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Le discours du Trône

Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Suite du débat

12 juin 2025


Honorables sénateurs, ma réponse au discours du Trône porte principalement le passage « voir grand et […] poser des gestes encore plus grands », le but étant de bâtir la plus forte économie du G7.

Le discours de Sa Majesté le roi a défini cinq domaines prioritaires dans lesquels des progrès sont essentiels si nous voulons devenir l’économie la plus forte du G7, à savoir :

Premièrement, bâtir une stratégie industrielle qui rendra le Canada plus compétitif à l’international, tout en luttant contre les changements climatiques; deuxièmement, protéger la souveraineté du Canada en rebâtissant, en réarmant et en réinvestissant dans les Forces armées canadiennes; troisièmement, faire du Canada une plaque tournante pour la science et l’innovation; quatrièmement, stimuler les nouveaux investissements afin de créer de meilleurs emplois et d’augmenter les revenus pour les Canadiens; cinquièmement, déployer des technologies pour accroître la productivité du secteur public.

À la lumière de ces engagements, une phrase tirée de la lettre de mandat du premier ministre au Cabinet me vient à l’esprit :

Au cours des prochaines semaines, je vous demanderai de définir les principaux objectifs et mesures de réussite en fonction desquels vous évaluerez les résultats que vous obtiendrez pour la population [...]

La promesse d’action du premier ministre est claire et extrêmement inspirante. Nous avons désespérément besoin de cette intensité dans les efforts que nous déployons en vue de créer des débouchés, des emplois et de la prospérité pour le Canada.

Cependant, le principe de voir grand et de poser des gestes encore plus grands va à l’encontre de l’hésitation à prendre des risques, une culture profondément ancrée à Ottawa. Progresser nécessite de briser les barrières bien établies et de décloisonner notre pensée. Le temps presse. Nous sommes à un tournant comparable à celui de 1939.

Par conséquent, je me concentrerai sur les mesures concrètes qui permettront aux ministres, à leurs sous-ministres et à leurs ministères de « voir grand et de poser des gestes encore plus grands » en modernisant les politiques de concurrence, le système de réglementation, le processus d’approvisionnement et le soutien offert aux innovateurs.

Je commencerai par mettre l’accent sur l’élimination des politiques anticoncurrentielles dans l’ensemble de l’appareil gouvernemental.

Chers collègues, je reviens sans cesse sur le sujet de la concurrence, car c’est elle qui stimule l’innovation, l’investissement des entreprises et la croissance de la productivité, ce qui favorise la compétitivité mondiale nécessaire à l’amélioration de notre prospérité collective.

Les lacunes du Canada ont été mises en évidence dans le document de l’Organisation de coopération et de développement économiques intitulé Études économiques de l’OCDE : Canada 2025. L’OCDE a recommandé au Canada d’opérer un large éventail de réformes qui favorisent la concurrence et elle a établit un lien précis entre nos lacunes en matière de productivité et la faiblesse de notre concurrence et de notre dynamisme commercial en affirmant qu’il existe au Canada « [...] de nombreux obstacles à la concurrence qui découlent de l’action publique et de la réglementation ».

Ces obstacles existent parce que, pendant 40 ans, on a cru à tort que l’on avait besoin de grandes entreprises championnes au pays pour faire concurrence aux grandes entreprises des États-Unis et du monde entier. Cependant, les oligopoles qui ont été créés en raison de cette décision ont facturé un prix supérieur aux Canadiens et ont moins innové et investi qu’ils ne l’auraient fait si on avait accordé la priorité à la concurrence canadienne. À mon avis, quatre décennies de baisse constante de la productivité le prouvent.

Certains ici pensent peut-être que les modifications substantielles à la Loi sur la concurrence qui ont reçu l’aval du Sénat à la dernière législature ont réglé le problème de productivité et de compétitivité du Canada par rapport au reste des pays de l’OCDE. Eh bien non. Ces changements ont seulement empêché le problème d’empirer. Pour le dire autrement, le patient — notre économie — est dans un état stable, mais il est toujours alité.

L’État applique encore beaucoup trop de règles qui nuisent à la concurrence et favorisent les monopoles. Les choses doivent changer, et vite. Pour reprendre la forme, les ministères, sociétés d’État et organismes gouvernementaux fédéraux doivent adopter des politiques et des façons de faire qui favorisent la concurrence. C’est d’ailleurs l’approche que préconise le Bureau de la concurrence pour les cinq prochaines années, mais l’appétit ne semble pas y être.

Chers collègues, aucun règlement ne permettra à une entreprise d’être véritablement axée sur les besoins de ses clients ou d’être concurrentielle sur la scène internationale. Seuls les marchés disputables permettent d’atteindre ces objectifs cruciaux. Les athlètes olympiques en savent quelque chose.

Les règlements constituent une réaction aux échecs du marché, mais trop souvent, ils favorisent les grandes sociétés qui contribuent à écrire les règles et ils alourdissent le fardeau administratif que seuls les plus grands ont les moyens de supporter.

En Australie, la commission de la productivité s’emploie à réformer les règles de la concurrence depuis les années 1990. Ses premiers efforts, il y a maintenant 30 ans, se sont traduits par une vertigineuse hausse permanente de 52 milliards de dollars australiens du PIB national, ce qui représente plus de 5 000 $ australiens par ménage. L’Australie nous a montré que ce genre de chose est possible et qu’il suffit qu’un pays voit ses politiques sur la concurrence comme une priorité sociale et économique nationale de tous les instants. Le Canada devrait s’inspirer de l’approche pangouvernementale de l’Australie pour changer ses politiques.

Ce que je recommande? Accorder au Bureau de la concurrence le mandat et les ressources pour débusquer les politiques anticoncurrentielles dans l’ensemble de l’appareil gouvernemental. Il faut également réduire les risques d’ingérence politique à court terme dans les travaux du bureau en faisant du commissaire de la concurrence un mandataire du Parlement.

Pourquoi est-ce important? Parce qu’il y a un conflit d’intérêts inhérent entre le mandat du Bureau de la concurrence et celui d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada. La plupart des anciens commissaires ont souvent abordé la question — et le fait que les oligopoles du Canada soient plus susceptibles de consacrer plus d’argent aux avocats et aux lobbyistes que tous leurs concurrents réunis constitue une raison en soi.

Parce qu’il est chargé de faire appliquer la loi, le Bureau de la concurrence doit être pleinement indépendant, mais c’est loin d’être le cas s’il doit faire rapport à Innovation, Sciences et Développement économique Canada plutôt qu’au Parlement.

Nous devons renforcer la concurrence dans les tous les secteurs d’activité si le premier ministre Carney souhaite réaliser son ambition de faire du Canada l’économie la plus vigoureuse du G7. Le premier ministre le sait. À l’époque où il était gouverneur de la Banque d’Angleterre, il s’est fait le chantre d’une réforme des systèmes financiers qui a accru la concurrence et d’innovations qui se sont propagées partout dans le monde, mais pas encore au Canada.

C’est ce qui m’amène à mon deuxième point, à savoir favoriser la souplesse réglementaire. Les règlements sont extrêmement importants. Ils sont là pour protéger les consommateurs, l’environnement et l’économie. Ils définissent le fonctionnement du marché et, s’ils sont bien pensés, ils les rendent même plus efficaces.

Or, la protection que confère la réglementation disparaît quand cette dernière n’évolue pas au même rythme que les risques qu’elle est censée atténuer ou quand elle devient tellement lourde que les nouveaux joueurs novateurs n’arrivent pas à être concurrentiels à cause des coûts et de la complexité. La lourdeur provoquée par les règlements inefficaces et désuets met du sable dans l’engrenage des entreprises et de l’économie canadienne. Quand on ne corrige pas la situation de manière proactive, les appels à une déréglementation, qui serait encore plus dommageable, se multiplient.

Au niveau politique, nous n’avons vu aucune volonté d’adopter des projets de loi visant à moderniser la réglementation.

Je pense notamment au projet de loi S-6 sur la modernisation de la réglementation. Il avait été adopté par le Sénat il y a deux ans et il est mort au moment de la prorogation du Parlement, en janvier, après avoir été tabletté et oublié. Le travail entourant le projet de loi S-6 avait débuté en 2018. Quand le Parlement ne priorise pas les efforts législatifs de modernisation de la réglementation, le secteur public perd toute motivation de présenter des initiatives en ce sens.

En termes simples, le Canada prend des décennies pour adapter sa réglementation, mais la technologie, les changements climatiques et les autres risques et occasions évoluent d’un mois à l’autre. Les processus réglementaires traditionnels sont lents, exclusifs et opaques et ils entraînent toujours une résistance des lobbys.

À l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-6, j’avais proposé un outil amélioré à ajouter à notre éventail réglementaire, un outil que d’autres pays ont mis en place et optimisé et qui a rendu l’établissement de règlements plus rapide et plus agile. Il s’agit de l’incorporation par renvoi.

L’incorporation par renvoi permet aux autorités de réglementation de mettre de l’avant des normes de l’industrie volontaires, établies par consensus et développées de façon inclusive, transparente et agile. Elles sont l’équivalent des règlements. Les normes assurent déjà notre sécurité dans notre demeure, dans notre voiture, dans les avions et dans les bureaux et, contrairement aux règlements, elles sont mises à jour de façon continue. Pourtant, les autorités de réglementation fédérales continuent de résister à cette approche. J’ai encore été témoin de cette résistance ce matin, lors de la séance d’information au sujet du projet de loi C-5.

Une modification à la Loi sur les textes réglementaires pourrait permettre de reconnaître certaines normes comme équivalentes à un règlement donné sans avoir à modifier ce règlement. Cela pourrait s’avérer très utile dans le cadre de nos efforts pour éliminer les obstacles au commerce interprovincial.

En Europe, les législateurs de l’Union européenne demandent désormais aux organismes de normalisation, plutôt qu’aux organismes de réglementation, de mettre à jour les normes existantes ou d’en élaborer de nouvelles pour assurer la conformité avec les exigences des nouvelles dispositions législatives. Un processus similaire est déjà utilisé à Santé Canada pour les dispositifs médicaux. Pourquoi ne pas en élargir l’utilisation?

Le sénateur Woo et moi-même avons travaillé sur ce dossier au cours des deux dernières années et nous partageons le même enthousiasme quant à son potentiel.

Enfin, nous devons utiliser activement les bacs à sable réglementaires. Ces environnements contrôlés réunissent les organismes de réglementation et les innovateurs afin que les premiers puissent se familiariser avec les innovations émergentes et s’assurer que la réglementation évolue au même rythme que les risques et les possibilités. Les bacs à sable réglementaires jouent un rôle important dans l’élaboration de règles efficaces, en particulier quand il existe un réseau complexe de responsabilités réglementaires concurrentes.

Cependant, la bonne application d’outils comme les normes et les bacs à sable ne suffit pas. Les fonctionnaires doivent adopter une approche davantage fondée sur les risques et les résultats pour réduire les contraintes qui étouffent l’innovation.

Mon troisième domaine d’intérêt est celui des marchés publics fédéraux. Les dépenses du gouvernement fédéral dans ce domaine correspondent à environ 15 % du PIB. L’économie canadienne pourrait passer en mode turbo si le gouvernement devenait le premier et le meilleur client des innovateurs canadiens. Actuellement, c’est loin d’être le cas.

Je vais paraphraser le rapport annuel 2023-2024 présenté au Parlement par l’ombud de l’approvisionnement du Canada. Il a souligné que la création d’obstacles par des règles excessives, un langage trop compliqué ou des critères d’évaluation peu clairs décourage les fournisseurs de soumissionner, ce qui réduit le bassin de soumissionnaires potentiels et rend le processus moins ouvert et moins accessible.

Avec la guerre commerciale qui fait rage et la récente annonce d’une augmentation des dépenses militaires, le moment est venu de transformer les marchés publics fédéraux.

Il y a beaucoup de soutien. L’énoncé économique de l’automne dernier proposait de promulguer une loi sur l’innovation et l’approvisionnement pour les petites entreprises, qui prévoie qu’au moins 20 % des biens et services achetés proviennent de petites et moyennes entreprises et 1 %, d’entreprises innovantes.

Une recommandation semblable a été formulée par le Comité des banques en juin 2023 dans un rapport intitulé La nécessité d’une stratégie en innovation pour une économie fondée sur les données. Le Conseil canadien des innovateurs a invité le gouvernement à devenir « le meilleur client au monde pour les innovateurs locaux [...] ».

Le gouvernement actuel a également promis la création d’un Bureau de la transformation numérique chargé de centraliser les achats innovateurs et dont l’objectif est « de définir, de mettre en œuvre et de déployer de manière proactive des solutions technologiques et d’éliminer les tracasseries administratives redondantes et inutiles ». Avec le soutien du secteur privé, il pourrait bien permettre à l’administration publique de réaliser enfin les progrès attendus depuis longtemps dans le domaine du numérique.

Tirer parti des dépenses liées à la défense en trouvant des utilisations commerciales et en accordant la priorité à des infrastructures, à des technologies et à de l’équipement qui peuvent avoir une double utilité permet d’assurer un déploiement efficace des capitaux pour servir l’intérêt national. Des programmes de mise à l’essai comme Solutions innovatrices Canada offrent des technologies qui ont une double utilité, et on devrait les peaufiner, et non les abolir comme on l’a fait il y a un an et demi.

Cependant, la deuxième phase de ce programme, appelée « Plan de la commercialisation », ne remplit pas l’engagement à mettre en place un processus accéléré pour que les entreprises retenues deviennent des fournisseurs préapprouvés. Au lieu de cela, on gaspille un temps précieux alors qu’on devrait favoriser la croissance de ceux qui innovent.

Pour avoir une économie novatrice, il nous faut un gouvernement qui innove. Nous devons trouver des moyens créatifs de tirer parti des technologies et des compétences dans la prestation des services publics tout en décourageant les systèmes qui favorisent les intervenants déjà en place.

Cela m’amène à mon dernier sujet : l’investissement dans l’innovation pour stimuler la productivité.

L’été dernier, mon bureau a étudié 134 programmes d’innovation différents au sein du gouvernement fédéral. Je ne pense pas que nous les ayons tous trouvés. Pratiquement aucun de ces programmes ne comportait d’indicateurs de rendement clés, la plupart de ces programmes avaient des critères d’admissibilité qui n’étaient pas clairs, et un faible nombre de ces programmes tiraient parti de la diligence raisonnable indépendante du secteur privé. En revanche, le Cabinet actuel promet de tirer parti de la diligence raisonnable et des capitaux du secteur privé.

Je mets au défi tous les fonctionnaires à Ottawa de travailler avec des accélérateurs et des incubateurs qui ont fait leurs preuves, qui suivent des indicateurs de rendement clés et en font rapport. Des organisations telles que Creative Destruction Lab, Bioindustrial Innovation Canada, Natural Products Canada, ventureLAB et d’autres sont bien mieux outillés que la fonction publique pour prendre des décisions en matière d’investissement. C’est mon opinion, fondée sur les données relatives aux indicateurs de rendement clés que j’ai vues — ou que je n’ai pas vues, car il n’y a pas de données.

Le talent et la technologie n’attendent pas les gouvernements. La fonction publique doit intégrer le savoir-faire du secteur privé au lieu de lui opposer une résistance.

Enfin, n’oublions pas que la seule façon dont on peut se permettre de renforcer l’appareil de recherche du Canada, qui est concurrentiel à l’échelle mondiale, est de mettre enfin en place un mécanisme qui transforme les idées de pointe et les droits de propriété intellectuelle en débouchés, en emplois et en prospérité pour le Canada.

Chers collègues, en conclusion, je suis ravi que les priorités énoncées dans le discours du Trône présentent une vision audacieuse pour la croissance économique. C’est un défi de taille. Pour « voir grand et poser des gestes encore plus grands », nous devons nous affranchir des pratiques désuètes en rendant nos marchés plus concurrentiels et plus ouverts à la concurrence, en modernisant les processus réglementaires afin de rendre la réglementation plus agile, en transformant les marchés publics afin que les innovateurs canadiens donnent l’impulsion à l’innovation au sein du gouvernement, et en veillant non seulement à ce que les idées canadiennes naissent ici, mais aussi à ce qu’elles soient commercialisées et développées à l’échelle mondiale à partir d’ici. Chers collègues, aucune de ces idées ne nécessite de nouvelles dépenses publiques.

Des efforts ciblés dans ces domaines contribueront grandement à bâtir l’économie la plus solide du G7. Nous devons repenser la conception des programmes, la rédaction des règles et la façon dont nous mesurons la réussite.

Visons haut. Je crois que cela changera la manière dont nous soutenons la concurrence, procédons à la réglementation et appuyons l’innovation. Faire cela nous aidera à poser des gestes plus grands. Les Canadiens comptent sur nous.

Merci, chers collègues.

L’honorable Bernadette Clement [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour répondre au discours du Trône, à ce qu’on a dit et à ce qu’on a passé sous silence.

Tout d’abord, j’aimerais saluer nos nouveaux collègues dans cette Chambre. Vous avez été très inspirants dans vos premiers discours, vos premières questions et vos premiers pas au Sénat.

Je dirais à mes collègues plus expérimentés que j’ai été impressionnée par la réintroduction de tous les projets de loi. Vous faites preuve de beaucoup d’endurance et de persévérance dans vos convictions, et j’apprécie cela. J’ai également apprécié le parrainage des projets de loi, qui démontre toute la passion qui motive votre travail.

Nous avons entendu les réactions au discours du Trône des sénateurs Petten, White et Boudreau, et maintenant celle du sénateur Deacon, de la Nouvelle-Écosse. Ces discours aussi étaient riches d’enseignements sur ce qui vous motive et sur la façon dont vous comptez travailler ici avec nous, pour nous et pour les Canadiens. Je vous en suis reconnaissante.

Quatre ans après ma nomination, je me sens enfin davantage à ma place ici. Avant, je n’étais pas suffisamment à l’aise pour m’exprimer sur qui je suis, ce que je défends et ce sur quoi je vais travailler. J’ai toujours trouvé délicat le fait de choisir le bon moment. Je suis d’une nature posée, contrairement à d’autres qui sont plus prompts. Pour une fois, j’ai l’impression d’intervenir pile au bon moment.

Lorsque j’ai été nommée, mon employée Katie et moi avons reçu une avalanche de courriels. C’était impressionnant, mais aussi très excitant. Nous aurions pu accepter toutes les demandes, et Katie dirait peut-être que c’est ce que nous avons fait. Puis, nous avons reçu les bons conseils de Benedicta et de David, du bureau du sénateur Deacon, de la Nouvelle-Écosse. Ils m’ont dit :

Vous allez vous sentir dépassée jusqu’à ce que vous trouviez votre marque, votre identité en tant que sénatrice. Cela vous aidera ensuite à orienter vos actions, vos décisions et vos messages.

En tant que sénatrice indépendante, j’ai pu prendre des décisions sur ce que j’allais entreprendre, sur qui j’allais être.

Je suis une femme noire francophone.

J’ai été et je suis toujours avocate de l’aide juridique. J’ai été conseillère municipale à Cornwall. J’ai été la première femme noire élue maire en Ontario. Aujourd’hui, je suis une sénatrice noire, entre autres choses, qui entretient des liens avec les communautés noires de l’ensemble du Canada.

Je suis maintenant un peu plus à l’aise avec le rôle que nous sommes appelés à jouer en tant que sénateurs. Je me suis fait des alliés et des amis dans tous les groupes du Sénat, y compris le Groupe canado-africain du Sénat. Notre engagement collectif envers l’indépendance m’inspire. J’ai eu l’honneur de passer du temps dans les collectivités des sénateurs Bernard, Simons et Tannas. J’ai visité des ports, des fermes, des centres communautaires, des sites d’extraction de sables bitumineux et des prisons.

Cette année, pendant la prorogation, j’ai visité des prisons dans un but bien précis. Je voulais savoir comment les Canadiens incarcérés vivent les élections fédérales, comprendre les obstacles auxquels ils se heurtent et veiller à ce qu’ils sachent qu’ils ont le droit de voter.

Si vous êtes surpris — comme de nombreux Canadiens — d’apprendre que les personnes incarcérées ont le droit de vote, vous devriez en savoir plus sur un homme important, Rick Sauvé. Il est à l’origine de ce travail. Il a porté sa cause jusqu’à la Cour suprême du Canada afin de s’assurer que chaque personne détenue a le droit de voter, quelle que soit la durée de sa peine. Je tiens à vous brosser un tableau de la situation : cet homme, qui était incarcéré, a été transporté par autobus de la prison au plus haut tribunal de notre pays pour défendre ses droits garantis par la Charte.

Rick Sauvé était motivé à faire ce travail, car il défendait avec passion son propre droit de vote. Cette passion lui a permis de rester en contact avec l’extérieur et de continuer à participer au système démocratique canadien.

C’est sur ce plan que Rick et moi avons des atomes crochus. Ayant brigué les suffrages à maintes reprises, je crois moi aussi en notre système démocratique. Je crois au pouvoir d’un seul vote. Une élection — comme nous l’avons tous vu cette année — peut vraiment se jouer sur un seul vote.

Je suis fière d’avoir publié un rapport sur le travail que j’ai accompli avec mon équipe dévouée. Nous avons constaté que les personnes incarcérées s’intéressent à la politique, mais qu’elles ignorent souvent leurs droits et le moment des élections. Nous avons constaté que le personnel du Service correctionnel du Canada travaille fort pour tenir un scrutin. Cependant, il est possible de faire mieux.

Dans mon rapport, j’ai classé les améliorations à apporter en trois catégories. La première, c’est l’accès à l’information pour les Canadiens incarcérés. La deuxième, c’est de permettre aux Canadiens incarcérés de s’inscrire sur la liste électorale au moyen de l’adresse de l’établissement où ils habitent. Les détenus doivent voter 12 jours avant le jour du scrutin, voilà pourquoi, pour la dernière catégorie, je recommande de modifier le moment où se tiennent les scrutins dans les prisons afin que les électeurs incarcérés puissent écouter les débats et consulter les différentes plateformes électorales avant de déposer leur bulletin dans l’urne.

Mon équipe transmettra ce rapport à chacun de vos bureaux, à toutes les prisons fédérales, ainsi qu’aux comités de bien-être des détenus, aux représentants ethnoculturels et aux agents de liaison pour les élections.

Vous venez de m’entendre utiliser le mot « ethnoculturel ». Nous sommes en 2025, et les mots que nous employons ont un sens, mais ce mot est encore utilisé par Service correctionnel Canada. La Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires recommande à Service correctionnel Canada de cesser d’employer l’expression « délinquant ethnoculturel » parce que celle-ci :

[...] généralise et ne reconnaît pas les défis distincts auxquels sont confrontés les détenus noirs. L’abandon de cette étiquette est le premier pas vers la reconnaissance des expériences raciales et socioéconomiques uniques des détenus noirs.

Permettez-moi de m’interrompre un instant. Les mots « Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires » ne se trouvaient ni dans la plateforme électorale du gouvernement, ni dans le discours du Trône, ni dans la lettre de mandat rédigée par le premier ministre. Pourtant, les Canadiens noirs comptent sur le gouvernement pour qu’elle devienne réalité. Rédigée par Zilla Jones et Akwasi Owusu-Bempah, cette stratégie réussit à conjuguer expertise technique et poésie, mais surtout à rendre compte de la complexité de la vie au Canada pour une personne noire : ses joies, mais aussi ses peines.

Mon travail en tant que sénatrice noire et membre à la fois du Groupe canado-africain du Sénat et du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles est dorénavant lié à cette stratégie.

Les Canadiens noirs, les communautés noires et les personnes incarcérées noires comptent sur moi pour utiliser la tribune que j’ai ici afin qu’ils ne soient pas oubliés, pour appuyer les changements dont ils ont besoin et pour nous faire avancer vers un Canada plus juste et plus équitable.

Le discours du Trône évoquait l’idée d’un Canada plus fort, plus uni et plus sûr. Le gouvernement s’est engagé à resserrer le Code criminel. La société a beaucoup évolué depuis que le Code a été revu la dernière fois, il y a une cinquantaine d’années. À l’époque, nous cherchions à y voir clair dans notre histoire, mais les choses ont beaucoup changé depuis. Le Code est mûr pour une autre révision.

Même si je fais partie du Comité des affaires juridiques depuis seulement quatre ans, j’ai vu je ne sais plus combien de projets de loi visant à modifier le Code criminel. Nous modifions ce texte législatif disposition par disposition parce que nous voulons que les Canadiens soient en sécurité. Quand on dit qu’on veut modifier le Code criminel, c’est pour que les gens se sentent en sécurité, mais qu’est-ce que cela veut dire, au juste? La réponse peut varier d’une personne à l’autre. Il y a différentes façons d’assurer la sécurité, la loi et l’ordre publics.

La sécurité et le sentiment de sécurit du public ne dépendent pas seulement du Code criminel, ils dépendent aussi des mécanismes de soutien en santé mentale, des programmes de réadaptation, de la désaffiliation des gangs et de la planification de la réintégration. Après avoir purgé leur peine, les détenus vont sortir de prison, mais si on ne mise pas sur leur réadaptation, ils ne seront pas prêts à participer et à contribuer de manière constructive à la société. À partir de maintenant, il faudrait davantage chercher à renforcer les collectivités, mais aussi à protéger et à soutenir les personnes les plus vulnérables du Canada. J’aimerais que les 114 recommandations de la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires soient mises en œuvre.

Lorsque j’ai demandé à un jeune homme noir incarcéré dans une prison fédérale pourquoi voter est si important pour lui et ce que ce rapport avec le monde à l’extérieur de l’établissement signifie pour lui, il a longuement réfléchi. Si longuement que je croyais qu’il n’allait pas répondre à ma question. Toutefois, il a fini par dire, avec conviction : « Une fleur peut-elle éclore dans un endroit sombre? » Ce à quoi il a lui-même répondu : « Oui, c’est possible. » Si ce jeune homme peut garder espoir, alors je garderai espoir, moi aussi.

Merci. Nia:wen.

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