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Projet de loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie

Deuxième lecture--Ajournement du débat

30 novembre 2021


L’honorable Julie Miville-Dechêne [ - ]

Propose que le projet de loi S-210, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-210, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite.

J’ai proposé une première version de ce projet de loi il y a plus d’un an. Le défunt projet de loi S-203 a été adopté au Sénat, ce qui représente une grande avancée. Toutefois, avec le déclenchement des élections, ce projet de loi est mort au Feuilleton.

Nous avons profité de cette longue pause pour faire davantage de consultations et vous présenter une version nouvelle et améliorée du projet de loi. On restreint ainsi la portée du régime et on assure une plus grande clarté des intentions.

Je vous rappelle brièvement pourquoi j’ai voulu agir pour protéger les mineurs, les enfants qui ont accès, sans aucune vérification de l’âge, à ces sites de pornographie de plus en plus hardcore et extrêmes.

Il y aurait aujourd’hui près de 4 millions et demi de sites de pornographie à travers le monde. L’écosystème a changé il y a une dizaine d’années, quand les plateformes ont choisi un modèle de contenus téléversés par les citoyens et ont donc opté pour la gratuité. Toute barrière à l’accès a donc disparu.

C’est à 11 ans, en moyenne, que les enfants ont leur premier contact avec la pornographie.

Ces sites gratuits tirent leurs revenus de la publicité et des jeux vidéo à caractère sexuel qui ciblent les jeunes. Au Canada, 40 % des garçons du secondaire ont vu de la pornographie en ligne, 28 % en recherchent au moins une fois par jour ou par semaine, et 7 % des filles déclarent en avoir regardé. Cela, c’était avant la pandémie; c’est pire maintenant.

La réputée pédiatre Megan Harrison, du Centre hospitalier pour enfants de l’Est de l’Ontario, a livré un témoignage convaincant devant le Comité sénatorial des affaires juridiques. Je la cite :

Les images que voit un enfant affectent sans contredit le développement de son cerveau. À mesure que l’enfant grandit, son cerveau continue de se transformer à une vitesse impressionnante. La plasticité synaptique est le processus par lequel notre cerveau crée de nouveaux réseaux neuronaux, ce qui signifie qu’il est en constante optimisation. [...]

La plasticité synaptique est à son apogée chez les enfants et plus particulièrement chez les adolescents, ce qui signifie que les comportements, les images, les idées et les valeurs constamment répétés qui sont captés par le cerveau puis intériorisés pendant l’enfance et l’adolescence peuvent avoir une incidence durable, ce qui n’est pas le cas chez les adultes, dont le cerveau peut être moins affecté par ceux ci.

La pédiatre poursuit ainsi :

Les adolescents que je reçois dans mon bureau et qui ont accès à ces sites par accident ou sciemment, ce qui est extrêmement facile et donne accès à des images fort perturbantes, bref ces ados vivent une très grande confusion par rapport à leur corps, à ce que l’on attend d’eux sur le plan sexuel, à ce qui est normal, à toutes sortes de choses du genre.

La sexologue québécoise Marie-Christine Pinel, quant à elle, a fait des constats troublants chez les jeunes dans sa pratique, et je la cite :

Je vois émerger des tendances destructrices : une recrudescence des relations de dominance, une anxiété de performance qui entraîne des douleurs à la pénétration et un dysfonctionnement érectile, une explosion dans la demande de chirurgie esthétique génitale; tous ces problèmes sont dus à l’influence de la porno.

La recherche scientifique fait de plus en plus d’associations alarmantes entre la consommation de porno et la santé ou le comportement des jeunes. Le visionnement fréquent de porno par les adolescents peut, par exemple, mener à une consommation compulsive, créer des attentes irréalistes quant aux pratiques attendues, créer de la peur et de l’anxiété, nuire à leur estime de soi en altérant la perception qu’ils ont de leur propre corps, entraîner des symptômes de dépression et être lié à un niveau d’intégration sociale plus faible.

Or, que retiennent les jeunes — les garçons, en particulier — de ce qu’ils voient? La consommation répétée de porno par les ados renforce les stéréotypes de genre, et perpétue les croyances sexistes et l’« objectification » des femmes.

Au total, 37 % des scènes de porno qu’on trouve en ligne mettent en scène des actes de violence contre une ou plusieurs femmes. Cette vision dénaturée de la sexualité risque de traumatiser les enfants et les jeunes, et de nuire à l’image qu’ils ou elles se font d’eux-mêmes et des relations amoureuses.

Selon le Centre canadien de protection de l’enfance :

La pornographie entre adultes n’est pas seulement néfaste pour le développement cérébral des enfants, elle peut aussi les préparer à d’éventuelles agressions sexuelles et normaliser l’activité sexuelle dans leur esprit.

Pas plus tard que cette semaine, au Royaume-Uni, la commissaire à l’enfance a déclaré avoir constaté « les effets incroyablement dommageables de la pornographie sur les enfants, y compris sur une jeune fille qui s’est suicidée ». Elle a ajouté :

Les jeunes voient des choses qui déforment leur vision de ce qu’ils croient être véritables relations sexuelles. Des filles m’ont dit que lors de leur premier baiser avec leur petit copain, celui-ci a essayé de les étrangler parce que c’est ce qu’il avait vu dans une vidéo pornographique.

Je dois avouer que cela me trouble énormément. Malgré le scandale, l’an dernier, visant MindGeek, une entreprise basée à Montréal, les sites pornographiques ne vérifient toujours pas l’âge de ceux qui regardent leurs vidéos, et ce même si on a découvert que de nombreuses plateformes diffusaient des vidéos d’exploitation sexuelle d’enfants. Pour ces plateformes, c’est une question de concurrence, car perdre des clients, même s’il s’agit de mineurs, cela signifie moins de clics et moins de revenus. Cela explique pourquoi les plateformes de pornographie sont apparemment prêtes à mettre en place des mesures de vérification de l’âge à la condition qu’on impose ces mesures à l’ensemble de l’industrie.

C’est une mesure que le gouvernement peut adopter. Il est clair que l’autoréglementation est un échec. Les sites légaux de pornographie ne sont censés être accessibles qu’aux adultes, mais ces plateformes demandent seulement aux utilisateurs de cocher une case pour confirmer qu’ils ont 18 ans. Pour toutes ces raisons, nous devons nous engager à contrôler l’accès des mineurs à la pornographie dans le monde numérique, comme nous le faisons dans le monde réel. Vérifier l’âge des utilisateurs est une question de santé publique. Les préjudices aux enfants qui sont exposés à du matériel sexuellement explicite représentent une préoccupation sociale réelle et urgente.

Parlons du projet de loi dont nous sommes saisis. Il est très ciblé. Comme le précise l’article 4, il a pour objet de protéger la santé mentale des jeunes et, de façon plus générale, de protéger les Canadiens, en particulier les jeunes et les femmes, contre les répercussions néfastes de l’exposition à du matériel sexuellement explicite. Il s’agit d’une question de sécurité publique. À l’article 5, le projet de loi criminalise le fait, pour toute organisation, de rendre accessible à un mineur du matériel sexuellement explicite à des fins commerciales. Il établit une amende maximale de 250 000 $ pour une première infraction. Pour ceux qui s’inquiètent de la censure de matériel éducatif ou artistique, permettez-moi d’être bien claire : le projet de loi énonce explicitement que le matériel sexuellement explicite qui a un but légitime lié à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts n’est pas couvert par l’interdiction. Ainsi, il n’y a aucune censure ni pruderie. J’ai toujours défendu fermement l’importance d’une éducation sexuelle complète à l’école.

De plus, la jurisprudence montre que le terme « matériel sexuellement explicite », tel qu’il est utilisé dans le Code criminel, ne peut pas être appliqué à n’importe quelle scène de nudité ou à n’importe quel contexte sexuel tribal, comme cela a été mentionné au Sénat. Dans l’arrêt Sharpe, la Cour suprême conclut que l’expression « activité sexuelle explicite » vise les actes comportant de la nudité ou des activités sexuelles intimes, représentées de manière détaillée et non équivoque, dans le but de stimuler sexuellement certaines personnes.

La Cour supérieure de l’Ontario a aussi conclu que la faible distance entre la caméra et la région génitale ou anale, les gros plans, ainsi que la durée et l’importance de ces images dans un film constituaient des critères supplémentaires pour déterminer s’il s’agit d’une vidéo pornographique, c’est-à-dire d’une vidéo dont la principale caractéristique est une présentation visuelle à des fins sexuelles.

Qui est ciblé par l’infraction prévue? Selon l’ancien texte du projet de loi, une société ou une personne s’exposait à des poursuites si elle distribuait du matériel pornographique à des mineurs sans vérifier leur âge. Une telle formulation pourrait toutefois avoir des conséquences non souhaitées, comme l’ont mentionné des professionnels du sexe. Nous avons donc modifié la portée de l’infraction de manière à exclure les personnes et à ne cibler que les organisations telles qu’elles sont définies à l’article 2 du Code criminel. Le terme « organisation » comprend les corps constitués, les personnes morales, les sociétés, les compagnies, les sociétés de personnes, les entreprises ou les associations de personnes formés dans le but d’atteindre un but commun, qui sont dotés d’une structure organisationnelle et se présentent au public comme une association de personnes. Ainsi, il est possible de cibler directement les distributeurs de pornographie commerciaux.

Une autre modification importante permettra de mieux protéger le droit des sites pornographiques à une défense pleine et entière. En vertu du projet de loi révisé, le pouvoir d’envoyer des avis aux sites fautifs est accordé à une autorité désignée et non au ministre. Le risque d’une intervention politique devrait être ainsi minimisé.

Si les plateformes, qu’elles soient canadiennes ou étrangères, ne se conforment pas à la loi après une période raisonnable, l’autorité désignée peut demander une ordonnance de la cour pour bloquer le site en question. C’est le mécanisme d’application le plus efficace contre les sites Web étrangers. Bloquer un site signifie d’ordonner aux fournisseurs de services Internet, comme Bell ou Vidéotron, d’utiliser tous les moyens à leur disposition pour empêcher leurs clients d’y accéder. L’adresse URL, le nom de domaine ou l’adresse IP est alors bloqué. Les fournisseurs de services Internet nous ont dit que ce type de mesure est tout à fait faisable d’un point de vue technique. Ils travaillent déjà avec les autorités pour retirer les images d’exploitation sexuelle d’enfants qui se retrouvent sur leurs serveurs.

La véritable question est donc de déterminer comment les sites Web devraient vérifier l’âge de leurs visiteurs avant qu’ils aient accès à du matériel pornographique. De toute évidence, c’est le cœur du problème. La bonne nouvelle, c’est que des percées technologiques ont maintenant rendu possible la vérification de l’âge des clients en ligne en toute sécurité. Parce que les technologies évoluent constamment, il semble judicieux de déterminer les paramètres des processus de vérification de l’âge dans les règlements; ils ne sont donc pas inclus dans le projet de loi.

D’entrée de jeu, les experts s’entendent sur le fait que la vérification de l’âge ne devrait pas être faite par les sites pornographiques eux-mêmes, mais par des fournisseurs de services tiers spécialisés. Cette précaution est essentielle pour éviter que les sites pornographiques aient accès aux données personnelles de leurs clients. Voici comment l’Age Verification Providers Association décrit le processus :

[...] vérification de l’âge n’est pas synonyme de vérification de l’identité. Il s’agit de deux choses complètement distinctes. En ce qui nous concerne, nous essayons de recueillir, puis de conserver, le moins de données possible. Dans bien des cas, il n’est même pas nécessaire de conserver les données personnelles des utilisateurs. Tout ce qu’il faut, c’est qu’à un certain moment du processus, la personne x — et c’est tout ce qu’elle est pour nous, la personne x — réussisse à prouver, à la lumière d’une norme y, qu’elle a au moins tel âge, qu’elle fait partie de tel groupe d’âge ou qu’elle a telle date de naissance.

L’objectif simple et fondamental de ce projet de loi est de restaurer une certaine cohérence dans les actions que nous menons en tant que pays pour protéger nos enfants.

Dans le monde réel, les jeunes de moins de 18 ans ne peuvent ni aller au casino ni acheter de billets de loterie. Dans le monde en ligne, ils ne peuvent pas le faire non plus. C’est logique.

Dans le monde réel, les jeunes ne peuvent pas acheter d’alcool ou de cigarettes. Nous ne leur permettons pas non plus de le faire en ligne. C’est logique.

Certaines personnes semblent toutefois croire que, même si les jeunes ne peuvent pas louer un film porno dans le monde réel, ils devraient pouvoir cliquer sur un bouton et avoir instantanément accès à du matériel pornographique explicite dans le monde virtuel. Cela n’a absolument aucun sens.

Historiquement, trois objections ont été soulevées contre la législation sur le contrôle de l’âge. Aujourd’hui, je soumets humblement qu’elles ne résistent pas à un examen minutieux.

Tout d’abord, on nous dit que la pornographie est protégée par les garanties de la liberté d’expression. C’est un fait que personne ne remet en cause, mais cela ne règle pas la question.

Dans le monde réel, nous imposons des limites parfaitement légales et défendables à l’accès des mineurs au matériel pornographique. Pourquoi de telles limites seraient-elles inacceptables lorsqu’elles sont appliquées sur Internet?

Les tribunaux du Canada et d’ailleurs n’ont pas eu de difficulté à accepter l’idée que nous devons protéger nos enfants des contenus pornographiques en imposant des limites raisonnables à leur distribution. Le raisonnement repose en partie sur le fait que la pornographie n’est pas considérée comme digne du même niveau de protection que le discours politique, par exemple.

Voyez ces extraits d’un article du professeur Cass Sunstein, le juriste le plus cité des États-Unis — un pays qui ne prend certainement pas la liberté d’expression à la légère. Je le cite :

La Cour a établi une distinction entre les discours qui peuvent être interdits uniquement sur la base d’une démonstration extrêmement forte de l’intérêt du gouvernement et d’un discours qui peut être réglementé sur la base d’une démonstration de préjudice beaucoup moins exigeante. Le discours commercial, le discours syndical et possiblement la diffamation collective, par exemple, entrent dans la catégorie des discours « de faible valeur ». […]

Selon cette approche, ou toute variation plausible, la réglementation de la pornographie n’a pas besoin d’être justifiée selon les normes applicables au discours politique. L’effet et l’intention de la pornographie, tels qu’ils sont définis ici, sont de produire une excitation sexuelle, et en aucun cas d’affecter le cours de la gouvernance démocratique. […]

Ces considérations suggèrent un argumentaire conventionnel en deux temps pour la régulation de la pornographie. Premièrement, la pornographie n’a droit qu’à un niveau inférieur de sollicitude du premier amendement. Peu importe le standard, la pornographie est très loin du genre de discours habituellement protégé par le premier amendement. Deuxièmement, les dommages produits par le matériel pornographique sont suffisants pour justifier une réglementation.

La Cour suprême des États-Unis a d’ailleurs reconnu que nous avons fortement intérêt à protéger le bien-être physique et psychologique des mineurs, et que cet intérêt s’étend à la protection des mineurs contre l’influence de la pornographie. Pour cette raison, le gouvernement peut réglementer sa diffusion, à condition qu’il le fasse de manière étroite, sans interférer inutilement avec les garanties de la liberté d’expression.

Notre propre Cour suprême a exprimé son soutien à cette idée dans sa décision de principe sur cette question, et je cite :

[...] le genre d’expression que l’on cherche à promouvoir n’est pas du même calibre que les autres genres d’expression qui touchent directement à l’« essence » des valeurs relatives à la liberté d’expression. […]

L’atteinte à la liberté d’expression vise seulement une mesure destinée à interdire la distribution de matériel sexuellement explicite accompagné de violence et de matériel sexuellement explicite non accompagné de violence, mais qui est dégradant ou déshumanisant.

Comme je l’ai déjà mentionné, ce genre d’expression est loin de l’essence de la garantie de liberté d’expression. Il ne fait appel qu’à l’aspect le moins digne de l’épanouissement personnel et repose principalement sur des motifs d’ordre économique.

En somme, bien que la pornographie soit protégée par les garanties de la liberté d’expression, il devrait être relativement simple de justifier une réglementation raisonnable, et ce, pour de très bonnes raisons.

En vertu du projet de loi que nous étudions, la pornographie en ligne resterait accessible à tous les adultes canadiens, sous réserve d’une vérification automatisée et anonyme de trois à cinq minutes.

Je ne suis pas au courant d’un droit inaliénable d’accéder instantanément à de la pornographie n’importe où, n’importe quand et par tout le monde qui serait violé par cette modeste proposition.

Rappelons que la liberté d’expression n’est pas un droit absolu, mais un droit qui peut être restreint en vertu de la Charte dans des limites raisonnables et justifiables dans une société libre et démocratique. Lorsqu’il faut soupeser les droits en jeu, l’atteinte d’un objectif aussi essentiel que la protection des membres les plus vulnérables de notre société devrait prévaloir sur un inconvénient mineur.

En ce qui concerne la vie privée, la deuxième objection que l’on entend parfois consiste à dire que, même s’il est souhaitable, en théorie, de réglementer l’accès des mineurs à la pornographie en ligne, les moyens que nous proposons en pratique sont trop larges et portent atteinte au droit à la vie privée. Encore une fois, je soumets humblement que cet argument ne résiste pas à un examen minutieux.

Considérez d’abord comment fonctionne la vérification de l’âge dans le monde réel. Aujourd’hui, si une personne soupçonnée d’avoir moins de 18 ans veut acheter des cigarettes, de l’alcool, des billets de loterie ou des magazines pornographiques, elle devra montrer son visage et ses pièces d’identité à la caissière du magasin. À ce que je sache, personne ne conteste sérieusement cette approche.

Par le passé, il y a eu des craintes légitimes que la fourniture d’informations personnelles sur Internet puisse exposer les gens à un vol d’identité ou à d’autres formes d’exploitation de données. Ce sont certainement des préoccupations valables.

La bonne nouvelle, c’est que les avancées technologiques donnent désormais accès à des processus de vérification de l’âge qui n’impliquent pas d’identification personnelle. Ces dernières années, nous avons assisté au développement d’une technologie efficace et peu intrusive qui fournit les moyens les moins restrictifs possible de protéger les jeunes contre les méfaits de la pornographie en ligne. Rien n’est jamais parfait, bien sûr, mais la confidentialité est de mieux en mieux assurée par des systèmes de données cryptées ou détruites par les vérificateurs.

Comme l’a dit en comité Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée, et je cite :

En matière de vie privée, on n’élimine pas le risque, généralement. On essaie de le réduire le plus possible. Je pense que la structure du projet de loi est telle qu’on peut réduire les risques d’atteinte à la vie privée sans les éliminer complètement.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, le projet de loi ne précise pas les modes d’identification acceptables, laissant cela à la réglementation. C’est le seul moyen de garantir que nos protections sont conformes aux meilleures pratiques et aux normes émergentes.

Enfin, il y a la fameuse responsabilité parentale. C’est un sujet dont j’ai entendu énormément parler en présentant ce projet de loi. C’est peut-être l’aspect le plus important. On nous dit que la responsabilité de protéger les mineurs de la pornographie en ligne devrait incomber à leurs parents. Encore une fois, cet argument ne tient pas la route.

Les Canadiens voudraient-ils que les ventes d’alcool et de cigarettes et les activités de jeu soient laissées à la seule surveillance des parents? Les parents canadiens accepteraient-ils que les bars, les casinos et les clubs de striptease exigent simplement des clients qu’ils cliquent sur un bouton pour entrer? Bien sûr que non.

Depuis des années, nous laissons aux parents le soin de contrôler l’accès des mineurs à la pornographie en ligne. Nous savons que cela ne fonctionne pas. Beaucoup d’entre nous en ont fait l’expérience directe, avec nos propres enfants, et n’oublions pas que les parents n’ont pas tous le même niveau de littératie numérique. Si le contrôle parental fonctionnait, on le saurait, et je vous assure que nous ne serions pas ici aujourd’hui en train de parler de ce projet de loi.

Cependant, ce ne sont pas seulement des anecdotes qui nous confirment que l’approche actuelle est un échec.

Une étude publiée par l’Université d’Oxford en 2018 suggérait que les filtres informatiques n’ont pratiquement aucun impact sur l’exposition des jeunes à la pornographie en ligne et allait même jusqu’à se demander si leur utilité limitée justifiait leur coût.

La vérité est que la plupart des parents n’ont aucune idée de ce que leurs enfants voient sur Internet, et qu’ils ont besoin de notre aide.

Selon une enquête menée par le Centre canadien de protection de l’enfance, 60 % des répondants sont très inquiets du fait que leurs enfants soient exposés à des images pornographiques ou violentes. Il n’y a pas que les parents; les pédiatres et les spécialistes sont inquiets eux aussi. Parmi nos nombreux appuis, nous retrouvons notamment la Société canadienne de pédiatrie, l’Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, l’Association des pédiatres du Québec et plusieurs experts d’ici et d’ailleurs dans le monde. Tous réclament avec force que le gouvernement joue son rôle.

D’ailleurs, d’autres pays ont déjà pris des mesures ou ont entamé des démarches en vue de protéger les mineurs de ce bombardement d’images pornographiques en ligne.

Il y a un an, la France a adopté une mesure législative autorisant le blocage des sites pornographiques, quel que soit leur pays hôte, s’ils ne vérifient pas l’âge de leurs clients. Le décret d’application est maintenant en vigueur et le Conseil supérieur de l’audiovisuel a le pouvoir de demander une ordonnance de blocage auprès d’un tribunal.

L’Allemagne est encore plus en avance, puisqu’elle a amorcé les démarches en vue de bloquer l’accès à quatre des plus importants sites pornographiques parce qu’ils refusent de mettre en place un mécanisme pour confirmer que leurs clients sont d’âge adulte. On parle ici de xHamster, de YouPorn, de Pornhub et de MyDirtyHobby.

Après l’échec d’une première tentative au Royaume-Uni, un comité parlementaire mixte vient de terminer l’étude préalable de l’ébauche d’un projet de loi sur la sécurité en ligne qui devrait être déposé sous peu. Le nouveau projet de loi imposera un devoir de diligence aux plateformes pornographiques, ce qui les obligera à instaurer des mécanismes robustes, dont un mécanisme de vérification de l’âge, pour empêcher les enfants d’avoir accès à du contenu préjudiciable.

L’Australie a adopté l’approche la plus rigoureuse et la plus ambitieuse en matière de consultation et d’intervention. En juin dernier, son Parlement a adopté l’Online Safety Act 2021. Parallèlement, la commissaire à la cybersécurité a élaboré des lignes directrices en matière de vérification de l’âge. En outre, le pays devrait se doter d’un plan d’action à l’égard des sites pornographiques et des médias sociaux d’ici un an.

Qui plus est, pour ceux qui s’inquiètent de créer un dangereux précédent, sachez que la vérification de l’âge est de plus en plus adoptée à travers le monde. Au Japon, par exemple, les utilisateurs de l’application Tinder doivent prouver qu’ils ont l’âge légal, tout comme les amateurs du populaire jeu Roblox. De son côté, Facebook examine les options relatives à la vérification de l’âge pour les vidéos destinées uniquement aux adultes.

Autre raison de passer à l’action : le Canada a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant, ce qui nous oblige à tenir compte des alertes lancées par les Nations unies à propos de l’environnement numérique. Comme il a récemment été énoncé dans une observation générale, les pays doivent s’assurer de mettre en place les mesures de protection appropriées, notamment des systèmes de vérification très efficaces, pour éviter que les enfants aient accès à ces produits néfastes pour eux.

En terminant, j’aimerais exprimer toute ma gratitude pour les nombreux appuis que j’ai récoltés au fil de la dernière année à l’égard des principes sur lesquels repose ce projet de loi. Malgré les contraintes relatives à la pandémie de COVID-19, les débats ont été fructueux dans cette enceinte. Le projet de loi S-203 qui a précédé celui-ci, a été applaudi, critiqué sur certains aspects et ultimement amélioré. Le projet de loi dans sa forme actuelle a franchi l’étape rigoureuse de l’étude en comité, durant laquelle nous avons entendu les témoignages d’une dizaine de témoins échelonnés sur plus de huit heures. Je tiens à remercier les sénateurs Carignan, Batters, Cotter et Dalphond pour leurs suggestions.

À l’extérieur du Sénat, ce projet de loi a suscité beaucoup d’intérêt et nous avons réussi à attirer l’attention du public sur cette menace pour la santé publique. Avant que nous nous attaquions à cette menace, de nombreux parents étaient inquiets, mais la question n’était pas souvent soulevée au Parlement. Tout cela est derrière nous maintenant. Nous pouvons maintenant regarder en avant.

Chers collègues, je vous invite respectueusement à participer aux débats sur les forces et les lacunes de cette nouvelle version du projet de loi qui vise à protéger les enfants et les jeunes des dangers de la pornographie. Évidemment, nous pouvons discuter des modalités, mais le temps est venu d’agir.

L’honorable Paula Simons [ - ]

Sénatrice Miville-Dechêne, acceptez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Certainement, sénatrice Simons.

La sénatrice Simons [ - ]

Je suis très heureuse de voir toutes les modifications apportées au projet de loi parce que je crois que le projet de loi S-210 répond à plusieurs des préoccupations soulevées au comité lors de l’étude du projet de loi S-203.

Le préambule du projet de loi indique que la technologie de vérification de l’âge en ligne est extrêmement sophistiquée et efficace, mais le projet de loi n’impose pas en soi son utilisation. Étant donné que nous en avons discuté ce printemps, vous vous rappellerez que je suis très préoccupée par les technologies à balayage du visage qui prétendent pouvoir déterminer l’âge d’une personne et par ce que cela signifie non seulement en ce qui concerne le respect de la vie privée, mais aussi la capacité de ce genre d’intelligence artificielle à déterminer l’âge d’une personne. Je me demande pourquoi vous êtes revenue à ce modèle au lieu de simplement demander aux gens de fournir une pièce d’identité avec photo. Y a-t-il quelque chose qui m’échappe et qui expliquerait pourquoi il serait problématique pour les gens de télécharger une photo ou une pièce d’identité avec photo?

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Je vous remercie de cette question, sénatrice Simons, à laquelle je répondrai en français.

En fait, ce n’est pas parce que le préambule stipule que la technologie doit être sophistiquée qu’il est essentiellement question de technologies telle l’analyse faciale, qui permettrait d’évaluer l’âge d’un client.

Dans les faits, toutes les techniques sont maintenant possibles et, habituellement, un bouquet de différents moyens est inclus dans la réglementation. Il y a notamment l’identité numérique comme possibilité. Il existe au Canada une compagnie, Bluink, qui offre la possibilité d’entrer certaines informations dans le téléphone cellulaire, et le client lui-même est apte à ne donner que celles qu’il désire fournir au bon moment, par exemple, lorsqu’il doit indiquer qu’il a plus de 18 ans. Il existe également d’autres techniques, notamment un jeton qu’on peut installer sur son fureteur. Évidemment, il est important que ce soit une tierce partie qui fasse la vérification.

Cependant, en effet, nous ne privilégions aucun moyen précis. Justement, ce qui fait la beauté de ce projet de loi, c’est que l’évolution des techniques de vérification est tellement rapide que, pour les inclure dans un projet de loi, il faut absolument le faire par le truchement des réglementations pour être à la fine pointe, non seulement des technologies, mais aussi de la protection de la vie privée.

Vous avez raison de dire que c’est un élément important. Je vous avoue que s’il est maintenant possible d’effacer ou de crypter en une seconde toutes les informations récoltées, on peut dire que beaucoup de chemin a été fait depuis quelques années.

La sénatrice Simons [ - ]

Merci beaucoup.

La sénatrice accepterait-elle de répondre à une autre question?

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Certainement.

Vous venez de mettre l’accent sur un point important : les efforts doivent être indépendants des technologies afin de laisser la porte ouverte à plusieurs approches différentes. Toutefois, serait-il utile que le gouvernement fédéral commence à faire preuve d’initiative dans l’instauration d’une identité numérique afin que cette mesure soit mise en place plus rapidement et facilement dans toutes les administrations du pays, ce qui permettrait de vérifier et de limiter l’information transmise en ligne et de vérifier l’âge des gens sur le Web?

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Je vous remercie de cette question, et je sais que c’est l’une de vos grandes préoccupations. En effet, lorsqu’il est question d’identité numérique, nous en sommes encore aux balbutiements. Certaines compagnies offrent cette technologie, mais ce n’est pas très commun.

Par ailleurs, il est vrai que si cela devenait une technologie plus commune, il y aurait sans doute moins de crainte face à ce qu’elle permet de faire, c’est-à-dire de contrôler soi-même les informations que l’on transmet à une compagnie ou à une autre.

Vous savez comme moi que de l’information, nous en transmettons beaucoup, et ce, tous les jours. Alors, pourquoi, lorsqu’il est question d’un délai de quelques minutes pour visiter un site pornographique, tout à coup, juge-t-on que les moyens de contrôler l’identité sont énormes, voire trop importants?

Je crois que, à l’heure actuelle, la technologie nous permet d’être relativement sécuritaires quant à ces questions. Comme vous le dites, sénateur Deacon, toutes ces mesures et toute la protection qui les entoure sont prévues par une loi qui vise à réglementer ce qu’on exige de la part des compagnies afin qu’elles effacent ou qu’elles cryptent de l’information. Tout cela peut faire partie de réglementations. Nous en avons maintenant. Cependant, il faut, de toute évidence, les renforcer et s’assurer que le système est à la hauteur du XXIe siècle.

Je tiens à préciser que, si le gouvernement fédéral faisait le moindrement preuve de leadership en matière d’identité numérique, il contribuerait à la mise en œuvre de ce travail, non? Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Sénateur Deacon, vous me mettez les mots dans la bouche.

Il est clair que le gouvernement devrait, en effet, jouer un rôle de leader. Tout comme moi, vous savez qu’un projet de loi sur cette question est mort au Feuilleton. Il est grand temps de reprendre ces efforts, parce que nous avons du retard.

Nous avons du retard sur ces questions de vérification d’âge, parce qu’il est difficile pour les gens de comprendre qu’on peut faire ces vérifications en minimisant toute atteinte à la vie privée.

L’honorable Ratna Omidvar [ - ]

Sénatrice Miville-Dechêne, ma question est davantage de nature politique. Je tiens à vous féliciter pour le travail que vous avez fait au cours de la dernière année, de même que pour l’attention qui a été portée à ce dossier, surtout à MindGeek et à d’autres sites pornographiques. Peut-être que, contrairement à moi, vous connaissez la réponse à cette question : savez-vous si ce sujet figurait dans la plateforme électorale d’un parti politique au cours de la dernière élection?

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

C’est une bonne question, sénatrice Omidvar. Je dois dire que Steven Guilbeault, quand il était ministre du Patrimoine canadien, a publiquement affirmé que c’était un projet de loi intéressant, mais il n’est pas allé plus loin. Comme vous le savez, il était fort occupé avec le projet de loi C-10. Je n’ai donc pas eu l’occasion d’en discuter davantage avec lui.

Je crois que l’une de ses préoccupations était qu’il ne fallait pas nous concentrer sur les sites pornographiques, puisque tous les médias sociaux et l’Internet dans son ensemble contiennent du matériel préjudiciable, mais bien élargir la portée du projet de loi. Évidemment, c’est logique, mais je suis d’avis que, dans le cas d’un projet de loi d’intérêt privé, je ne pouvais pas m’attaquer à l’Internet en entier. C’était trop compliqué. Donc, je me suis concentrée sur les sites pornographiques. Pour être franche, la moitié des adolescents se rendent sur ces sites quand ils veulent voir de la porno. Ce n’est pas comme s’il s’agissait de quelque chose de peu fréquenté.

J’ai le soutien de députés de différents partis politiques. Ce que je trouve extrêmement intéressant dans ce projet de loi, c’est sa nature non partisane. J’ai le soutien de personnes aux allégeances politiques et idéologies variées, car, bien évidemment, tant la féministe que la personne plus conservatrice veulent protéger les enfants et la façon d’y arriver peut être la même. Je crois vraiment que ce soutien est important. Mais, non, il n’y avait rien là-dessus dans les plateformes des partis politiques, et c’est bien triste.

L’honorable David M. Wells [ - ]

Simplement pour faire une mise au point : une personne peut être à la fois féministe et plus conservatrice.

Je comprends l’intention du projet de loi et je suis d’accord. Évidemment, la loi relèverait de la juridiction du Canada. Étant donné le caractère généralisé et la facilité d’utilisation des réseaux privés virtuels, ou RPV, qui masquent l’adresse IP, on peut visiter n’importe quel site sur Internet. Comment aborder le problème?

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Je tiens tout d’abord à dire qu’évidemment, on peut être une personne féministe progressiste ou conservatrice. N’importe qui peut être féministe. Je suis désolée si je ne me suis pas exprimée clairement. Je voulais simplement indiquer à quel point le projet de loi est non partisan et réunit des gens de différents horizons. Par exemple, beaucoup de chrétiens appuient le projet de loi.

Vous posez une excellente question au sujet des réseaux privés virtuels. Les études montrent que, parmi les enfants plus jeunes, moins de 15 % des enfants de 13 ans ont accès à de tels réseaux ou savent comment ils fonctionnent. Pour les enfants plus jeunes, ce ne serait pas un problème de taille, car la plupart d’entre eux tombent par hasard sur du matériel pornographique ou ne savent tout simplement pas comment se servir d’un réseau privé virtuel. Évidemment, c’est un problème avec les adolescents plus âgés, mais le projet de loi ne prétend pas empêcher tout le monde de consommer de la pornographie. C’est comme pour l’achat de cigarettes. Nous savons qu’un enfant peut arriver à s’en procurer ou demander à un garçon plus âgé d’aller en acheter pour lui. Il en va de même pour l’alcool. L’idée consiste à restreindre autant que possible l’accès à la pornographie.

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