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L'avenir de CBC/Radio-Canada

Interpellation--Suite du débat

19 septembre 2024


L’honorable Julie Miville-Dechêne [ - ]

Chers collègues, je prends la parole dans le cadre de l’interpellation lancée par le sénateur Cardozo sur l’avenir de CBC/Radio-Canada.

La ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, a annoncé au mois de mai la création d’un nouveau comité consultatif sur l’avenir de Radio-Canada en matière de financement, de gouvernance et de mandat.

Pourtant, la mission de Radio-Canada dans la loi actuelle est très simple. Elle ne comporte que trois points qui sont, dans l’ordre : renseigner, éclairer et divertir. Pour une radio ou une télévision publique, cette mission est d’une logique implacable et je ne vois pas comment on pourrait la modifier.

Je ne parlerai aujourd’hui que de Radio-Canada, où j’ai moi-même travaillé une trentaine d’années comme journaliste et, finalement, comme ombudsman, me prononçant publiquement sur les plaintes du public à l’endroit des journalistes. Je crois donc profondément à la nécessité d’un diffuseur public transparent, responsable et au service du public.

La Société Radio-Canada demeure un média indispensable, car c’est un vecteur de culture francophone. Le diffuseur public est écouté et regardé, moins par les jeunes, mais encore par une proportion significative de Québécois. Radio-Canada a 23,3 parts de marché en heures de grande écoute, comparativement à 26,8 pour TVA, son principal concurrent, mais l’écoute des bulletins de nouvelles à la télévision décline, comme dans les autres médias traditionnels.

Je dois d’abord vous dire que j’ai été fort déçue de la lenteur avec laquelle Radio-Canada et sa chaîne d’information continue, RDI, ont réagi au moment de la tentative d’assassinat contre l’ex‑président des États-Unis, Donald Trump, le 13 juillet dernier. À défaut de pouvoir être informée en français, je me suis rabattue sur les réseaux américains comme NBC ou ABC qui, évidemment, diffusaient en direct de longues émissions spéciales. Étant donné ses budgets plus importants que tous ceux de ses concurrents privés, Radio-Canada se doit d’avoir des réflexes plus aiguisés et plus rapides face à des événements imprévisibles.

Lors de sa création en 1995, RDI offrait des bulletins de nouvelles en direct 24 heures par jour. Même au milieu de la nuit, il y avait en place des journalistes, des chefs de pupitre, des animatrices qui intervenaient selon ce que l’actualité exigeait.

Inutile de dire que cette époque est révolue depuis bien longtemps, et ce n’est pas qu’une question de ressources. L’attentat du 13 juillet se passait en début de soirée, à un moment où la couverture journalistique aurait dû commencer presque instantanément. On a eu droit à une excellente émission spéciale 24 heures plus tard.

À mon avis, cet événement anecdotique reflète une triste réalité : depuis une vingtaine d’années, Radio-Canada a consacré presque tous ses efforts et ses investissements au divertissement plutôt qu’à l’information.

Chaque année, ou plutôt chaque saison, Radio-Canada lance de nouvelles séries dramatiques, de nouvelles émissions humoristiques et de variétés. Par contre, il est remarquable que la chaîne télévisée de Radio-Canada n’ait créé aucune nouvelle émission d’affaires publiques télé depuis l’émission Enquête, lancée en 2006, il y a 18 ans.

Le 30 janvier dernier, alors qu’elle était interrogée par les députés au sujet des coupes appréhendées de 125 millions de dollars et de l’abolition de 800 postes à parts égales entre Radio-Canada et CBC, la vice-présidente de Radio-Canada, Dany Meloul, a été terriblement claire lorsqu’elle a déclaré : « Nous avons choisi de faire moins de coupes dans la production indépendante. »

À Radio-Canada, la production indépendante, c’est tout le divertissement : dramatiques, humour et variétés. La seule production interne qui existe encore à la télé de Radio-Canada, c’est l’information. Autrement dit, Mme Meloul et sa direction ont choisi de couper surtout dans l’information et de protéger le divertissement.

Pourtant, avec tous les conflits et les crises qui sévissent dans le monde, nous aurions bien besoin d’une émission hebdomadaire d’information internationale ou d’une émission sur les enjeux sociaux comme l’immigration, la violence conjugale ou les méfaits des médias sociaux pour les jeunes. En parlant de jeunes adultes, pourquoi pas ne pas créer une émission par et pour les jeunes qui traiterait de l’environnement et de l’avenir de la planète sur laquelle ils vivront?

Pour nous éclairer, pourquoi ne pas créer des émissions moins superficielles où l’on inviterait des spécialistes, des universitaires, des champions du domaine des affaires ou de la politique, qui nous amèneraient à réfléchir plus en profondeur sur le monde dans lequel nous vivons? Le seul grand plateau de la télévision publique est une émission de divertissement, soit Tout le monde en parle.

Bref, la mission de Radio-Canada doit continuer d’être la même, mais ce n’est pas suffisant : il faut aussi s’assurer que la direction de Radio-Canada mette en place une programmation qui y corresponde. Évidemment, les émissions qui renseignent ou qui éclairent risquent d’avoir de moins bonnes cotes d’écoute que les émissions de divertissement, mais la mission de Radio-Canada n’est pas d’être une championne des cotes d’écoute. En faisant moins de divertissement, Radio-Canada donnerait aux réseaux privés un peu d’oxygène et une plus grande part des revenus publicitaires, ce qu’ils réclament. Ce serait, à mon avis, un avantage pour tout le monde puisque, de toute façon, les revenus publicitaires ne représentent qu’une petite part des revenus de Radio-Canada. Au Manitoba, la patronne d’un journal francophone m’a expliqué, il y a quelque temps, à quel point le site Web régional de la SRC venait siphonner les maigres revenus publicitaires en région.

Pire encore, on assiste depuis plusieurs années à un déclin financier incroyable de nos entreprises de presse. Avec son financement assuré par les contribuables, non seulement Radio-Canada n’est pas à plaindre, mais elle devrait se montrer plus généreuse envers les autres. Par exemple, Radio-Canada est le seul réseau francophone qui peut compter sur un réseau de correspondants à l’étranger. Ce sont tous les contribuables canadiens qui paient pour ces bureaux à l’étranger, pas seulement ceux qui regardent Radio-Canada. Pourquoi les reportages des correspondants à Paris, à Istanbul ou en Asie ne seraient-ils pas offerts gracieusement aux réseaux privés? Ils ne seraient pas obligés de les diffuser, bien sûr, mais pourquoi priver leurs spectateurs d’un éclairage canadien sur ce qui se passe dans le monde?

Radio-Canada a même maintenant des journalistes qui ne produisent que de l’écrit sur son site Web. C’est tout de même remarquable pour une institution qui ne devrait se consacrer, selon son mandat, qu’à la radio et à la télévision. Bien sûr, Radio-Canada doit mettre sur son site les éléments radiophoniques ou télévisuels qu’elle souhaite y diffuser, mais Radio-Canada dispose maintenant de grosses équipes de rédacteurs et même des reporters qui font uniquement de l’écrit pour ce même site et se trouvent du même coup à faire concurrence à nos journaux, qui crèvent de faim. Pourquoi ne pas offrir gratuitement ces articles aux journaux francophones? Encore une fois, tous les contribuables canadiens ont payé pour ce matériel. Pourquoi n’auraient-ils pas le droit de lire ces articles dans leurs journaux quotidiens ou régionaux?

Je signale également qu’il est capital, à mon avis, de conserver et même d’accroître l’autonomie d’action et de décision du réseau français de Radio-Canada face à CBC dans un contexte où la centralisation est perçue comme une façon d’économiser et de protéger le réseau public de compressions budgétaires. J’ai pu constater, en travaillant dans cette institution pendant plus de 25 ans, que Radio-Canada et CBC ont des façons de faire bien différentes, et le succès du réseau français en dépend.

En résumé, j’insisterais sur deux choses. Premièrement, la mission de Radio-Canada doit demeurer la même, mais ses dirigeants doivent la respecter et offrir une programmation en conséquence. Deuxièmement, je souhaite que Radio-Canada continue d’avoir les ressources dont elle a besoin pour mener sa mission à bien, mais Radio-Canada, dont les contenus sont financés par tous les Canadiens, devrait offrir de les partager avec les journaux, les radios et les télévisions privées, parce qu’à notre époque et dans le monde dans lequel nous vivons, les Canadiennes et les Canadiens ont plus que jamais besoin d’être informés et éclairés. Merci.

L’honorable Andrew Cardozo [ - ]

La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Bien sûr, sénateur.

Le sénateur Cardozo [ - ]

Merci, sénatrice Miville-Dechêne, pour votre discours très intéressant. Pouvez-vous développer votre idée sur le partage de contenu avec les autres radiodiffuseurs ou journaux?

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

J’en ai quand même parlé pendant quelques minutes, mais l’idée est que tous les contribuables financent les contenus de Radio-Canada et de CBC. Bien sûr, puisque Radio-Canada et CBC sont en concurrence avec les autres médias privés, elles gardent tout ce qu’elles font pour elles. Je songe particulièrement à l’information internationale, qui est ce qui coûte le plus cher à produire en télévision. Cela coûte extrêmement cher.

Au Québec, par exemple, nous avons trois réseaux de télévision. Pourquoi cette information ne serait-elle pas offerte aux autres médias? L’idée est d’informer les Québécois et les Canadiens. Ici, on a de l’information internationale financée pratiquement à 100 % par les contribuables, parce qu’il n’y a pas de publicité. L’information internationale n’est pas payante.

On cherche des idées nouvelles. C’est une idée nouvelle. À ce moment-là, pourquoi ne pas partager? Ce n’est pas évident que TVA ouvre son bulletin de nouvelles avec un reportage de Radio-Canada, ce n’est peut-être pas possible, mais cela pourrait peut-être intéresser de plus petites stations régionales.

Je suis pour le partage. J’ai travaillé à Radio-Canada. Nous avons des moyens tout à fait supérieurs à tous les autres. L’idée, c’est de partager. C’est la même chose pour les textes sur Internet. Je n’ai rien inventé. Les journaux se plaignent d’une concurrence déloyale de la part de Radio-Canada, dont le mandat original était la radio et la télévision.

Il est vrai que les choses ont changé, mais ce sont carrément des articles qui sont rédigés. Il y a des journalistes qui produisent de l’information qui n’est pas forcément diffusée à la radio ou à la télé.

Dans ce cas-ci, étant donné le nombre de journaux régionaux au Canada qui ont des difficultés, je crois que le partage serait une preuve de générosité de la part de Radio-Canada, qui devrait être de plus en plus généreuse dans un monde où il y a un écart énorme entre ses moyens et les moyens de tous les autres médias écrits, télévisuels et radiophoniques.

L’honorable Paula Simons [ - ]

J’aimerais poser une question en français, mais cela se fera plus lentement. Lorsque j’étais une jeune réalisatrice à CBC à Edmonton, j’ai fait la connaissance de mes collègues qui travaillaient pour Radio-Canada. C’était vraiment difficile pour eux, parce qu’il n’y avait pas de ressources pour les petites stations à Edmonton comme à Montréal.

Pourriez-vous me dire comment vous pensez que Radio-Canada devrait partager les ressources? Il y a beaucoup de ressources pour le Québec, mais pour les petites communautés comme Edmonton, Bathurst ou Saint-Boniface, il est absolument nécessaire d’avoir quelque chose en français aussi.

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Je répondrai brièvement, parce qu’il y a d’autres questions. Personnellement, je suis favorable à une plus grande générosité de Radio-Canada envers les francophones qui vivent à l’extérieur du Québec.

Il est vrai qu’il y a beaucoup plus d’argent au Québec qui est consacré à l’information internationale. Évidemment, il y a des questions de pourcentage des populations francophones, il y a plus d’auditeurs et plus de gens au Québec, mais, conformément au mandat spécifique de Radio-Canada, il est très important de servir les gens et d’embaucher des francophones qui viennent de ces régions. C’est d’ailleurs quelque chose que j’ai souvent dit. C’est important d’avoir du français, mais plus particulièrement celui qui est parlé au Manitoba, en Alberta et en Acadie.

La sénatrice Miville-Dechêne accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Oui.

Je voulais juste vous demander brièvement ce que vous pensez de la publicité. Vous en avez parlé brièvement, mais j’aimerais que vous donniez des précisions. Pensez-vous que Radio-Canada devrait continuer de compter sur la publicité? Vous avez peut-être aussi un avis sur la CBC. C’est une question très controversée. De toute évidence, d’autres médias ne reçoivent plus les revenus publicitaires qu’ils avaient l’habitude de recevoir, mais cet organisme-là, oui. Qu’en pensez-vous? Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Sénatrice Miville-Dechêne, votre temps de parole est écoulé. Est-ce que les sénateurs consentiraient à donner deux minutes de plus à la sénatrice pour qu’elle puisse répondre à la question?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Le consentement est accordé.

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Merci, Votre Honneur. Oui, je crois que c’est une concurrence un peu difficile pour les médias privés, étant donné que Radio-Canada pige aussi dans le bassin de plus en plus étroit de la publicité. Au Québec, cela fait des ravages dans le secteur de la télévision, notamment au privé. Je pense que Radio-Canada devrait renoncer à la publicité, mais cela exigerait une certaine compensation de la part du gouvernement. Il est clair que les diffuseurs trouvent que c’est très difficile d’être en concurrence avec Radio-Canada, qui reçoit déjà des subventions.

L’honorable Leo Housakos (leader suppléant de l’opposition) [ - ]

Sénatrice Miville-Dechêne, j’ai écouté votre allocution avec intérêt. Il est sûr et certain que vous êtes très favorable à Radio-Canada et à son importance pour la communauté francophone au Canada. Je partage complètement votre point de vue, mais vous n’avez pas parlé beaucoup de CBC, le réseau anglais. Vous avez laissé cela de côté.

À mon avis, la meilleure façon d’évaluer la capacité et l’importance d’une plateforme médiatique, c’est par les cotes d’écoute. Quand on regarde les cotes d’écoute de Radio-Canada, on voit qu’elles sont très fortes. Je regarde les cotes d’écoute de CBC et c’est épouvantable. Les cotes d’écoute sont en déclin depuis plusieurs années. En même temps, c’est le réseau anglais qui récolte la plus grande partie de l’enveloppe budgétaire et de l’argent des contribuables. Cela a bien plus de sens de mettre plus des fonds dans une plateforme comme Radio-Canada, qui, évidemment, répond à un besoin. Il faut limiter l’argent des contribuables attribué au réseau anglophone, qui a de moins en moins d’utilité pour les Canadiens.

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Merci pour cette question qui n’est sûrement pas un piège. Je me suis concentrée sur Radio-Canada, parce que c’est ce que je connais le mieux. Ce que vous dites sur CBC est vrai : les cotes d’écoute sont moins importantes que celles de Radio-Canada. Cela dit, ce n’est pas la seule mesure. Il existe une culture canadienne. Les Canadiens anglophones ne peuvent pas compter uniquement sur les médias américains pour s’informer, car ils le font au détriment des médias canadiens. Je trouve cela dur à imaginer.

J’ai aussi un peu de difficulté à imaginer un pays — car je sais que, du côté des conservateurs, vous en avez parlé — qui abolirait CBC et garderait Radio-Canada. Radio-Canada sert les francophones et CBC sert les anglophones. Je suis tout à fait contre votre proposition. Je ne crois pas qu’on puisse mesurer l’importance d’une institution seulement par ses cotes d’écoute.

Le sénateur Housakos [ - ]

Quelles sont les autres mesures? Évidemment, il y a une culture canadienne qui se manifeste souvent et tous les jours sur les différentes plateformes qui existent. Dans la langue anglaise, il y a plusieurs options et le choix de la communauté anglophone du Canada, c’est de moins en moins de regarder une émission diffusée sur le réseau CBC, qui coûte 1,4 milliard de dollars aux contribuables.

De l’autre côté de la médaille, il y a Radio-Canada. Excusez-moi, mais je vois deux entités très différentes : l’une qui sert la communauté francophone et l’autre qui sert les communautés anglophones. Les communautés anglophones ne veulent rien savoir de CBC et les communautés francophones partout au Canada embrassent de plus en plus ce produit. À mon avis, c’est une question de bon sens d’en éliminer une et de laisser l’autre aux contribuables, puisque c’est ce qu’ils veulent.

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Imaginez-vous vraiment que les Canadiens accepteraient que Radio-Canada, qui sert une minorité francophone, continue d’exister et obtienne un plein financement et que l’on ferme CBC? Tout cela me semble assez difficile à imaginer. C’est un pays où il y a deux langues officielles qui doivent normalement recevoir des services. Alors, on verra bien, mais je vous avoue que je suis plutôt opposée à cette idée.

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