Projet de loi modifiant certaines lois et d'autres textes en conséquence (armes à feu)
Troisième lecture--Débat
11 décembre 2023
Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-21, Loi modifiant la Loi sur les armes à feu et certaines autres lois. Comme on l’a déjà souligné, il y a très peu d’éléments du projet de loi dans sa forme actuelle qui traitent de la réalité des crimes commis avec des armes à feu comme ils se produisent aujourd’hui au Canada. Le titre que le gouvernement a donné à ses documents de presse l’an dernier pour décrire le projet de loi C-21 était le suivant : « Une stratégie détaillée pour contrer la violence liée aux armes à feu et resserrer les lois sur les armes au Canada ».
Chers collègues, c’est ainsi que le gouvernement fait référence au projet de loi C-21. Pourtant, l’étude du texte nous permet de constater qu’il n’y a pratiquement rien, parmi ces mesures, visant à sévir contre la criminalité mettant en cause les armes à feu.
Au moyen du projet de loi C-21, le gouvernement prétend que, en augmentant la peine maximale pour le trafic d’armes à feu, qui passe de 10 à 14 ans, il tente de remédier aux faibles peines que prononcent souvent nos tribunaux. Toutefois, les données nous indiquent que les tribunaux n’imposent même pas la peine maximale actuelle de 10 ans. En fait, pratiquement aucune affaire de trafic d’armes à feu ne fait l’objet des options de condamnation les plus sévères. L’an dernier, dans le témoignage qu’il a livré au comité de la Chambre des communes sur ce projet de loi, le sergent‑détective à la retraite André Gélinas, du Service de police de la Ville de Montréal, a dit ce qui suit, et je cite :
On propose aussi de faire passer de 10 à 14 ans la peine maximale pour les individus qui seraient déclarés coupables de trafic d’armes à feu. Bien qu’à première vue, cela puisse sembler louable, aucun accusé ne s’est vu imposer la peine maximale actuelle de 10 ans pour cette infraction. Cette mesure n’aura aucun effet réel. C’est un autre bel exemple d’une mesure qui sera inefficace.
Lorsque M. Gélinas a comparu devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants, il a de nouveau fait état des frustrations des policiers à cet égard. Ces frustrations sont partagées par les victimes d’actes criminels et d’autres agents de police, non seulement des policiers à la retraite, mais aussi des chefs et des chefs adjoints de police qui ont comparu devant nous.
À titre d’exemple, la cheffe de police adjointe du Service de police de Vancouver, Fiona Wilson, a dit ceci à notre comité, et je cite :
À l’exception de la violence familiale et des fusillades policières, lorsque des policiers sont les victimes, les propriétaires d’armes à feu légitimes ne sont généralement pas les responsables des fusillades dans la ville de Vancouver. Sans exception, ces armes à feu n’appartiennent pas à des propriétaires légitimes en premier lieu.
Par ailleurs, en ce qui a trait à la violence armée à Vancouver au cours de la dernière année, la cheffe de police adjointe Wilson, a affirmé ce qui suit, et je cite :
À ce jour, en 2023, nous avons eu à Vancouver 22 incidents avec coups de feu qui ont fait trois morts et 16 blessés. Quinze de ces 21 incidents sont liés à des gangs ou sont soupçonnés de l’être.
Le chef adjoint Bill Fordy, de l’Association canadienne des chefs de police, a comparu devant notre comité et a mentionné ceci :
[…] il est important que nos citoyens se rappellent que, au Canada, la possession d’une arme à feu n’est pas un droit, mais un privilège. La loi doit atteindre un équilibre approprié entre les droits de l’accusé et ceux des victimes, des survivants, des communautés et des policiers et la sécurité publique afin de contribuer à atténuer l’impact des pires conséquences des armes à feu.
Puis, le chef adjoint Bill Fordy a recommandé ce qui suit lors de son témoignage :
[...] conférer aux juges chargés de la détermination de la peine la capacité discrétionnaire de porter l’inadmissibilité à la libération conditionnelle aux deux tiers d’une peine privative de liberté lorsque le tribunal constate qu’un délinquant a déchargé une arme à feu dans un lieu de rassemblement lors de la commission de l’infraction, et que cette capacité discrétionnaire en matière de détermination de la peine soit étendue à ceux qui sont reconnus comme étant parties à de telles infractions.
Il faut donc, honorables sénateurs, que la sanction imposée à l’infraction liée à l’utilisation d’une arme à feu dans un lieu public ait du mordant. Elle doit produire des résultats. C’est ce que beaucoup de policiers ont demandé.
Chaque fois que nous proposons des mesures visant à renforcer la loi et à incorporer des peines minimales obligatoires pour les crimes graves, le gouvernement ressort son argument habituel, qui remet en question la constitutionnalité de ces mesures. Par exemple, le sénateur Cardozo a tenu de tels propos au comité lorsqu’il a affirmé que les peines minimales obligatoires exigeaient l’utilisation de la clause dérogatoire. Toutefois, cette affirmation générale est tout simplement inexacte. Dans l’affaire R. c. Lloyd, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit, et je cite :
[…] le législateur n’a pas l’obligation constitutionnelle de prévoir une exception à l’application d’une peine minimale obligatoire. […] La question de savoir si le législateur devrait prévoir un mécanisme permettant d’écarter l’infliction d’une peine minimale obligatoire et, dans l’affirmative, quelle forme ce mécanisme devrait revêtir, relèvent de la politique générale et du pouvoir exclusif du Parlement.
Par ailleurs, la Cour suprême a confirmé cette position dans des arrêts ultérieurs. Plus tôt cette année, la cour a confirmé la constitutionnalité de la peine minimale obligatoire de quatre ans pour un vol qualifié commis à l’aide d’une arme à feu sans restriction. En effet, dans l’affaire R. c. Hilbach, la cour a conclu ce qui suit, et je cite l’opinion des juges majoritaires :
La peine minimale obligatoire...
— qui est de quatre ans pour l’usage d’une arme à feu sans restriction lors d’un vol qualifié —
... ne choque pas la conscience ou n’est pas excessive au point de porter atteinte aux normes de la décence. Bien que la peine soit sévère, le seuil élevé de la disproportion exagérée n’est pas atteint.
Malheureusement, à cause du projet de loi C-5, qui a obtenu la sanction royale le 17 novembre 2022, le gouvernement a abrogé cette peine obligatoire de quatre ans pour l’utilisation d’une arme à feu sans restriction lors d’un vol qualifié. Or, deux mois plus tard, la Cour suprême a confirmé la constitutionnalité de cette peine. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas tenté alors de réintroduire cette peine au Code criminel, s’il avait véritablement l’intention de mieux protéger les Canadiens contre la criminalité commise avec des armes à feu? On peut se demander si le gouvernement a lu l’arrêt R. c. Hilbach. La cour y concluait que cette infraction intrinsèquement dangereuse sème la terreur chez les victimes et est commise uniquement par des délinquants qui font le choix conscient d’utiliser une arme à feu pour voler ou mettre la sécurité d’autrui en péril.
Le gouvernement défie donc le gros bon sens et la jurisprudence en se montrant réfractaire à imposer des peines sévères pour les crimes graves commis avec des armes à feu, même si la jurisprudence lui laisse une grande marge de manœuvre.
Cela m’amène aujourd’hui à proposer un amendement qui nous a d’abord été proposé au comité par l’Association canadienne des chefs de police. Cet amendement créerait une disposition supplémentaire dans la loi prévoyant que le décès résultant de la décharge d’une arme à feu dans un lieu de rassemblement doit faire l’objet d’une considération automatique de meurtre au premier degré, en vertu du paragraphe 231(4) du Code criminel.
Non seulement l’utilisation criminelle des armes à feu est de plus en plus fréquente en milieu urbain, mais il arrive aussi que des armes à feu soient déchargées dans un lieu public sans qu’on se rende compte de l’impact sur les passants innocents qui s’y trouvent.
Le lundi 27 novembre dernier, au moment même où le Comité de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants entendait des témoins sur le projet de loi C-21, une fusillade a éclaté à Gatineau, en plein jour, dans un stationnement public. Dans une vidéo captée par une caméra de surveillance, on peut apercevoir une personne dans un stationnement tendre le bras comme si elle avait une arme à la main et le pointer en direction d’un véhicule en mouvement. La scène est immédiatement suivie de deux bruits en rafales qui s’apparentent à des coups de feu. À quelques mètres, on peut voir des enfants qui marchent sur le trottoir. Les faits se sont déroulés à 16 h 45, près de la rue Eddy, selon les autorités. Deux hommes ont été blessés dans cette fusillade. Nous avons donc assisté à une fusillade à cinq minutes d’ici, au moment où l’on étudiait des amendements au projet de loi C-21 en vue de renforcer les peines pour les coups de feu tirés dans des endroits publics.
Nous avons aussi été témoins de nombreuses fusillades, notamment dans les villes de Toronto et de Montréal, où des passants innocents ont été tués ou blessés lorsque des membres de gangs ont ouvert le feu sur leurs rivaux sans se soucier des conséquences.
Selon moi, le gouvernement doit agir avec fermeté pour contrer le sentiment d’impunité qui habite ces criminels, comme l’a exprimé l’inspecteur-chef David Bertrand, du Service de police de la Ville de Montréal, dans son témoignage au comité sénatorial sur le projet de loi C-5 :
Ce sur quoi nous voulons travailler, c’est la perception selon laquelle les peines obligatoires sont maintenues. Nous voulons travailler le sentiment d’impunité chez le criminel à deux niveaux. Le sentiment d’impunité, c’est la certitude d’être pris lorsque l’on commet un crime et la certitude d’en subir les conséquences.
De tels actes irréfléchis avec des armes à feu, en particulier lorsqu’ils causent la mort, devraient entraîner les peines les plus sévères, mais ce n’est souvent pas le cas.
Prenons également le cas de Christopher Husbands, qui a ouvert le feu dans l’aire de restauration de l’Eaton Centre de Toronto en 2012. À l’origine, il n’a été reconnu coupable que de meurtre au deuxième degré pour cette fusillade qui a tué deux personnes et en a blessé plusieurs autres. À l’origine, il avait été condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 30 ans. Toutefois, après qu’il a interjeté appel, il a pu bénéficier d’un nouveau procès et il n’a été condamné que pour homicide involontaire lors du second procès. Bien que Christopher Husbands ait été condamné de nouveau à la prison à vie pour homicide involontaire, la période d’admissibilité à la libération conditionnelle anticipée, qui est requise dans le cadre d’une condamnation pour homicide involontaire, l’a rendu admissible à une libération conditionnelle anticipée en 2021, soit neuf ans après la perpétration de ce crime odieux. Pour les familles des victimes, c’est tout simplement odieux.
Je souhaite donc proposer un amendement, comme l’a recommandé l’Association canadienne des chefs de police, qui garantirait que tout décès résultant d’une fusillade dans un lieu public serait considéré comme un meurtre au premier degré. Je pense que cet amendement tient compte de la réalité, c’est-à-dire qu’il y a des personnes qui déchargent leur arme à feu de manière tout à fait imprudente et insouciante.