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Projet de loi sur la protection des établissements d’enseignement postsecondaire contre la faillite

Deuxième lecture--Suite du débat

26 avril 2022


Ayant grandi à Montréal et parlant couramment les deux langues officielles, j’ai pu étudier le droit en français, ce qui m’a permis de servir des clients vulnérables dans les deux langues.

Cette capacité m’a aussi permis de m’enraciner dans la vibrante ville de Cornwall, ce qui a solidifié mon identité d’avocate bilingue de l’aide juridique et de fière Franco-Ontarienne.

J’interviens aujourd’hui en faveur du projet de loi S-215, mais au-delà de cela, je veux souligner l’importance de l’éducation postsecondaire en français. Les établissements de ce secteur doivent être financés équitablement, compte tenu de l’importance du service qu’ils fournissent. En temps de crise, ils doivent être soutenus par tous les ordres de gouvernement, qui doivent collaborer entre eux pour trouver des solutions et une voie à suivre.

J’appuie le projet de loi S-215 parce que je veux que plusieurs générations d’étudiants canadiens aient la même chance que moi : choisir une éducation de qualité, dispensée par un établissement financièrement stable qui inspire confiance, et dans la langue officielle de leur choix.

L’histoire linguistique de notre pays est riche et complexe, car on parle plus de 70 langues autochtones au Canada. Huit appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation portent sur les langues autochtones. Le gouvernement du Canada doit accorder la priorité au respect des promesses qu’il a faites à leur égard.

L’enseignement postsecondaire peut jouer un rôle de premier plan dans la préservation des langues autochtones, mais il faut pour cela assurer le financement durable des établissements concernés. La crise financière de l’Université Laurentienne et la restructuration qui en a découlé ont affaibli son mandat triculturel, ce qui a eu des effets négatifs sur les étudiants et les langues autochtones.

Dans un esprit de réconciliation, nous devons garder en tête les engagements linguistiques du Canada en examinant ce projet de loi. Le projet de loi S-215, Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire, a deux objectifs.

Premièrement, il retire les universités subventionnées par l’État de la liste des compagnies qui peuvent recourir à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et de la liste des sociétés qui peuvent recourir à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

Deuxièmement, il charge un ministre fédéral de trouver des solutions. Celui-ci doit notamment tenir des consultations et faire rapport au Parlement en proposant des initiatives fédérales visant à réduire le risque qu’un établissement d’enseignement postsecondaire fasse faillite ou devienne insolvable, à protéger les étudiants, les employés et les professeurs lorsqu’un établissement fait faillite ou devient insolvable, et à appuyer les communautés qui seraient touchées par une situation aussi désastreuse.

Je tiens à saluer ma collègue la sénatrice Moncion qui a déposé ce projet de loi. Nous convenons que les établissements postsecondaires jouent un rôle essentiel pour maintenir la santé économique, culturelle et sociale de leur région. En effet, les communautés francophones — en fait, toutes les communautés — bénéficient de la présence de ces établissements, qui sont source de dynamisme, de développement et d’inspiration. Lorsque l’université s’épanouit, la communauté le peut aussi, et il semble que le gouvernement fédéral le comprenne également. Le projet de loi C-13, qui vise à modifier la Loi sur les langues officielles, a été déposé à l’autre endroit et il indique très clairement que le gouvernement du Canada :

[…] s’est engagé à protéger et à promouvoir le français, reconnaissant que cette langue est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais;

Le projet de loi C-13 affirme également ce qui suit :

Le gouvernement fédéral s’engage à renforcer les possibilités pour les minorités francophones et anglophones de faire des apprentissages de qualité dans leur propre langue tout au long de leur vie, notamment depuis la petite enfance jusqu’aux études postsecondaires.

C’est donc la première question que je me suis posée quand j’ai examiné le projet de loi S-215 : quel est le rôle du gouvernement fédéral dans cette compétence provinciale? La réponse est la suivante : en plus de ses obligations concernant les langues officielles, le gouvernement fédéral apporte aussi une contribution en versant des paiements de transfert aux provinces.

La seconde question est plus compliquée. Comment le gouvernement fédéral pourrait-il apporter son aide? Un responsable d’un collège ontarien a avancé que, quand les établissements postsecondaires ont des problèmes, il revient aux gouvernements provincial et fédéral de trouver des solutions ensemble.

Une autre responsable à qui j’ai parlé, Mme Lise Bourgeois, la présidente-directrice générale innovatrice et dynamique du collège La Cité, a expliqué que les collèges pourraient être moins susceptibles de connaître une crise financière, car ils sont confrontés à des exigences provinciales strictes en matière de rapports financiers et de conformité. Bien qu’ils aient moins d’autonomie, les collèges sont encore agiles et sont des outils essentiels au développement d’une main-d’œuvre qui reflète les besoins du Canada.

Cela dit, le financement des collèges et des universités francophones n’est pas aussi stable qu’il devrait l’être. Le financement de base du Programme des langues officielles en enseignement n’a pas été augmenté depuis des années, malgré la hausse des inscriptions.

L’enseignement en français a tendance à être plus coûteux, car il y a moins de collèges dans le secteur francophone pour collaborer à l’élaboration de programmes d’études et pour tirer profit des économies d’échelle. Les collèges francophones doivent aussi financer des programmes de recrutement intensifs pour attirer les étudiants qui ont le choix d’étudier dans l’une ou l’autre des langues.

Le projet de loi S-215 demande au gouvernement fédéral d’assurer la stabilité financière de tous les établissements d’enseignement postsecondaire au Canada.

Le projet de loi est une tentative de répondre non seulement à la récente crise de l’Université Laurentienne, mais à la possibilité très réelle que d’autres institutions soient confrontées à une crise financière qui leur est propre. Encore une fois, l’objectif est de protéger les étudiants, les facultés, le personnel et les communautés.

Le 13 avril, la vérificatrice générale de l’Ontario a publié un point de vue préliminaire sur l’Université Laurentienne. Le Comité permanent des comptes publics de la province a fait une demande d’examen pour déterminer ce qui a mené l’institution à avoir recours à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ou la LACC. Le rapport note que la Laurentienne a été la première université publique au Canada à utiliser un processus juridique conçu comme un dernier recours pour les entités du secteur privé, et l’incidence pourrait être importante :

En raison du recours à la procédure prévue par la LACC, il pourrait être plus difficile pour d’autres universités de contracter un emprunt ou d’embaucher et de maintenir en poste des membres du corps professoral.

Si nous choisissons de négliger la façon dont le projet de loi S-215 peut aider à résoudre ce problème, envisagez l’alternative : une autre institution fait face à une crise, elle coupe des programmes, moins d’étudiants canadiens et internationaux la fréquentent, et la communauté est privée du potentiel qu’apporte cette institution.

Je vais me concentrer sur les étudiants étrangers en tant qu’exemple.

En 2021, Statistique Canada a publié un rapport sur les répercussions financières projetées de la pandémie sur les universités canadiennes. Avec l’augmentation des coûts, les universités dépendent de plus en plus des frais de scolarité. Le rapport indique que les frais des étudiants étrangers sont plus élevés et qu’ils montent plus rapidement que ceux des étudiants canadiens.

La COVID-19 a eu des répercussions sur le nombre d’étudiants étrangers inscrits dans des universités canadiennes.

Statistique Canada, en tenant compte de la variation des taux d’inscriptions et des fonds pour le financement de la recherche, a estimé que les universités canadiennes pourraient perdre de 438 millions de dollars à 2,5 milliards de dollars des revenus projetés pour 2020-2021.

N’oublions pas que les étudiants étrangers ne sont pas qu’une source de revenus. S’ils choisissent de rester et qu’ils le peuvent, ils contribuent au renouvellement et à la vitalité de notre pays, bien sûr, mais aussi des communautés linguistiques minoritaires. Nous en parlons en ce moment au Comité des langues officielles, plus particulièrement dans le cadre de notre étude de l’immigration francophone dans ces communautés.

Plus important encore, le financement des universités ne peut pas s’appuyer seulement sur les frais de scolarité. Elles doivent pouvoir résister aux variations du nombre d’inscriptions ou aux crises internationales comme la pandémie de COVID-19. Les étudiants actuels et potentiels devraient pouvoir avoir confiance dans la stabilité de ces établissements. Est-ce le cas actuellement? Le statu quo est-il viable? Est-ce le mieux que nous pouvons faire?

L’Unité des services en français du Bureau de l’ombudsman de l’Ontario a enquêté sur des plaintes concernant des coupures dans les programmes en français à l’Université Laurentienne. En mars de cette année, le bureau a publié ses conclusions et ses recommandations. Le rapport indique ce qui suit :

Plusieurs des plaignant(e)s étaient des étudiant(e)s à l’université, située à Sudbury, qui n’avaient pas eu d’autre choix que de déménager ou de poursuivre leurs études en anglais. Certain(e)s, comme celles et ceux du programme de sage-femme, ont souligné que l’élimination de leur programme aurait également des répercussions sur l’ensemble de la communauté franco-ontarienne – par exemple, aucune autre école de la province ne forme les sages-femmes en français.

Il est clair que l’accès stable à l’éducation postsecondaire en français mérite notre attention immédiate et des actions décisives. Le projet de loi S-215 devrait être renvoyé au Comité sénatorial permanent des langues officielles, où nous pourrions étudier comment le gouvernement fédéral peut soutenir des universités comme l’Université Laurentienne.

Comme l’a dit ma collègue la sénatrice Moncion, et je cite :

La transparence et la reddition de comptes font partie des solutions qui peuvent aider de manière considérable la viabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire, et le gouvernement fédéral est très au courant de cet enjeu. Il y a moyen pour le gouvernement de respecter la compétence des provinces, tout en s’assurant que ses investissements en faveur de la francophonie se rendent à bon port, conformément à ses obligations constitutionnelles.

Il y a une voie à suivre. Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer. Il existe des solutions pour assurer la pérennité des universités et collèges canadiens. Comme la sénatrice Moncion, j’ai bénéficié d’une éducation stable et de qualité dans la langue de mon choix, une langue qui a été vitale pour ma vie quotidienne et qui m’a soutenue dans certains moments où j’étais le plus vulnérable.

L’éducation en français est la porte d’entrée vers une vie pleinement vécue en français. Elle a besoin de nos soins et de notre attention, et pas seulement de la part des francophones. La francophonie est un atout pour tous les Canadiens, et nous avons tous comme responsabilité de l’aider non seulement à survivre, mais à s’épanouir. Merci.

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