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Projet de loi d’harmonisation no 4 du droit fédéral avec le droit civil

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

24 novembre 2022


Propose que le projet de loi S-11, Loi no 4 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil du Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-11, Loi no 4 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil du Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law. Je suis fière d’être la marraine de ce projet de loi et je tiens à exprimer ma reconnaissance envers le personnel du ministère de la Justice, qui a fait le gros du travail.

Le projet de loi S-11 est une mesure législative technique et volumineuse. En effet, il compte 161 pages et 639 articles. Il modifie 51 lois relevant de neuf ministères fédéraux. C’est aussi le résultat de plusieurs décennies de travail, et j’aimerais vous donner un aperçu de la démarche qui nous a amenés à ce projet de loi — le quatrième d’une série de projets de loi d’harmonisation.

J’aimerais également vous dire pourquoi je suis la marraine de ce projet de loi.

Je suis diplômée du programme de droit civil et de common law de l’Université d’Ottawa. Je l’ai mentionné dans mon discours sur le projet de loi S-215, parrainé par la sénatrice Moncion et intitulé Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire. Ce cadeau unique, cette occasion unique d’apprendre en français et en anglais, c’est quelque chose qui me tient à cœur.

Imaginez donc ma surprise quand le projet de loi S-11 a été présenté au Sénat. Lorsque j’ai entendu le titre, j’ai soudainement levé la tête. Je me suis dit que cela faisait partie de mon histoire. En tant qu’ancienne Québécoise devenue Franco-Ontarienne, ce projet de loi touche directement le début de ma carrière juridique.

Je me rappelle mon premier jour à la Faculté de droit. Dès ce moment-là, j’ai appris en quoi consistaient les deux systèmes juridiques distincts du Canada. Il était important pour moi de les comprendre tous les deux : si le Canada avait adopté la common law et le droit civil, j’allais faire de même.

L’inclusion de deux langues et de deux traditions juridiques ainsi que l’héritage des deux peuples fondateurs signifient que nous sommes constamment confrontés à des enjeux complexes. Compte tenu de cette situation, j’ai bon espoir que le Canada sera également capable de mieux accepter la diversité et de faire le travail nécessaire pour assurer la vérité et la réconciliation. Je reviendrai là-dessus dans un moment. Pour l’instant, permettez-moi de vous parler brièvement des fondements historiques de la réalité canadienne actuelle et de sa complexité.

En 1774, l’Acte de Québec a établi et officialisé la coexistence au Canada des deux traditions juridiques que sont le droit civil et la common law. Après leur victoire décisive, les Anglais ont jeté les bases d’une colonie comprenant des catholiques et des protestants, des anglophones et des francophones, la common law et le droit civil. La common law n’est pas inscrite dans la loi; c’est un régime juridique qui a évolué en un système de règles fondé sur des précédents. Ces règles guident les juges dans la prise de décisions dans des affaires similaires à celles qui figurent dans la jurisprudence.

En revanche, les codes civils constituent des ensembles exhaustifs de règles. Bon nombre de ces règles sont présentées comme des principes généraux pour régler les différends susceptibles de se présenter. Contrairement aux tribunaux de common law, dans le système de droit civil, les tribunaux se tournent d’abord vers le code civil et consultent ensuite les décisions antérieures pour voir si elles correspondent.

La coexistence de ces systèmes est confirmée par la Loi constitutionnelle de 1867, qui accorde aux provinces un grand pouvoir résiduel en matière de propriété et de droits civils.

En 1993, le ministère fédéral de la Justice a créé la Section du Code civil. Cette dernière examine les lois fédérales pour s’assurer qu’elles reflètent correctement les traditions juridiques de la common law et du droit civil. Sa création a précédé l’entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec, qui a remplacé le Code civil du Bas-Canadaen 1994.

Depuis, les fonctionnaires ont examiné des centaines de lois qui régissent des questions de droit privé. Le droit privé traite des relations entre les particuliers ou les institutions plutôt que des relations entre les gouvernements et les particuliers ou les institutions. Le droit privé comprend les contrats comme les testaments et les mariages.

Nous réalisons des progrès dans les efforts d’harmonisation : le projet de loi S-4 a modifié plus de 50 lois, le projet de loi S-10 en a modifié 26 et le projet de loi S-3 en a modifié 12. Heureusement, depuis 1995, les nouvelles lois suivent la politique du ministère fédéral de la Justice sur le bijuridisme législatif. Elle garantit que les projets de loi sont rédigés en tenant compte de la terminologie, des concepts, des notions et des institutions des deux systèmes de droit privé du Canada. Les nouveaux projets de loi ne seront pas ajoutés à notre liste de lois à harmoniser.

Je m’arrête un instant pour souligner ce point. Le but n’est pas d’avoir à harmoniser les lois pour toujours. Les nouveaux projets de loi sont rédigés en tenant compte du bijuridisme.

Le bijuridisme législatif, comme vous l’avez entendu, est un projet qui exige des décennies de travail sur des centaines de lois. Ce travail en vaut la peine : nous nous assurons de parler aux citoyens canadiens en anglais et en français, dans les deux traditions juridiques. L’Énoncé concernant la Charte en ce qui a trait au projet de loi S-11 souligne l’importance de ce travail. Nous savons que la Charte canadienne des droits et libertés garantit l’égalité de statut du français et de l’anglais. L’Énoncé concernant la Charte nous le rappelle ainsi :

Ce projet de loi contribue à faire respecter l’emploi égal des deux langues officielles en garantissant que les lois fédérales sont toutes aussi compréhensibles en anglais qu’en français du point de vue du droit privé provincial et territorial. Il facilite également l’accès à la justice en rendant la législation plus accessible pour tous les Canadiens, qu’ils parlent l’anglais ou le français, et qu’ils soient issus de la tradition de la common law ou du droit civil.

Depuis ma nomination au Sénat, j’ai résisté à l’idée d’une dualité des langues, selon laquelle le français et l’anglais seraient nos langues fondatrices, et les seules qui mériteraient d’être reconnues. Je prends un moment pour faire valoir les mêmes arguments dans ce cas-ci et pour rappeler à tous que les langues et les lois autochtones méritent aussi d’être reconnues et revitalisées. Nos traditions de la common law et du droit civil appartiennent à l’héritage de la colonisation par la France et la Grande-Bretagne.

Il ne faudrait pas oublier ce qui existait déjà et qui existe encore, c’est-à-dire la mosaïque de lois et de traditions autochtones que des centaines de communautés différentes ont à cœur.

Le droit autochtone est aussi diversifié que les communautés de l’île de la Tortue. Il n’est pas statique. Les aînés et les gardiens du savoir ont continué de transmettre et de protéger les lois de leur communauté malgré la colonisation et les pensionnats.

La revitalisation des langues autochtones revêt une grande importance. Les concepts juridiques sont ancrés dans la langue. La langue et le droit sont interreliés. On ne peut comprendre l’un sans l’autre. Promouvoir la revitalisation des langues autochtones, c’est donc ouvrir la voie à la revitalisation du droit autochtone.

Bien que le projet de loi S-11 ne vise pas à promouvoir l’utilisation des lois autochtones au Canada, il y a beaucoup de travail en cours dans d’autres secteurs. Ainsi, une fois ouvert, le Centre national de droit autochtone de l’Université de Victoria sera un lieu d’apprentissage, de pratique et de recherche. C’est l’une des formes que prend le soutien offert aux communautés en réponse à l’appel à l’action no 50 de la Commission de vérité et réconciliation, qui porte sur la nécessité de rendre le système judiciaire du Canada plus équitable. La Commission demande au gouvernement fédéral :

[...] de financer, en collaboration avec les organisations autochtones, la création d’instituts du droit autochtone pour l’élaboration, la mise en application et la compréhension des lois autochtones ainsi que l’accès à la justice en conformité avec les cultures uniques des peuples autochtones du Canada.

J’espère que lorsque nous parlerons d’harmonisation à l’avenir, nous n’aurons pas une conception binaire de l’harmonie, mais nous la verrons plutôt comme un assemblage de traditions complexe.

Le ministère de la Justice travaille à la création d’un processus de consultation officiel pour les projets de loi à venir, puisque les communautés autochtones n’ont pas été consultées officiellement pour le projet de loi S-11. Un processus formel de consultation avec des Canadiens autochtones sera mis en place dans le cadre de l’engagement du Canada à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Les consultations pour le projet de loi S-11 se sont terminées en 2017. Comme nous le savons tous très bien, même si ces consultations ont été complétées il y a quatre ans, ce projet de loi a été mis de côté pendant de nombreuses années, alors que le gouvernement répondait aux priorités urgentes amenées par la pandémie de COVID-19.

Le processus de consultation de 2017, dans le cadre du projet de loi S-11, a entraîné un partage de documentation provenant de plus de 400 intervenants. Le personnel du ministère de la Justice a reçu des commentaires, rencontré des institutions bancaires et entendu des intervenants importants tels que le gouvernement du Québec, entre autres. Certains groupes ont recommandé de petits changements, d’autres ont souligné l’importance de cet effort d’harmonisation.

En fait, alors que nous envisageons l’adoption d’un quatrième projet de loi d’harmonisation, j’aimerais revenir sur les trois premiers et en souligner l’importance pour le pays et le monde entier.

En 2001, le sénateur Pierre De Bané a dit ceci au sujet du projet de loi S-4 :

L’harmonisation conférera aussi au Canada des avantages sur le plan international. Le caractère bijuridique du Canada appelle le respect de deux des grands systèmes contemporains de droit : celui du droit civil et celui de la common law. La mondialisation des marchés et l’ouverture toujours grandissante du Canada vers des pays très diversifiés ne cessent d’avoir un impact sur les Canadiens et les Canadiennes. Le bijuridisme, honorables sénateurs, nous permet de mieux comprendre les lois des pays qui font partie de l’un ou l’autre de ces systèmes, soit près de 80 p. 100 des pays du monde. Il place ainsi le Canada dans une situation privilégiée lors de l’élaboration et de la négociation de règles internationales où des notions de l’un ou l’autre système se retrouvent et rend plus aisée l’adaptation à ces règles.

De plus, d’autres pays bénéficiant d’un régime mixte pourront s’inspirer de la démarche canadienne, laquelle n’a pas d’égal ni de précédent. Nous devenons un modèle pour le monde entier.

En 2004, au sujet du projet de loi S-10, l’honorable Serge Joyal a dit ce qui suit à ses collègues :

Nous devons certainement reconnaître qu’au bout du compte, le résultat souhaité est l’enrichissement de la tradition du Code civil et de la common law, chacun selon le génie qui lui est propre, pour que les deux atteignent ensemble un objectif commun. C’est essentiellement conforme à la philosophie du pays qui veut que nous conservions nos identités tout en progressant ensemble. Nous voulons unir nos génies, nos talents, nos ressources et nos caractères variés pour créer une société pluriethnique et diversifiée qui nous permet de vivre et de nous épanouir.

Enfin, le sénateur David Angus a adopté une approche différente en affirmant en 2011 à propos du projet de loi S-3 qu’il était « impossible de s’arracher de cette lecture passionnante. » Je dirais que le projet de loi S-11 est encore plus intéressant.

Le sénateur Angus a ajouté :

[...] tous les Canadiens et Canadiennes tirent profit de l’harmonisation. En effet, si l’harmonisation permet aux Québécois et aux Québécoises de mieux se reconnaître dans la législation fédérale, il en résulte également une clarification du corpus législatif fédéral qui devient plus respectueux des institutions propres, tant pour le droit civil que pour la common law. De même, elle rend l’application de la législation fédérale plus efficiente et plus efficace, ce qui devrait avoir pour effet d’améliorer l’efficacité de l’administration de la justice en général au Canada.

Je vous ai parlé de mon expérience, mais aussi d’histoire. Maintenant, plongeons un peu dans le projet de loi. En vérité, il y en a pour tous les goûts. Le projet de loi S-11 est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais sur quoi on va tomber.

Je dois retenir votre attention. Mon discours est un peu aride, mais je fais de mon mieux.

En feuilletant les nombreuses pages du projet de loi, vous verrez des modifications à toutes sortes de lois, de la Loi sur la protection des renseignements personnels à la Loi sur les subventions aux bassins de radoub. La sénatrice Omidvar pourrait s’intéresser aux modifications proposées à la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif. Sénateur Cormier, le projet de loi S-11 modifie aussi la Loi sur les langues officielles. La sénatrice Simons a peut‑être remarqué que la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes figure également sur la liste des lois modifiées. Enfin, le sénateur Black trouvera peut-être intéressant de savoir que la Loi sur les programmes de commercialisation agricole fait l’objet de modifications.

L’objectif du projet de loi S-11 est de veiller à ce que la terminologie et les concepts appropriés de droit civil et de common law soient utilisés lorsque la législation fédérale s’appuie sur les règles de droit privé provinciales ou territoriales. Par exemple, le mot anglais « hypothec » est ajouté plus de 100 fois à diverses lois.

Un grand nombre des modifications apportées par le projet de loi S-11 sont des modifications bijuridiques typiques : nous ajoutons, supprimons ou modifions un mot pour nous assurer qu’il respecte les traditions de la common law et du droit civil.

Par exemple, certaines lois fédérales liées au droit contractuel ne contiennent pas le terme de droit civil « mandatary ». La solution? Jumeler les termes « agent » et « mandatary » dans les textes anglais.

Nous pourrions aussi remplacer des termes que nous n’employons plus ou qui sont incompatibles avec un nouveau concept de droit privé. Par exemple, les textes anglais utilisent le terme « letting » ou « hiring » pour parler de crédit-bail. Ces termes ne s’utilisent plus dans le droit civil. Nous les remplaçons donc par le terme « lease », qui est le terme qu’il faut employer à la fois en droit civil et en common law.

Chers collègues, je vous remercie de votre attention. Alors que nous poursuivons l’étude de ce projet de loi, j’espère que nous garderons à l’esprit les avantages que ce processus apporte aux Canadiens et aux Canadiennes, les décennies de travail accomplies par le personnel du ministère de la Justice, et les efforts d’harmonisation qui nous attendent.

L’harmonisation permet à tous les Canadiens de comprendre plus facilement les lois. Il s’agit d’un processus important de modernisation qui garantit l’accessibilité et l’application appropriée des lois fédérales faisant référence au droit privé provincial et territorial.

J’espère que vous vous joindrez à moi pour renvoyer le projet de loi S-11 au comité, où il pourra faire l’objet de discussions et de débats plus approfondis.

Merci. Nia.wen.

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