d’un examen complet, et que les raisons invoquées ne répondent pas aux critères énoncés dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour de la Cour suprême et dans la loi adoptée à l’époque de l’ancien premier ministre Harper pour mettre fin à la grève et au conflit de travail opposant le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes à Postes Canada.

Je veux toutefois présenter un amendement qui porte sur l’un des aspects soulevés par le syndicat, c’est-à-dire le retour aux dispositions de la convention collective et aux conditions de travail qui étaient appliquées jusqu’au 9 avril. Comme vous le savez, le projet de loi permet d’imposer de nouveau la convention collective du 1er janvier 2019. C’est bien, mais les dispositions permettent notamment les modifications unilatérales aux heures de travail qui ont été apportées, et un mécanisme qui ne fait pas partie de ce qui est défini dans la convention collective a donné l’occasion à l’employeur d’apporter les changements relatifs à la sécurité d’emploi.

Le syndicat a exprimé — à juste titre, je crois, compte tenu des circonstances — des craintes concernant le fait que, après avoir dit pendant une semaine que les employés qu’il représente retourneraient au travail si ces deux dispositions étaient supprimées, nous leur disons maintenant qu’elles le seront si le projet de loi de retour au travail est adopté. Or, ces deux dispositions pourraient être rétablies ultérieurement à n’importe quel moment. L’amendement que je propose est important parce qu’il précise qu’on rétablirait la convention collective qui était en vigueur le 9 avril. C’est important parce que cela rétablirait les conditions qui existaient à cette date et les maintiendrait durant tout le processus de médiation-arbitrage. On cherche ici à mieux équilibrer les intérêts des parties.

Le maintien des conditions en vigueur avant leur modification unilatérale par l’Association des employeurs maritimes — décision communiquée à l’avance, mais prise unilatéralement — empêcherait le rétablissement des deux dispositions pendant le reste du processus de médiation-arbitrage. Cette date est importante pour le syndicat. Nous le privons du levier économique que représente la grève, sans nous assurer de supprimer les dispositions de la convention collective et les modifications unilatérales ayant provoqué la grève complète, qui a commencé lundi, suppression qui permettrait de ramener un certain équilibre.

J’estime que ce projet de loi n’a pas été examiné suffisamment longtemps. J’en comprends les raisons, mais je crois qu’il est de notre responsabilité de parvenir à une décision collectivement, au meilleur de notre capacité, sur la question de la constitutionnalité, d’autant plus que les droits protégés par la Charte dont il est question sont primordiaux. Nous ne pouvons simplement les bafouer. Je suis heureuse que le Sénat ait pu se former en comité plénier pendant trois heures cet après-midi, mais cela ne peut se substituer à un examen des décisions passées des tribunaux judiciaires et du Conseil canadien des relations industrielles — lequel, soit dit en passant, possède une expertise particulière concernant le Code canadien du travail et ces dispositions —, qui estime qu’il n’y a pas de raison valable de limiter le droit de grève en déclarant d’autres services comme étant essentiels et qui a tenu compte des décisions de la Cour suprême et d’autres décisions, comme il est tenu de le faire lorsqu’il prend de telles décisions et comme il a la compétence de le faire en tant que tribunal administratif spécialisé.

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