Aller au contenu

La Loi de l'impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

16 mars 2021


L’honorable Ratna Omidvar [ - ]

Propose que le projet de loi S-222, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (utilisation des ressources), soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-222, Loi sur l’efficacité et la responsabilité des organismes de bienfaisance.

Ce projet de loi modifie la Loi de l’impôt sur le revenu qui prévoit actuellement que les organismes de bienfaisance enregistrés doivent dépenser leurs dons pour leurs propres activités seulement. Les organismes de bienfaisance peuvent, bien évidemment, faire des dons ou verser des subventions à d’autres organismes de bienfaisance, mais, autrement, le libellé actuel de la loi les empêche de consacrer leurs ressources à des activités qu’elles ne mènent pas elles-mêmes.

Cependant, à mon avis, nous sommes tous d’accord pour dire que, dans certains cas, la meilleure façon pour un organisme de bienfaisance de réaliser des fins de bienfaisance, c’est de collaborer avec des organismes d’autres types, comme les groupes à but non lucratif, les entreprises sociales, les coopératives, les groupes de la société civile et les entreprises, qui sont sur le terrain et qui peuvent se révéler les meilleurs partenaires pour avoir les effets escomptés. Honorables sénateurs, c’est vrai pour les organismes de bienfaisance qui œuvrent au Canada et à l’international.

Prenons un exemple au Canada. Le YWCA reçoit des dons de bienfaisance des Canadiens. Il peut verser ces sommes sous la forme de subventions à d’autres organismes de bienfaisance ou les utiliser pour mener ses propres projets et programmes. Cette approche est justifiée par la nécessaire reddition de comptes en ce qui concerne les dons de bienfaisance exemptés d’impôt. Jusque-là, tout va bien. Je ne pense pas que quiconque mettra en cause l’importance de la reddition de comptes.

Cependant, qu’arrive-t-il si le YWCA veut travailler, disons, avec des Afghanes qui parlent peu ou pas l’anglais pour les aider à acquérir des connaissances financières? En l’occurrence, la meilleure solution pourrait être de travailler avec un groupe local d’Afghanes, qui pourrait ne pas être un organisme de bienfaisance, mais plutôt un organisme sans but lucratif. Dans ce cas, puisque la Loi de l’impôt sur le revenu prescrit que les organismes de bienfaisance doivent consacrer leurs dons de bienfaisance à leurs « propres activités », les lignes directrices de l’Agence du revenu du Canada sur cette loi s’appliquent. L’agence précise que, lorsque les organismes de bienfaisance versent des dons de bienfaisance exemptés d’impôt à d’autres types d’organismes, ils doivent maintenir « la direction et le contrôle » de tout le travail qu’ils effectuent ensemble afin que les activités menées par l’organisme non caritatif soient considérées théoriquement comme des activités de l’organisme de bienfaisance. L’Agence du revenu du Canada cherche ainsi à assurer la conformité avec la Loi de l’impôt sur le revenu.

Comme l’ont dit Terrance Carter et Theresa Man, deux avocats très connus se spécialisant dans le secteur des organismes de bienfaisance, cette façon de procéder est démodée, pas pratique, inefficace, excessivement coûteuse et impopulaire. De plus, elle ne répond pas aux objectifs de la mesure législative. Elle repose sur la fausse croyance que tout ce qu’un organisme de bienfaisance fait par l’intermédiaire d’un tiers doit être structuré comme l’activité de l’organisme de bienfaisance quand toutes les parties concernées savent que c’est celle du tiers. C’est là où la fiction juridique entre en scène.

Ce sont les faits, chers collègues. Tout cela peut sembler passablement technique, mais il y a des impacts démesurés pour les organismes de bienfaisance. Vous m’entendrez parler de l’expression « propres activités » de la loi et de « direction et contrôle » en ce qui concerne les directives énoncées par l’Agence du revenu du Canada. Ces quatre mots — propres activités, direction et contrôle — ont des incidences à grande échelle pour les organismes de bienfaisance et déterminent avec qui ils peuvent travailler et de quelle manière, ce qui a pour effet de limiter l’étendue de l’offre caritative possible.

Dans le rapport du Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance, adopté à l’unanimité par le Sénat l’année dernière, le comité a indiqué que cette approche — qui vise à assurer une reddition de compte quant aux sommes libres d’impôt dans le secteur de la bienfaisance — était coûteuse, inefficiente et incompatible avec les valeurs contemporaines d’établissement de partenariats égaux, d’inclusion et de prise de décision par les instances locales.

Le comité a donc recommandé de délaisser cette approche, ainsi que les expressions « propres activités » et « direction et contrôle » et de passer à un nouveau régime qui sera meilleur, plus efficace et plus efficient, sans toutefois sacrifier les mesures relatives à la reddition de comptes.

Le secteur caritatif — et j’entends par là les nombreux organismes de bienfaisance répartis dans tout le pays et oeuvrant au Canada et à l’étranger — appuie sans réserve cette recommandation. Ce sont notamment Imagine Canada, la plus grande organisation sectorielle d’organismes de bienfaisance du Canada; Coopération Canada, l’organisme-cadre, au Canada, qui regroupe les organismes de bienfaisance engagés dans le développement international; le Canadian Centre for Christian Charities; Centraide Canada, ainsi que 37 des meilleurs avocats spécialisés dans le secteur caritatif au Canada. Ces derniers ont demandé le mois dernier un changement à cette loi dans une lettre ouverte. Pas plus tard que la semaine dernière, le comité consultatif sur le secteur caritatif pour le ministère du Revenu national a déposé son propre rapport, qui souligne lui aussi l’urgence de retirer de la loi les termes d’« activités propres ».

Beaucoup m’ont dit que, parmi les 42 recommandations très importantes que le Sénat a présentées dans son rapport, c’est celle-là qui nécessite une action immédiate. Donc, d’une certaine manière, chers collègues, je joue un peu le rôle ici de leur mandataire, en ce qui concerne cette mesure législative.

Cependant, je tiens aussi à souligner que ces règles juridiques sont une parfaite expression du racisme systémique qui trouve sa place dans le droit canadien. Comme on l’a entendu en comité plénier, au débat d’urgence et à l’interpellation déposée par le sénateur Plett sur le racisme, le racisme systémique est difficile à détecter. Il est profondément enraciné, il n’a peut-être pas de cibles toutes trouvées, il est inconscient, il se cache dans les coins poussiéreux des institutions, et pourtant, il a des conséquences démesurées sur certains groupes marginalisés.

Les choses n’ont pas toujours été ainsi. Cette disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu a vu le jour dans les années 1950 afin que les organismes de bienfaisance et les fondations ne puissent pas se renvoyer continuellement les dons entre elles, sans que l’argent ne profite jamais à la population. Or, même si au départ, elle visait à empêcher les transactions intéressées, elle a fini par avoir un effet imprévu en étouffant la collaboration et la coopération entre les organismes de bienfaisance et les autres. Résultat : un système qui oblige les organismes de bienfaisance soit à se comporter de manière contrôlante et oppressive afin de se conformer aux exigences législatives, soit à renoncer à faire le bien.

Je vous donne un exemple précis, chers collègues. Un exemple qui illustre en détail en quoi ce système est inefficace, improductif et coûteux et en quoi il constitue une forme de racisme systémique profond. Je vais illustrer ce que j’essaie de dire en mettant l’accent sur trois scénarios différents.

J’aimerais d’abord parler des répercussions de cette loi sur les dons accordés aux organisations autochtones ou à d’autres agents de changement qui ne sont pas des organismes de bienfaisance. Dans la plupart des cas, les organisations autochtones qui ne sont pas des conseils de bande ou toute autre forme de gouvernement local ne sont pas des organismes de bienfaisance enregistrés. Ainsi, la seule façon pour elles d’obtenir des dons de bienfaisance est de conclure une entente très compliquée et onéreuse avec un organisme de bienfaisance, qui joue le rôle d’intermédiaire. En vertu de cette entente, l’organisme de bienfaisance qui verse les fonds doit exercer une direction et un contrôle sur les activités de l’organisme sans vocation de bienfaisance qu’il finance.

Nul besoin de vous dire ce que signifient les termes « direction » et « contrôle » pour les organisations autochtones et les peuples autochtones. Toute propriété intellectuelle découlant de cette entente appartient exclusivement à l’organisme de bienfaisance et non à l’organisation autochtone, à quelques minces exceptions près. Toutes les déclarations publiques, y compris les communiqués de presse, doivent être approuvées par l’organisme de bienfaisance assurant le financement. Chaque poste budgétaire doit être approuvé et réapprouvé par l’organisme de bienfaisance. L’organisation sans vocation de bienfaisance peut être tenue de fournir des reçus et des photographies, de se soumettre à des inspections sur place, de fournir des procès-verbaux de réunions et des comptes rendus écrits de décisions, etc. Tout document juridiquement contraignant doit être signé par l’organisme de bienfaisance, y compris les baux, les contrats, et ainsi de suite. Parfois, les organisations autochtones peuvent même être contraintes d’apporter des modifications à leur personnel si l’organisme de bienfaisance le lui demande. Chers collègues, il ne s’agit pas ici d’un partenariat, mais bien d’une prise de contrôle.

Il n’est donc pas surprenant que beaucoup d’organismes de bienfaisance hésitent à financer des causes autochtones en raison de la complexité des règlements et de la crainte d’offenser les Premières Nations. Selon le Cercle sur la philanthropie et les peuples autochtones au Canada, très peu de subventions sont accordées aux groupes et aux causes autochtones. Seulement 6 % des fondations canadiennes qui accordent des subventions en donnent à des bénéficiaires ou à des causes autochtones. Il n’est pas étonnant que beaucoup de partenaires autochtones considèrent la loi et son application comme étant encore une autre forme de racisme flagrant et systémique.

Darcy Wood, directeur général de l’organisme à but non lucratif winnipegois Aki Foods et ancien chef de la première nation de Garden Hill, a fait valoir que la loi est coloniale et paternaliste, en plus d’être excessivement bureaucratique. Elle envoie le message qu’on ne peut pas faire confiance aux organismes autochtones pour dépenser convenablement de l’argent.

Deuxièmement, permettez-moi de décortiquer la façon dont ces mécanismes sont appliqués de manière très similaire aux communautés racialisées. J’ai travaillé par le passé avec un organisme sans but lucratif exemplaire de Toronto, le Black Daddies Club. Il a pour objectif de changer l’image de père absent accolée aux Noirs dans les médias. Il aide les jeunes hommes à devenir de meilleurs pères et à épauler les enfants et les familles noirs, de même que leur collectivité au sens large. Puisqu’il ne s’agit pas d’un organisme de bienfaisance, il connaît les mêmes difficultés que les organisations autochtones au moment de collaborer avec des organismes de charité. Le Black Daddies Club doit ainsi conclure une entente élargie et compliquée avec des intermédiaires. Parfois, il doit même accepter d’être embauché par l’organisme de bienfaisance en question. Autrement dit, le Black Daddies Club doit lui aussi accepter d’être dirigé et contrôlé. Comme toutes les autres organisations dans la même situation, il doit consentir à transférer sa propriété intellectuelle à l’organisme de bienfaisance.

Comme vous pouvez le voir, chers collègues, cette façon de faire compromet autant l’organisme de charité que l’organisme sans vocation de bienfaisance. En effet, l’organisme de charité doit assumer toutes les responsabilités associées à la gouvernance fiduciaire et aux ressources humaines, de même que l’ensemble des obligations et des risques connexes.

De son côté, l’organisme sans vocation de bienfaisance doit céder le contrôle du projet à l’organisme de charité. Personne n’est gagnant dans ce scénario. Tous s’en trouvent amoindris.

Enfin, j’aimerais vous parler de plusieurs organismes de bienfaisance canadiens qui œuvrent à l’étranger et pour lesquels ce genre de travail est une réalité quotidienne. Certains organismes de bienfaisance canadiens apportent leur aide dans des endroits très éloignés dans le monde et ils fournissent des services de santé, d’éducation et de logement ainsi que d’autres services dont la population locale a besoin. Nous pouvons offrir un don à ces organismes. Les organismes de bienfaisance internationaux ayant un siège social situé au Canada sont tenus de collaborer avec des partenaires locaux, ce qui nécessite parfois certaines contorsions afin de demeurer à l’intérieur des limites de la loi. Ils doivent parvenir à des accords intermédiaires, ce qui est excellent, mais ils doivent ensuite montrer que ce sont eux qui ont les commandes d’un organisme situé à des milliers de kilomètres à l’étranger. Cela implique non seulement des frais juridiques, le coût de la formation des parties de l’accord, des documents énonçant les politiques, des protocoles et des processus distincts, mais également la planification et les importants coûts associés à une charge administrative considérable. Une partie de ce qu’il en coûte pour tout cela pourrait être utilisée directement à des fins caritatives.

Par exemple, je vais raconter l’expérience de la Bourse du samaritain du Canada, qui est affiliée aux organismes de bienfaisance de Billy Graham. Dans le cadre de ses activités caritatives, la Bourse du samaritain gère un programme de 300 000 $ au Népal pour fournir des services de santé essentiels à des enfants, notamment des soins médicaux vitaux à environ 200 enfants par année. L’organisme collabore avec sept partenaires locaux pour assurer la prestation du programme.

Étant donné que, au titre de la loi canadienne, ces partenaires locaux ne sont pas des organismes de bienfaisance, la Bourse du samaritain doit les diriger et les contrôler. Pour se conformer aux exigences de l’Agence du revenu du Canada, la Bourse du samaritain est tenue d’avoir un contrat de mandat distinct avec les sept organismes locaux. Pour ce faire, il faut un système financier différent et 22 paiements périodiques, et les organismes doivent soumettre 38 rapports distincts. Étant donné qu’il y a sept organismes, le processus est sept fois plus compliqué que nécessaire.

Des organismes de bienfaisance m’ont indiqué que les risques, le fardeau administratif et les obligations sont trop importants pour eux. De plus, les organismes de bienfaisance du Canada ne peuvent pas de façon réaliste joindre leurs efforts à ceux d’organismes de bienfaisance étrangers, alors que des organismes de bienfaisance du Royaume-Uni, des États-Unis et de l’Australie, par exemple, le font pour s’attaquer à d’importantes questions de développement international. Les organismes de bienfaisance du Canada en sont incapables parce qu’ils ne peuvent pas concrètement remplir des fonctions de direction et de contrôle au sein d’un fonds commun. Par conséquent, nous ratons l’occasion de nous joindre à des efforts de bienfaisance collectifs visant à régler un problème précis.

De plus — et je trouve que c’est un résultat vraiment intéressant —, le Canada se prive de la possibilité d’accueillir sur son territoire des organismes de bienfaisance internationaux avec leur siège social, ce qui créerait de nombreux emplois. Par exemple, je crois savoir que, lorsque Oxfam voulait quitter Oxford, au Royaume-Uni, et qu’il cherchait un nouvel endroit pour son siège social, Montréal avait été envisagée, et ce, pour de très bonnes raisons. Cependant, dès qu’Oxfam a découvert qu’en s’installant au Canada, il serait soumis à cette loi complexe, il a préféré étudier d’autres endroits.

Alors que le reste du monde s’éloigne du colonialisme et se tourne vers le développement participatif, notre loi nous empêche de le faire. Voilà un autre exemple de la façon dont le racisme systémique se manifeste. Tout le pouvoir est entre les mains de l’organisme de bienfaisance canadien, qui est forcé de participer à cette contorsion juridique, et perpétue ainsi le terrible héritage du colonialisme et de l’emprise du Nord sur le Sud.

Je vous propose une autre solution qui permettrait d’accroître l’efficience et l’efficacité et de responsabiliser les partenaires, et ce, sans sacrifier la reddition de comptes.

Avant de vous en parler, je vais répondre à une question que vous pourriez raisonnablement vous poser. Pourquoi tous ces organismes ne deviennent-ils pas simplement des organismes de bienfaisance? La réponse n’est pas simple. D’abord, les groupes à l’étranger ne seront pas admissibles au statut d’organisme de bienfaisance canadien parce que l’organisme doit résider sur le territoire canadien.

Les coopératives et les entreprises sociales ne sont pas admissibles parce que leur vocation n’est pas exclusivement axée sur la bienfaisance. Les mouvements sociaux, comme Black Lives Matter, ont un caractère spontané et ils ne sont pas admissibles parce que ce ne sont pas des organisations à proprement parler, mais bien des mouvements. Concernant les organismes sans but lucratif, un grand nombre ne sont pas considérés comme des organismes de bienfaisance étant donné que la reddition de comptes qui accompagne cette désignation est hors de leur portée. Le Black Daddies Club, par exemple, est essentiellement un tout petit regroupement de bénévoles qui n’ont pas la capacité de gérer le statut d’organisme de bienfaisance.

Finalement, chers collègues, comme la définition de la bienfaisance au Canada n’a pas évolué depuis son inscription dans la loi, nous sommes pris à l’époque élisabéthaine. Les quatre critères de la bienfaisance sont demeurés inchangés depuis des décennies : le soulagement de la pauvreté, l’avancement de l’éducation, l’avancement de la religion ou d’autres fins. D’autres pays, comme l’Australie, ont modernisé leur définition de ce qu’est la bienfaisance. Or, le rapport sénatorial sur le secteur de la bienfaisance a déterminé le besoin urgent de permettre l’évolution de la définition de la bienfaisance. D’ici à ce que ce soit fait, nous sommes à la merci de la vieille définition à laquelle ne correspondent pas de nombreux organismes que j’ai mentionnés.

Quelle serait donc la solution? Je propose de modifier la Loi de l’impôt sur le revenu de manière à délaisser la notion de « propres activités » pour parler plutôt d’« utilisation responsable des ressources ». Le projet de loi que vous avez sous les yeux est très simple, malgré sa longueur et son apparente complexité. Il accomplirait trois choses.

Tout d’abord, il remplace les références aux « activités de bienfaisance qu’elle mène elle-même » par « activités de bienfaisance ». Comme cette notion des « propres activités » revient à de nombreuses reprises dans la loi, le projet de loi est long, mais 90 % de son contenu porte sur ce changement.

Ensuite, il modifie un article de la loi de manière à élargir la définition d’« activité de bienfaisance » afin que les organismes de bienfaisance puissent utiliser leurs ressources à des fins de bienfaisance s’ils prennent des mesures raisonnables.

Enfin, il ajoute à la loi un article important afin d’expliquer le sens des « mesures raisonnables ». D’autres articles portent sur les examens et sur l’entrée en vigueur.

À l’époque actuelle, les organismes de bienfaisance et les autres types d’organismes doivent pouvoir collaborer, mais il faut prévoir des mesures de sauvegarde pour éviter les activités répréhensibles. L’utilisation responsable des ressources donnera aux organismes de bienfaisance et aux autres organismes plus de moyens d’agir tant au Canada qu’à l’étranger, et ce, sans affaiblir la reddition de comptes liée à l’utilisation des dons de bienfaisance.

Cette approche amène les organismes de bienfaisance à axer leurs efforts sur la prise de mesures raisonnables et adéquates pour faire en sorte que leurs ressources soient consacrées à des fins de bienfaisance, plutôt que sur le contrôle continu des activités opérationnelles. Elle offre à l’Agence du revenu du Canada un cadre de travail fiable dont les fonds et les ressources généreront rapidement des bénéfices tout en protégeant l’aide fiscale que reçoivent les organismes de bienfaisance.

Chers collègues, je tiens à être parfaitement claire. La reddition de comptes pour l’argent exempté de l’impôt est primordiale. Les organismes caritatifs feront pleinement preuve de diligence raisonnable dès le départ, élaboreront des accords sur les résultats attendus et les activités, les budgets, la production de rapports et les échéanciers. Les organisations non caritatives devront pleinement rendre des comptes aux organismes de bienfaisance sur l’argent reçu et devront faire rapport sur l’utilisation des fonds conformément aux échéanciers convenus. Une fois ces accords terminés, les organisations non caritatives feront rapport aux organismes de bienfaisance sur la manière dont l’argent a été dépensé ou dont les ressources ont été utilisées, et sur les progrès accomplis, en termes de résultats et d’impact, mais l’organisation non caritative ne sera pas contrôlée par l’organisme de bienfaisance. La gestion du projet revient à l’organisation non caritative.

Ainsi, la loi modifiée permettra aux organismes de bienfaisance de s’éloigner de la direction et du contrôle en tant que mesure de reddition de comptes, pour plutôt exercer d’emblée la diligence raisonnable, le contrôle des finances et la production de rapports. La loi n’exigera plus que l’organisme de bienfaisance agisse en tant que gestionnaire de projet, comme si l’activité était celle de l’organisme de bienfaisance lui-même alors que nous savons tous qu’il n’en est rien.

L’avantage de travailler avec les organisations sans vocation de bienfaisance, c’est qu’elles sont sur le terrain. Elles connaissent mieux la collectivité ou la situation, et elles sont les mieux placées pour déterminer comment utiliser les fonds. Le secteur de la bienfaisance a besoin d’avoir l’assurance que l’argent sera dépensé à des fins de bienfaisance. Il est donc tout à fait justifié de prévoir des mesures de reddition de comptes sur l’utilisation des ressources pour veiller à ce que les fonds réservés à des fins de bienfaisance soient bel et bien utilisés à cette fin et pour rendre des comptes sur les dons à des fins de bienfaisance.

Si on pouvait changer le libellé de la Loi de l’impôt sur le revenu grâce à cette modification, l’ARC changerait alors ses directives concernant la façon dont les organismes de bienfaisance devraient rendre des comptes. L’adoption de mesures de reddition de comptes sur l’utilisation des ressources obligerait l’ARC à envisager d’ajouter des questions et d’exiger des renseignements plus précis dans les formulaires de déclaration de revenus que les organismes de bienfaisance doivent soumettre chaque année, mais c’est une mesure raisonnable.

Certains se sont demandé si les dispositions législatives et les directives actuelles sont nécessaires et pertinentes lorsqu’il s’agit d’éviter que les fonds réservés à des fins de bienfaisance ne tombent entre les mains de personnes malhonnêtes ou malveillantes, en particulier celles qui mènent des activités terroristes. Ma réponse est un « non » catégorique. Les mesures de reddition de comptes sur l’utilisation des ressources ne nuiront aucunement à la lutte contre le terrorisme. Je vais vous expliquer pourquoi.

Premièrement, il est extrêmement rare que des organismes de bienfaisance malhonnêtes financent des activités terroristes. Seulement 8 des 85 000 organismes de bienfaisance qui ont été enregistrés au Canada ont été suspendus dans les dernières décennies, et leur statut d’organisme de bienfaisance a été révoqué.

Ensuite, le Code criminel du Canada inclut des dispositions législatives antiterroristes, et de nombreuses institutions, comme la GRC, le SCRS, le CANAFE et le Groupe des cinq, unissent leurs forces pour lutter contre le terrorisme. Il est inutile d’obliger les organismes de bienfaisance à mener leurs propres activités et à conserver la direction et le contrôle de leurs ressources pour prévenir le terrorisme. Comme l’a dit Phil Gurski, un analyste de la sécurité reconnu et ancien agent du SCRS, « nous avons d’autres outils à notre disposition pour cibler les cas problématiques ».

Parmi ces outils, en plus de la GRC, du SCRS et du Groupe des cinq, mentionnons une pièce maîtresse de la législation. La partie 6 de la Loi antiterroriste porte précisément sur le financement potentiel d’activités terroristes par des organismes de bienfaisance voyous du Canada. Selon le paragraphe 2(1), la loi a pour objet de donner l’assurance aux contribuables canadiens que les avantages conférés par l’enregistrement des organismes de bienfaisance ne profitent qu’à des organismes administrés exclusivement à des fins de bienfaisance. Le paragraphe 4(1) décrit le processus de révocation de l’enregistrement d’un organisme de bienfaisance s’il met, directement ou indirectement, des ressources à la disposition d’une entité terroriste inscrite. Cette loi incorpore la précédente Loi sur l’enregistrement des organismes de bienfaisance (renseignements de sécurité), qui avait le même objectif : empêcher que les dons de bienfaisance ne tombent dans les mains d’organismes voyous.

Ce processus inclut un certificat signé par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre du Revenu national, qui donnent leur avis sur un cas en particulier avec un renvoi à la Cour fédérale. La cour examine ensuite le certificat et, s’il est jugé raisonnable, elle révoque l’enregistrement de l’organisme de bienfaisance.

Honorables sénateurs, j’espère que vous vous rendez compte que nous disposons d’une variété d’organismes, d’instruments et de mesures législatives solides pour lutter contre le terrorisme et d’autres activités répréhensibles. Nous devrions absolument nous en servir. Mon projet de loi complète ces autres mesures parce qu’il met l’accent sur l’utilisation responsable des ressources pour garantir que les ressources d’un organisme de bienfaisance sont utilisées exclusivement à des fins de bienfaisance, sans obstacle et sans la fiction juridique sur le critère des « propres activités » et l’exigence connexe de « direction et contrôle », qui est paternaliste.

Chers collègues, je veux répondre à une question que vous vous poserez probablement. Comment des pays comparables traitent-ils de la question? D’après mes recherches, l’approche canadienne est remarquablement unique par rapport à celle d’autres pays développés. Les organismes de bienfaisance dans d’autres pays doivent surveiller tout versement de fonds à des organismes sans vocation de bienfaisance et rendre des comptes à ce sujet. Cependant, pour eux, l’exigence relative à la direction et au contrôle et le critère des « propres activités » qu’impose le Canada sont inhabituels et pratiquement impossibles à appliquer.

Les États-Unis, qui sont le pays le plus vigilant en matière de sécurité, emploient un modèle semblable à celui que je propose ici. En fait, ma proposition correspond à la leur à bien des égards. Cependant, ils se servent de l’expression « responsabilité des dépenses », alors que je parle d’« utilisation responsable des ressources » parce que cette expression est plus adaptée à la réalité du travail des organismes de bienfaisance.

Aux États-Unis, les fondations peuvent accorder des subventions à des entités étrangères à condition que la fondation conserve ce que l’on appelle la « responsabilité des dépenses ». Cela signifie que la fondation est tenue de déployer des efforts raisonnables pour mettre en place des procédures adéquates afin de s’assurer que la subvention est dépensée uniquement pour atteindre le but dans lequel elle a été accordée, d’obtenir des rapports complets et de faire des rapports complets et détaillés concernant ces dépenses. C’est semblable à ce que je propose, comme je l’ai dit.

Au Royaume-Uni, les organismes de bienfaisance peuvent transférer des fonds à des partenaires étrangers, à condition que l’utilisation des fonds soit subordonnée exclusivement à la raison d’être de l’organisme de bienfaisance britannique, qu’une diligence raisonnable appropriée soit exercée avant l’octroi et qu’il y ait un suivi de l’utilisation des fonds et des rapports sur la question. Là encore, c’est très similaire à ce que je propose.

En Australie, les organismes de bienfaisance sont tenus de gérer de manière appropriée leurs activités et ressources à l’étranger. Ils doivent procéder à un examen annuel de ces activités, s’assurer qu’ils ont mis en place des mesures appropriées de lutte contre la fraude et la corruption et protéger les personnes vulnérables contre l’exploitation et les abus.

Dans une analyse comparative de l’approche du Royaume-Uni, des États-Unis, de l’Australie et du Canada, Natalie Silver, de la Faculté de droit de l’Université de Sydney, a conclu que les exigences de contrôle du Canada sont excessives et pénibles.

Honorables sénateurs, j’espère vous avoir donné un bon aperçu de la loi actuelle et des directives de l’ARC quant à l’application de la loi. J’espère avoir réussi à vous donner une idée de l’incidence de ces critères limitatifs sur les organismes de bienfaisance qui œuvrent au Canada et à l’étranger et vous avoir fourni une solution raisonnable pour y remédier.

En terminant, permettez-moi une réflexion sur le rôle des organismes de bienfaisance dans les moments sombres de la crise de la COVID-19.

Ces organismes sont sur la ligne de front, assurant la prestation de services essentiels aux Canadiens. Je pense notamment aux banques alimentaires, aux refuges, aux services de consultation en santé mentale et j’en passe. Plus tôt cette année, le secteur a communiqué un appel urgent au gouvernement pour qu’il supprime le critère des « propres activités » et l’exigence de « direction et contrôle » afin d’aider le secteur à offrir les services rapidement aux personnes dans le besoin. Malheureusement, son appel n’a pas été entendu.

Il est grand temps d’écouter cet appel. Faisons en sorte qu’il soit moins difficile de faire le bien, surtout à une période où nous avons besoin d’un secteur de la bienfaisance fort pour engager le Canada sur la voie de la relance. Celui-ci ne devrait pas avoir à le faire les mains liées.

Merci beaucoup.

L’honorable Robert Black [ - ]

Mon honorable collègue accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Omidvar [ - ]

Bien sûr.

Le sénateur R. Black [ - ]

Je vous remercie, sénatrice Omidvar, de tout le travail que vous avez accompli dans ce dossier. J’ai eu l’occasion de travailler avec vous au sein du comité sur le secteur de la bienfaisance lors de la dernière législature et nous avons produit un excellent rapport qui a eu l’appui de nombreux organismes de bienfaisance de partout au pays, comme vous l’avez souligné.

Ma question vise à obtenir davantage de clarté, pour moi, en ce qui concerne mes propres activités, mais probablement aussi pour ceux qui nous regardent aujourd’hui. Je suis un grand défenseur de la SHARE Agriculture Foundation, qui établit des partenariats avec des organismes ruraux aux vues similaires dans les pays en développement où les gouvernements locaux ne sont pas en mesure d’offrir du soutien et des services aux communautés rurales pauvres.

Bon nombre des projets de SHARE ont pour objectif de soutenir les femmes et les familles, ainsi que les programmes d’éducation et d’alphabétisation partout dans le monde. L’organisme a travaillé avec des organisations au Guatemala et au Belize dans le but de distribuer des filtres à eau et de faire de la sensibilisation et un suivi au sujet de l’utilisation de l’eau potable. Pour que SHARE ou tout autre organisme de bienfaisance canadien puisse soutenir une telle initiative, que font ces organismes et leurs partenaires locaux des pays en développement dans le cadre de l’actuelle Loi de l’impôt sur le revenu et que feraient-ils si votre projet de loi était adopté? Merci.

La sénatrice Omidvar [ - ]

Merci, monsieur le sénateur Black. C’est une excellente question. Je vous remercie de me donner l’occasion de vous donner une idée de la situation actuelle et de ce qu’elle pourrait être à l’avenir.

En ce moment, si la fondation SHARE, que vous avez mentionnée, si je ne me trompe pas, veut se conformer à la loi, elle doit avoir une conversation avec une organisation au Guatemala, par exemple, ou avec une organisation ailleurs dans le monde, qui ressemble à ceci : je vais investir de l’argent pour fournir une éducation aux femmes dans votre collectivité. Ce sera mon projet et non le vôtre. Comme je ne suis pas sur place, je vous demande, organisation XYZ, de m’aider à élaborer le projet et à le mettre en œuvre. Puisqu’il s’agit de mon argent, de mon projet et de mes activités, je vais diriger et contrôler la façon dont vous, organisation XYZ au Guatemala, utilisez mon argent pour mettre en œuvre ce programme.

Si la loi est modifiée, la conversation changerait. Voici ce que dirait maintenant la fondation SHARE à l’organisation du Guatemala : j’aime votre projet consistant à offrir une éducation aux femmes, car il s’harmonise avec ma mission caritative. Je vous donne ainsi, organisation XYZ, des fonds destinés à la réalisation de ce projet. L’argent doit être uniquement utilisé à cette fin, et vous devez me fournir des rapports qui le confirment. Il s’agit tout de même de votre projet et de votre programme, mais il est réalisé avec mon argent.

Avec ce scénario, on obtient non seulement de la reddition de compte, mais aussi de l’autonomisation. J’espère que cela répond à votre question, sénateur Black.

La sénatrice accepterait-elle de répondre à une autre question?

La sénatrice Omidvar [ - ]

Oui.

Merci, sénatrice, de votre présentation très détaillée. J’avais quelque cinq questions à poser et vous y avez presque toutes répondu dans votre présentation. Je voulais vous questionner sur les autres pays et sur tout ce dont vous avez parlé dans votre discours.

J’aimerais obtenir une précision. Si je comprends bien, cette proposition ne change pas les organismes de bienfaisance qui obtiennent l’argent, n’est-ce pas? Vous avez commencé par l’exemple du YWCA, qui continuerait d’obtenir des fonds. L’objectif n’est pas de permettre à un plus grand nombre d’organismes de bienfaisance d’obtenir ce financement. Est-il plutôt question de leur donner davantage de souplesse pour dépenser l’argent qu’on leur octroie?

La sénatrice Omidvar [ - ]

Vous avez tout à fait raison, sénatrice Dasko.

La conduite des organismes de bienfaisance changerait, parce que la loi changerait aussi. Ces organismes disposeraient d’une souplesse accrue. Ils auraient davantage d’autorité et de pouvoir pour travailler en collaboration et en partenariat avec des organismes non caritatifs, et ils se libéreraient ainsi des contraintes de « propres activités » et de « direction et contrôle ». Rien ne changerait pour les organismes sans but lucratif, mais tout changerait pour les organismes de bienfaisance. De nombreux organismes de bienfaisance m’ont confié qu’ils avaient hâte d’être libérés de ces contraintes.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Sénatrice Lankin, avez-vous une question?

L’honorable Frances Lankin [ - ]

Oui, merci.

Sénatrice Omidvar, je vous remercie beaucoup de votre présentation. Elle était concise, instructive et convaincante. Je partageais votre avis avant que vous ne donniez votre discours, mais je pense qu’il a donné aux sénateurs de bonnes bases pour débattre du projet de loi.

Le Black Daddies Club est un bon exemple. Nous avons dû créer un Fonds Action Jeunesse par l’intermédiaire de Centraide Toronto pour acheminer des fonds publics et nous voulions qu’il soit contrôlé par des membres des communautés noires, qui connaissaient les solutions. Il a été difficile de le mettre en place sans que Centraide en ait le contrôle direct. Vous soulevez une question pertinente.

J’aime ce que vous avez dit au sujet du suivi des ressources et de la reddition de comptes. Dans certains des nombreux exemples que nous avons donnés et que nous avons découverts par le passé, les efforts de renforcement des capacités qui peuvent accompagner l’établissement d’un groupe qui n’a pas la capacité d’obtenir le statut d’organisme de bienfaisance à ce stade peuvent constituer une ressource importante. Il ne s’agit pas seulement d’acheminer de l’argent vers les programmes qu’ils offrent, mais aussi de soutenir le développement.

À votre avis, est-ce que le temps du personnel et d’autres facteurs de ce genre expliquent en bonne partie pourquoi vous ne définissez pas le travail comme un simple suivi, contrôle ou surveillance des dépenses, mais comme une ressource?

La sénatrice Omidvar [ - ]

Sénatrice Lankin, vous avez tout à fait raison de faire ce lien, et d’établir cette distinction avec les États-Unis pour ce qui est de la responsabilité des dépenses. J’ai été conseillée tout au long de ce processus par les meilleurs avocats spécialisés dans les organismes de bienfaisance, et nous en sommes venus à parler de reddition de comptes à l’égard des ressources parce qu’il s’agit d’un excellent outil pour mesurer avec précision toutes les ressources dont dispose un organisme de bienfaisance. Je ne parle pas uniquement de financement, mais aussi de personnel, d’espace, de technologie et de connaissances. La synergie de ces éléments nous rendra non seulement puis résilients, mais également plus responsables.

Haut de page