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Projet de loi sur les nouvelles en ligne

Deuxième lecture--Report du vote

30 mars 2023


L’honorable Leo Housakos [ + ]

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi C-18, Loi sur les nouvelles en ligne.

Le sénateur Harder, parrain du projet de loi, a dit il y a quelques semaines espérer que nous serions tous d’accord pour dire qu’il faut agir pour remédier aux difficultés que connaît actuellement le secteur de l’information au Canada.

Je reconnais que les médias d’information traditionnels du pays sont confrontés à des défis, puisqu’ils sont en compétition avec des plateformes et des organes de presse en ligne pour obtenir l’attention des gens et les revenus publicitaires. Certains ont plus de mal que d’autres à composer avec cette réalité, un fait dont il faudrait tenir compte dans toute étude consacrée au projet de loi.

Pourquoi certains médias réussissent-ils alors que d’autres n’y arrivent pas? L’un des aspects qui me préoccupent, dans ce projet de loi, c’est la prémisse selon laquelle tout le journalisme serait en péril au Canada. Je trouve aussi problématique qu’on suppose que ce problème requiert l’intervention du gouvernement. J’ai du mal à comprendre que, si le gouvernement met son nez dans ce dossier, nous pourrons apparemment bénéficier de médias d’information « libres et indépendants ». Ces deux idées ne vont pas vraiment ensemble.

On ne peut nier que les salles de nouvelles ayant pignon sur rue au Canada sont en train de disparaître — en particulier les éditeurs de journaux et les petits médias indépendants. Au Canada, comme dans le reste du monde, on consomme l’information différemment. On se tourne de plus en plus vers les plateformes en ligne pour accéder à du contenu, et les annonceurs suivent cette tendance. Par conséquent, les médias traditionnels sont désormais contraints de faire concurrence aux autres médias pour obtenir des recettes publicitaires sur lesquelles ils jouissaient auparavant d’un monopole. Cependant, chers collègues, s’ils n’y parviennent pas, c’est qu’il y a un problème avec leur modèle d’affaires, et non avec le journalisme dans son ensemble.

Soyons honnêtes quant aux objectifs de cette mesure législative. Il ne s’agit pas de préserver la liberté et l’indépendance de la presse, ce qui, j’en conviens, est essentiel à une démocratie saine. Il s’agit de préserver un système journalistique que nous connaissons bien, avec lequel nous sommes à l’aise, et qui a par ailleurs été très utile au gouvernement actuel.

Pour un gouvernement qui prétend soutenir l’innovation et la technologie comme aucun autre avant lui, il ne cesse de présenter des mesures législatives qui pénalisent et découragent l’innovation. En réalité, dans une démocratie solide et prospère, le gouvernement n’a rien à faire dans le secteur des nouvelles.

Lorsque le gouvernement intervient pour dicter ce qui constitue des nouvelles « de qualité » ou « professionnelles » et se met à distribuer de l’aide financière en fonction de ces critères, il n’y a plus de liberté et d’indépendance des médias d’information.

Chers collègues, il est humain de se méfier de quelqu’un dont la survie même dépend d’une autre personne ou entité. C’est pourquoi nous avons des lois et des codes sur les conflits d’intérêts. Même l’apparence d’un conflit possible doit être évitée. C’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit des médias d’information.

Je suis très déçu de voir le gouvernement, y compris le parrain du projet de loi au Sénat, utiliser l’argument de la lutte contre la désinformation et la mésinformation pour justifier le projet de loi, comme si seuls le gouvernement ou ses mandataires pouvaient être dignes de décider quelle information méritait d’être consommée.

C’est très dangereux, chers collègues. Pourtant, cela ne cesse de se reproduire, même après qu’on ait obligé une députée à s’excuser.

Lisa Hepfner, députée libérale et ancienne journaliste, a déclaré au cours de l’étude du projet C-18 en comité :

[...] nous entendons l’argument suivant: « [...] quelques centaines d’autres organismes de presse en ligne ont vu le jour pendant ce temps ». Sauf que ce que nous ne voyons pas, c’est qu’il ne s’agit pas d’organes de nouvelles.

Ils ne recueillent pas d’informations. Ils ne publient que des opinions.

Dans les excuses qu’elle a été obligée de présenter au sujet de ce commentaire, Mme Hepfner n’a pas pu s’empêcher de continuer à dénigrer les sites d’actualités en ligne, en laissant entendre que la plupart d’entre eux ne sont pas des sources de nouvelles fiables, mais plutôt des sources de fausses nouvelles.

Chers collègues, vous riez lorsque nous prétendons que toutes ces mesures législatives — ce projet de loi et son prédécesseur, le projet de loi C-11 — sont des tentatives de la part du gouvernement Trudeau de contrôler ce que les Canadiens regardent en ligne, mais le fait est que cet avertissement vient littéralement de l’intérieur même des Communes.

Pendant que nous sommes sur le sujet de la désinformation, parlons de la déformation totale de la manière dont les nouvelles sont partagées sur Facebook et Google et de ce que ce projet de loi est censé faire à ce sujet.

Mme Hepfner, la députée libérale — encore elle —, a décrit la situation ainsi dans un gazouillis après l’adoption du projet de loi C-18 à la Chambre. Elle a écrit que le projet de loi C-18 :

[...] fait en sorte qu’il sera plus difficile pour les grandes plateformes numériques comme Facebook et Google de voler les articles des journalistes locaux et de les republier sans leur en attribuer le mérite [...]

C’est une déformation vraiment consternante des faits et de la réalité de la part d’une députée ministérielle qui parle ad nauseam de la lutte contre la désinformation en ligne, et voilà qu’elle la perpétue.

Ces plateformes ne « volent » pas du contenu. Au contraire, elles mettent en valeur le travail des journalistes et incitent les gens à consulter les sites Web des médias traditionnels, tout comme elles mettent en valeur notre propre travail lorsque nous, les politiciens, le publions en ligne.

Mme Hepfner donne l’impression que Facebook et Google font un copier-coller du contenu et tentent de s’en approprier le mérite. Chers collègues, c’est ridicule.

Dans le cas de Facebook, ses utilisateurs — des gens comme vous et moi — publient des liens vers des articles de nouvelles qui vous redirigent vers leur site Web d’origine, qu’il s’agisse de CTV News, de Radio-Canada, de Western Standard ou de n’importe quel autre média du genre.

La même chose vaut pour Google, que l’on consulte Google News, un agrégateur identifiant clairement la source de l’article et fournissant un lien direct vers son site d’origine, ou que l’on interroge le moteur de recherche Google, dont les résultats mènent directement au site d’origine de l’article du journaliste.

Il n’y a aucun vol de contenu ni omission de nommer adéquatement la source, c’est-à-dire l’auteur de l’article et le média l’ayant initialement publié. Accuser les plateformes de vol serait comme si un restaurant accusait un chauffeur de taxi de voler ses clients lorsqu’il les dépose à sa porte. C’est ridicule.

Oui, ces plateformes en ligne ont trouvé un moyen de tirer profit du travail d’autrui; et en retour, étant donné que les recettes publicitaires sont, dans l’ensemble, limitées, cela diminue les profits des médias. Cela ne fait aucun doute.

Cependant, poursuivons l’analogie du chauffeur de taxi et du restaurant. Un couple veut aller au restaurant. Les deux personnes veulent prendre quelques verres avec le souper, alors elles ne doivent pas conduire; elles prennent le taxi. Elles n’ont qu’un budget précis à dépenser ce soir-là, alors elles savent qu’elles devront déduire le prix du taxi de la somme qu’elles avaient prévu dépenser au restaurant. C’est logique.

Le propriétaire du restaurant va-t-il dire au chauffeur de taxi qu’il lui doit une portion du prix du trajet? Non, il est heureux de pouvoir exploiter son entreprise, surtout dans le monde d’aujourd’hui, où les services de livraison d’aliments grugent la clientèle qui mange dans les salles à manger.

En passant, ces mêmes restaurants doivent s’adapter, en raison des services de livraison d’aliments, à de nouvelles technologies et de nouvelles façons de recevoir des commandes. C’est la même chose pour les médias des nouvelles, qui devront s’adapter au monde numérique — et certains se sont adaptés.

D’ailleurs, personne n’oblige les médias d’information à rendre leur contenu disponible en ligne pour être partagé sur des plateformes comme Facebook ou Google. Ils choisissent de publier le contenu eux-mêmes et d’encourager les autres à le partager en mettant les petites icônes de partage sous chaque article. Ils savent qu’ils ont tout à gagner à ce que leur contenu soit partagé. Dans le cas de Google, les médias font en sorte que leur contenu apparaisse dans une recherche Google en activant leur flux RSS. Ils pourraient simplement ne pas activer ce flux, et, lors du partage sur d’autres plateformes, ils pourraient proposer leur contenu via un accès payant. Un abonnement numérique n’est pas différent d’un abonnement payant. Il est difficile d’accuser quelqu’un de voler quelque chose qui est offert gratuitement.

Récemment, Google a mené ce qu’il a appelé un test au Canada en cessant de fournir des liens vers les actualités canadiennes pour moins de 4 % de la population canadienne, selon ses dires. Les représentants du gouvernement se sont mis à accuser l’entreprise de « voler » et de « bloquer » du contenu.

Je reviens à mon analogie avec le restaurant. C’est comme si le chauffeur de taxi disait : « D’accord, je ne veux pas être accusé de voler vos clients, alors je n’amènerai plus personne dans votre restaurant. » Et le gérant du restaurant lui reprocherait alors d’empêcher les clients de venir dans son établissement.

Chers collègues, le ridicule de la situation n’est-il pas évident?

En outre, ce n’est tout simplement pas vrai. Durant le test mené par Google, pas un Canadien ne s’est vu dans l’impossibilité d’accéder au site de nouvelles de son choix, pas un. Ce n’est pas ainsi que fonctionne Internet.

Je ne cherche pas à défendre les grandes entreprises technologiques, même si on m’accusera certainement de le faire. Je veux juste rapporter les faits et parler franchement de la situation telle qu’elle est.

Le gouvernement répand des faussetés, alors qu’il prétend vouloir lutter contre la mésinformation. De même, il se livre aux mêmes tactiques d’intimidation qu’il accuse Alphabet et Meta, les sociétés mères de Google et de Facebook, d’employer.

C’est ainsi que le gouvernement Trudeau a réagi au récent test effectué par Google et à la déclaration de Meta, qui a clairement indiqué que si elle est forcée de payer chaque fois qu’un de ses membres partage un lien vers un article au Canada, elle mettra fin complètement à cette pratique. Ces sociétés nous diront simplement de ne plus utiliser leur plateforme et de nous servir d’un autre moteur de recherche. Personne ne force un journaliste à utiliser Google ou n’importe quelle autre plateforme. C’est gratuit. C’est un choix. C’est ce qu’on appelle la liberté.

Ces deux sociétés se livrent à une bonne vieille partie de bras de fer avec le gouvernement. Elles le mettent au pied du mur, et il n’est pas étonnant que le gouvernement n’y réagisse pas bien.

Cependant, la réaction du gouvernement n’est pas pour autant justifiée. Pour ceux qui ne le savent peut-être pas, l’entreprise Google a été convoquée pour expliquer sa décision récente de mener un test. Le député Chris Bittle ne s’est pas contenté d’intimider le témoin de Google — il semble que le député soit devenu un virtuose en la matière —, mais il est allé jusqu’à affirmer qu’il faudrait peut-être consulter le légiste sur les recours possibles parce qu’il n’était tout simplement pas satisfait des réponses données par le témoin.

Le gouvernement a utilisé ce comité parlementaire pour exiger la production de la correspondance de tiers, de ces deux entreprises, au sujet d’un projet de loi qui n’est plus à l’étude à la Chambre.

Il est question de correspondance entre ces entités et de simples citoyens qui s’opposent à ce projet de loi du gouvernement, et le gouvernement exige qu’elle lui soit remise.

C’est toute une histoire de chasse aux sorcières. Quelle est cette façon d’intimider et de forcer la main des témoins par inadvertance? Quel est l’objectif? À quoi cela peut-il servir? C’est sans parler du culot du gouvernement, qui exige de la part d’autrui un degré de transparence qu’il s’acharne à ne pas manifester lui-même.

C’est le genre de manœuvres d’intimidation auxquelles on s’attendrait de la part de Pékin, de Téhéran, de La Havane ou même de la mafia. Ce n’est pas digne d’une société libre et démocratique.

Le même député s’est livré à ce genre d’intimidation de témoins pendant l’étude du projet de loi C-11 à la Chambre et au Sénat.

Je sais qu’il est facile de diaboliser les plateformes en ligne, en particulier Alphabet et Meta, les sociétés mères de Google et Facebook. Cela a certainement été le cas dans cette enceinte et en comité au cours des derniers mois, mais cela dépasse les bornes.

Chers collègues, je comprends le réflexe d’aider les rédactions en difficulté, en particulier celles qui sont de petite taille, indépendantes et locales. Le gouvernement a assurément joué sur ce sentiment.

En vérité, ce projet de loi ne redonnera pas vie à des journaux en difficulté ni à des journaux émergents ou ethniques. En fait, la majeure partie de l’argent recueilli dans le cadre de cette mesure ira aux grands radiodiffuseurs, y compris à ma très chère société subventionnée : CBC/Radio-Canada.

Ce n’est pas moi qui le dis, mais le directeur parlementaire du budget, un mandataire indépendant du Parlement. Selon une analyse réalisée par le directeur parlementaire du budget, les journaux et les médias d’information en ligne recevraient moins d’un quart des fonds recueillis auprès de Facebook et de Google.

Ce sont CBC/Radio-Canada, Bell, Shaw et Rogers, nos très chers géants des télécommunications, qui gagneraient 248 millions de dollars grâce à ce projet, tandis que les journaux et les petits médias en ligne indépendants et ethniques devraient se battre pour obtenir les 81 millions de dollars restants. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le directeur parlementaire du budget.

Comment se fait-il que CBC/Radio-Canada soit même admissible à ce financement? Cette société jouit déjà d’un avantage sur tous les autres médias parce qu’on lui permet de soutenir la concurrence pour les recettes publicitaires alors qu’elle reçoit déjà du gouvernement un financement à hauteur de 1,4 milliard de dollars par année. Allons-nous maintenant lui donner un autre coup de pouce en lui permettant de prendre une part de ce nouveau financement?

Si nous souhaitons aider les petits médias indépendants, il faut cesser de les forcer à faire concurrence à CBC/Radio-Canada. Si cette mesure législative est adoptée, CBC/Radio-Canada ne devrait pas avoir droit aux sommes tirées de ses productions. Advenant le cas, chaque dollar qu’elle reçoit devrait être déduit du financement que lui verse le gouvernement.

En conclusion, je reviens sur ce que le sénateur Harder a dit au sujet des salles de nouvelles. Il a affirmé qu’elles font le gros du travail et qu’il faut les soutenir et les rémunérer équitablement.

À Ottawa, peu de médias d’information, s’il en est, ont davantage dénoncé le gaspillage et la corruption en matière d’éthique de l’actuel gouvernement que le média en ligne Blacklock’s. Il s’agit de l’un des médias dont j’ai parlé plus tôt. Son modèle d’affaires est axé sur un accès payant, notamment des frais d’abonnement.

Or, le gouvernement Trudeau est engagé depuis des années dans une bataille juridique contre Blacklock’s parce que les ministères et les agences du gouvernement continuent de partager le contenu publié sur Balcklock’s sans payer les frais d’abonnement. Voilà pourquoi la bataille juridique dure depuis des années.

Réfléchissons à cela. Le gouvernement nous dit que nous devons soutenir le journalisme libre et ouvert et que ces journalistes doivent être rémunérés de manière équitable pour leur travail. L’intention est noble, mais pendant ce temps, en contournant ouvertement le verrou d’accès payant de Blacklock’s, le gouvernement porte carrément atteinte au droit d’auteur. Dans les faits, il vole du contenu, et c’est bel et bien du langage parlementaire. Si quelqu’un prend indûment quelque chose qui ne lui appartient pas, sans payer, c’est du vol.

Par conséquent, le gouvernement a beaucoup de culot de tenir ce discours à l’égard de ce projet de loi. Il se justifie sans doute en se disant que Blacklock’s n’est pas ce qu’il considère comme une organisation « professionnelle » qui fournit du contenu journalistique « de qualité ». C’est parce que Blacklock’s émet des critiques. C’est donc dire que ceux qui émettent des critiques ne sont pas professionnels, disent des faussetés et n’offrent pas du contenu de qualité. Voyez-vous un parallèle? Je pense qu’il dira cela de toute organisation qui émet des critiques sévères à son endroit. Même le contenu du Globe and Mail peut être valable ou non, selon la nature de la nouvelle.

Honorables collègues, voilà précisément pourquoi le gouvernement et les politiciens ne devraient absolument pas se mêler des affaires du milieu journalistique.

Le sénateur Plett [ + ]

Bravo!

Le sénateur Housakos [ + ]

Je vous remercie, honorables collègues, et il me tarde d’étudier ce projet de loi au comité.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Votre temps est écoulé. Demandez-vous plus de temps, sénateur Housakos?

Le sénateur Housakos [ + ]

Oui, volontiers.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Honorables sénateurs, accordez-vous une prolongation de cinq minutes?

L’honorable Frances Lankin [ + ]

Merci, sénateur Housakos, d’avoir exposé votre point de vue. Je voudrais, dans ma question, mettre de côté le sujet de CBC/Radio-Canada parce que je pense qu’il y a beaucoup d’autres points de débat qui entrent en ligne de compte, et que les divergences d’opinions qu’ont certains d’entre nous dans cette enceinte ne seront pas résolues par l’étude du projet de loi dont nous sommes saisis.

Pendant de nombreuses années, j’ai été présidente du Conseil de presse de l’Ontario, puis j’ai été la première présidente du Conseil national des médias du Canada. D’après mon expérience, tout journal qui avance des arguments critiques, qu’il s’agisse des positions d’un parti politique ou d’autre chose, est accusé de publier de « fausses nouvelles ». J’ai également entendu cette affirmation de la part des sénateurs d’en face à maintes reprises.

Voici ce que j’aimerais vous entendre expliquer. Les petits journaux locaux, sur lesquels comptent beaucoup d’entre nous dans les zones rurales de l’Ontario et dans tout le Canada, ont été largement réduits au silence et ils ne disposent ni des ressources ni du personnel nécessaires pour faire du journalisme d’enquête local. Ils dépendent de la Presse canadienne et d’autres sources d’informations.

Votre proposition n’indique pas comment régler le problème. Une partie des 81 millions de dollars, c’est sans doute mieux que rien. Pourriez-vous nous dire quelle serait la solution, s’il vous plaît?

Le sénateur Housakos [ + ]

Sénatrice Lankin, comme vous le savez, mon discours est une critique du projet de loi. Il ne m’incombe pas de trouver toutes les solutions. Cependant, je crois fermement — et c’est pourquoi je m’oppose au projet de loi — que l’objectif est honorable. Nous essayons d’aider les médias d’information, surtout les médias écrits, qui sont en difficulté au Canada. Nous avons tous grandi avec eux. Ce sont des outils d’apprentissage. Ils sont fondamentaux pour notre démocratie. Vous avez tout à fait raison : certains sont plus à gauche et d’autres plus à droite et c’est normal. Cela ne me pose aucun problème. Je l’encourage, car cela fait partie du processus démocratique.

Toutefois, même dans le monde numérique d’aujourd’hui, certains d’entre eux connaissent beaucoup de succès. Il ne l’appréciera peut-être pas, mais je vais prendre l’exemple du Globe and Mail. Le journal s’est rapidement adapté aux nouvelles réalités du monde numérique. Le monde numérique offre une occasion unique. C’est un porte-voix pour promouvoir notre travail et il l’a offert aux journalistes, aux artistes et aux politiciens. Je pense que nous devrions saisir cette occasion et apprendre à l’utiliser efficacement. Le Globe and Mail utilise un système d’abonnement depuis plusieurs années. Il a autant de succès aujourd’hui qu’il n’en a jamais eu dans le passé.

Un autre média, en l’occurrence le National Post — et dans ce cas-ci aussi, la direction n’appréciera peut-être pas — ne s’est pas adapté à la réalité numérique aussi rapidement et nous avons vu ses salles de nouvelles partout au Canada souffrir de ce retard. Je ne choisis pas l’un ou l’autre; ce sont deux excellents exemples de journaux nationaux importants. L’un deux tire vraiment son épingle du jeu dans la sphère numérique alors que l’autre non.

Il en est de même des hebdomadaires locaux. Dans mon quartier, à une certaine époque, il y en avait six. Maintenant, il y en a trois qui tirent le diable par la queue, deux qui se portent très bien et un qui, malheureusement, a fait faillite.

On constate maintenant que la noble tentative du gouvernement de dépenser des centaines de millions de dollars chaque année pour soutenir ces médias — pour repousser l’échéance — n’a pas fonctionné. Les médias qui prospèrent s’en tirent bien parce qu’ils se sont adaptés. Dans le cas de ceux qui battent de l’aile, tout l’argent du monde ne suffirait pas à les sauver.

Mes 20 années d’expérience en affaires m’ont appris une chose : si une entreprise adopte un modèle d’affaires qui n’est pas adaptable à la réalité économique du jour, elle ne réussira pas même si le gouvernement lui donne tout l’argent du monde.

Je n’ai pas de solution toute prête. J’espère que les discussions dans les comités sénatoriaux seront musclées et intenses — Dieu merci, il y a des discussions de ce genre dans les réunions des comités du Sénat — et que, si possible, nous trouverons des amendements décents et réfléchis qui aideront cette industrie qui, de l’avis de tous, doit prospérer.

Malheureusement, à mon avis, il n’est question ici que de faire les poches à certaines plateformes numériques qui ne produisent pas de contenu. Ce ne sont que des plateformes où on peut placer du contenu. Nous allons prendre leur argent pour soutenir une industrie qui ne s’est pas adaptée à cette nouvelle réalité. Il y a eu des gagnants et des perdants. Je crois qu’il faudrait laisser le marché s’adapter.

En passant, Google négocie avec les organes de presse depuis des années. L’entreprise s’est entendue avec des journaux et avec différentes organisations. Le Globe and Mail est un exemple, n’est‑ce pas? Il a conclu une entente.

Tout ce que je dis, encore une fois, c’est qu’il faut laisser les acteurs du marché trouver des solutions ensemble en favorisant un climat propice.

L’honorable René Cormier [ + ]

Vous aimez les faits tout comme moi, sénateur Housakos.

Selon les données recueillies par thinktv, les revenus de publicité des médias communautaires sont passés de 1 milliard à 400 millions de dollars entre 2012 et 2021. Les données de thinktv font aussi état de l’augmentation écrasante des revenus de publicité des médias sociaux et des plateformes de recherche.

Sénateur Housakos, n’êtes-vous pas d’accord pour dire que ce projet de loi aidera à rétablir un certain équilibre au bénéfice des médias d’information canadiens, dont les médias d’information communautaires qui sont indispensables à la couverture des nouvelles locales?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Honorables sénateurs, le temps est écoulé.

L’honorable Fabian Manning [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.

L’objectif du projet de loi est de réglementer ce qu’il appelle les « intermédiaires de nouvelles numériques afin de renforcer l’équité sur le marché canadien des nouvelles numériques ». L’« équité » est le mot que le gouvernement emploie le plus souvent relativement au projet de loi. Le gouvernement soutient que la réglementation des intermédiaires de nouvelles numériques est nécessaire pour que le marché canadien de nouvelles numériques perdure.

Pour réaliser l’objectif proposé, le projet de loi propose de nombreuses mesures. Il crée un cadre au sein duquel les exploitants d’intermédiaires de nouvelles numériques — les plateformes en ligne — et les entreprises de nouvelles peuvent conclure des accords concernant le contenu de nouvelles fourni par les intermédiaires de nouvelles numériques. Il accorde au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC, le pouvoir de tenir une liste des intermédiaires de nouvelles numériques. Il permet aussi de soustraire à l’application du texte du projet de loi les intermédiaires qui ont conclu des accords avec des entreprises de nouvelles. Encore une fois, il s’agit d’entreprises de nouvelles qui remplissent certains critères en matière d’équité, sur lesquels le CRTC tranchera lui-même.

Le projet de loi permet au gouvernement d’établir des règlements sur la manière dont le CRTC doit interpréter ces critères. Le projet de loi établit un processus de négociation entre les entreprises et les intermédiaires de nouvelles numériques que le CRTC supervisera. Il permet aux entreprises de se plaindre au CRTC de la manière dont les intermédiaires de nouvelles numériques se comportent. Enfin, bien entendu, le projet de loi autorise le CRTC à imposer des sanctions et des conditions à la participation des sociétés de presse au processus de négociation en cas d’infraction à la loi.

Le projet de loi établit également un mécanisme de recouvrement, auprès des exploitants d’intermédiaires de nouvelles numériques, des coûts liés à l’administration de la loi.

Chers collègues, ce projet de loi a pour effet d’insérer le CRTC dans une autre dimension du fonctionnement d’Internet et de la diffusion des 30 dernières années. Cette fois-ci, le CRTC s’ingérera dans la manière dont les Canadiens obtiennent leurs nouvelles et dans le choix de ceux qui tireront profit de la consommation des nouvelles.

Le Sénat a récemment examiné le projet de loi C-11. De nombreux témoins, y compris d’anciens présidents et commissaires du CRTC — des personnes qui possèdent des connaissances et une expérience considérables — nous ont fait part de la capacité limitée du CRTC à assumer les nouveaux rôles envisagés pour celui-ci dans le cadre du projet de loi C-11.

Le gouvernement propose maintenant, dans le cadre du projet de loi C-18, d’élargir le rôle du CRTC et de lui confier plus de pouvoir en ce qui concerne la négociation d’ententes de partage des revenus entre les plateformes en ligne et les entreprises de nouvelles. Le projet de loi C-18 imposerait un conseil à toutes les parties. Ce conseil, qui serait évidemment nommé par le gouvernement, assumerait la fonction d’arbitrage prévue dans le projet de loi C-18. Il n’est pas vraiment étonnant que beaucoup de gens se demandent comment un tel conseil pourrait avoir la crédibilité requise pour trancher parmi des points de vue très divergents d’une manière que toutes les parties jugeront légitime.

Le manque de légitimité représente selon moi une faille importante du projet de loi, puisqu’il propose de confier au CRTC un pouvoir considérable sur des éléments qui touchent directement au gagne-pain de multiples organes de nouvelles — souvent de petite taille — et à celui des plateformes.

Le CRTC aura aussi un rôle à jouer quant à la façon dont les consommateurs, ou la population canadienne, auront accès à l’information et la consommeront. Je crains que le gouvernement confie au CRTC une tâche d’une telle difficulté qu’il finisse par miner involontairement la légitimité du CRTC. Ce n’est évidemment pas l’intention du gouvernement mais, comme toujours lorsqu’une idée bien intentionnée est mal ficelée, c’est ce qui pourrait arriver.

Bien que le gouvernement répète avoir mené de vastes consultations au sujet du projet de loi, il n’y a actuellement aucun consensus clair qui laisserait supposer que toutes les parties accepteront la légitimité du CRTC.

Je voudrais me concentrer aujourd’hui sur ce que je considère comme certains des problèmes fondamentaux des concepts qui sous-tendent le projet de loi.

Le premier problème concerne l’objectif ultime du projet de loi. Lorsque j’écoute les justifications du gouvernement pour ce projet de loi, j’entends beaucoup d’expressions et de phrases à la mode.

Le ministre Rodriguez a déclaré que le projet de loi est important pour protéger une presse libre et indépendante. Il affirme que le projet de loi vise à garantir que les Canadiens ont accès à des informations fondées sur des faits. Il a également déclaré qu’il vise à renforcer notre démocratie. Il affirme que le projet de loi permettra de construire un écosystème de nouvelles plus équitable.

Nous entendons souvent ces mots — « écosystème de nouvelles » et « équité » — de la part des porte-parole du gouvernement. Il n’est pas étonnant que le sénateur Harder ait répété ces mêmes thèmes lorsqu’il a prononcé son discours sur le projet de loi au Sénat. Utilisant les mêmes mots que le ministre, le sénateur Harder a déclaré :

Le projet de loi C-18 vise à créer un écosystème de nouvelles qui favorise la création de contenu de nouvelles de grande qualité et reflète la variété des voix et des histoires du Canada.

Il dit que le projet de loi propose « un cadre législatif et réglementaire souple et moderne qui favorise l’équité sur le marché ». Encore une fois, il utilise le mot « équité ».

Si j’ai bien compté, le sénateur Harder a prononcé les mots « équitable », « équité » et des synonymes plus de 20 fois pendant son discours sur le projet de loi. Il a dit qu’il était important que le gouvernement assure la tenue de « négociations équitables » par l’entremise du CRTC. Il a dit que le gouvernement devait veiller à ce que tout le monde obtienne sa « juste part ». Il a dit que les entreprises de nouvelles devaient obtenir une « rémunération équitable ».

Le discours du sénateur Harder a beaucoup porté sur l’« équité ». Le ministre est lui aussi un adepte du mantra de l’équité.

J’évolue dans le monde de la politique depuis longtemps. On m’excusera de faire preuve d’un peu de cynisme. Lorsqu’un politicien utilise aussi souvent un mot comme « équité », les gens font bien de vérifier s’ils ont toujours leur portefeuille.

C’est une question d’argent, en fait. Cela ne devrait surprendre personne si je dis que l’objectif principal de ce projet de loi, c’est de déterminer qui a accès aux revenus générés par la publicité en ligne. L’accès à ces revenus, voilà l’objectif réel de ce projet de loi.

Grâce à cette mesure législative, le gouvernement propose de créer un système selon lequel les plateformes numériques devront payer les entreprises de nouvelles pour pouvoir publier des liens donnant accès aux nouvelles qu’elles produisent. Le sénateur Harder défend la position du gouvernement en disant que le modèle d’affaires des plateformes numériques consiste à accumuler des milliards de dollars en revenus publicitaires en publiant ces liens. Il affirme ensuite qu’elles ne versent aucune part de ces revenus publicitaires aux créateurs des nouvelles.

Bien entendu, les plateformes ne voient pas les choses de la même manière. Selon elles, le projet de loi les obligera à payer les éditeurs simplement pour héberger des liens vers leurs sites Web et pour attirer davantage de visiteurs vers ces sites. En fait, elles considèrent qu’il s’agit en réalité d’une taxe qui leur est imposée pour afficher, sur leur plateforme, un lien vers un site d’information.

Que l’on partage le point de vue du gouvernement ou celui des plateformes, il ne fait aucun doute qu’avec le projet de loi C-18, le gouvernement s’est rangé du côté des médias d’information traditionnels.

Le gouvernement soutient que les raisons de cette décision sont justifiées par les conséquences dévastatrices de la révolution d’Internet sur les médias d’information traditionnels. Le ministre Rodriguez a lui-même fait référence à l’hypothèse selon laquelle, depuis 2010, environ un tiers des emplois du secteur journalistique au Canada ont disparu et que les chaînes de télévision, les stations de radio et les journaux canadiens enregistrent un manque à gagner d’environ 4,9 milliards de dollars, bien que les recettes de la publicité en ligne aient augmenté.

Le projet de loi vise en grande partie à essayer de faire marche arrière et de contrer les effets négatifs indéniables de l’avènement d’Internet sur les radiodiffuseurs traditionnels.

Dans un récent article, Sue Gardner, professeure invitée à l’École de politiques publiques Max Bell en 2021-2022, a comparé cette démarche à celle d’un gouvernement qui, il y a 100 ans, aurait exigé des constructeurs automobiles qu’ils versent en permanence des indemnités aux entreprises qui fabriquaient jusqu’alors des fouets de cocher.

Ces fabricants de fouets de cocher suivaient le modèle d’entreprise des fabricants de fouets de cocher depuis des siècles. Puis, l’automobile a fait son apparition, et les fabricants de fouets de cocher ont soudainement vu leurs profits diminuer nettement. L’intervention du gouvernement est peut-être logique pour les fabricants de fouets de cocher, mais est-elle logique pour la société dans son ensemble?

Je ne veux pas minimiser les difficultés que connaissent actuellement les médias d’information traditionnels. Je sais que les pertes d’emploi sont nombreuses. Je le constate dans ma propre province, Terre-Neuve-et-Labrador. Cela dit, je crois sincèrement que nous devons nous demander si une intervention gouvernementale musclée pour aider un modèle d’entreprise désuet est réellement logique.

Si c’est bien là ce que nous faisons, alors les arguments tels que « faire en sorte que les négociations soient équitables » et « faire en sorte que chacun obtienne sa juste part du gâteau » ne sont en fait qu’une façade. En l’occurrence, la véritable raison d’être du projet de loi est de justifier l’intervention du gouvernement, intervention qui consiste à rediriger le flux des revenus par l’intermédiaire du CRTC.

Cela m’amène au discours trompeur que tient le gouvernement au sujet de ce projet de loi, c’est-à-dire l’argument selon lequel il est essentiel pour notre démocratie de maintenir l’ancienne façon de faire les choses.

À ce propos, dans ses observations sur le projet de loi C-18, le sénateur Harder a fait valoir que les radiodiffuseurs d’information traditionnels assurent des services essentiels au Canada. Le sénateur a dit qu’« une presse libre et indépendante est l’une des assises nécessaires pour soutenir une société sûre, prospère et démocratique ». Je suis convaincu que tous les sénateurs s’entendent sur la validité de cette prémisse.

Il a également laissé entendre que ce sont en grande partie les radiodiffuseurs traditionnels qui fournissent aux Canadiens des informations justes et impartiales. Le sénateur Harder a laissé entendre qu’à moins que le gouvernement ne soutienne les radiodiffuseurs traditionnels, nous assisterons à une prolifération de la mésinformation et de la désinformation. Plus précisément, il a déclaré :

Nous avons vu comment la diffusion de mésinformation et de désinformation dans le monde peut nuire aux sociétés. Des médias rigoureux qui posent des questions constituent l’un des antidotes les plus efficaces à ces problèmes.

Avec tout le respect que je dois à mes collègues, je pense qu’il est faux de prétendre que les médias traditionnels sont en quelque sorte notre antidote à la mésinformation. Tout le monde dans cette salle a été témoin des excès des médias traditionnels qui se produisent chaque fois que des questions brûlantes apparaissent soudain en haut de l’affiche. Ils tombent dans le piège de la pensée unique. Tout d’un coup, l’ensemble de la presse parlementaire rapporte la même histoire de la même manière. Personne ne veut être perçu comme marginal. Le journalisme d’investigation a disparu.

Lorsque cela se produit — et c’est trop souvent le cas —, rares sont les médias grand public qui nagent à contre-courant. Lorsque le phénomène est à son paroxysme, les médias posent rarement des questions sérieuses qui pourraient suggérer que quelqu’un a peut‑être tort. Comme je viens de le dire, le journalisme d’investigation a disparu.

Suggérer que l’intervention du gouvernerment, par l’entremise du projet de loi C-18, est essentielle pour assurer la viabilité des médias grand public et les rendre plus aptes, comme l’a dit le sénateur Harder, « à exiger des comptes [des] dirigeants » met l’accent complètement au mauvais endroit. Les médias traditionnels ne sont pas les gardiens de la vérité objective.

Je pense que bon nombre de Canadiens voient les choses sous le même angle que moi. Quand on examine les habitudes des Canadiens en matière de consommation de nouvelles, on constate une perte de confiance envers les services de radiodiffusion traditionnels. Par exemple, à peine plus de 300 000 personnes regardent, en moyenne, le bulletin de nouvelles de l’heure du souper de CBC. C’est moins de 1 % de la population canadienne. Je suis sûr que bon nombre de sénateurs d’en face regardent religieusement CBC. De ce côté-ci, je suis peut-être le seul, mais je regarde cette chaîne la plupart du temps. Je la regarde moi aussi de temps en temps. À Terre-Neuve-et-Labrador, nous avons de bons souvenirs de ce que CBC représentait et des services qu’elle offrait, plus particulièrement aux collectivités rurales à l’échelle de notre province, surtout dans la région du Labrador.

Cependant, l’opinion publique à son égard est en train de changer. Même si la députée libérale Lisa Hepfner affirme que les organismes de presse en ligne ne sont pas des organes de nouvelles, de toute évidence, la plupart des Canadiens ne sont pas de cet avis. Les Canadiens cherchent une diversité plus grande et réelle dans leurs nouvelles. Je crois que c’est confirmé par le peu de personnes qui regardent en général les bulletins de nouvelles traditionnels, destinés au grand public.

CTV News a environ quatre fois plus de téléspectateurs que CBC, mais il demeure qu’elle attire moins de 4 % des Canadiens la plupart des soirs. Cette situation s’explique probablement en grande partie par l’accès à une plus grande variété de sources d’information alternatives. Il ne faut toutefois pas oublier le scepticisme que certains entretiennent envers ce qui est rapporté par les grands médias.

Avec tout le respect que je dois à mon collègue le sénateur Harder et au gouvernement, pour vraiment lutter contre la désinformation, je crois que le meilleur remède à la pensée unique dans les médias est la célébration de la diversité des sources d’information. À mon avis, la diversité d’opinions qui découle de la révolution Internet est un bien meilleur remède à la désinformation que les outils prévus dans des projets de loi comme celui dont nous sommes saisis.

Il ne fait aucun doute que la diversité d’opinions sur Internet risque simultanément d’accroître la diffusion de la désinformation. Toutefois, pour le consommateur d’information éclairé et critique, ce ne devrait pas être un danger. La société devrait encourager la pensée critique et la consommation raisonnée de différentes sources d’information. Nous ne devrions pas présumer qu’une intervention accrue de l’État pour donner du pouvoir à certains médias plutôt qu’à d’autres est la solution à nos problèmes. Or, je crains que, derrière les messages d’équité et de lutte à la désinformation, ce soit exactement ce que propose le projet de loi.

Chers collègues, le projet de loi doit faire l’objet d’un examen en profondeur par le comité avant que nous puissions l’adopter.

Je n’ai parlé que de quelques-uns des problèmes et des préoccupations que j’ai concernant le projet. Il y en a d’autres. Notamment, qu’arrivera-t-il si les plateformes refusent simplement de se conformer à la loi? Qu’arrivera-t-il si elles retirent tous les liens vers les sources de nouvelles canadiennes? Est-ce que cela pourrait arriver? Y a-t-il d’autres conséquences négatives que le gouvernement choisit simplement d’ignorer? Nous savons que les États-Unis ont de nouveau affirmé, comme ils l’avaient fait au sujet du projet de loi C-11, que l’adoption du projet de loi à l’étude entraînera des conséquences commerciales. Encore une fois, le gouvernement semble faire fi de ces préoccupations.

Comme dans le cas du projet de loi C-11, que nous avons étudié, le projet de loi C-18 est complexe et ses répercussions se feront sentir sur plusieurs fronts. J’espère que les sénateurs considèrent comme moi que le comité qui sera appelé à étudier ce projet de loi devra recevoir des témoins des deux camps afin de bien comprendre les incidences potentielles.

Je crois que cela est essentiel, parce que, une fois de plus, à la Chambre des communes, le gouvernement a coupé court aux témoignages dans le but de faire adopter le projet de loi le plus rapidement possible. Cela n’a pas été une solution heureuse pour le projet de loi C-11, et je doute fortement que ce le soit pour le projet de loi C-18.

Il ne faut pas perdre de vue le caractère paradoxal de ce que fait le gouvernement, alors même que le sénateur Harder nous dit à quel point le projet de loi est important pour la démocratie. Comme c’était le cas avec le projet de loi C-11, le Sénat peut — et doit — veiller à ce que les témoins qui ont été empêchés de comparaître à la Chambre soient entendus au Sénat. Personnellement, je doute que le projet de loi soit utile en ce moment pour le Canada. Je suis préoccupé par les implications de certains de ses articles, mais je suis prêt à écouter les témoins de tous les points de vue sur cette question.

Je partage les préoccupations d’un grand nombre de personnes concernant l’accès des petites collectivités et des collectivités éloignées à des nouvelles locales de qualité. Je crains que le projet de loi C-18 ne soit pas la solution à ce problème, mais qu’il crée tant d’autres problèmes que la prétendue solution ne vaille pas la peine. Cependant, comme je l’ai dit, je veux entendre de nombreux témoins, de tous les points de vue, et j’espère que les sénateurs d’en face seront aussi prêts à le faire. Merci.

L’honorable René Cormier [ + ]

Le sénateur Manning accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Manning [ + ]

Certainement.

Le sénateur Cormier [ + ]

Dans votre province, vous savez certainement qu’il y a un journal francophone qui s’appelle Le Gaboteur, qui est le seul journal d’expression française de toute la province de Terre-Neuve-et-Labrador.

À l’image des autres médias qui œuvrent dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire, ce journal joue un rôle d’information très important.

Sénateur Manning, croyez-vous que le comité qui étudiera le projet de loi C-18 devrait accorder une attention particulière à l’impact de cette loi sur les médias des communautés de langue officielle en situation minoritaire, et possiblement bonifier ce projet de loi, afin que les médias comme Le Gaboteur puissent bénéficier des accords qui seront conclus sous le régime de cette loi?

Le sénateur Manning [ + ]

Merci, sénateur Cormier. Je n’ai pas saisi les derniers mots, mais je crois avoir compris l’essentiel de votre question.

Je crois que cela ne fait aucun doute. Je vis dans une petite collectivité rurale de Terre-Neuve-et-Labrador, et je suis très préoccupé par les effets que toute mesure législative pourrait avoir sur ces petites publications. Lors de l’étude en comité, j’espère que nous allons entendre l’avis d’éditeurs comme ceux que vous avez mentionnés pour qu’ils nous disent quelle incidence Internet a eue sur leurs activités jusqu’à présent, et qu’ils nous disent ensuite ce qu’ils pensent du projet de loi C-18. J’ai déjà eu l’occasion de consulter nombre de petites, moyennes et grandes entreprises du milieu de l’édition de l’ensemble du pays au sujet du projet de loi C-18, et comme toujours, les avis sont divergents. Nous travaillons au comité depuis un certain temps, et nous avons eu l’occasion d’entendre toutes sortes de points de vue.

En ce qui concerne la Chambre, je crains que l’on coupe court au débat et qu’on passe à autre chose. Pour ce qui est du Sénat, que j’approuve ou non ce qu’on fait d’un projet de loi comme le projet de loi C-11, je conviens à tout le moins que nous devrions prendre le temps d’écouter les autres, d’écouter les personnes concernées, et peut-être d’améliorer le projet de loi ou de proposer des amendements, s’il y a lieu, mais nous devrions au moins veiller à ce que les petits joueurs ne se fassent pas avaler.

L’honorable Andrew Cardozo [ + ]

Merci de votre discours, sénateur Manning. Je l’ai trouvé très intéressant. En écoutant vos critiques, j’ai trouvé votre foi totale en la pureté du monde en ligne plutôt charmante, mais elle est dépassée depuis cinq ou sept ans, monsieur. Comme vous, je suis impatient d’entendre de nombreux points de vue en comité.

Je veux lire deux lignes d’un rapport publié hier. À l’occasion de cette publication, certains députés de l’autre endroit ont organisé une séance à laquelle plusieurs sénateurs ont assisté. Le député James Bezan faisait partie des personnes qui se sont exprimées en faveur du rapport. Je vais citer deux phrases brièvement :

De la désinformation russe ciblant les Canadiens a été relayée par plus de 200 000 comptes sur Twitter. Ces réseaux faisaient partie des communautés politiques en ligne les plus prolifiques et les plus influentes au Canada.

C’est donc dire que ces communautés contrôlées par les Russes sont plus influentes que tous les journaux du Canada imaginables. C’est là qu’on se dirige et c’est là que les choses se passent.

Je trouve très troublant votre point de vue selon lequel les représentants nommés par le gouvernement ne sont pas légitimes. En effet, si nous devions renvoyer tous les représentants nommés par le gouvernement, cela inclurait chacun d’entre nous dans cette enceinte, ainsi que tous les juges, tous les responsables de la réglementation, tous les chefs de police et de services d’incendie. Il n’y aurait plus d’ordre public. Nous avons un système dans lequel les gouvernements démocratiquement élus nomment divers fonctionnaires et nous leur faisons confiance.

Ma question est la suivante : partagez-vous mes réserves selon lesquelles nous devrions peut-être au moins faire confiance à certains des représentants nommés par le gouvernement ou pensez‑vous qu’ils devraient tous être démis de leurs fonctions parce qu’ils ne sont pas légitimes?

Le sénateur Manning [ + ]

Merci, sénateur, de votre question. Tout d’abord, ma confiance envers le monde en ligne et les médias sociaux est très limitée. J’ai d’ailleurs fait le choix d’être absent des médias sociaux, peut-être parce que je suis trop opiniâtre ou Dieu sait quoi, mais je garde mes opinions pour moi la plupart du temps.

En ce qui concerne les représentants nommés par le gouvernement — et j’ai occupé différents postes —, je n’approuve pas nécessairement toutes les nominations et je suis convaincu que c’est votre cas aussi. L’éventail d’opinions que nous avons reçues sur le projet de loi C-11 me préoccupe; de nombreuses personnes qui ont témoigné devant le comité étaient préoccupées par le fait que nous allions donner au CRTC le pouvoir de réglementer, d’organiser et de décider qui seront les gagnants et les perdants de ce marché. Cela m’inquiète et cela inquiète les témoins que nous avons entendus au sujet du projet de loi C-11.

Nous devons essayer de rendre les choses — encore une fois, j’ai parlé de l’utilisation du mot « équité » — aussi ouvertes et transparentes que possible. On entend aussi beaucoup de choses à ce sujet. Je pense que nous devons au moins essayer d’être aussi ouverts et transparents que possible à l’égard du projet de loi pour que les personnes les plus touchées voient que les choses sont équitables. Voilà que je parle encore d’équité. Le choix des mots est important et ce mot est très important pour les intervenants de l’industrie.

C’est pourquoi j’ai hâte que le comité commence son étude. Je crois, depuis que je suis ici — et je suis sûr que vous constaterez la même chose au fur et à mesure de votre expérience —, que c’est en comité que le travail se fait. C’est en comité que nous nous renseignons, que nous découvrons ce que les gens des quatre coins du pays pensent d’une mesure législative, ainsi que les améliorations et les amendements qu’ils proposent. Il nous appartient ensuite de suivre leurs conseils ou de rester les bras croisés. Toutefois, nous avons au moins un choix.

Le sénateur Cardozo [ + ]

Je souhaite simplement remercier le sénateur Manning. C’est la première fois que je participe à l’étude d’un projet de loi du début à la fin. Comme vous, j’ai hâte d’entendre la diversité des opinions sur ce projet de loi, et je suis sûr que vous et moi partageons ce point de vue. Nous attendons avec impatience ces audiences.

L’honorable Leo Housakos [ + ]

Ma question fait suite aux questions du sénateur Cardozo.

Sénateur Manning, comme vous le savez, le sénateur Cardozo fait le parallèle entre nous, les sénateurs, et les représentants du gouvernement. Nous ne sommes pas des représentants du gouvernement — nous sommes des parlementaires, tout d’abord. Notre rôle est de demander des comptes aux représentants du gouvernement, comme le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC, et au gouvernement.

Dans votre discours, vous avez beaucoup parlé d’équité et de petits joueurs, tout comme le sénateur Cormier quand il a posé sa question. Un examen du Fonds des médias du Canada, nous permet de voir les sommes octroyées à CBC/Radio-Canada. En plus des 1,4 milliard de dollars, nous permettons à ce gros joueur de prendre — je ne dirai pas de voler — l’argent de la publicité à ses concurrents sur le marché. Or le gouvernement prétend également vouloir créer un système juste et équitable et aider les petits acteurs. Le CRTC — cette instance de contrôle — a approuvé l’achat de Shaw par Rogers. C’est un géant qui achète un autre géant. Qu’en pensez...

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Pourriez-vous poser votre question, je vous prie?

Le sénateur Housakos [ + ]

J’y arrive. Il est parfois utile de donner des exemples. Comment le gouvernement peut-il affirmer avoir les intérêts des petits joueurs à cœur alors que nous prenons des mesures pour empêcher qu’il y ait une concurrence accrue et plus féroce sur le marché? Je pense, par exemple, à l’achat de Shaw par Rogers.

Le sénateur Manning [ + ]

Je vous remercie. Au début, je ne savais pas avec certitude si vous répondiez à la question du sénateur Cardozo ou si vous me posiez une question. En fait, vous faisiez un peu les deux. Je ne voudrais pas semer la confusion dans votre esprit.

Bref, beaucoup d’aspects de notre monde sont en pleine évolution. C’est notamment le cas des médias. Je me souviens que, quand j’étais jeune, nous avions accès à un seul poste, CBC/Radio‑Canada, dans notre localité; et quand il faisait mauvais, il fallait grimper sur le toit et replacer les oreilles de lapin pour que la télévision offre une bonne image au lieu d’un écran enneigé. L’accès aux médias est maintenant à portée de main. Dans notre intérêt à tous, il faut trouver une façon de réglementer ce phénomène et, dans l’intérêt des Canadiens, il faut trouver la meilleure façon de le faire. Voilà comment il convient d’aborder les projets de loi, selon moi. On ne peut pas opter pour des solutions superficielles. Il faut tenter d’examiner l’ensemble du problème, de trouver des solutions et d’arriver à une mesure législative qui répondra aux préoccupations de tous les acteurs.

Je sais que les petits joueurs du secteur des médias connaissent des difficultés au Canada. Je n’ai pas besoin d’aller plus loin que Terre-Neuve-et-Labrador pour le voir. J’ai rencontré certaines des personnes concernées. Elles sont préoccupées par le projet de loi, mais aussi par leur avenir, et bon nombre ont dû fermer boutique. Nous devons essayer de trouver le moyen de les protéger, tout en protégeant la liberté des médias.

Ce que j’ai dit plus tôt au sujet du comité est que nous pouvons en parler dans cette enceinte et sur la place publique, mais c’est en comité que le travail s’effectue. C’est au comité que nous entendons les témoins. C’est là que nous nous instruisons et, nous l’espérons, c’est grâce à ce processus que nous pourrons en arriver à un projet de loi qui réponde aux préoccupations que nous partageons tous.

Le sénateur Manning accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Manning [ + ]

Oui.

Excellente entrée en matière. Je vous remercie de vos commentaires, sénateur Manning. Que répondez-vous au fait que les trois principales sources de nouvelles pour les Canadiens qui n’ont pas Internet sont les mêmes que pour les Canadiens qui consultent les nouvelles en ligne? Ce qui s’est passé, en fait, c’est que les revenus qui allaient à la presse écrite vont maintenant aux plateformes que les Canadiens consultent en ligne. Essentiellement, les Canadiens sont toujours intéressés par ce que nous appelons les médias traditionnels et lisent ce qu’ils produisent, mais ils le font de plus en plus en ligne, et ces médias ne reçoivent rien en retour.

Je me demande ce que vous répondez à cela. Ce n’est pas comme si les Canadiens abandonnaient les médias traditionnels. Bien entendu, en ligne, ils peuvent avoir accès à de nombreuses autres sources, mais ils consultent toujours les mêmes sources de nouvelles en ligne.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Pouvez-vous poser votre question, s’il vous plaît?

Je demande au sénateur Manning ce qu’il a à dire à ce sujet. Ce n’est pas comme si les médias traditionnels disparaissaient de la vie des Canadiens. Je veux simplement une réponse. Merci.

Le sénateur Manning [ + ]

Merci, sénatrice Dasko. Comme je l’ai dit dans mes commentaires, il est vrai que tout revient à l’argent — à l’endroit où l’argent est investi. Nous investissons beaucoup d’argent dans les médias traditionnels. Nous allons en ligne. Il y a des possibilités des deux côtés.

Revenons au projet de loi C-11. Nous avons entendu de nombreuses personnes opposer les médias en ligne et les médias traditionnels hors ligne. Je pense, encore une fois, qu’à mesure que le temps passe, le nombre de personnes qui écoutent les médias traditionnels, tels que nous les comprenons, est en baisse, et ce, dans tous les domaines. Il y a de petits journaux dans tout le pays — des centaines de journaux — qui ont cessé leurs activités. Il semble que la couverture médiatique — donc la possibilité de consommer des médias — est de plus en plus réduite. Par conséquent, je pense que nous devons au moins trouver un moyen de nous assurer que les petites collectivités ont la possibilité de faire de la publicité pour ce qu’elles ont à offrir et de raconter l’histoire des petites régions rurales du Canada. Je pense que c’est dans ce créneau que certaines parties de ce projet de loi, je l’espère, trouveront leur place.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

L’honorable sénateur Harder, avec l’appui de l’honorable sénatrice Bellemare, propose que le projet de loi soit lu pour la deuxième fois. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

À mon avis, les oui l’emportent.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

La sénatrice Seidman [ + ]

Le vote est reporté à la prochaine séance du Sénat.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Conformément à l’article 9-10(2) du Règlement, le vote est reporté à 17 h 30, à la prochaine séance du Sénat, et la sonnerie retentira à 17 h 15.

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