Aller au contenu

Les émissions de carbone

Interpellation--Ajournement du débat

6 février 2020


Ayant donné préavis le 4 février 2020 :

Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur l’importance de trouver les bons parcours et actions à suivre pour que le Canada et les Canadiens respectent notre cible de zéro émission nette de carbone afin de ralentir, d’arrêter et de renverser les changements climatiques d’origine humaine pour favoriser une planète, une société, une économie et une démocratie saines.

— Honorables sénateurs, c’est l’esprit ouvert, mais avec un sentiment d’urgence que je lance une interpellation sur l’importance de trouver les bons parcours et actions à suivre pour que le Canada et les Canadiens respectent notre cible de zéro émission nette de carbone afin de ralentir, d’arrêter et de renverser les changements climatiques d’origine humaine pour favoriser une planète, une économie et une démocratie saines.

Global warming, effet de serre, changements climatiques, crise climatique, catastrophe climatique, extinction anthropocène — peu importe les termes employés, les grands titres sont de plus en plus clairs.

New York Times : « Les changements climatiques s’accélèrent, le monde “s’approche dangereusement” du point de non-retour »

CTV News : « Le débordement de la rivière des Outaouais est l’événement climatique de 2019 »

Toronto Star : « Après le dégel » Le congélateur de la planète se réchauffe et bouleverse le Nord canadien.

Financial Post : « Selon Mark Carney, le réchauffement de la planète pourrait faire disparaître la valeur des actifs de nombreuses entreprises du secteur des finances »

The Hill Times : « Le déni des changements climatiques pourrait, dans le pire des cas, mener à la violence »

Calgary Sun : « [...] bas les pattes [...] »

Calgary Herald : « Relaxez, la fée du pétrole et du gaz ne reviendra pas »

Global News : « La technologie au service du secteur albertain du pétrole et du gaz dans la lutte contre les changements climatiques »

Le Devoir : « Le Canada sur la voie de l’échec climatique »

The Globe and Mail : « Les changements climatiques représentent le plus grand risque de la planète selon une enquête auprès de chefs politiques et dirigeants d’entreprise » et « Changements climatiques : Le 11e Super Bowl à se tenir à Miami pourrait aussi être le dernier »

The Guardian : « Katharine Hayhoe : “Un thermomètre n’est ni libéral ni conservateur” »

Honorables sénateurs, en ce début de 43e législature et d’une décennie qui pourrait s’avérer décisive, nous, le Sénat du Canada, avons une occasion exceptionnelle d’assumer un rôle de premier plan dans l’examen et l’orientation des mesures à prendre dans le dossier déterminant du siècle : les changements climatiques.

Nous représentons nos régions respectives, mais nous avons le devoir de servir l’intérêt commun de tous les Canadiens. En tant que sénateurs, nous pouvons nous montrer moins partisans et adopter une approche plus pondérée. Nous avons la chance de pouvoir examiner les questions controversées dans une perspective à long terme en raison de la stabilité du Sénat au fil des cycles électoraux.

Il y a quelques semaines à peine, j’ai écouté l’ancien gouverneur général David Johnston qui prononçait un discours devant les parlementaires sur une responsabilité que nous partageons : nourrir la confiance dans les institutions démocratiques du Canada. Il a comparé la confiance au ciment de la société. Dans le même ordre d’idées, il nous a rappelé qu’une grande majorité des Canadiens avaient voté aux dernières élections fédérales de façon à demander des mesures vigoureuses pour lutter contre les changements climatiques.

Honorables collègues, aujourd’hui, j’espère pouvoir entamer un dialogue ouvert sur ce que nous avons à offrir comme nation en tant que Canadiens et Canadiennes et en tant que citoyens du monde pour respecter les engagements pris par le Canada et pour aider nos voisins mondiaux à atteindre leur cible de zéro émission de carbone et d’autres cibles liées aux émissions de gaz à effet de serre.

Je compte rappeler brièvement les engagements du Canada et le contexte qui les entoure, décrire les conséquences des changements climatiques, mentionner des solutions, et proposer une façon d’aborder les choix complexes et nécessaires qu’exigera le respect de nos engagements.

Premièrement, regardons les engagements du Canada. Lors des rencontres de la COP25, tenue à Madrid en décembre 2019, le ministre de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, a promis que le Canada présenterait un projet de loi qui viserait à atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050 et prévoirait des jalons tous les cinq ans, et qui serait accompagné d’une loi sur la transition équitable. Il a aussi promis que nous allions non seulement respecter les cibles du Canada prévues dans l’Accord de Paris de 2015, mais les surpasser. Le Canada s’est aussi engagé à réduire, d’ici 2030, ses émissions de gaz à effet de serre de 30 % par rapport aux niveaux de 2005.

Il y a déjà un certain temps que nous sommes conscients du lien entre l’activité humaine et les changements climatiques, mais c’est seulement en 1988, avec la création du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, que la communauté internationale a commencé à prendre des mesures concrètes. La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques est entrée en vigueur en 1994. Les gouvernements qui y participent ont convenu de « stabiliser [...] les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique [causée par l’être humain] dangereuse du système climatique ».

En 1995, la première Conférence des Parties a eu lieu à Berlin. Le Protocole de Kyoto, le premier traité visant la réduction des émissions de gaz à effet de serre a suivi en 1997, puis est entré en vigueur en 2005. Le protocole reconnaît que les pays qui se sont industrialisés plus tôt sont responsables de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre et fait porter une plus grande part des responsabilités « différenciées » à ces pays, dont le Canada fait partie.

Selon un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat publié en 2018, pour avoir 50 % de chances d’empêcher que le réchauffement de la planète dépasse 1,5 degré Celsius, il faudra faire en sorte que les émissions de dioxyde de carbone atteignent une cible nette de zéro d’ici 2050 et restreindre considérablement les émissions des autres gaz à effet de serre.

En septembre 2015, le Canada a adhéré au Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies, y compris à l’objectif 13 : « Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions ». Le Programme 2030 fait aussi le lien entre l’impact des changements climatiques et l’inégalité et la pauvreté.

Pourquoi y a-t-il un tel réchauffement en ce moment?

Le réchauffement de la planète augmente et s’accélère parce que plus nous émettons du dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre, plus ces gaz s’accumulent dans l’atmosphère et emmagasinent la chaleur qui irradie de la surface de la Terre, laquelle absorbe les rayons du soleil. Étant donné la tendance au réchauffement généralisé, il y a de plus en plus de phénomènes météorologiques extrêmes.

Dans son exposé, intitulé « Le coût de l’inaction : Les changements climatiques à l’échelle mondiale et au Canada », Craig Stewart, vice-président de la division des affaires fédérales au Bureau d’assurance du Canada, a dit qu’environ 1 million de résidences, ou 10% de toutes les résidences du pays, sont vulnérables aux inondations. L’année dernière, les conditions météorologiques extrêmes ont entraîné des coûts de 1,3 milliard de dollars en dommages assurés au Canada. Lors d’une entrevue qu’il a accordée à Global News, M. Stewart a déclaré ceci :

Il ne fait aucun doute que les changements climatiques augmentent la fréquence et la gravité des conditions météorologiques extrêmes dans l’ensemble du Canada.

Le réchauffement des océans et de l’atmosphère cause des tempêtes plus violentes et perturbe le cycle de l’eau, ce qui se traduit par des inondations, des sécheresses et des feux de forêt plus fréquents, ainsi que par une hausse du niveau de la mer qui, selon les prédictions, sera extrêmement importante sur les côtes Est et Nord du pays. La perte de biodiversité est une autre conséquence grave.

Le Canada est un pays de l’Arctique, et une bonne partie de l’Arctique canadien se trouve en territoire autochtone. L’Arctique se réchauffe deux ou trois fois plus rapidement que le reste de la planète, ce qui a fait disparaître 40% de la couverture de glace dans les 40 dernières années. L’Arctique est le climatiseur de la Terre. La glace et la neige de l’Arctique reflètent environ 80% des rayons du soleil, tandis que les eaux plus foncées qui résultent de la fonte n’en reflètent que 20%.

Par ailleurs, la fonte du pergélisol entraîne la libération de méthane. Or, le méthane emprisonne la chaleur encore plus que le dioxyde de carbone. La perte de la couverture de glace et du pergélisol modifie radicalement l’habitat de la faune et du poisson, endommage des immeubles et des infrastructures essentielles et nuit aux moyens de subsistance des gens.

Il y a naturellement des coûts directs et indirects, des coûts d’atténuation et des coûts d’adaptation liés à toutes ces conséquences dévastatrices que le changement climatique a sur l’environnement.

Même si le Canada ne représente que 0,48 % de la population mondiale, il est responsable de 1,6 % des émissions mondiales annuelles. Chaque Canadien produit 22 tonnes de gaz à effet de serre par année, ce qui est trois fois supérieur à la moyenne du G20. Quarante-cinq pour cent de nos émissions proviennent des combustibles utilisés pour produire de l’énergie pour l’industrie ou pour chauffer et alimenter en électricité nos maisons et nos bâtiments publics; 28 % proviennent des transports; 8,4 % de l’agriculture; 7,8 % du torchage et des fuites et émissions involontaires; 7,5 % des processus industriels et de l’utilisation de produits; et 2,6 % des déchets et des eaux usées. Les sources liées à l’énergie représentent 81,8 % des émissions canadiennes. Il convient de noter que nous ne disposons pas de chiffres canadiens pour les émissions causées par la destruction de la nature, mais le GIEC les estime à 23 % au niveau mondial.

Chers collègues, nous connaissons les conséquences des changements climatiques, nous connaissons les sources d’émissions du Canada, nous savons que notre objectif est d’atteindre zéro émission nette de carbone d’ici 2050. Nous savons que les gouvernements, à tous les paliers, les citoyens, les organisations de la société civile et les entreprises prennent des mesures pour arrêter les changements climatiques. Nos jeunes sont d’importants leaders du changement. Je pense notamment à Autumn Peltier, protectrice de l’eau de Wikwemikong, et à Rylan Urban, fondateur de energyhub.org, qui a été primé par l’Institut Pembina.

Selon le GIEC, nous avons 10 ans pour nous orienter rapidement sur les bonnes voies. Pour ce faire, il faut que tout le monde avance dans la même direction. Nous devons faire preuve d’audace, d’intelligence, d’innovation, de sagesse, d’équité, d’inclusion et de collaboration.

Il y a de nombreuses ressources dans lesquelles nous pouvons puiser. Nous avons le Cadre pancanadien en matière de croissance propre et de changement climatique, qui met l’accent sur la tarification du carbone. Nous avons le document Tracer notre voie : clarifier les choix de politiques climatiques du Canada dans son parcours vers 2050, du nouvel Institut canadien pour les choix climatiques.

Nous avons l’initiative S’engager pleinement dans le plan d’action climatique du Canada du Réseau Action Climat.

Nous avons le nouveau livre de Mark Jaccard, intitulé Climate Emergency: The Citizen’s Guide to Climate Success, et j’en passe. Nous devons être capables d’imaginer à quoi ressemble une économie prospère qui produit peu ou pas d’émissions de GES.

Glen Hodgson, ancien économiste en chef du Conference Board du Canada, a ciblé trois principaux secteurs d’intervention. Primo, produire et utiliser de l’énergie qui produit peu ou pas d’émissions de GES en éliminant progressivement l’énergie produite par la combustion du charbon, du pétrole et de l’essence et en mettant l’accent sur l’électrification stimulée par les énergies renouvelables. Secundo, redéfinir les priorités en matière d’investissements en investissant dans l’économie verte. Tertio, réorienter l’expertise, les connaissances et les compétences de la main-d’œuvre vers l’électrification de l’économie et la création de produits, de services, de structures et de villes qui produisent peu ou pas d’émissions de GES, ou le remaniement de ceux qui existent déjà.

Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, dit que les gouvernements doivent investir massivement et faire preuve d’initiative en matière de politiques et que les marchés financiers entraîneront des changements. Il parle d’une transition équitable d’une économie brune à une économie verte pour le Canada grâce à l’ingéniosité des Canadiens et au système financier du Canada, sur lequel on peut compter pour donner l’exemple.

Le Fonds mondial pour la nature du Canada préconise fortement les investissements dans les solutions axées sur la nature, qui ont la capacité d’atteindre 30 % des cibles de réduction des émissions mondiales. Pour ce faire, il faut cesser de détruire d’autres puits de carbone naturels, préserver ceux qui restent et restaurer ceux qu’on a perdus.

David Victor, président du conseil de l’agenda mondial du Forum économique mondial sur la gouvernance axée sur la durabilité, a déclaré ceci :

La décarbonisation nécessite une série de révolutions technologiques dans chacun des principaux secteurs émetteurs. Nous dénombrons 10 secteurs principaux, dont la production d’électricité, les voitures, les bâtiments, l’expédition, l’agriculture, l’aviation et l’acier. Ces 10 secteurs sont responsables d’environ 80 % des émissions mondiales.

Outre les importants changements qu’il faut apporter au sein des secteurs technique et financier, ainsi que sur les plans de la consommation, de la conservation et de la main-d’œuvre, la transition nécessitera une réconciliation avec nos voisins autochtones, une collaboration à l’échelle internationale au chapitre des solutions et des appuis et, surtout, une volonté sociétale collective et un leadership politique courageux.

Selon Katharine Hayhoe, de l’Université Texas Tech, nous devons arriver au seuil critique où les gens réalisent que les répercussions sur le climat représentent une menace bien plus grande que les solutions. Notre défi consiste à atteindre ce seuil critique dans l’opinion et la motivation des gens bien avant le point de non-retour naturel.

Dans le discours du Trône prononcé en décembre denier, la gouverneure générale Julie Payette a dit :

Les enfants et petits-enfants du Canada jugeront cette génération selon ses actions, ou son inaction, à l’égard du plus grand défi de notre époque : les changements climatiques.

Chers collègues, inspirons-nous du sage principe iroquois selon lequel les décisions prises aujourd’hui doivent donner lieu à un monde durable pendant sept générations. J’espère que l’enquête que le Sénat lance aujourd’hui fera des étincelles et qu’elles s’ajouteront à de nombreuses autres afin de créer l’énergie — renouvelable, bien sûr — nécessaire pour tenir une discussion pancanadienne sérieuse et respectueuse sur les solutions aux changements climatiques. Sur ce, honorables sénateurs, je tends la main à chacun d’entre vous pour vous inviter à participer à l’enquête et à démontrer à tous les Canadiens et nos voisins internationaux notre intérêt et notre engagement à leur endroit et à l’endroit d’un avenir stable avec des emplois sûrs et durables, une planète saine, une société plus unie et une démocratie florissante et responsable.

Chers collègues, c’est pour cela que nous sommes ici. Faisons-le. Qui est le prochain?

Wela’lioq. Merci.

Haut de page