Aller au contenu

Projet de loi sur le réseau de digues de l'isthme de Chignecto

Troisième lecture--Débat

11 juin 2024


L’honorable Jim Quinn [ - ]

Propose que le projet de loi S-273, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-273, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada.

Avant toute chose, je tiens à remercier les nombreux témoins ainsi que mes collègues du Comité des transports et des communications. Leur contribution et leurs questions ont mené aux amendements que j’ai proposés et dont le président du comité a fait rapport la semaine dernière. Je crois que ces amendements tiennent compte des commentaires reçus et viennent renforcer le projet de loi.

Cela dit, avant de commencer à discuter des aspects passionnants de la Constitution ou de commenter la déclaration faite par le sénateur Cotter en deuxième lecture, selon laquelle l’expression anglaise « Chignecto Isthmus » est extrêmement difficile à prononcer — j’ajouterais qu’elle est aussi difficile à écrire correctement —, je vais vous parler de ce qu’est vraiment ce projet de loi et de ce qu’il n’est pas.

Ce projet de loi ne concerne pas directement l’argent; après tout, la Constitution limite notre capacité de présenter des mesures financières en tant que sénateurs. En fait, il porte plutôt sur l’équité et la compréhension. Il s’agit de représenter un enjeu régional qui, autrement, ne se rendrait peut-être pas jusqu’au système parlementaire du pays. Il s’agit de faire notre travail, puisque chacun de nous représente une région du Canada. La grande majorité d’entre nous le fait d’ailleurs à titre de sénateur indépendant, une réalité qui pourrait surprendre les Pères de la Confédération alors que notre institution poursuit sa modernisation.

Voilà des concepts simples que je n’arrive pas à croire que j’ai le privilège de souligner pour vous, car ils sont d’une importance fondamentale.

Chers collègues, pour être franc avec vous, c’est avec humilité que je me présente devant vous au Sénat du Canada. Il est vrai que sans un coup du sort dû à un accident survenu alors que je servais à bord d’un navire de la Garde côtière canadienne à l’âge de 21 ans, je ne serais peut-être pas ici — veuillez retenir vos applaudissements. Cet accident a tout changé pour moi. Je me suis retrouvé à la croisée des chemins, sauf que dans ce cas-ci, un panneau indiquait une direction que je savais que je suivrais un jour, m’éloignant ainsi de mon objectif de vie, qui était de devenir pilote de port à Saint John, ma ville natale au Nouveau-Brunswick, tout comme mon père, mon oncle et les générations qui m’ont précédé. Ce que je prévoyais faire de ma vie — probablement comme la plupart de mes honorables collègues avec lesquels j’ai le plaisir de servir au Sénat aujourd’hui — ne m’aurait jamais permis de croire que je me retrouverais ici un jour.

J’ai grandi dans un quartier pauvre de Saint John, aux abords du port. Je sais ce que signifie le fait de venir non seulement d’une région qui offre peu de débouchés, mais aussi d’une famille qui aurait dû me procurer peu de débouchés dans la vie. Mes frères et sœurs et moi avons eu la chance d’avoir des parents qui nous ont orientés vers le travail, la décence, la compassion et, surtout, l’éducation. Notre mère tenait d’une main ferme le timon de nos vies, veillant du mieux qu’elle pouvait à ce que nous évitions les ennuis. Croyez-moi, dans mon cas, quand je regarde en arrière, je constate que ma mère devait tenir le timon de ma vie à deux mains plutôt qu’une.

Nous avons tous travaillé fort parce que nous savions que nous voulions donner le meilleur de nous-mêmes. Nous savions qu’il fallait des ressources pour réaliser notre rêve de poursuivre des études supérieures, de fréquenter l’Université du Nouveau-Brunswick, l’Université St. Francis Xavier, l’Université Dalhousie ou l’école de sciences infirmières. J’ai cinq sœurs et un frère — trois sont médecins et trois œuvrent dans le domaine des soins infirmiers —, puis il y a moi.

J’ai commencé mes études postsecondaires dans le volet prémédical de l’Université Dalhousie et, même si j’ai terminé ces études, je savais que j’étais destiné à sillonner la mer. Je ne parle pas de mes anciennes fonctions de PDG de Port Saint John. Ce que je veux dire par là, c’est tout simplement que j’étais destiné à être marin, à piloter des navires de Saint John vers d’autres ports d’escale dans le Canada atlantique, dans l’hémisphère occidental et dans le monde entier.

Bien que cette histoire ne soit pas unique parmi les familles de notre grand pays, je vous la raconte parce qu’elle symbolise — pour moi — le fait que nous, les habitants des Maritimes, devons travailler plus fort que la moyenne pour être vus et entendus.

L’emplacement stratégique de l’isthme de Chignecto est bien connu des marins. En fait, l’un des premiers débats tenus à la Chambre, en 1867, portait sur la création d’un canal entre la baie de Fundy et le détroit de Northumberland dans le but de réduire les délais d’expédition. Comme l’a dit le sénateur Frank Black du Nouveau-Brunswick en 1929, le projet du canal de Chignecto était le plus ancien projet de canal en Amérique du Nord. La première route jamais construite en Amérique du Nord se trouvait dans cette région. Déjà en 1686, un canal traversant l’isthme de Chignecto avait été recommandé par le gouvernement français.

En 1868, le gouvernement du Canada s’est informé au sujet de la construction d’un canal le long de l’isthme et a recommandé que le canal soit d’une importance vitale pour le développement du commerce intercolonial au pays. En 1870, la commission fédérale a déclaré que la construction du canal de la baie Verte est intimement liée à la croissance du commerce intercolonial.

Aujourd’hui, on l’appelle le canal de Chignecto.

La commission fédérale a poursuivi ainsi :

Les chambres de commerce de toutes les grandes villes du Canada ont clairement souligné les avantages qui doivent en découler, non seulement pour le Dominion dans son ensemble, mais aussi pour le commerce des provinces maritimes. Un tel canal réduirait de 500 milles la route de navigation entre Montréal et Saint John. De toute évidence, il s’agit d’une question d’importance nationale.

On pense souvent que le chemin de fer Intercolonial est au cœur de l’adhésion des provinces maritimes à la Confédération. C’est ce même chemin de fer qui traverse l’isthme de Chignecto, aujourd’hui protégé par une série de digues et d’aboiteaux construits par les Acadiens dans les années 1600 pour contrôler les marées les plus hautes du monde, créer des terres agricoles et protéger les gens et les collectivités.

Cependant, lors des débats sur la Confédération à la Conférence de Québec en 1864, les délégués du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse ont insisté sur l’importance de la construction de ce canal comme condition à leur adhésion à la Confédération. Malheureusement, sénateurs, en raison de la dépression financière et de l’influence décroissante des Maritimes, ce canal n’a pas été construit même si le Parlement avait adopté, grâce au pouvoir déclaratoire, un projet de création d’un chemin de fer maritime à Chignecto pour transporter les navires à travers l’isthme. Malheureusement, ce projet n’a lui non plus jamais vu le jour.

Chers collègues, ayant été marin dans ma jeunesse, je peux confirmer que l’isthme de Chignecto est d’importance nationale et que, si un canal avait été construit, il aurait transformé l’économie des Maritimes. Au lieu de cela, nous avons le chemin de fer Intercolonial — la ligne principale du CN dans sa forme actuelle — ainsi que la Transcanadienne, qui relie le Canada à la Nouvelle-Écosse et au port d’Halifax en passant par le Nouveau-Brunswick.

Honorables sénateurs, un accident m’a dévié de ma voie, comme je l’ai mentionné plus tôt, et, pour paraphraser Stan Rogers, je me suis retrouvé dans une situation où je ne pouvais plus prendre la mer. J’ai dû m’en tenir à du travail de bureau. Je me suis joint au quartier général de la Garde côtière canadienne, à Ottawa. C’est à cette époque que je me suis posé une question qui ne surprendra aucun de mes collègues du Canada atlantique : « Est-ce qu’Ottawa comprend vraiment la réalité de l’Est du Canada? »

Relégué à du travail de bureau, j’étais hanté par cette question fondamentale. J’y ai trouvé la motivation nécessaire pour gravir les échelons de la fonction publique en n’oubliant jamais mes racines et en aidant mes collègues d’Ottawa à comprendre la réalité des Maritimes. De plus, je voulais faire tout mon possible pour veiller à ce que les décisions soient prises de façon juste et équitable pour cette région.

Chers collègues, pourquoi est-ce si difficile d’appliquer des principes simples comme l’équité et la compréhension à l’égard des habitants des Maritimes et de Terre-Neuve, au point où ceux-ci doivent hausser le ton pour se faire entendre? Il semble que, à presque toutes les occasions, le gouvernement fédéral ferme les yeux sur les difficultés de la côte Est ou impose des montagnes à escalader aux populations des Maritimes avant qu’elles puissent peut-être se faire entendre et soutenir.

Je pars de la prémisse que l’influence des Maritimes a diminué depuis la Confédération en raison du facteur de motivation le plus important pour un gouvernement : le nombre de sièges à la Chambre des communes. Un plus grand nombre de sièges fait en sorte que l’on peut faire comprendre les préoccupations d’une région plus facilement, ce qui suscite la compréhension implicite de l’équité pour la région.

Sénateurs, les Maritimes sont la seule région du Canada à avoir perdu beaucoup de sièges depuis la Confédération. En 1867, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick comptaient respectivement 19 et 15 sièges. En 1872, ces chiffres sont passés à 21 et à 16 sièges, avant de diminuer à 11 et 10 sièges aujourd’hui.

L’Île-du-Prince-Édouard, en revanche, a d’abord refusé d’adhérer à la Confédération, notamment parce qu’elle craignait que son influence ne soit affectée par les grandes provinces. Les conditions de l’union de 1873 entre le Dominion du Canada et l’Île-du-Prince-Édouard comprenaient la promesse de deux députés pour les trois comtés de la province, ce qui veut dire, sénateurs, qu’en 1873, l’Île‑du-Prince-Édouard comptait six députés. Toutefois, en 1913, l’île ne comptait plus que trois députés.

Encore une fois, je souligne que les Maritimes sont passées de 43 sièges en 1843 à 25 sièges de nos jours.

Cette inégalité a donné lieu à une modification de la Constitution, connue sous le nom de règle du « seuil sénatorial », selon laquelle aucune province ne peut avoir moins de députés que de sénateurs, ce qui explique pourquoi l’Île-du-Prince-Édouard a 4 députés et le Nouveau-Brunswick n’en a que 10 aujourd’hui.

Chers collègues, rappelez-vous des mots « équité » et « compréhension ». À l’époque où l’on a proposé d’instaurer la règle du seuil sénatorial, le premier ministre, sir Robert Borden, et le chef de l’opposition, sir Wilfrid Laurier, l’ont tous deux qualifiée de « compromis équitable ». Toutefois, l’histoire n’est pas si simple que cela. Mes collègues de l’Île-du-Prince-Édouard étaient d’avis que la province avait droit à six sièges. Le sénateur Benjamin Prowse, de l’Île-du-Prince-Édouard, a exprimé sa frustration quant à la diminution de l’influence de la province dans le cadre du débat relatif à la disposition de seuil sénatorial.

Il a déclaré :

Je parle au nom du gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard et du peuple que je représente lorsque je dis que nous n’acceptons pas et n’accepterons pas ce règlement de notre revendication en ce qui concerne la représentation de l’Île‑du‑Prince-Édouard. Nos prédécesseurs, les Pères de la Confédération, se sont battus pendant six longues années pour que nous ayons six représentants, jusqu’à ce que le Dominion du Canada vienne sur la petite île avec le drapeau blanc et concède ces six membres. Aujourd’hui, le gouvernement a reconnu nos revendications en nous accordant quatre sièges, alors que nous n’en avons droit qu’à trois. Nous ne venons pas ici comme des serfs de la petite province sous prétexte de pauvreté ou d’être une petite province. Nous venons ici d’homme à homme, égaux à toute autre partie du Dominion du Canada, revendiquant nos justes droits. Nous ne demandons pas de faveurs; nous ne voulons pas de faveurs, mais nous exigeons les droits qui nous ont été concédés au moment de la Confédération.

Chers sénateurs, les sièges actuels dans les Maritimes représentent un « compromis équitable ». Cependant, il existe une deuxième clause relative à l’attribution des sièges à la Chambre des communes qui est résolument injuste. À l’origine, la clause de droits acquis stipulait qu’aucune province ne pouvait avoir moins de sièges qu’elle n’en avait en 1986. On a ensuite modifié cette clause afin que chaque province n’ait pas moins de sièges qu’en 2019. Par conséquent, les autres provinces ne peuvent plus perdre de sièges, ce qui signifie qu’elles ne se retrouveront pas dans la même situation que les Maritimes, c’est-à-dire avec moins d’influence, et qu’elles auront tout simplement une voix plus forte.

Le « compromis raisonnable » aurait-il été vraiment raisonnable si les gens des Maritimes avaient su que, dans l’avenir, d’autres régions ne verraient pas le nombre de leurs sièges être réduit?

Sénateurs, je soulève la question de la démographie électorale pour indiquer que les Maritimes doivent continuellement et bruyamment revendiquer des choses qui sont considérées comme allant de soi dans d’autres provinces. Comme je l’ai dit, en tant qu’individus et en tant que région, nous devons toujours redoubler d’efforts pour nous faire entendre.

Je soulignerai le grand soutien dont bénéficie ce projet de loi dans le Canada atlantique, ce qui souligne également l’importance de l’adoption de ce projet de loi d’intérêt public du Sénat, afin qu’il puisse être transmis à la Chambre élue pour qu’elle l’examine.

J’en arrive donc à parler de ce qui est au cœur du projet de loi S-273. Ce sont les sénatrices Clement et Dasko qui ont le mieux expliqué la situation au comité en disant que ce projet de loi et l’avis de la cour connexe découlent de l’échec des négociations entre le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et le gouvernement du Canada. Ce projet de loi fait plusieurs choses. En plus de faire appel au pouvoir déclaratoire, il offre un moyen politique pour indiquer aux députés de la Chambre des communes et au gouvernement qu’il faut mettre fin au statu quo, ce qui pourrait contribuer à relancer les négociations.

Honorables collègues, ce qu’on a retenu de nos délibérations en comité et de ce qui a été révélé publiquement, c’est que le premier ministre de ma province, le Nouveau-Brunswick, insiste pour que le projet soit entièrement payé par le gouvernement fédéral. Le projet de loi à l’étude aujourd’hui, qui propose de faire appel au pouvoir déclaratoire, n’oblige pas le gouvernement fédéral à assumer tous les coûts. Il ne l’oblige pas à faire quoi que ce soit contre son gré. Aujourd’hui, il est question d’une entente de financement à parts égales, ce qui constitue la limite approuvée par le Conseil du Trésor pour le Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes.

Je parle de déterminer la façon dont nous pourrions relancer les négociations de façon équitable, comme nous l’avons observé dans la récente annonce d’un financement de 1 milliard de dollars pour le pont de Québec, qui relève actuellement de la compétence fédérale en vertu du pouvoir déclaratoire. Cela nous rappelle que le Canada s’engage à couvrir 60 % des coûts — et non 50 % —, le CN fournissant 15 %; et le Québec, les 25 % restants. Je pense qu’il est possible de poursuivre les négociations. Que le gouvernement fédéral demande aux utilisateurs du secteur privé du pont de Québec de contribuer nous montre qu’il peut y avoir des moyens créatifs de limiter les dépenses des deux ordres de gouvernement, tout en s’assurant que les entités privées qui ont un intérêt direct dans l’utilisation d’un corridor de transport essentiel paient également. Ce n’est pas à moi de négocier : c’est au gouvernement fédéral de prendre cela en considération si le pouvoir déclaratoire est invoqué par le Parlement.

Le pouvoir déclaratoire place le réseau de digues de l’isthme de Chignecto sous la responsabilité du gouvernement fédéral, ce qui signifie qu’il est différent, du point de vue des programmes, d’autres infrastructures essentielles. Il ne serait pas différent du pont Gordie-Howe ou du pont Champlain. Je veux dire que le pouvoir déclaratoire nous montre que l’envergure du projet de 650 millions de dollars que constitue le réseau de digues de l’isthme de Chignecto ne correspond pas à la portée du Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes, où les projets de grande envergure commencent à 20 millions de dollars et où les projets comme celui de l’isthme ne peuvent être négociés, comme je l’ai dit, qu’à parts égales, parce que c’est l’autorité dont dispose le Conseil du Trésor dans le cadre de ce programme pour les projets tels que celui de l’isthme.

Une fois encore, comme en témoigne l’exemple de 1886 d’utilisation du pouvoir déclaratoire pour bâtir des digues à Montréal, l’utilisation du pouvoir déclaratoire n’oblige pas le gouvernement du Canada à financer un projet, mais c’est un point de départ utile pour entamer des négociations.

Chers collègues, je crois comprendre que certains se demandent peut-être si le pouvoir déclaratoire est l’outil approprié dans ce cas‑ci. C’est tout à fait le cas.

Je rejette l’idée que le réseau de digues puisse être considéré exclusivement comme un seul ouvrage continu qui s’étend au-delà d’une seule province. Les gens des Maritimes aiment s’entraider, et la collaboration entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse afin de construire une série intégrée de digues visant à protéger l’ensemble de la zone est un bel exemple de collaboration interprovinciale. Cependant, le Nouveau-Brunswick, par exemple, n’a aucune obligation légale de le faire. Il pourrait facilement réparer les digues du côté néo-brunswickois de la frontière interprovinciale sur la rivière Musquash — qui sépare la Nouvelle‑Écosse et le Nouveau-Brunswick, en travers de l’isthme —, ce qui entraînerait une inondation de la Nouvelle-Écosse. Les provinces collaborent parce qu’elles comprennent qu’il est important de ne pas avoir une vision qui se limite à la province et que ce projet est dans l’intérêt national étant donné la nature critique des infrastructures de transport et de communication et les principes essentiels de la protection des terres agricoles et des écosystèmes uniques. L’importance du patrimoine et de la zone culturelle pour nos citoyens mi’kmaqs et acadiens n’est pas moins grande.

En outre, le pouvoir déclaratoire s’applique au pont Gordie Howe, qui, puisqu’il est relié au Michigan, n’est pas entièrement situé dans la province de l’Ontario. Cela n’invalide pas son utilisation.

Oui, honorables sénateurs, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a été saisie d’un renvoi visant à répondre à cette question : l’infrastructure qui protège les liens interprovinciaux de transport, de commerce et de communication à travers l’isthme de Chignecto relève-t-elle de la compétence législative exclusive du Parlement du Canada? Il s’agit pour la cour d’établir la portée de l’alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867. Cependant, cela ne nous empêche pas, en tant que parlementaires, de prendre des mesures en invoquant le pouvoir déclaratoire prévu à l’alinéa 92(10)c).

Les tribunaux et les témoins reçus par le comité ont été clairs : il revient exclusivement au Parlement de déterminer si des travaux sont pour l’avantage général du Canada. J’ajouterais que, si le projet de loi à l’étude est adopté rapidement, les tribunaux n’auront plus à statuer au sujet de l’alinéa 92(10)a). C’est donc dire que le projet de loi S-273 répond parfaitement aux questions relatives à l’isthme de Chignecto sans présenter le risque de répercussions juridiques imprévues susceptibles de découler d’un renvoi. Il offre une solution négociée par le politique au lieu d’une décision imposée par le juridique.

Chers collègues, si vous n’êtes pas à l’aise avec l’utilisation du pouvoir déclaratoire en général, ou même dans ces circonstances particulières, je pense que ceci pourra vous rassurer : le projet de loi bénéficie d’un plus grand soutien sur la côte Est aujourd’hui que la Confédération à l’époque. Je ne dis pas cela à la légère.

Les gouvernements des quatre provinces, l’Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador, appuient le projet de loi parce qu’il est essentiel de protéger l’axe commercial pour l’approvisionnement vital et de garantir l’accès à des établissements de santé comme l’Hôpital pour enfants IWK et d’autres services médicaux spécialisés à Halifax. Les assemblées législatives de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont adopté des résolutions où tous les partis se sont dits favorables au projet de loi.

Les villes de l’isthme directement touchées par l’élévation du niveau de la mer entraînée par les changements climatiques, Tantramar et Amherst, appuient également le projet de loi. L’Union des municipalités du Nouveau-Brunswick appuie le projet de loi parce qu’elle s’inquiète — comme la sénatrice Robinson l’a indiqué au comité — que si le réseau des digues est payé par le Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes, il ne reste plus d’argent pour les projets d’infrastructure dans le Canada atlantique, car la somme qui nous est allouée aura été dépensée.

La Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse et la Société nationale de l’Acadie appuient également le projet de loi pour la raison suivante :

[...] il envoie un signal politique indiquant que la protection des sites culturels et patrimoniaux acadiens est dans l’intérêt national, alors que les sénateurs assument leur rôle constitutionnel de représentation des régions et de protection des droits linguistiques des minorités [...]

Le sénateur Cormier parlera de cet aspect plus en détail plus tard aujourd’hui.

Surtout, chers collègues, les Premières Nations appuient le projet de loi S-273. On me pose souvent la question suivante : quels sont les effets concrets du projet de loi S-273? Il utilise le pouvoir déclaratoire et permet également au gouvernement du Canada de conclure des contrats pour aider à construire, entretenir ou exploiter le réseau de digues.

Rebecca Knockwood, cheffe de la Première Nation de Fort Folly, a expliqué en comité les raisons pour lesquelles sa communauté appuie le projet de loi S-273 :

Compte tenu de l’importance de cette région pour les Mi’kmaqs, du fait que le processus de consultation et d’évaluation d’impact du gouvernement fédéral est plus approfondi et du fait que nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre que la bataille juridictionnelle soit réglée, les chefs mi’kmaqs du Nouveau-Brunswick vous demandent d’appuyer le projet de loi présenté par le sénateur Quinn. Les terres devraient être de responsabilité fédérale jusqu’à ce que ce projet soit achevé.

Si le pouvoir déclaratoire est utilisé, le gouvernement fédéral prendrait l’initiative en ce qui concerne l’obligation de consulter les communautés et les dirigeants mi’kmaqs concernés. Le pouvoir déclaratoire est essentiel à l’engagement à l’égard de la réconciliation. La cheffe Knockwood a raison de dire que le gouvernement fédéral offrirait un processus de consultation plus complet. De plus, étant donné que les répercussions se feront sentir des deux côtés de la frontière interprovinciale, le gouvernement fédéral est le mieux placé pour assurer une coordination adéquate.

Des amendements ont été apportés en comité à la demande des organismes de la Nouvelle-Écosse qui représentent les Mi’kmaqs pour répondre à leurs préoccupations en veillant à ce qu’il y ait une disposition de non-dérogation qui respecte l’article 35 de la Constitution concernant les droits ancestraux ou issus de traités, et en utilisant un libellé limitatif pour réduire la portée des pouvoirs d’urgence pendant la construction et pour que les Mi’kmaqs puissent participer au processus de passation des marchés. Le sénateur Prosper proposera un amendement au préambule pour qu’il reflète mieux cet engagement à l’égard de la réconciliation.

Honorables sénateurs, le Canada atlantique parle d’une seule voix et vous demande à la fois d’être traité équitablement et de comprendre que l’isthme de Chignecto est à l’avantage général du Canada. Nous considérons souvent le Sénat comme un lieu de second examen objectif dans le cadre de notre rôle de Chambre de révision. Cependant, le rôle du Sénat qui consiste à représenter les intérêts régionaux, conformément à la Constitution, est encore plus important. Même s’il revient à la Chambre des communes de décider ultimement si elle est d’accord avec nous, notre structure unique nous permet de présenter des projets de loi d’intérêt public du Sénat et de soulever des questions que la Chambre des communes ne peut tout simplement entendre ou comprendre de prime abord. Les Maritimes ne comptent que 25 députés et, comme je l’ai dit, cela fait qu’il est plus difficile pour nous d’être compris.

Honorables sénateurs, ce qui est crucial, c’est que la compétence confère aussi la responsabilité morale d’agir. L’élévation du niveau de la mer en raison des changements climatiques est la menace la plus existentielle pour le Canada atlantique. Les mêmes océans qui contribuent à notre prospérité menacent maintenant de nous engloutir.

Les Nations unies ont dit que l’isthme de Chignecto occupe le deuxième rang des zones menacées en Amérique du Nord en raison des changements climatiques, après la ville de La Nouvelle‑Orléans.

Le gouvernement du Canada a le devoir de préserver l’unité nationale. Les provinces maritimes ne sont pas des partenaires de second rang au sein de la Confédération et elles méritent d’être comprises et d’être traitées équitablement. La seule façon pour le Sénat d’envoyer un message clair à la Chambre des communes, c’est de voter en faveur du projet de loi S-273. Ainsi, l’autre endroit pourra procéder à ses débats et prendre la décision finale.

Merci infiniment, honorables sénateurs. Je compte sur votre appui.

Le sénateur Quinn accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Quinn [ - ]

Oui.

Je crois comprendre qu’au cours des 100 années qui ont précédé 1990, le niveau de la mer a augmenté d’environ 10 centimètres. Toutefois, depuis 1990, le rythme a été presque trois fois plus rapide, et le niveau a augmenté de 10 centimètres de plus. Autrement dit, les digues acadiennes vieilles de 400 ans sont touchées par des changements plus nombreux et plus rapide qu’avant. Avez-vous des données sur le sujet pour expliquer de manière plus convaincante que moi l’urgence de la situation?

Le sénateur Quinn [ - ]

Le comité a entendu des témoignages où on décrivait exactement ce type de situation, et les chiffres sont, bien entendu, dans le compte rendu des délibérations. Toutefois, l’élévation du niveau de la mer augmente de plus en plus rapidement chaque année. Je peux le dire avec assez de certitude, car lorsque j’ai commencé à travailler au Port Saint John en 2010, les quais du côté ouest du port étaient secs. Lorsque j’ai quitté mon poste en 2021, ces quais étaient régulièrement recouverts d’eau. Cela est directement attribuable à l’élévation du niveau de la mer que j’ai personnellement observée en tant que PDG du Port Saint John.

Cela me fait penser à une femme originaire de Saint John, Catherine McKinnon, qui a rendu une ballade néo-écossaise très célèbre dans les années 1960. Je ne peux m’empêcher de penser que si nous n’agissons pas, le reste du Canada dira peut-être Adieu à la Nouvelle-Écosse?

Le sénateur Quinn [ - ]

Je ne me risquerai certainement pas à chanter cette chanson ici, mais je peux dire qu’on m’a déjà posé cette question. Je suis ici en tant que sénateur du Sud du Nouveau‑Brunswick, de Saint John, plus précisément de la pointe sud de Saint John. Quand nous étions jeunes, le sénateur Cormier et moi jouions au hockey dans la rue à Saint John. C’est un beau souvenir que nous avons en commun.

La vérité c’est que, en tant qu’ancien PDG du Port de Saint John, si la Nouvelle-Écosse devenait une île, je sais que le Port de Saint John pourrait en tirer parti, parce que son volume d’affaires augmenterait. C’est certain. Or, à ceux qui m’ont demandé pourquoi j’ai décidé de m’occuper de ce dossier, j’ai répondu que c’est parce que je suis un membre du Sénat du Canada. En tant que sénateur, je dois avoir une meilleure vision et une meilleure compréhension de ma région, mais aussi de l’ensemble du Canada et de ce qui est important pour le Canada.

C’est pour cette raison que je défends cette initiative. La région concernée est vitale pour le réseau de transport, mais aussi pour la protection de la Transcanadienne, de la voie ferrée qui passe par là, des terres agricoles et, tout aussi important, des gens qui y habitent et qui savent que les villes d’Amherst et de Sackville seront submergées, l’une à 35 % et l’autre, à 50 ou 60 %. C’est ce que le comité a entendu. Il pourrait y avoir des décès. Des propriétés seront détruites.

Je m’engage pleinement à faire de mon mieux dans le cadre de mon travail pour défendre cette question d’intérêt régional, car, autrement, elle risque de passer inaperçue. C’est pourquoi je parle avec tant de ferveur de l’adoption de ce projet de loi par le Sénat. Nous formons le Sénat, et non la Chambre élue. Si mes collègues ici décident d’adopter le projet de loi, celui-ci sera renvoyé à la Chambre élue. Laissons les députés tenir leurs délibérations. Laissons-les décider si cette mesure législative passera à la prochaine étape.

Si elle passe à l’étape suivante, elle sera soumise au Cabinet. Le Cabinet pourra ensuite décider s’il fait quelque chose. Il pourra décider de ne rien faire. Il pourra décider de laisser les choses telles qu’elles sont et qu’il est impossible de négocier plus qu’un financement à parts égales.

Encore une fois, je demande que nous adoptions ce projet de loi, ce qui permettrait de mener des négociations supplémentaires. Je ne m’attends pas à ce que le gouvernement fédéral finance l’initiative à lui tout seul. Ce n’est pas ce dont il est question. C’est une question de justice et d’équité. On parle ici d’un traitement équitable.

Il y a deux ou trois semaines, nous avons appris qu’un excellent projet était financé à 60 % par le gouvernement fédéral. Vous m’avez entendu parler d’autres projets qui ont été financés à 100 %. J’essaie au moins d’obtenir un financement de 60 %, ce que je trouve équitable. Cependant, ce n’est pas ma décision ni celle des parlementaires. Ce sera la décision du Cabinet s’il décide d’aller dans cette direction.

Je propose qu’on donne à la Chambre basse la possibilité de débattre de la question. Si le gouvernement en est saisi, c’est lui qui décidera.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour parler très brièvement du projet de loi S-273, Loi sur le réseau de digues de l’isthme de Chignecto. Comme nous le savons, ce projet de loi propose de déclarer que le système de digues de l’isthme de Chignecto et les ouvrages connexes sont des ouvrages à l’avantage général du Canada. Il invoquerait le pouvoir déclaratoire fédéral prévu à l’alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle pour permettre au gouvernement fédéral d’affirmer sa compétence législative exclusive à l’égard de cet ouvrage.

Permettez-moi tout d’abord de remercier le sénateur Quinn d’avoir présenté cette mesure et, surtout, d’avoir fait connaître une région du pays qui est importante pour le Canada atlantique. Les vastes réseaux de transport et les espaces verts qu’on y trouve sont essentiels à la croissance économique et au dynamisme de la région, ainsi qu’à la préservation et à l’aménagement de la faune et de la flore. Ces éléments méritent d’être mieux compris. Ils méritent qu’on en parle.

Toutefois, en tout respect, le gouvernement ne croit pas que le mécanisme proposé dans le projet de loi S-273 soit la mesure appropriée, et il ne peut pas appuyer ce projet de loi pour plusieurs raisons, dont certaines que j’aimerais simplement consigner dans le compte rendu aujourd’hui.

Le sénateur Quinn a précisé, à juste titre, que le recours au pouvoir déclaratoire conférerait une autorité législative sur le territoire visé, mais qu’il ne supposerait pas forcément une obligation de financement. C’est exact, mais la question du financement est pertinente par rapport au projet de loi, au projet concerné et aux travaux correctifs nécessaires. Le gouvernement fédéral sait que le projet sera coûteux et que les provinces espèrent qu’il aura l’obligation — morale ou autre — d’assumer entièrement le coût des travaux.

Honorables collègues, comme vous le savez, puisque le sénateur Quinn l’a expliqué, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse ont demandé du financement dans le cadre du Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes, qui relève d’Infrastructure Canada. Il s’agit d’un programme collaboratif de partage des coûts. Il permettrait au gouvernement fédéral de se concerter avec les provinces afin de trouver un compromis, un terrain d’entente, en vue de régler les aspects financiers de ce projet.

Je sais que les discussions ont commencé et que le gouvernement fédéral serait heureux de les poursuivre.

Plus important encore — et le sénateur Quinn y a fait allusion —, la question de savoir qui a compétence dans le dossier du réseau de digues de l’isthme est actuellement étudiée par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, à la suite d’une demande de renvoi présentée par le gouvernement de la Nouvelle-Écosse en juillet 2023.

Le gouvernement du Canada et d’autres provinces ont obtenu à leur demande le statut d’intervenant dans ce dossier. En tout respect, le gouvernement fédéral rejette la position de la Nouvelle‑Écosse selon laquelle le réseau de digues de l’isthme relèverait déjà du gouvernement fédéral.

Par conséquent, le gouvernement du Canada est d’avis que la question ne devrait pas être traitée tant que le tribunal n’aura pas clarifié la question de la compétence. Agir autrement reviendrait à court-circuiter la décision que la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse doit rendre.

Enfin, chers collègues, le projet de loi S-273 imposerait probablement aussi de nouvelles obligations au gouvernement, ce qui risque d’avoir comme conséquence involontaire de créer un nouveau précédent susceptible d’affecter des systèmes fonciers similaires à l’avenir, y compris ceux qui, étant donné les effets des changements climatiques, pourraient nécessiter une remise en état.

Pour ces raisons, le gouvernement ne peut pas appuyer le projet de loi S-273 dans sa forme actuelle. Il estime que la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse devrait entendre les arguments de toutes les parties et de tous les intervenants, puis rendre une décision arbitrale éclairée sur cette base.

Je vous remercie de votre bienveillante attention.

Le sénateur Quinn [ - ]

Sénateur Gold, acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Gold [ - ]

Oui.

Le sénateur Quinn [ - ]

Sénateur Gold, je vous remercie pour votre discours succinct. Je dois poser une question qui compte plusieurs volets.

J’ai parlé d’équité, et pour moi, l’équité signifie qu’il faut traiter le Canada atlantique de la même manière que le reste du Canada.

Le deuxième point que je veux soulever, c’est qu’il existe des précédents de recours au pouvoir déclaratoire devant les tribunaux. Dans le cas présent, nous employons deux éléments légitimes et distincts de la Constitution du Canada. Je ne suis pas en mesure de débattre avec vous de questions constitutionnelles à armes égales, sénateur Gold, c’est votre domaine d’expertise.

Je crois que, en invoquant l’alinéa 92(10)a), on cherche à savoir si la zone en cause peut être traitée comme un réseau et si la compétence du fédéral peut avoir préséance.

Comme je l’ai dit dans mon discours, la région pourrait en ce moment être prise en charge par les provinces, individuellement. Or, les provinces savent qu’il faut la traiter comme un réseau. Il n’est d’aucune utilité de protéger la portion située en Nouvelle‑Écosse ou au Nouveau-Brunswick si l’autre est inondée. Il faut adopter une approche globale. C’est pourquoi la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ont présenté une demande au Programme national d’atténuation des catastrophes. Pourquoi se sont-ils tournés vers ce programme? C’est parce qu’ils devaient composer avec une échéance. Ils devaient présenter une demande avant une date précise. Au bout du compte, peu avant la date limite, ils ont présenté une demande conjointe, qui a été acceptée, à hauteur de 50 cents par dollar.

En même temps, ils savent ce que je cherche à faire en m’appuyant sur l’alinéa 92(10)c) : invoquer le pouvoir déclaratoire afin que la compétence fédérale s’applique pour un certain nombre de raisons. Comme je l’ai indiqué dans mon discours, cette approche permet d’agir le plus tôt possible.

À ce que je comprends, la procédure judiciaire n’a pas été entamée, à l’exception de la présentation de la demande. Le tribunal n’entendra peut-être pas l’affaire de sitôt. Lorsqu’il s’agit d’intervenir, chaque jour qui passe compte. N’êtes-vous pas d’accord avec moi?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ - ]

Vous maîtrisez bien le sujet.

Il n’y a pas de raison de craindre un face-à-face. Votre interprétation de la Constitution est exacte; je ne vous opposerai aucun argument.

En faisant cette intervention, mon but était simplement d’exposer la position du gouvernement, parce qu’il s’agit d’une question compliquée pour le gouvernement du Canada. Elle est compliquée parce que de nombreuses infrastructures dans ce pays sont menacées à cause des changements climatiques.

Vous avez parlé de l’obligation morale, et c’est vraiment le sens de la position du gouvernement. Les observations au sujet d’un précédent sont exactement de cette nature.

La position du gouvernement demeure, cependant, que la compétence constitutionnelle sur l’isthme — au sujet de laquelle le gouvernement a demandé une opinion à la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse — est nécessaire, mais qu’elle n’empêche pas les négociations politiques dont vous avez parlé.

Bien sûr, l’équité est importante. Je n’ai rien à ajouter à votre observation générale. Tous les cas et toutes les situations doivent être examinés pour ce qu’ils sont, et il faut comparer les pommes avec des pommes et les oranges avec des oranges.

Vous avez mentionné le pont de Québec, entre autres. Ce sont des situations très différentes. Je comprends l’incidence que cela peut avoir sur votre interprétation des situations.

La position du gouvernement est telle que je l’ai énoncée. Je sais que les leaders des quatre groupes se sont entendus pour que ce projet de loi soit mis aux voix à l’étape de la troisième lecture, et je tenais simplement à faire connaître la position du gouvernement. Le projet de loi sera renvoyé à l’autre endroit. Les députés auront l’occasion de l’examiner, et je suis convaincu que vous ainsi que d’autres personnes suivrez avec intérêt sa progression à l’autre endroit.

L’honorable Leo Housakos [ - ]

Sénateur Gold, j’ai écouté votre intervention. Je ne veux pas lancer un débat sur cette question, mais je tiens à dire, tout d’abord, que le pouvoir déclaratoire a déjà été utilisé à maintes reprises dans des cas très semblables et qu’il est conforme à la Constitution. Tous les constitutionnalistes qui ont témoigné pendant les travaux du comité ont dit que c’était constitutionnel.

J’ai déjà vu des gouvernements utiliser ce genre de stratégie. J’ai notamment vu le gouvernement précédent l’employer quand il a tenté de se soustraire à ses responsabilités fondamentales à l’égard du pont Champlain, parce qu’il trouvait opportun sur le plan politique, pour diverses raisons, de ne pas investir dans ces travaux et d’essayer de les pousser dans la cour du gouvernement du Québec.

Voici ma première question : convenez-vous que le pouvoir déclaratoire a déjà été utilisé à maintes reprises?

Deuxièmement, le Québec n’avait pas les ressources nécessaires pour reconstruire le pont Champlain et une tâche semblable serait pratiquement irréalisable pour n’importe quelle province. Il fallait des milliards de dollars. Le même genre de situation se produit maintenant dans le Canada atlantique. L’isthme de Chignecto est une infrastructure essentielle qui, comme l’ont souligné de nombreux témoins, touche plusieurs provinces et de toute la région du Canada atlantique. La région n’a pas les moyens de mener à bien un projet de cette envergure. Le gouvernement doit reconnaître que s’il n’intervient pas dans la construction des infrastructures, il y a lieu de se demander à quoi il sert, en fait.

Le sénateur Gold [ - ]

Je vous remercie pour votre question. Permettez-moi d’être clair, comme je pensais l’être.

Évidemment, invoquer le pouvoir déclaratoire constitue un exercice légitime prévu par la Constitution. Il a été invoqué environ 474 fois. Au début, il a été invoqué pour les élévateurs à grains — les gens de l’Ouest s’en souviendront — jusque dans les années 1980. Je n’ai jamais remis en question la possibilité d’exercer ce pouvoir. Le gouvernement est d’avis qu’en l’occurrence, ce n’est pas une mesure appropriée.

Je reconnais également — et je pense en avoir convenu, quoique brièvement — l’importance de l’isthme pour l’économie et les collectivités du Canada atlantique. Il s’agit d’un projet coûteux qui, d’après ce que j’ai compris — et vous l’avez entendu au comité —, est menacé par l’élévation du niveau de la mer et le changement climatique.

J’ai dit aussi que le gouvernement a mis en place un programme auquel les deux provinces ont adhéré et qu’il est prêt à négocier et à discuter avec les provinces d’une formule appropriée pour réaliser les travaux, tout comme le gouvernement du Canada l’a fait avec la province de Québec et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada lorsqu’il a racheté l’un des ponts de la ville de Québec pour 1 $.

C’est là un exemple de fédéralisme coopératif à son meilleur, et le gouvernement du Canada pense que c’est la bonne approche également pour le projet à l’étude.

Le sénateur Housakos [ - ]

Acceptez-vous de répondre à une autre question, sénateur Gold?

Le sénateur Gold [ - ]

Oui, bien sûr.

Le sénateur Housakos [ - ]

De toute évidence, cette question n’est pas d’ordre politique. Elle est au cœur de l’essence même du Canada, car les infrastructures unissent notre pays. On peut voir qu’il ne s’agit pas d’une question politique lorsque, dans deux assemblées législatives — celles de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick —, tous les partis politiques ont voté à l’unanimité et réclament à l’unisson l’application du pouvoir déclaratoire parce que le gouvernement ne négocie pas en toute bonne foi.

Comme vous le savez, sénateur Gold, nous n’allons devant les tribunaux que lorsque les parties ne peuvent pas s’entendre de bonne foi pour parvenir à un accord. Voilà pourquoi on saisit les tribunaux de certaines affaires. Voilà pourquoi les premiers ministres des deux provinces font appel aux représentants de la Chambre haute en dernier recours pour faire pression sur le gouvernement et dire : « Ces infrastructures sont essentielles pour lutter contre les changements climatiques, et il faut s’en occuper. »

Le sénateur Gold [ - ]

Premièrement, sénateur Housakos, je n’ai pas dit qu’il s’agissait d’une question partisane ou politique. Je faisais écho au sénateur Quinn, qui a parlé de négociations politiques.

Deuxièmement, je ne peux pas accepter votre interprétation selon laquelle le gouvernement fédéral n’a pas négocié de bonne foi ou que c’est la raison pour laquelle le gouvernement progressiste‑conservateur de la Nouvelle-Écosse a demandé à ses tribunaux de déterminer si l’entreprise dans son ensemble relève automatiquement du pouvoir législatif du Canada en vertu de l’alinéa 92(10)a) de la Constitution.

Dans les deux cas, je conviens que s’attaquer au problème dans l’isthme et ailleurs au Canada, où des infrastructures importantes — qu’elles desservent une province, plusieurs provinces ou le pays dans son ensemble — sont menacées par la dégradation causée par les changements climatiques, constitue un élément important de ce que c’est que d’être un pays.

Le gouvernement fédéral fera sa part en collaboration avec les provinces et les territoires, le cas échéant.

L’honorable Pierrette Ringuette [ - ]

Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Gold [ - ]

Oui.

La sénatrice Ringuette [ - ]

Sénateur Gold, si ma mémoire est bonne, le renvoi du gouvernement de la Nouvelle-Écosse à la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a été fait bien avant que ce projet de loi ne soit présenté au Sénat. N’est-ce pas le cas?

Le sénateur Gold [ - ]

Je crois que le renvoi à la cour de la Nouvelle-Écosse — si ma mémoire est bonne — remonte à juillet 2023.

La sénatrice Ringuette [ - ]

J’essaie de me rappeler quand on a demandé au Sénat d’interrompre ses travaux et de voter sur une question dont les tribunaux étaient saisis. Ce n’est pas notre rôle de dicter aux tribunaux ce qu’ils doivent dire ni d’essayer de les influencer. J’ai beaucoup de difficulté avec cela parce que nous sommes saisis d’une question qui est devant les tribunaux et nous demandons à la Chambre haute du Parlement de prendre position sur cette question.

Vous pouvez peut-être m’éclairer, sénateur Gold, mais je siège ici depuis 21 ans et je n’ai jamais vu une situation semblable.

Le sénateur Gold [ - ]

Je vous remercie de la question, mais ma réponse risque de vous décevoir. Le paragraphe 92(10) comporte trois alinéas. Comme l’a correctement souligné le sénateur Quinn, et comme je l’ai aussi mentionné, l’affaire dont est saisie la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse concerne l’alinéa a), qui porte sur les infrastructures de transports ou de communication reliant les provinces. Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse demande à la cour de confirmer que cette définition englobe l’isthme.

Je vous épargnerai les détails ennuyeux relatifs à la jurisprudence et à l’incertitude. Je vais laisser cela aux bons soins du sénateur Plett.

L’alinéa 92(10)c) est un élément distinct. Qu’il relie les provinces ou non ou qu’il corresponde à une « entreprise », qui s’entend de l’assemblage d’activités autour d’un objet physique, les travaux sur l’isthme pourraient, en vertu de cet alinéa, être considérés comme des ouvrages à l’avantage général du Canada.

Bref, je ne dis pas qu’il est inapproprié pour nous, sur le plan constitutionnel, d’adopter ce projet de loi. Je dis simplement que le gouvernement est d’avis qu’il serait préférable d’attendre que la cour rende sa décision sur cette question fondamentale. Cela n’empêche aucunement la poursuite des discussions avec les provinces concernant le financement nécessaire à ce projet. Toutefois, l’adoption du projet de loi risque d’avoir des répercussions imprévues — ou peut-être souhaitées, dans certains cas —, et le gouvernement estime qu’il est inutile de prendre un tel risque.

Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un cas où les tribunaux sont saisis d’une question précise et où nous anticipons la décision. Toutefois, dans un sens plus large, le gouvernement pense qu’il serait approprié d’attendre que cette question fondamentale reçoive une réponse et que la poussière retombe. J’espère avoir répondu à votre question.

La sénatrice Ringuette [ - ]

Je vous remercie.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Avez-vous une question, sénateur Richards?

L’honorable David Richards [ - ]

Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Gold [ - ]

Cela me ferait plaisir. Ce sera peut-être la dernière. Je sais qu’il y a d’autres intervenants. Je voulais être bref. Par respect, je vais répondre à votre question.

Le sénateur Richards [ - ]

C’est une question hypothétique. Je sais que votre réponse le sera tout autant, mais je vais vous la poser quand même.

Si la situation était désespérée — et c’est le cas entre le Nouveau‑Brunswick et la Nouvelle-Écosse — et qu’il s’agissait du lien entre l’autoroute 40 au Québec et l’autoroute 401, serions-nous en train d’en discuter en ce moment?

Le sénateur Gold [ - ]

La réponse est oui. Tous les sénateurs, quelle que soit leur région ou leur province d’origine, ont la responsabilité d’assurer l’équité entre toutes les régions. Bien entendu, nous accordons une attention particulière aux régions que nous connaissons le mieux. Nous représentons nos provinces ou nos régions.

Néanmoins, je crois fermement — et j’espère que c’est vrai pour nous tous — que lorsque nous arrivons au Sénat, nous nous rendons compte que nous sommes dans une institution fédérale et que notre travail consiste à veiller à ce que toutes les régions soient traitées équitablement, peu importe notre origine. Je crois sincèrement que si les mêmes circonstances se présentaient ici, j’imagine que nous aurions cette discussion.

Haut de page