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DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS — L'Ukraine

4 mars 2022


L’honorable Julie Miville-Dechêne [ + ]

Je veux à mon tour rendre hommage au valeureux peuple ukrainien, victime d’une invasion meurtrière déclenchée par un dangereux autocrate.

Chaque jour, les images glacent le sang : centrale nucléaire attaquée, villes en ruines, foules silencieuses en larmes et sous le choc qui s’agglutinent dans les gares.

On ne peut que se raccrocher aux signes d’humanité qui réchauffent l’âme. Par exemple, il y a ce médecin québécois du centre hospitalier de Saint-Jérôme, Julien Auger, père de deux enfants, qui s’est porté volontaire pour aller soigner les blessés en Ukraine. « Où cela va s’arrêter si personne ne fait rien? », dit-il au journal La Presse.

Cet autre, surnommé Wali, un ex-soldat du Royal 22e Régiment, a joint les rangs de la Légion internationale de défense territoriale ukrainienne à l’appel du courageux président Zelenski. Wali a laissé derrière lui sa conjointe et son bébé. Je le cite :

Moi, dans ma tête, quand je vois des images de destruction en Ukraine, c’est mon fils que je vois, en danger et qui souffre.

Pendant ce temps, le Québec reçoit une de ses premières réfugiées ukrainiennes. L’histoire d’Anastasia m’a bouleversée. Dans un français chantant, avec une douceur et une retenue étonnante, Anastasia raconte ce qui suit au micro de Radio-Canada :

Je me sens en sécurité, mais je me sens triste. J’ai quelque chose de lourd dans mon cœur, car ma famille est là-bas. Je m’inquiète pour ma famille chaque jour.

Anastasia ne croit pas à une possible trêve. Ses cousins et son oncle sont au front. Sa mère l’a poussée à fuir. Les douaniers montréalais l’ont laissée passer alors qu’elle avait un visa canadien d’étudiante, mais pas d’attestation d’inscription. Anastasia raconte aussi à Radio-Canada :

J’ai vu dans leurs yeux qu’ils comprenaient que je suis venue ici parce qu’il y a la guerre en Ukraine.

Dans l’urgence, Anastasia a choisi Montréal pour continuer sa vie, car elle parle français et anglais.

Il sera désormais possible pour d’autres Ukrainiens de venir se réfugier dans notre grand pays grâce à la nouvelle Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine, annoncée hier. Nous avons tous les moyens nécessaires pour accueillir ces réfugiés.

Je suis également réconfortée par la réponse canadienne et européenne à cette agression sauvage, mais on ne peut que constater avec tristesse le contraste avec l’attitude attentiste de l’Occident face à d’autres conflits, tout aussi sanglants, mais qui ne se déroulent pas en Europe.

Enfin, cette terrible invasion a forcé le Québec à un examen de conscience quant au poids des mots. Nous utilisions encore par habitude l’appellation « Kiev », tirée du russe, sans trop réfléchir au poids politique de ce choix. Cette semaine, quelques médias québécois ont commencé à utiliser l’appellation ukrainienne de la capitale assiégée : Kyiv. Il était temps. L’objectivité journalistique n’est pas en cause.

Longue vie à Kyiv, à l’Ukraine et aux Ukrainiens. J’ai envie de croire au miracle.

Honorables sénateurs, il y a trois ans ce mois-ci, j’étais en Ukraine dans le cadre de l’effort de surveillance des élections présidentielles. Ce fut mon premier et unique voyage dans ce pays remarquable.

Ces dernières semaines, j’ai beaucoup pensé à un des autres parlementaires canadiens qui ont pris part à ce voyage. Mark Warawa était un jeune entrepreneur énergique de 68 ans ainsi que le député de Langley-Aldergrove, en Colombie-Britannique. Il effectuait un autre de ses innombrables voyages pour retrouver ses racines ukrainiennes, et il allait surveiller les bureaux de scrutin dans sa ville ancestrale, Lviv. Il était déterminé à aider les Ukrainiens à créer les conditions propices à leur succès, et son dévouement était contagieux.

J’ai eu plusieurs conversations avec Mark, toutes plus intéressantes les unes que les autres. Il était fermement résolu à soutenir la réforme démocratique et la liberté en Ukraine. Je ne peux imaginer à quel point il aurait le cœur brisé s’il était avec nous aujourd’hui. Mark a écourté son voyage pour des raisons de santé et il a rapidement découvert qu’il était atteint d’un cancer du pancréas. Il est décédé trois mois après son retour. La mort soudaine de Mark Warawa a bouleversé sa famille, ses amis, ses concitoyens et ses collègues, tout comme les événements des deux dernières semaines nous ont tous bouleversés.

Je n’avais aucun lien avec l’Ukraine avant ce voyage, mais j’ai été immédiatement inspiré. L’espoir était partout, et le processus électoral et le taux de participation étaient impressionnants.

Tout le monde craignait une intervention russe visant à perturber les élections. Déjà à l’époque, la désinformation russe cherchait à jeter le discrédit sur le processus électoral au moyen de la rhétorique de l’État fantôme défaillant dirigé par des fascistes, des paroles que nous connaissons que trop bien aujourd’hui. La Commission électorale centrale d’Ukraine était sous la menace de cyberattaques répétées, un autre thème récurrent.

Ayant comme point départ Kiev, je me suis déplacé vers l’est avec un député suédois, accompagnés de notre chauffeur et de notre interprète. Les bureaux de scrutin se trouvaient souvent dans des écoles et étaient administrés par des femmes extraordinairement fortes, dévouées et disciplinées. Elles nous ont épatés par leur professionnalisme et leur détermination à empêcher tout événement inapproprié dans leurs bureaux. Leur présence dans un bureau de scrutin de ma collectivité me rassurerait.

Dans l’un des villages, nous avons rencontré deux aînées qui portaient des foulards. Elles avaient parcouru plusieurs kilomètres à pied pour aller voter au bureau de scrutin. En fait, elles n’avaient pas réellement marché, elles s’y étaient rendues d’un pas traînant. Je leur ai fait un commentaire sur leur dévouement, et elles m’ont regardé comme si j’étais un idiot. Je me suis aussitôt senti comme tel. Elles ont simplement répondu qu’elles étaient allées à la maternelle ensemble sous le régime soviétique de Staline. Il n’y avait rien à ajouter. Elles ne connaissaient que trop bien ce qu’était un monde sans démocratie. Je ne peux imaginer comment ces deux femmes se sentent aujourd’hui. Une chose me donne toutefois espoir : les Ukrainiens sont extrêmement courageux et ont un cœur énorme. Nous devons plus que jamais les appuyer. Merci, chers collègues.

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