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Projet de loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu

Troisième lecture--Suite du débat

9 mai 2019


Honorables sénateurs, alors que je me joins au débat sur le projet de loi C-71, je tiens avant tout à souligner le travail de son parrain, notre collègue, le sénateur Pratte. Le sénateur et son personnel n’ont ménagé aucun effort dans l’étude de cette mesure. Pendant les semaines qui ont suivi ma nomination au Sénat, en juin dernier, j’ai commencé à recevoir copie, comme tous les sénateurs, des réponses personnelles très claires et très respectueuses que le sénateur Pratte envoyait aux personnes qui lui avaient écrit pour exprimer leurs préoccupations; il y expliquait quels seraient les effets du projet de loi C-71.

Ses interventions réfléchies et respectueuses apportent beaucoup à tous les débats. Je tiens à l’en remercier de tout cœur.

Je suis fermement convaincu que, comme mon honorable collègue le répète souvent, une vaste majorité de propriétaires d’armes à feu — qu’ils détiennent des armes à autorisation restreinte ou seulement des carabines et des fusils sans restriction — sont de bons citoyens respectueux des lois, dont nous sommes tous fiers d’être les amis, les voisins et les collègues.

Malgré cela, je fais résolument partie des gens qui considèrent qu’il devrait y avoir beaucoup moins d’armes à autorisation restreinte au Canada, et qu’il faudrait assujettir celles qui resteraient à une réglementation beaucoup plus stricte. Je préférerais, essentiellement, que les armes de poing et les armes semi-automatiques soient interdites au Canada.

Je considère cette question sous l’angle de la sécurité aéroportuaire. Au début des années 1970, il n’était pas rare de voir deux ou trois détournements d’avion en un mois. De nos jours, il y a en a peut-être un seulement qui se produit quelque part dans une année. Les détournements d’avion sont devenus 30 fois moins fréquents sur une période où les déplacements aériens sont devenus environ 10 fois plus fréquents.

Qu’est-ce qui explique cette baisse considérable des détournements d’avion? On a mis en place des contrôles obligatoires. Les protocoles de sécurité des aéroports ont été constamment renforcés, et considérablement resserrés après les événements du 11 septembre. Nous tenons tous ces mesures pour acquises. En raison du contrôle de sécurité, pour chaque vol, nous savons que nous devons prévoir 15 à 30 minutes supplémentaires, juste au cas. Nous sommes prêts à vivre avec la frustration et les retards occasionnés par les contrôles de sécurité à l’aéroport parce que, sans cela, une minuscule fraction de la population pourrait causer des torts épouvantables en quelques minutes, malgré le fait que pratiquement aucun autre voyageur ne songerait même à détourner un avion ou à faire du mal à un autre passager.

Pour cette raison, j’estime qu’il faut restreindre davantage l’accès aux armes de poing et aux armes à feu capables de tirer plusieurs balles de fort calibre et à grande vitesse à chaque seconde, que ces armes soient modifiées ou non.

Je trouve inquiétant que l’on observe une hausse constante du nombre d’armes d’assaut semi-automatiques et d’armes de poing à autorisation restreinte au Canada. En 2017, la commissaire aux armes à feu a dit qu’il y avait plus de 900 000 armes à feu à autorisation restreinte enregistrées au Canada. Ainsi, le pays compte aujourd’hui 250 000 armes à autorisation restreinte de plus qu’en 2014. Je crois qu’il faut faire quelque chose pour contrer cette hausse rapide du nombre d’armes à feu à autorisation restreinte.

À la suite des terribles attentats qui ont eu lieu dans des mosquées en Nouvelle-Zélande le mois dernier, la première ministre Jacinda Ardern a respecté sa promesse d’adopter rapidement une loi qui interdirait la plupart des armes automatiques et semi-automatiques ainsi que les pièces pour modifier ces armes. À l’étape de la troisième lecture de ce projet de loi historique, plus tôt ce mois-ci, elle a déclaré ceci :

Je ne pouvais concevoir comment des armes capables de provoquer autant de destruction et de semer la mort à grande échelle pouvaient être légalement obtenues dans ce pays.

Je précise que les armes utilisées dans ces terribles attentats avaient été modifiées illégalement, mais facilement. La première ministre a remis en question le besoin de ce genre d’armes à feu semi-automatiques de type militaire. Elle en a conclu qu’il était dans l’intérêt du pays de les interdire. Je ne saurais contredire son raisonnement. Voici ce qu’elle a raconté au Parlement :

Je dois dire que, quand j’ai visité les victimes à l’hôpital, aucune d’entre elles n’avait une seule blessure par balle. Je n’arrive pas à me rappeler un seul cas. Chaque fois, elles parlaient de blessures multiples, de blessures multiples débilitantes dont il était impossible de se remettre en quelques semaines, et certainement pas en quelques jours. Elles porteront ces blessures toute leur vie et c’est sans compter les effets psychologiques.

De toute évidence, il y a des personnes qui s’opposent vivement à toute forme de contrôle des armes à feu. Les opposants au projet de loi C-71 me disent fréquemment que cette mesure législative n’arrêtera pas les criminels. Je ne suis pas forcément en désaccord avec eux sur ce point. Le projet de loi C-71 ne permettra pas à lui seul de mettre fin à la violence commise avec des armes à feu au Canada. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il ne constitue pas une partie intégrante de la solution.

Les ceintures de sécurité n’empêchent pas les accidents de voiture. Cependant, elles contribuent certainement à atténuer les torts causés lors d’accidents. Or, je me souviens bien du très grand nombre de personnes qui se sont opposées farouchement à leur port obligatoire dans les années 1970 et 1980. De la même façon, certains propriétaires d’armes à feu à autorisation restreinte estiment que le fardeau administratif est déjà trop lourd. Je respecte leur point de vue, mais je crois que c’est un faible prix à payer si nous pouvons contribuer à réduire la fréquence et la violence des crimes commis avec une arme à feu dans notre pays.

J’ai participé à l’une des premières réunions du Comité de la sécurité nationale et de la défense sur le projet de loi C-71, et la Dre Najma Ahmed a fait valoir ce point de vue efficacement. Au moment de son témoignage, elle était peut-être surtout connue comme l’une des nombreuses chirurgiennes ayant travaillé dans les hôpitaux de Toronto le soir de la fusillade de l’avenue Danforth pour sauver des vies. La Dre Ahmed est aussi membre de l’équipe d’administrateurs de l’organisme populaire Médecins canadiens pour un meilleur contrôle des armes à feu.

Après son témoignage devant notre comité sénatorial, la Dre Ahmed est devenue la cible d’une foule d’attaques en ligne, sur Twitter et par courriel. Les défenseurs des droits des propriétaires d’armes à feu ont déposé plus de 70 plaintes officielles contre elle auprès de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario, soutenant que son travail de promotion était un « abus » de sa qualité de médecin.

Honorables sénateurs, on a tenté d’utiliser le processus de plainte de l’ordre comme une arme, alors qu’il a expressément pour but de régler des questions graves liées aux soins donnés ou à l’éthique. Je trouve déplorable que les personnes qui n’étaient pas du même avis que la Dre Ahmed aient choisi de remettre en question sa conduite professionnelle et ses droits. L’ordre a conclu que ces plaintes étaient frivoles et vexatoires et qu’une enquête n’était pas justifiée.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Par courtoisie pour le sénateur C. Deacon, les sénateurs pourraient-ils baisser la voix ou sortir? Ce serait plus poli.

Merci, Votre Honneur.

Cependant, il y a toujours la possibilité d’un appel dans cette affaire.

Je ne suis pas le seul à penser que ces plaintes ont été faites de mauvaise foi dans l’intention de faire taire la Dre Ahmed afin de ne pas avoir à débattre avec elle. Plutôt que de tenter de réfuter ses arguments, les groupes de défense des droits des propriétaires d’armes à feu ont mis en cause sa liberté de parole. J’étais sidéré de voir les tactiques de la NRA être reprises au Canada.

Comprenez-moi bien : je suis d’accord avec Médecins canadiens pour un meilleur contrôle des armes à feu. Cela correspond tout à fait à leurs compétences. Selon le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, il ne date pas d’hier qu’on s’attende des médecins qu’ils fassent la promotion de la santé au pays et qu’ils « mettent à profit leur expertise et leur influence en œuvrant avec des collectivités ou des populations de patients en vue d’améliorer la santé ». Les décès par arme à feu représentent assurément une menace grave à la sécurité publique, ainsi qu’à la santé publique. Je suis très heureux que des médecins comme la Dre Ahmed nous fassent profiter de leur expertise et qu’ils refusent de se laisser intimider.

La Dre Ahmed a expliqué au comité du Sénat exactement pourquoi les médecins s’intéressent à cet enjeu :

Depuis longtemps, les médecins orientent les politiques en matière de santé publique. Nous savons que la prévention primaire est la façon la plus efficace d’améliorer la santé des populations. Cela est vrai en ce qui concerne l’amiante, la nicotine et les vaccins. Il est aussi vrai que la diminution de la prolifération des armes à feu et de leur accès réduira les préjudices, les blessures et les décès causés par des armes à feu.

Voilà un autre argument fréquemment véhiculé par le lobby des armes à feu, soit qu’une réduction du nombre d’armes à feu ne se traduira pas nécessairement par une réduction de la criminalité. Je ne peux appuyer cet argument et je m’y oppose.

Il y a un an, le Forum économique mondial a publié un rapport sur le lien entre la possession d’armes à feu et les taux de décès liés aux armes à feu dans les 50 États des États-Unis. Le rapport révèle que les États dont le taux de possession d’armes à feu est le plus bas présentent le moins de décès liés à des armes à feu, et que ceux dont le taux de possession d’armes à feu est le plus élevé présentent le plus de décès liés à des armes à feu.

En 1996, 16 élèves et leur institutrice ont été tirés et tués à Dunblane, en Écosse. Moins d’un an plus tard, le Royaume-Uni a adopté des lois plus strictes sur les armes à feu. La tuerie de Dunblane a été la dernière fusillade à survenir dans une école au Royaume-Uni. Par la suite, les États-Unis ont connu la célèbre fusillade dans une école de Columbine. C’était le 20e anniversaire de cette tuerie le mois dernier. Aucune loi n’a été adoptée à la suite de ces événements ni à la suite de toute autre fusillade brutale hautement médiatisée depuis. Pas même à la suite de celle qui a enlevé la vie à 20 élèves de première année et à six enseignants parce qu’un jeune homme a eu accès à une arme conçue pour tirer, à la seconde, de multiples balles de gros calibre et à grande vitesse.

Nous sommes chanceux de ne pas nous trouver dans la même situation que nos voisins du sud. Cela dit, nous ne pouvons nous permettre de nous reposer sur nos lauriers. L’organisme Médecins canadiens pour un meilleur contrôle des armes à feu signale que le Canada se situe au troisième rang parmi les pays du G7 et au huitième rang de ceux du G20 en ce qui concerne le taux de mortalité par arme à feu normalisé en fonction de l’âge. La Dre Ahmed a déclaré au comité :

Une étude publiée en 2018 a comparé le taux de mortalité liée aux armes à feu dans 195 pays sur une période de 15 ans. En 2016, notre taux de mortalité liée aux armes à feu était environ cinq à six fois inférieur à celui des États-Unis. Ce n’est pas tout. Par rapport au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, au Japon et à l’Australie, notre taux de mortalité liée aux armes à feu est huit fois supérieur à celui de ces pays comparables. Même si les lois sur les armes à feu du Canada sont plus rigoureuses que celles des États-Unis, il convient de noter que les mesures législatives relatives à la sécurité en matière d’armes à feu de ces pays comparables sont plus rigoureuses que les nôtres.

Les représentants de Statistique Canada ont expliqué au comité que 2013 a marqué un tournant statistique. Ils ont d’ailleurs insisté pour dire qu’il ne s’agissait pas d’une anomalie, comme d’autres l’ont affirmé ou l’ont laissé entendre. Depuis cette année-là, le nombre de décès liés aux armes à feu n’a cessé d’augmenter, au point d’atteindre un sommet depuis une génération. Or, dans la majorité des, cas, les armes à feu à autorisation restreinte à l’origine de ces décès, principalement des armes de poing, étaient justement celles visées par le projet de loi C-71.

J’ai fait quelques recherches l’autre soir. En 1991, on dénombrait 271 décès liés aux armes à feu. En 2013, il y en avait la moitié moins, soit 134, mais la tendance est ensuite repartie à la hausse pour atteindre 266 décès en 2017. Vous voyez pourquoi les représentants de Statistique Canada ont parlé de tournant.

Ce n’est peut-être pas une coïncidence si, en 2012, le Canada a mis fin aux efforts déployés depuis toute une génération pour restreindre de plus en plus la possession d’armes à feu en modifiant le Code criminel et la Loi sur les armes à feu.

Quoi qu’il en soit, on ne peut ignorer qu’environ un cinquième de ces décès supplémentaires par arme à feu est associé aux activités des gangs. Certes, le projet de loi C-71 n’est pas l’unique solution. Bien d’autres choses restent à faire. Toutefois, comme de nombreux témoins l’ont déclaré au comité sénatorial, le projet de loi C-71 représente une importante première étape.

Comme je l’ai mentionné d’emblée, nous devons tous supporter la frustration que causent les mesures de sécurité prises aux aéroports, car, sans elles, une minuscule fraction de la population pourrait, en quelques minutes, causer des dommages catastrophiques. Selon le rapport du commissaire aux armes à feu de 2017, un peu plus de 2,1 millions de Canadiens, soit un peu moins de 6 p. 100 de la population, ont un permis les autorisant à utiliser ou à posséder une arme à feu. Dans le cadre du projet de loi C-71, nous demandons certainement à ces 6 p. 100 — et au nombre encore plus modeste de ceux qui possèdent des armes à feu à autorisation restreinte — de faire un peu plus d’efforts, mais cela s’inscrit dans l’action plus vaste que nous menons pour renforcer la protection de toute la population.

Je ne suis pas le seul sénateur à avoir reçu pas mal de courrier sur le sujet. Les propriétaires d’armes à feu qui s’opposent au projet de loi C-71 ont clairement exprimé leur opinion. Toutefois, même s’ils représentent l’ensemble des 6 p. 100 des Canadiens qui possèdent une arme à feu — et, à partir des conversations que j’ai eues, je ne le crois certainement pas — je ne suis toujours pas convaincu que le rejet de ce projet de loi est dans l’intérêt du pays ni dans celui des Canadiens d’ailleurs.

En fait, comme le sénateur Pratte nous l’a dit hier, un récent sondage Léger montre qu’une majorité de Canadiens sont en faveur du projet de loi C-71 et de ses divers éléments. Dans ce sondage, on a aussi demandé aux répondants s’ils étaient en faveur d’un contrôle strict des armes à feu indépendamment du contenu de cette mesure législative et 77 p. 100 ont répondu par l’affirmative. De manière générale, les Canadiens sont en faveur d’un contrôle plus ferme des armes à feu.

Nous savons que ce n’est pas la solution miracle, mais c’est une étape importante et nous devons aux 77 p. 100 de l’adopter.

Le parrain du projet de loi, le sénateur Pratte, nous a déjà rappelé que des vies sont littéralement en jeu. Je vais voter en faveur de l’adoption de cette mesure législative et je recommande vivement à tous les honorables sénateurs d’en faire autant. Merci.

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