La violation des droits de la personne et des libertés démocratiques à Hong Kong
Interpellation--Ajournement du débat
11 mars 2020
Ayant donné préavis le 11 décembre 2019 :
Qu’il attirera l’attention du Sénat sur la violation des droits de la personne et des libertés démocratiques à Hong Kong.
— Honorables sénateurs, il s’agit d’une interpellation sur les violations des droits de la personne à Hong Kong. C’est ma première intervention au sujet de cette interpellation. J’espère que beaucoup de sénateurs auront l’occasion de prendre la parole à ce sujet, afin de rallier l’appui en faveur des citoyens de Hong Kong.
Je voudrais tout d’abord reconnaître la souffrance de toutes les personnes touchées par le coronavirus au Canada, en Chine et partout dans le monde. Mes pensées et mes prières les accompagnent, ainsi que leur famille.
Honorables sénateurs, j’ai la chance d’avoir la liberté et le choix de prendre la parole au sujet de mon interpellation au Sénat. Je peux parler aujourd’hui sans crainte de représailles ou de punition pour avoir exprimé mon opinion ou exposé des faits. Or, ce sont précisément les craintes quotidiennes pour les citoyens de Hong Kong. Des étudiants, des professionnels, des parents, des enfants, des sœurs et des frères souffrent chaque jour, à Hong Kong, des violations des droits de la personne et de la liberté démocratique.
En 1988, je me trouvais à Hong Kong pour une heureuse occasion : la naissance de mon fils Claude Mathieu. J’étais alors chef de bureau pour CTV à Pékin. À l’époque, une certaine agitation régnait. Des gens quittaient Hong Kong, mais contre leur gré, car Hong Kong était leur chez eux. On partait — et en grand nombre — en prévision de la rétrocession de Hong Kong du Royaume-Uni à la Chine. On fuyait par crainte de perdre ses droits et la primauté du droit.
Cette vague d’émigration a pris de l’ampleur à la suite d’événements survenus un an plus tard. Je n’ai pas besoin d’entrer dans les détails concernant le massacre de la place Tiananmen. J’ai été témoin des mauvais traitements qu’un gouvernement peut infliger à des citoyens innocents, ce qu’il peut faire lorsqu’ils ne rentrent pas dans le rang et lorsqu’ils luttent pour des libertés démocratiques dont chacun de nous jouit quotidiennement.
Comme nous le savons, le territoire a été cédé en 1977, avec la garantie que Hong Kong aurait des systèmes politique et économique distincts de ceux de la Chine continentale, selon le principe d’« un pays, deux systèmes ».
Pendant un certain temps, ce régime semblait vraiment fonctionner. Cependant, en juin 2019, l’histoire s’est répétée. Des manifestations prodémocratie ont éclaté, car, à Hong Kong, on observe depuis longtemps, et encore aujourd’hui, de graves atteintes à la liberté de religion, à la liberté d’expression et aux droits démocratiques, et cela comprend un projet de loi sur l’extradition que la chef de l’exécutif de Hong Kong, Carrie Lam, a présenté il y a seulement un an, en février 2019. Le projet de loi, qui aurait permis d’extrader des Hongkongais vers la Chine continentale, était perçu comme une manœuvre délibérée de Pékin visant à éroder les libertés.
Huit mois plus tard, en septembre, le projet de loi a finalement été retiré de façon officielle, mais le mal était déjà fait. Pendant les manifestations, qui avaient duré des mois, un trop grand nombre de personnes avaient été arrêtées et brutalisées par les forces policières pour s’être opposées publiquement au projet de loi.
Les manifestants ont poursuivi leurs revendications. Leurs exigences sont plutôt simples. Vous les avez déjà entendues, mais elles méritent d’être répétées. Ils exigent des réformes démocratiques et l’instauration du suffrage universel, la tenue d’une enquête indépendante sur la brutalité policière et une amnistie à l’égard des infractions liées aux manifestations. Honorables sénateurs, ce sont là des exigences simples, justes et raisonnables qui nous paraissent tellement normales que nous y pensons à peine. Au Canada, les pires obstacles à la participation au scrutin sont l’indifférence des électeurs et le mauvais temps.
Si une telle situation nous rappelle à quel point nous sommes chanceux, elle représente aussi un appel à l’action : nous devons appuyer le respect de ces droits partout dans le monde. Selon Hong Kong Watch, un organisme situé au Royaume-Uni, plus de 7 000 manifestants ont été arrêtés depuis juin dernier. Près de 1 100 d’entre eux ont été poursuivis devant les tribunaux et ont fait l’objet d’accusations. Environ 550 manifestants ont été accusés d’avoir participé à une émeute, et seulement 12 ont été condamnés. Les peines pour participation à une émeute peuvent aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement.
On estime que 40 % des manifestants arrêtés sont des élèves du secondaire ou des étudiants universitaires. Nous savons — nous avons vu les photos — que des enfants ont aussi été arrêtés. Jusqu’à présent, le manifestant le plus jeune à avoir été reconnu coupable est âgé de 12 ans.
Il est vrai que les manifestations mènent souvent à des actes de vandalisme et de violence de la part d’une minorité de gens. Rien ne justifie toutefois la brutalité policière extrême que l’on observe. La violence excessive des policiers hongkongais a brisé le lien de confiance. La majorité de la population de Hong Kong soutient les manifestants. D’ailleurs, un million de personnes, soit environ 15 % de la population, ont participé à la manifestation du jour de l’An en appui aux demandes dont j’ai parlé plus tôt. Je rappelle qu’il s’agit de demandes aussi simples que le droit aux libertés démocratiques et le droit à des élections justes, ainsi qu’une enquête sur la brutalité policière.
Il a été rapporté, honorables sénateurs, que, pendant les interventions de contrôle de la foule, la police a envoyé des balles de caoutchouc directement au visage des manifestants, qu’elle s’est servi de milliers de grenades lacrymogènes et qu’elle a fait un usage excessif de la force lors des arrestations. Les images que nous avons vues montraient la foule, y compris des enfants, qui se faisait matraquer et battre à coups de poing. Les gens rapportent que pendant leur détention on leur refusait l’accès à des soins médicaux et à un avocat, certains rapportant même avoir été torturés, avoir subi des agressions sexuelles et avoir été soumis à des fouilles à nu illégales.
Amnistie internationale demande qu’une enquête indépendante soit rapidement lancée au sujet de ces violations. Voici ce que l’organisme a affirmé en septembre :
Les preuves laissent peu de place au doute. Dans une soif évidente de représailles, les forces de sécurité de Hong Kong se sont livrées à une pratique inquiétante qui se traduit par des méthodes illégales et brutales contre les citoyens lors des manifestations — arrestations arbitraires et représailles violentes contre les personnes placées en détention, s’apparentant parfois à de la torture.
En outre, dans plus de 85 % des dossiers étudiés par Amnistie internationale, la personne arrêtée a dû être hospitalisée à la suite des sévices infligés par la police.
Honorables sénateurs, cette situation me touche particulièrement et elle devrait vous toucher aussi puisque certains des manifestants à Hong Kong vous ont probablement déjà rendu visite. Malheureusement, je connais l’un des hommes qui est emprisonné. Il s’appelle Edward Leung. J’aimerais que vous vous souveniez de son nom.
J’ai rencontré Edward Leung en juin 2017, à mon bureau de l’édifice du Centre sur la Colline du Parlement. C’était un homme charismatique et gentil, qui s’exprimait avec douceur. Il portait un complet. Il nous ressemblait. Il m’a dit à quel point les valeurs canadiennes rattachées aux droits de la personne, l’égalité, la démocratie et le multiculturalisme, étaient précieuses pour lui. Il m’a confié qu’il s’était senti reconnaissant et honoré d’avoir rencontré des anciens combattants canadiens il y a quelques années, lors d’une cérémonie visant à commémorer la bataille de Hong Kong. Cet événement l’avait beaucoup ému, et je l’ai été moi aussi lorsqu’il m’a raconté son expérience. L’un de mes oncles a servi dans ce coin du monde pendant la Seconde Guerre mondiale.
Comme c’est souvent le cas — et comme M. Leung me l’avait demandé —, nous avons pris une photo ensemble afin de la publier sur Twitter et nous nous sommes promis de continuer à travailler ensemble pour atteindre nos objectifs communs. M. Leung est retourné à Hong Kong, où il a continué de jouir d’un soutien considérable pour son militantisme dans le domaine de la démocratie et des droits et libertés.
Comme je l’ai dit, Edward Leung est maintenant derrière les barreaux. En 2018, il a été condamné à six ans de prison pour avoir participé aux manifestations et pour avoir défendu publiquement la démocratie et l’indépendance.
Honorables sénateurs, on m’a informé de l’état de santé d’Edward hier, et j’ai été profondément bouleversé d’apprendre que, plus tôt ce mois-ci, il a été transféré dans une prison de catégorie A, c’est-à-dire une prison à sécurité maximale, qui est réservée aux délinquants les plus dangereux. Ce n’est pas un endroit où devrait se trouver un militant pro-démocratie non violent.
La vie et les activités politiques d’Edward, de même que sa participation dans les manifestations à Mong Kok en 2016, sont décrites en détail dans le documentaire Lost in the Fumes. Le magazine Time a dit que les participants des plus récentes manifestations devraient absolument voir ce film, et il a désigné Edward comme l’une des 100 étoiles montantes qui devraient façonner l’avenir.
Alors que la situation à Hong Kong se poursuit, je pense souvent à Edward et à sa famille, et je leur envoie des pensées positives de la part du Sénat du Canada. J’espère que c’est ce que vous faites vous aussi. J’espère que vous envoyez des pensées positives à toutes les personnes incarcérées à Hong Kong. Elles ne méritent pas d’être derrière les barreaux. Les Hongkongais font partie intégrante du tissu social de notre pays, car 500 000 d’entre eux habitent actuellement au Canada. Un Canadien est un Canadien, et nous ne pouvons jamais, jamais, l’oublier.
Chers collègues, il n’y a pas que les citoyens de Hong Kong qui sont censurés et maltraités. La liberté de la presse — un sujet que je connais bien, pour avoir moi-même fait plusieurs séjours en prison à l’époque où je travaillais en Chine — est malmenée elle aussi. De nombreux journalistes affirment avoir été harcelés et intimidés par les policiers hongkongais au motif qu’ils couvraient, ou essayaient de couvrir les manifestations. Ils ont notamment été la cible de gaz lacrymogènes et de balles de caoutchouc, et les policiers braquaient des projecteurs vers leurs caméras pour les empêcher de prendre des images, et ce, même s’ils étaient aisément reconnaissables à leur veste et leur casque jaunes et s’ils portaient leur carte de presse bien visible.
Le harcèlement dont ils sont victimes ne semble pas vouloir cesser, et une forme d’autocensure semble s’être emparée des librairies et des commerces de Hong Kong. Quiconque imprime ou tente de publier ou de vendre un livre se rapportant, même de loin, au gouvernement chinois est aussitôt dans le pétrin.
Comme vous le savez sans doute, trois journalistes du Wall Street Journal ont été renvoyés de Pékin en février pour avoir publié un texte d’opinion et, selon les plus récentes rumeurs, les correspondants étrangers commenceraient à avoir du mal à renouveler leurs visas.
Honorables sénateurs, l’histoire se répète encore une fois. Nous ne pouvons pas demeurer assis tranquilles à regarder la situation dégénérer. Où qu’ils soient, les journalistes jouent un rôle essentiel. Or, quand on tente de les censurer et de les empêcher de publier leurs histoires, c’est la liberté de la presse elle-même qui est en péril.
Le dernier gouverneur de Hong Kong, lord Chris Patten, a dit ceci le mois dernier à l’occasion d’une conférence :
Les démocraties libérales du monde entier doivent se tenir debout pour que leur système de gouvernance et la primauté du droit puissent survivre et demeurer la force vive de l’univers politique international pendant les 100 prochaines années. Hong Kong est le théâtre d’une lutte remarquable, une lutte cruciale pour nous tous. Ce qui arrive là aura des répercussions sur nous tous, sachez-le. Le combat que mènent les courageux citoyens de Hong Kong pour défendre ses valeurs est notre combat à tous.
Les manifestations semblent avoir ralenti au cours des derniers mois, mais c’est seulement à cause des efforts déployés pour endiguer le coronavirus. En effet, le virus inquiète les gens et les pousse à s’isoler, comme c’est le cas au Canada.
Les habitants de Hong Kong veulent que le monde sache qu’ils ne reculent pas. Ils craignent toujours les représailles policières et les menaces quotidiennes à la liberté d’expression et à la démocratie. Ils craignent que la Chine n’abandonne, même pas à mi-chemin, le modèle « un pays, deux systèmes » qui devait durer 50 ans. Je pense qu’il est en vigueur depuis à peu près la moitié de la durée prévue. Ils veulent vous faire savoir qu’ils ont encore besoin de notre attention.
En tant que décideurs, nous devons utiliser nos positions et notre influence pour aider les personnes qui souffrent. C’est pourquoi un groupe de parlementaires amis de Hong Kong sera constitué dans les semaines à venir, et j’encourage les sénateurs qui partagent les mêmes idées sur les droits de la personne à y adhérer. Je vous invite également à participer à l’enquête en cours et à soutenir la motion du sénateur Housakos visant à ce que le Comité sénatorial des affaires étrangères examine la situation et en fasse rapport. Je vous invite enfin à vous exprimer sur les médias sociaux au sujet des violations des droits de la personne qui se produisent dans ce grand et merveilleux endroit qu’est Hong Kong. Hong Kong, là où est né mon fils.
Enfin, je tiens à remercier les personnes qui, dans le monde entier, se mobilisent pour soutenir les droits démocratiques et défendre la liberté de la presse. Nous vous écoutons et nous vous soutenons.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Il lui reste une minute et demie.
Oui.
Je vous remercie de votre intervention d’aujourd’hui. Pourriez-vous nous aider à comprendre comment il se fait qu’on n’a pas veillé à ce que les institutions démocratiques à Hong Kong soient plus fortes pour résister à la situation actuelle, je songe notamment à la liberté de presse, à la primauté du droit et à l’indépendance des tribunaux? Pouvez-vous nous dire pourquoi elles ne sont pas plus résilientes et pourquoi nous sommes témoins d’une telle situation aujourd’hui?
Si j’avais la réponse à cette question, Hong Kong serait en paix aujourd’hui.
En fait, le gouvernement de Pékin s’était engagé envers le Royaume-Uni et la population de Hong Kong à respecter le cadre « un pays, deux systèmes », mais il n’a pas tenu parole. Les nombreuses réformes mises en place à Pékin et en Chine continentale sous la direction de Deng Xiaoping et l’adoption d’un socialisme à la chinoise avec des caractéristiques capitalistes étaient perçues comme une détente et offraient une occasion d’ouverture. Le processus était enclenché.
À un moment donné, il faut croire un État sur parole. Malheureusement, le gouvernement de Pékin n’a pas tenu parole.