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La Loi sur l'Agence du revenu du Canada

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Ajournement du débat

23 novembre 2023


L’honorable Percy E. Downe [ - ]

Propose que le projet de loi S-258, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé), soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, passons maintenant à quelque chose de complètement différent. Je remercie le président du Comité des finances nationales, le sénateur Mockler, ainsi que les membres du comité — le sénateur Dagenais, le sénateur Forest, la sénatrice Galvez, le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice MacAdam, la sénatrice Marshall, la sénatrice Pate, la sénatrice Petten et le sénateur Smith — de l’étude qu’ils ont menée sur le projet de loi que j’ai présenté. C’est la deuxième fois que le comité l’examinait et je suis heureux de constater qu’en plus de l’amélioration qu’ils ont apportée la dernière fois, leur appui au projet de loi demeure inchangé.

Je remercie tout particulièrement la sénatrice Marshall, qui appuie depuis longtemps la lutte contre l’évasion fiscale à l’étranger. Elle a fait preuve d’un leadership remarquable sur toutes les questions financières soumises au Sénat.

Il semblerait, chers collègues, que cet appui ou, du moins, l’appui à la mesure du manque à gagner fiscal, soit à la hausse. Dans son témoignage au Comité des finances nationales, un représentant de l’Agence du revenu du Canada a parlé avec enthousiasme du travail de l’agence sur le manque à gagner fiscal. En réalité, à entendre l’agence parler de son travail, on pourrait penser qu’elle supplie le gouvernement depuis des années de mesurer le manque à gagner fiscal et quelqu’un l’a enfin laissée réaliser son rêve. Je dois dire que mes souvenirs de la dernière décennie sont très différents.

En tant que personne qui, selon un journaliste, préconise cette approche depuis longtemps, je trouve le nouvel enthousiasme de l’Agence du revenu du Canada pour mesurer l’écart fiscal plutôt surprenant. Mieux vaut tard que jamais, mais l’expérience m’incite à prendre avec un grain de sel toute déclaration de l’Agence du revenu du Canada sur ses réalisations passées ou ses intentions.

Si nous avons besoin de ce projet de loi, c’est pour forcer l’Agence du revenu du Canada à faire ce qui s’impose et à rendre des comptes aux Canadiens. Malheureusement, si l’on se fie à ses antécédents, on ne peut pas croire ses déclarations publiques.

Chers collègues, il serait très facile pour moi de prendre la parole au Sénat pour énumérer une kyrielle d’occasions où les déclarations et les affirmations de l’Agence du revenu du Canada n’ont pas résisté à un examen minutieux. Par conséquent, chers collègues, c’est ce que nous ferons.

L’Agence du revenu du Canada a affirmé que 90 % des appels à ses centres d’appels étaient traités avec succès et acheminés à un agent ou au service téléphonique automatisé. Le vérificateur général du Canada a examiné cette affirmation, et il s’est avéré que l’Agence du revenu du Canada avait atteint ce taux de réussite apparemment impressionnant en bloquant 29 millions des 53 millions d’appels reçus et en excluant ces appels bloqués du calcul. En d’autres termes, les gens appelaient le centre d’appels de l’Agence du revenu du Canada, puis, après un certain temps, leur appel était tout simplement interrompu.

En tenant compte des appels bloqués et d’autres facteurs, le vérificateur général a conclu que « le taux de succès global de l’agence était de 36 % ».

L’ARC affirme aussi, par exemple, qu’au fil des ans, 80 % des demandes de crédit d’impôt pour personnes handicapées ayant été présentées par des Canadiens atteints de diabète ont été approuvées. Toutefois, en 2017, les défenseurs des personnes handicapées ont remarqué que presque toutes les demandes précédemment approuvées étaient désormais rejetées. L’Agence du revenu a publiquement affirmé qu’aucun changement n’avait été apporté aux critères d’admissibilité, mais selon des documents obtenus par Diabète Canada, un courriel de l’ARC daté du 2 mai 2017 remplace ces critères par « une nouvelle variable ». En effet, les demandes des diabétiques qui étaient auparavant admissibles au crédit d’impôt pour personnes handicapées étaient maintenant rejetées. Lorsqu’elle a été confrontée aux preuves de sa déclaration trompeuse, l’ARC a fait marche arrière.

Honorables collègues, dans une autre déclaration, l’ARC a affirmé avoir mis sur pied une équipe chargée de s’attaquer, à temps plein, au non-respect des règles à l’étranger, ce qui donnait l’impression qu’il s’agissait d’une nouvelle équipe, donc d’une ressource supplémentaire dans la lutte contre l’évasion fiscale. Toutefois, dans la réponse à une question écrite au Sénat, nous avons appris que la Direction générale du secteur international, des grandes entreprises et des enquêtes était le produit d’une réorganisation d’actifs existants au sein de l’ARC et qu’elle n’avait « nécessité aucune augmentation ni aucun transfert de ressources ». Autrement dit, des personnes travaillant déjà pour l’agence ont simplement été mutées dans une autre partie de l’agence, sans financement additionnel.

Une allégation d’un autre genre s’est ensuite fait entendre. En février et mars 2017, partout au Canada, des articles vantant le travail de l’Agence du revenu du Canada ont été publiés dans les journaux et en ligne. « Des programmes fédéraux pour lutter contre l’évitement fiscal et l’évasion fiscale », « Le Canada s’attaque à l’évasion fiscale et à l’évitement fiscal agressif », voilà le genre de titres qu’on pouvait lire.

J’ai bien sûr remarqué ces articles et je les ai lus avec beaucoup d’intérêt, car tout ceci était nouveau pour moi. Jamais l’ARC n’avait eu aussi bonne presse. J’ai alors fait inscrire une question au Feuilleton du Sénat et j’ai appris des années plus tard que l’ARC, faisant sien l’adage qui dit que, quand personne ne veut nous louanger, il suffit de payer quelqu’un pour le faire, a déboursé 300 000 $ pour publier du contenu commandité dans six journaux imprimés et électroniques du pays. Voilà ce que j’appelle de la fausse nouvelle, chers collègues, ou je ne m’y connais pas.

C’est bien sûr sans parler de l’écart entre les sommes que l’ARC disait à qui voulait l’entendre qu’elle avait retrouvées et celles qu’elle avait effectivement recouvrées — parlez-en aux membres du Comité sénatorial permanent des finances nationales qui ont étudié le projet de loi S-258. Quand la sénatrice Pate a voulu connaître la teneur des évaluations réalisées par l’ARC dans la foulée des Panama Papers, des Paradise Papers et des Pandora Papers et le montant réellement récupéré, voici ce que l’agence lui a répondu par écrit :

[E]n date du 31 mars 2023, les audits ont évalué les sommes dues à :

Panama Papers : 77 000 000 $.

Paradise Papers : 1 800 000 $

Pandora Papers : Néant.

Alors, chers collègues, on a maintenant une bonne idée du fardeau que l’évasion fiscale fait porter aux Canadiens.

Cependant, en réponse à la question directe de la sénatrice Pate sur les sommes perçues, l’agence a répondu, et je cite :

L’ARC ne fait pas le suivi des paiements en fonction de redressements spécifiques au compte tels qu’une vérification, puisque ses systèmes imputent les paiements au solde cumulatif impayé du contribuable pour chaque année d’imposition, qui peuvent donc comprendre plusieurs évaluations, réévaluations, par exemple des vérifications de différents types et d’autres redressements.

Eh bien, chers collègues, cela clarifie les choses. Vraiment, on ne sait trop s’il faut rire ou pleurer avec une réponse comme celle-là.

D’autres pays ont récupéré des centaines de millions de dollars en impôts. Par exemple, l’Islande, un pays cité dans les Panama Papers, a perçu plus de 25 millions de dollars, et d’autres pays ont récupéré des sommes pouvant atteindre des milliards de dollars à la suite de ces fuites de renseignements fiscaux, mais au Canada, nous ne savons pas si nous avons récupéré un cent ou si nous faisons encore des vérifications. Nous ne savons pas si des sommes ont été perçues.

Les antécédents de fausses déclarations et de réponses évasives de l’Agence du revenu du Canada expliquent pourquoi j’ai prévu dans mon projet de loi des éléments qui obligent l’agence à continuer de mesurer le manque à gagner fiscal ainsi qu’à collaborer avec le directeur parlementaire du budget pour faciliter son examen indépendant. C’est une bonne chose que l’ARC mesure son propre rendement, mais ce n’est pas suffisant. Comme le disait Ronald Reagan, « faisons confiance, mais vérifions ». Dans le cas de l’Agence du revenu du Canada, il faut insister sur la partie « vérifions ».

Chers collègues, comme je l’ai dit à l’étape de la deuxième lecture, c’est la troisième fois que je présente ce projet de loi au Sénat. Je vous remercie de l’appui que vous lui avez déjà donné et je vous demande de le renouveler encore une fois. Qui sait? Les deux Chambres jugeront peut-être bon, cette fois-ci, d’adopter cette mesure législative pour que l’Agence du revenu du Canada fasse enfin preuve, comme il se doit, de responsabilité et de transparence à l’égard des Canadiens.

Je demande donc aux députés de se rallier au Sénat pour adopter cette mesure législative et lutter contre l’évasion fiscale.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Downe?

Le sénateur Downe [ - ]

Oui.

Merci, sénateur Downe. Que répond l’ARC aux Canadiens qui donnent suite à ses demandes en faisant des déclarations vagues ou erronées?

Le sénateur Downe [ - ]

D’après ce que je comprends, les règles sont un peu différentes. Je tiens à préciser que l’Agence du revenu du Canada fait un travail remarquable pour l’évasion fiscale commise au pays. Si vous êtes menuisier au Nouveau-Brunswick, si vous êtes serveuse en Saskatchewan, si vous êtes avocat à Vancouver et que vous essayez de frauder le fisc, vous risquez fort de vous faire prendre.

La faiblesse de l’agence est qu’elle n’a pas de capacité pour gérer l’évasion fiscale à l’étranger, qu’elle comprend peu. Cela remonte à 11 ou 12 ans, lorsqu’une fuite provenant d’une banque au Liechtenstein a révélé que plus de 100 Canadiens y détenaient des comptes dont les soldes s’élevaient à des centaines de millions de dollars. Personne n’a été inculpé pour cela. La position de l’Agence du revenu du Canada, après la publication de toutes les informations, était qu’elle était en train d’apprendre comment les choses fonctionnaient afin de pouvoir attraper les gens à l’avenir. Eh bien, cela n’a pas tenu la route, car après cela, il y a eu les fuites au Panama, et la liste ne s’arrête pas là.

Des Canadiens étaient clients de ces banques, ou de ces cabinets d’avocats dans le cas du Panama. Comme on le sait, il n’est pas illégal d’avoir un compte à l’étranger. Ce qui est illégal, c’est de ne pas déclarer le produit de ce compte. Peut-être qu’un habitant du Liechtenstein était en vacances et a décidé d’ouvrir un compte dans un paradis fiscal, ou peut-être qu’il essayait d’escroquer les Canadiens.

Comme nous le savons tous, à Ottawa, lorsqu’un sénateur a une proposition à faire, il y a deux réponses : « C’est une merveilleuse suggestion » et « Comment allons-nous la payer? » Eh bien, nous allons la payer en recouvrant les milliards de dollars dus au gouvernement canadien et qui, selon le directeur parlementaire du budget, n’ont pas été perçus par notre agence du revenu.

Pour la gouverne des Canadiens, le manque à gagner fiscal mesure la différence entre ce que l’Agence du revenu du Canada perçoit et ce qu’elle devrait percevoir. Il permet d’évaluer l’efficacité de l’agence et de déterminer si elle fait du bon travail. Je ne le pense pas, mais cette information nous permettrait de le savoir avec certitude.

Merci.

L’honorable Elizabeth Marshall [ - ]

Merci, sénateur Downe, de vos observations. Je me souviens de chacun des incidents dont vous avez parlé alors je vais donner mon opinion.

Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-258, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada. Je serai brève, mais permettez-moi de formuler quelques observations.

Dès sa conception, le projet de loi S-258 avait pour objectif de combler une lacune fondamentale dans notre compréhension et notre gestion du manque à gagner fiscal, soit l’écart entre l’impôt qui a été perçu et l’impôt qui aurait dû être perçu.

Le projet de loi n’est pas qu’une affaire de chiffres; il concerne l’équité, la transparence et le renforcement d’un régime fiscal équitable pour tous les Canadiens. Ce sont des objectifs louables et le projet de loi S-258 comporte trois mesures visant à nous aider à les atteindre.

Premièrement, le projet de loi S-258 exige de l’Agence du revenu du Canada qu’elle produise une liste détaillée de toutes les condamnations pour évasion fiscale, dont une pour l’évasion fiscale internationale, dans le rapport annuel qu’elle soumet au ministre du Revenu national. Cette exigence a pour objectif d’accroître la transparence, mais aussi de servir de moyen de dissuasion en renforçant le message selon lequel l’évasion fiscale est un crime grave entraînant des conséquences réelles.

Dans les témoignages entendus au Comité sénatorial des finances, la valeur de ce moyen de dissuasion a été soulignée par les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada et par le directeur parlementaire du budget. Ce dernier a indiqué que :

Publier la liste des condamnations pour évasion fiscale dans le rapport annuel serait une occasion de plus de rappeler les conséquences de l’évasion fiscale internationale, en donnant un peu de contexte, évidemment. Cela pourrait avoir un effet dissuasif additionnel au-delà de ce qui se fait déjà.

Deuxièmement, ce projet de loi ajoute une exigence selon laquelle l’Agence du revenu du Canada doit, tous les trois ans, inclure dans son rapport les statistiques sur le manque à gagner fiscal. Il s’agit là d’un geste déterminant vers une plus grande reddition de comptes, qui permet aux parlementaires et au public de mesurer l’efficacité de notre régime fiscal ainsi que les efforts de l’agence en matière de recouvrement d’impôt et d’observation des règles fiscales. Nous obtiendrons ainsi des données qui nous permettront de prendre des décisions éclairées en matière de politiques fiscales et d’affectation des ressources.

Ce cycle de présentation de rapports tous les trois ans est le résultat d’un amendement apporté à une version antérieure du projet de loi. Des représentants de l’Agence du revenu du Canada avaient dit craindre qu’il devienne coûteux de produire des rapports annuels. À l’heure actuelle, le Royaume-Uni produit chaque année un rapport sur son manque à gagner fiscal. Les représentants de l’ARC ont dit qu’ils produisent de tels rapports depuis près de 20 ans, soit depuis 2005. L’ARC a confirmé que l’échéancier de trois ans est parfaitement réalisable et qu’il s’agit de la norme internationale par excellence.

Troisièmement, le texte précise que le ministre doit fournir des statistiques sur le manque à gagner fiscal au directeur parlementaire du budget. En plus de garantir une évaluation indépendante de ce manque à gagner, cette disposition rendra les données plus crédibles et nous permettra de mieux comprendre les obstacles au respect des règles fiscales. Il s’agit d’un élément clé du projet de loi. Le directeur parlementaire du budget fournit des évaluations de coût et des analyses financières indépendantes au Parlement, ce qui permet de rehausser le niveau des débats parlementaires, en plus de favoriser la transparence et la reddition de comptes.

Le directeur parlementaire du budget a déjà eu du mal à obtenir l’information dont il avait besoin pour évaluer l’ampleur du manque à gagner fiscal. Le projet de loi S-258 permettra de remédier à la situation.

Je signale que l’évasion fiscale a de nombreuses répercussions sur la société. Ces répercussions vont au-delà des seules recettes perdues, elles minent l’intégrité du régime fiscal et la confiance du public envers ce même régime. À cause de l’évasion fiscale, le public se demande si le système est juste. Quand un particulier ou une société se soustraient à l’impôt, ils refilent la facture aux contribuables honnêtes et privent l’État de l’argent dont il a besoin pour financer les services publics essentiels. Ce mélange peut créer un sentiment d’injustice et affaiblir le contrat social entre les citoyens et l’État.

Le projet de loi S-258 ne prétend pas résoudre tous les problèmes que cause l’évasion fiscale ou qu’éprouve l’Agence du revenu du Canada. Il constitue néanmoins une avancée de taille en ce qu’il permettra de rendre le régime fiscal plus transparent et de renforcer les efforts collectifs de lutte contre l’évasion fiscale. Bref, il pavera la voie à de meilleures politiques publiques et à une meilleure affectation des ressources.

En terminant, honorables sénateurs, je vous prie de tenir compte des retombées de ce projet de loi, qui en plus de faciliter la collecte des recettes fiscales, favorisera le respect des règles et rendra le régime fiscal plus juste. Merci d’appuyer le projet de loi S-258.

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