Aller au contenu

Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

30 mars 2023


L’honorable Denise Batters [ - ]

Propose que le projet de loi C-291, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence (matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels), soit lu pour la deuxième fois.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-291, qui vise à modifier le Code criminel pour remplacer le terme « pornographie juvénile » par l’expression, plus complète, « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels ».

Cette modification peut sembler anodine, mais les mots ont leur importance, en particulier lorsqu’ils ont un impact sur la vie et l’avenir des citoyens les plus vulnérables, les enfants.

Avant d’aller plus loin, j’aimerais souligner les contributions des députés qui ont permis à ce projet de loi important de voir le jour. Cette initiative a été mise de l’avant par mon collègue du caucus conservateur, Mel Arnold, député de North Okanagan—Shuswap, en Colombie-Britannique. L’auteur du projet de loi C-291 est un autre de mes collègues du caucus, le député Frank Caputo.

M. Caputo a proposé ce projet de loi en s’appuyant sur son expérience en tant que procureur de la Couronne de la Colombie-Britannique. Il a remarqué un problème dans le système actuel et a décidé d’essayer de changer les choses. En faisant du porte-à-porte lors de la campagne électorale de 2021, M. Caputo a parlé de cette idée avec des électeurs de sa circonscription, et il s’est rendu compte que des électeurs canadiens se souciaient autant que lui de la protection des enfants contre l’exploitation et les abus. Par conséquent, lorsqu’il a été élu député pour la première fois, en 2021, M. Caputo savait que son premier projet de loi d’initiative parlementaire allait porter là-dessus.

Compte tenu des chances limitées de voir un projet de loi d’initiative parlementaire être mis à l’étude, en raison du système de tirage au sort de la Chambre des communes, M. Caputo a échangé son projet de loi avec M. Arnold, qui avait une place plus élevée dans l’ordre de priorité. La députée de Kelowna—Lake Country, Tracy Gray a échangé sa place avec celle de M. Arnold pour qu’il puisse présenter le projet de loi C-291 encore plus rapidement. Je tiens à remercier mes collègues conservateurs de leur excellent travail d’équipe à l’égard de ce projet de loi, car ils ont travaillé ensemble pour que ce projet de loi soit adopté le plus rapidement possible, dans l’intérêt des enfants du pays.

Permettez donc que je revienne au fond du projet de loi. Pourquoi est-ce tellement important de changer la terminologie juridique en remplaçant le terme « pornographie juvénile » par « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels »? Il s’agit de reconnaître ce matériel pour ce qu’il est et de désigner comme il faut : l’abus et l’exploitation d’enfants. Le terme « pornographie » implique qu’il y aurait un élément de consentement, mais ce n’est jamais le cas lorsqu’il s’agit d’un enfant, surtout lorsqu’il s’agit d’une situation de déséquilibre de pouvoir avec un adulte. De plus, le terme « pornographie » implique perversement un élément de divertissement au lieu de faire voir la vraie nature de ce matériel : il s’agit de l’abus ignoble et dégradant d’enfants.

La nouvelle phrase ne change pas concrètement l’application de la loi. Tous les éléments précédemment couverts par l’expression « pornographie juvénile » le seront toujours selon la nouvelle terminologie. La pornographie juvénile est devenue une infraction au Code criminel en 1993. En ce moment, cette infraction se lit comme suit :

163.1 (1) Au présent article, pornographie juvénile s’entend, selon le cas :

a) de toute représentation photographique, filmée, vidéo ou autre, réalisée ou non par des moyens mécaniques ou électroniques :

(i) soit où figure une personne âgée de moins de dix‑huit ans ou présentée comme telle et se livrant ou présentée comme se livrant à une activité sexuelle explicite,

(ii) soit dont la caractéristique dominante est la représentation, dans un but sexuel, d’organes sexuels ou de la région anale d’une personne âgée de moins de dix‑huit ans;

b) de tout écrit, de toute représentation ou de tout enregistrement sonore qui préconise ou conseille une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans qui constituerait une infraction à la présente loi;

c) de tout écrit dont la caractéristique dominante est la description, dans un but sexuel, d’une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans qui constituerait une infraction à la présente loi;

d) de tout enregistrement sonore dont la caractéristique dominante est la description, la présentation ou la simulation, dans un but sexuel, d’une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans qui constituerait une infraction à la présente loi.

Lorsque M. Arnold a présenté pour la première fois le projet de loi C-291, celui-ci proposait de remplacer le terme « pornographie juvénile » par « matériel d’abus pédosexuels ». Le Comité de la justice de la Chambre des communes a amendé ce projet de loi en y ajoutant « et d’exploitation » afin de mieux englober l’ensemble de l’infraction. Toutefois, le comité a pris soin de préciser que cet ajout n’élargirait pas l’interprétation actuelle de l’infraction, mais qu’il refléterait mieux ce qui figure déjà dans la définition actuelle.

L’expression « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels » s’inscrit dans une tendance mondiale qui s’éloigne de l’expression « pornographie juvénile » pour certaines des raisons que j’ai déjà mentionnées. Le Parlement européen a adopté une résolution en ce sens en mars 2015, qui :

[...] estime essentiel d’utiliser la terminologie correcte pour les crimes contre les enfants, y compris la description d’images d’abus sexuels d’enfants, et d’employer le terme adéquat de « matériel pédopornographique » plutôt que celui de « pédopornographie ».

Les organismes chargés de l’application de la loi ont également remplacé l’expression « pornographie juvénile » par une formulation décrivant l’abus et l’exploitation pédosexuels. Europol et INTERPOL utilisent les termes « matériel d’abus pédosexuels » et « matériel d’exploitation pédosexuelle ».

Le site Web canadien de la GRC sur l’exploitation sexuelle des enfants explique que le terme « pornographie juvénile » est dépassé « et profite aux agresseurs sexuels d’enfants, car il laisse entendre que les infractions sont des actes consensuels » et « évoque des images d’enfants posant dans des positions provocantes, plutôt que des victimes d’agressions sexuelles horribles » et déclare que « ce choix de terme permet aux agresseurs de justifier et de normaliser leurs crimes ».

Le débat moderne sur ce matériel d’abus et d’exploitation cadre avec la tenue d’une discussion respectueuse sur la guérison axée sur l’enfant et sur la victime pour les survivants d’agressions sexuelles contre des enfants. Le fait d’appeler ces crimes par leur nom est une façon de reconnaître l’immense gravité des infractions commises contre les enfants et l’impact dévastateur de ces abus sur leur vie. L’expression « pornographie juvénile » minimise cet impact.

À une époque où la technologie permet une vaste prolifération du matériel d’exploitation sexuelle des enfants, le produit de ces crimes odieux contre les enfants reste indéfiniment en ligne et détruit de manière répétée les enfants victimes à chaque écoute. La nature insidieuse et écrasante d’Internet à l’échelle mondiale hante les victimes qui cherchent désespérément à faire retirer le matériel qui illustre les abus dont elles ont été victimes. Les tourments infligés par cette exploitation vont bien au-delà de tout crime physique ou sexuel, c’est l’esprit, l’âme et, dans bien trop de cas, l’avenir d’un enfant qui sont sacrifiés.

Voici ce qu’en dit une personne qui a été victime d’exploitation sexuelle quand elle était enfant et qui est maintenant adulte :

Je vis tous les jours dans la crainte constante que quelqu’un voie mes photos et me reconnaisse et que je sois à nouveau humiliée. Cela me fait mal de savoir que quelqu’un les regarde — me regarde — alors que je n’étais qu’une petite fille dont on abusait pour l’appareil photo [...] Je veux que tout soit effacé. Je veux que tout s’arrête. Je suis toutefois impuissante à arrêter cela, tout comme j’étais impuissante à arrêter [...]

 — son agresseur. Elle a déclaré que lorsque l’on a découvert ce que son agresseur avait fait :

J’ai suivi une thérapie et je pensais que je m’en remettais. J’avais très tort. Ma compréhension des événements que j’ai vécus n’a fait que s’éclaircir avec l’âge. Ma vie et mes sentiments sont pires maintenant parce que le crime n’a jamais vraiment cessé et ne cessera jamais vraiment. Il est difficile de décrire ce qu’on ressent lorsqu’on sait qu’à tout moment, quelqu’un quelque part regarde des photos de la petite fille que j’étais en train d’être abusée [...] et qu’il en tire un genre de plaisir malsain. C’est comme si j’étais abusée encore et encore et encore.

Les chiffres relatifs aux abus sexuels et à l’exploitation des enfants canadiens sont alarmants. La pandémie de COVID-19 et l’isolement découlant des mesures de confinement obligatoires ont entraîné une augmentation consternante du taux d’actes criminels commis contre les enfants.

Selon Statistique Canada, le taux d’affaires de pornographie juvénile déclarées par la police est en hausse depuis 2008, 11 790 affaires de pornographie juvénile ayant été déclarées par la police en 2021. Cette tendance s’est considérablement accentuée depuis la pandémie, avec une augmentation de 47 % en 2019, et de 31 % de 2019 à 2021.

De 2014 à 2020, le nombre de cas d’abus et d’exploitation pédosexuels signalés par la police a plus que triplé. Les crimes sexuels commis contre des enfants ont également augmenté pendant la pandémie, affichant une hausse de 14 % en 2021 seulement.

Bien sûr, bon nombre de cas d’abus et d’exploitation pédosexuels se déroulent en ligne, et ces crimes ont également augmenté considérablement pendant la pandémie, étant donné que les gens étaient plus susceptibles de rester chez eux et que l’utilisation d’Internet a été plus répandue. D’après Statistique Canada, 61 % des affaires de pornographie juvénile et 20 % des infractions sexuelles contre des enfants sont considérés comme des cybercrimes.

Cyberaide.ca, le site Web du Canada pour le signalement des cas d’abus et d’exploitation pédosexuels, a rapporté une hausse incroyable de 815 % du nombre de signalements de leurres d’enfants entre 2018 et 2022. Souvent le signe précurseur d’autres crimes sexuels commis contre des enfants, le leurre d’enfants en ligne se définit comme l’usage de coercition à l’encontre d’un enfant, habituellement en communiquant à l’aide de moyens technologiques, ainsi qu’en ayant des conversations amicales avec lui pour faciliter la perpétration d’un crime sexuel à son endroit, soit en ligne ou soit dans le cadre d’une rencontre en personne.

Cyberaide.ca a observé d’autres fortes augmentations des crimes commis contre des enfants durant la pandémie. Statistique Canada signale que, en 2021 seulement :

[…] Cyberaide.ca a observé une augmentation de 37 % par rapport à l’année précédente des signalements de violence faite aux enfants sur Internet, toutes formes confondues; une hausse de 83 % des signalements de leurre informatique; une hausse de 38 % des signalements de distribution non consensuelle d’images intimes; une hausse de 74 % des rapports de sextorsion impliquant des plateformes en ligne que les jeunes utilisent souvent; une hausse du nombre d’images intimes de jeunes publiées sur des sites pornographiques pour adultes et partagées sur des plateformes de médias sociaux grand public […]

Si, en raison de leur ampleur, ces statistiques sont difficiles à saisir, il est important de souligner que ces chiffres ne reflètent que les cas d’abus et d’exploitation pédosexuels qui ont été rapportés à la police ou au service pancanadien de signalement. Les recherches indiquent que 93 % des enfants victimes d’abus ne signalent ces abus aux autorités qu’une fois qu’ils ont atteint l’âge de 15 ans et que les deux tiers d’entre eux — 67 % — n’en parlent à personne, pas même à leur famille ou à leurs amis. L’étendue de ce fléau est vraiment accablante.

Si, grâce au projet de loi C-291, nous nous penchons sur la terminologie employée dans le Code criminel afin qu’elle reflète mieux la réalité et la gravité des abus et de l’exploitation pédosexuels, nous ne pouvons pas ignorer la nature réellement horrible du matériel concerné.

Un rapport de 2016 de Cyberaide.ca portait sur plus de 150 000 signalements reçus dans les huit années précédentes. Dans le cadre du rapport, 43 762 images et vidéos d’abus sexuel d’enfants ont été examinées et 78 % d’entre elles contenaient des images d’enfants prépubères de moins de 12 ans et 63 % des enfants semblaient avoir moins de 8 ans. Fait troublant, le rapport de Cyberaide.ca indique ceci : « Plus les enfants sont jeunes, plus les actes d’abus sexuels et d’exploitation sexuelle se font intrusifs. » On peut également lire dans ce rapport que « 6,65 % des enfants de moins de 8 ans ont l’apparence d’un bébé ou d’un bambin » et que « 59,72 % des actes d’abus contre des bébés et des bambins impliquent des agressions ou des activités sexuelles explicites ou des agressions sexuelles extrêmes ».

Les images ou les agressions sexuelles explicites sont définies de la façon suivante :

Images ou vidéos d’enfants engagés dans des actes sexuels explicites allant de l’automasturbation à des actes sexuels impliquant des adultes et d’autres enfants.

Les agressions sexuelles extrêmes sont définies comme les actes « pires que tout, comme des actes impliquant de la bestialité, du ligotage, l’usage d’armes, la défécation/miction, etc. ».

Honorables sénateurs, on en arrive à un point où il n’y a peut-être pas de mots pour pleinement décrire la dépravation de ces crimes dégoûtants — ces péchés abominables — contre des enfants innocents. Il est toutefois évident que de parler de « pornographie » dans ces cas est, bien franchement, irrespectueux et insultant pour les enfants qui en sont victimes. Rien dans ces scénarios n’est consensuel. Si l’expression « pornographie juvénile » permet d’une quelconque façon aux auteurs de ces crimes de tenter de justifier leurs actes, nous devons utiliser un autre terme. On ne doit laisser place à aucune ambiguïté.

C’est d’ailleurs ce qu’a dit le député Mel Arnold pendant le débat sur le projet de loi à la Chambre des communes. Il a dit ceci :

Ce que le Code criminel appelle de la « pornographie juvénile » est une réalité plus grave que la pornographie, car elle implique des enfants et ne peut donc pas être consensuelle. C’est une forme d’exploitation abusive, et le Code criminel devrait refléter ces réalités. Ceux qu’on appelle des pédopornographes produisent du matériel d’abus pédosexuels. Ceux qui distribuent ce matériel sont des distributeurs de matériel d’abus pédosexuels. Ceux qui possèdent ce matériel sont des propriétaires de matériel d’abus pédosexuels. Ceux qui regardent ce matériel sont des consommateurs de matériel d’abus pédosexuels. Ce sont ces réalités qui m’ont poussé à déposer ce projet de loi.

Le député Frank Caputo a cité le juge Gregory Koturbash de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique dans sa décision au terme de l’affaire R. c. Large, un cas de leurre d’enfant :

L’expression « pornographie juvénile » dilue dans une certaine mesure la véritable signification de ce que ces images et vidéos représentent. Le terme « pornographie » renforce la perception que ce qui se passe est consensuel et qu’il s’agit d’une expérience mutuelle entre le spectateur et l’acteur. Ce ne sont pas des acteurs. Il n’y a pas de consentement. Ces images et ces vidéos montrent l’exploitation sexuelle d’enfants.

Ce matériel est traumatisant. Même pour ceux qui doivent l’examiner, qu’il s’agisse de policiers chevronnés qui doivent enquêter sur des milliers de ces images en ligne ou de jurés qui sont exposés à ce matériel au cours d’un procès, quiconque a affaire à ces images ou à des histoires d’enfants exploités sexuellement en est perturbé. Le député Frank Caputo, qui, comme je l’ai dit, était auparavant procureur de la Couronne, a décrit son expérience avec ce type de matériel :

Il y a des policiers qui doivent littéralement passer en revue 3 000 fichiers multimédias. Ces policiers pourraient patrouiller dans les rues ou enquêter sur des cas de vol qualifié ou d’introduction par effraction, mais non, ils examinent des fichiers multimédias qui leur causeront probablement des préjudices psychologiques pendant quelques mois, voire le reste de leur vie.

En tant qu’ancien procureur, je me rappelle que l’une des choses plus traumatisantes que je devais faire, c’était de lire ce qui se trouvait dans ces fichiers. Habituellement, je n’avais pas à les regarder. Je qualifierais le matériel que j’ai dû examiner à l’occasion comme procureur, même si ce n’était que sous forme écrite, de traumatisant, de dégoûtant et d’infâme.

Nous devons lutter contre ce matériel avec le sérieux et la sévérité qu’il mérite, en le désignant comme l’abus et l’exploitation des citoyens les plus vulnérables du Canada, et non pas comme « pornographie » consensuelle. Ce matériel est tellement dévastateur qu’il peut avoir un effet profond même sur les professionnels de l’application de la loi les plus chevronnés.

À ce propos, ma province, la Saskatchewan, dispose d’une unité de police provinciale intégrée pour lutter contre l’exploitation des enfants en ligne, appelée Groupe de lutte contre l’exploitation des enfants dans Internet. Le gouvernement de la Saskatchewan finance à hauteur de 2,1 millions de dollars neuf postes d’enquêteurs au sein de ce groupe dans trois services de police municipaux — Regina, Saskatoon et Prince Albert — ainsi que cinq ressources au sein de l’unité provinciale du groupe. L’équipe se concentre sur les enquêtes relatives aux cas d’exploitation des enfants et sur l’arrestation des auteurs, tout en promouvant la prévention et en identifiant les enfants victimes vulnérables. J’ai été fière de soutenir ce travail important à l’époque où j’ai été, pendant près de cinq ans, cheffe de cabinet du ministre de la Justice de la Saskatchewan.

Le Groupe de lutte contre l’exploitation des enfants dans Internet de la Saskatchewan est considéré comme l’un des meilleures du pays. Il s’enorgueillit d’un taux de condamnation de 98 % une fois les accusations portées, et il a fait partie intégrante de nombreuses enquêtes locales et internationales sur des crimes d’agression d’enfants et d’exploitation d’enfants. Je sais que le Groupe de lutte contre l’exploitation des enfants dans Internet de la Saskatchewan a malheureusement vu le nombre de cas d’exploitation sexuelle d’enfants augmenter dans la province au cours des récentes années de pandémie, à l’instar de la tendance statistique observée dans tout le pays. Tandis que je travaillais sur le projet de loi, j’ai souvent pensé aux agents de ce groupe en Saskatchewan, qui doivent examiner quotidiennement le matériel ignoble, préjudiciable et servant à exploiter dont il est question dans le projet de loi. Ce fardeau personnel incroyable est l’un des sacrifices consentis dans le cadre de leur service.

Honorables sénateurs, l’exploitation sexuelle des enfants doit être éradiquée, et en tant que législateurs, il est de notre devoir de faire tout en notre pouvoir pour favoriser l’atteinte de cet objectif. Voilà pourquoi M. Caputo et M. Arnold ont proposé ce projet de loi à l’autre endroit, et voilà pourquoi j’ai choisi d’en être la marraine au Sénat.

Le caucus conservateur s’enorgueillit d’une tradition bien ancrée de défense de la justice. Sous le premier ministre Stephen Harper, l’ancien gouvernement conservateur a instauré diverses mesures en vue de protéger les enfants des prédateurs sexuels. En 2012, nous avons adopté le projet de loi C-10, Loi sur la sécurité des rues et des communautés, qui a établi de nouvelles peines minimales obligatoires pour plusieurs infractions liées à l’exploitation d’enfants, tout en renforçant des sanctions existantes. Nous avons également créé des infractions pour combattre le leurre d’enfants et avons éliminé la possibilité, pour les délinquants reconnus coupables d’une infraction liée à l’exploitation d’enfants, d’accéder à la détention à domicile et aux peines avec sursis.

En 2015, le gouvernement conservateur a adopté le projet de loi C-26, Loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d’enfants. Ce projet de loi a également établi plusieurs peines minimales obligatoires pour des infractions liées à l’exploitation d’enfants, de même que quelques nouvelles peines maximales. En outre, alors que les conservateurs étaient toujours au pouvoir, le Parlement a adopté une Charte des droits des victimes pour reconnaître les droits des victimes d’actes criminels, y compris les enfants.

Bien entendu, au cours des années suivantes, les tribunaux ont supprimé un grand nombre des peines minimales obligatoires établies par le gouvernement conservateur et les gouvernements libéraux précédents, même pour les délits les plus graves. Ces peines concernaient de nombreuses infractions liées à la protection de l’enfance, telles que la production, la possession et la distribution de matériel pédopornographique, le fait d’induire une personne âgée de moins de 18 ans à se prostituer, les contacts sexuels avec un mineur de moins de 16 ans et le leurre d’enfants.

Le gouvernement Trudeau qui est arrivé ensuite en 2015 a mis un point d’honneur à démanteler de nombreuses autres peines minimales obligatoires. Très récemment, le Sénat a malheureusement adopté l’abrogation de plusieurs peines minimales obligatoires dans le cadre du projet de loi C-5, principalement pour les armes à feu et les infractions liées à la drogue, ainsi que l’élargissement des peines d’emprisonnement avec sursis pour de nombreux crimes, y compris l’enlèvement d’une personne de moins de 14 ans. Si le public canadien devait convenir que les peines minimales obligatoires sont nécessaires pour certains crimes, ce serait probablement pour les crimes impliquant l’abus sexuel et l’exploitation d’enfants. Pour la plupart des gens raisonnables, il s’agit là d’une limite à ne pas franchir. Pourtant, lorsque les libéraux ont supprimé les peines minimales obligatoires, ils n’ont manifesté aucun sentiment d’urgence quant au renforcement des lois sur l’exploitation des enfants afin de protéger ces derniers.

Honorables sénateurs, il est temps pour nous d’agir. Nous devons nous attaquer au fléau insidieux et insoutenable qu’est l’exploitation sexuelle des enfants. On ne saurait trop insister sur la gravité de ce problème, et les enfants canadiens ont besoin de notre aide. Comme l’a dit mon collègue, le député Mel Arnold, qui est aussi le parrain du projet de loi C-291 à la Chambre des communes :

Ces données sont vraiment choquantes, et en tant que parlementaires, nous ne pouvons pas rester les bras croisés. C’est un problème qui nécessite une intervention, en particulier de la part des parlementaires que nous sommes. En adoptant ce projet de loi, nous pouvons renforcer le Code criminel. Nous pouvons tenir compte de la gravité bien réelle et des répercussions souvent à long terme pour les victimes de l’exploitation sexuelle des enfants afin de produire de la pornographie. Nous pouvons également réagir avec la vigueur que les Canadiens attendent de nous et qu’ils méritent de la part des parlementaires fédéraux.

Le projet de loi C-291 marque une étape essentielle dans la lutte contre cette triste réalité qu’est l’exploitation sexuelle des enfants. Pour régler ce problème, il faut l’appeler par son nom : il s’agit d’abus et d’exploitation pédosexuels. Ce matériel révoltant n’a rien de consensuel. Ce n’est ni du divertissement, ni de l’art. Il s’agit d’abus infligés à des enfants, d’abus qui leur volent encore et encore leur innocence, leur enfance et l’essence même de leur identité.

Le projet de loi C-291 a été rapidement adopté à l’unanimité à la Chambre des communes. J’espère qu’il connaîtra aussi un cheminement rapide au Sénat et que nous pourrons ainsi, nous aussi, faire notre part à titre de parlementaires pour protéger les enfants du Canada. Merci.

L’honorable Andrew Cardozo [ - ]

Je tiens tout d’abord à remercier la sénatrice Batters pour son discours très réfléchi et rempli d’émotion. Je remercie aussi les députés Caputo et Arnold d’avoir lancé ce projet de loi, et je vous félicite de poursuivre cet élan ici.

J’ose espérer que dans une certaine mesure, notre société a évolué. Pourtant, en ce qui concerne ce problème — l’exploitation d’enfants déguisée en pédopornographie —, je crois que la situation est de plus en plus grave, probablement en partie en raison d’Internet qui permet de mettre ce contenu atroce à la disposition de beaucoup de gens.

Dans vos échanges avec M. Caputo, celui-ci avait-il l’impression que la situation s’aggrave et que l’on produit de plus en plus de contenu du genre, ou était-il d’avis que l’humanité s’améliore à cet égard?

La sénatrice Batters [ - ]

Je pense, comme je l’ai souligné dans mon discours, que cela est dû en grande partie à la prolifération de tout ce contenu en ligne, comme le montrent les statistiques. Oui, M. Caputo est récemment devenu député, mais il a été procureur pendant un certain temps avant cela. Les statistiques montrent que le phénomène ne cesse de s’amplifier. C’est pourquoi je pense que nous devons prendre des mesures. Ce projet de loi ne représente pas une avancée considérable, mais il s’agit d’un pas dans la bonne direction, d’un pas important. Les mots ont de l’importance, c’est pourquoi je pense que nous devrions prendre cette mesure à ce stade.

L’honorable Paula Simons [ - ]

Sénatrice Batters, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

La sénatrice Batters [ - ]

Oui.

La sénatrice Simons [ - ]

À l’heure actuelle, notre loi sur la pornographie juvénile englobe des éléments qui ne sont pas des représentations d’enfants. Il s’agit de dessins et d’histoires qui sont explicites et dérangeants, mais qui font tous partie de la loi. Je me demande si l’on craint que ce changement de formulation ne réduise accidentellement les paramètres de ce qui peut faire l’objet de poursuites.

La sénatrice Batters [ - ]

Merci de cette question. Non, je ne pense pas. J’ai bien lu la définition. Cela n’a aucune incidence sur la définition. Le comité de la Chambre des communes a indiqué très clairement qu’il ne s’agissait en aucun cas de modifier la définition. Lorsque les tribunaux examinent les lois, ils se réfèrent souvent aux comités du Sénat, ainsi qu’à l’examen du comité de la Chambre des communes. En tant que membre du Comité des affaires juridiques et marraine du projet de loi au Sénat, je suis convaincue que nous aurons de nombreux témoins juristes de qualité qui nous donneront des conseils à ce sujet. C’est un élément que les tribunaux examineront — les discours prononcés et les témoignages en comité — en ce qui concerne les définitions. Je ne pense pas que la définition sera modifiée de quelque manière que ce soit. Il s’agit simplement de reconnaître la gravité de ce crime en particulier.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ - ]

Sénatrice Batters, je veux d’abord vous féliciter d’être la marraine de ce projet de loi. Je m’interroge depuis longtemps à ce sujet et je juge qu’il est totalement inacceptable que, dans le Code criminel, on utilise les termes « pornographie infantile ». La pornographie — comme vous le savez, je travaille sur ces questions — est qualifiée de « divertissement pour adultes » et il est absolument inacceptable qu’on utilise ces termes pour parler d’exploitation sexuelle.

Cela dit, ces mots datent probablement d’une autre époque où l’on ne faisait pas la différence et où l’on aurait probablement été moins alerté par l’emploi de ces termes. Toutefois, il est plus que temps qu’ils soient modifiés. Donc, merci beaucoup.

Par ailleurs, j’ai une question de traduction à laquelle vous ne pourrez peut-être pas répondre maintenant. J’ai toujours utilisé les termes « exploitation sexuelle des enfants » et « matériel d’abus et d’exploitation des enfants » et, dans la traduction française du projet de loi, on utilise un terme — qui n’est pas faux, du reste — qui est celui de « pédosexuel ».

Je trouve plutôt étrange qu’en anglais on parle de « child sexual abuse and exploitation material », mais qu’on utilise en français une expression qui vient du terme « pédophile », qui n’est pas fausse, mais qui est beaucoup moins courante lorsqu’on parle de ces questions. En général, on parle de l’exploitation sexuelle des enfants, et cela recouvre une réalité plus large.

Vous ne pourrez sans doute pas répondre tout de suite à ma question, mais le comité pourrait-il vérifier si ce sont vraiment les meilleurs termes? Si l’on veut vraiment exprimer la gravité de cette question pour le citoyen ordinaire, le mot « enfant » ne devrait-il pas y être?

La sénatrice Batters [ - ]

Merci beaucoup, sénatrice Miville-Dechêne. Je vous remercie infiniment de tout le travail que vous avez fait dans ce dossier très important. C’est une excellente question. Je n’ai pas la version française sous la main, mais je suis sûre que nous étudierons cela attentivement au comité. Nous devrions évidemment nous assurer d’employer la meilleure traduction et les meilleurs termes possible, car, comme je l’ai dit, les mots sont importants, que ce soit en français ou en anglais.

Sénatrice Batters, je vous remercie infiniment de vos efforts, de votre collaboration avec la Chambre, et de nous avoir fait part de cela cet après-midi. Je sais qu’il est tard, et que les gens sont fatigués, mais c’est très important. Je pense que cela vient à point nommé, car je ne peux même pas employer le mot « pornographie » lorsque je parle aux familles des gens avec qui je travaille. Je trouve cela tout à fait troublant, gênant et insultant en 2023.

Cela dit, je suis très heureux de voir ce projet de loi. Les données sont alarmantes, troublantes et bouleversantes. Je ne suis pas avocat, mais je me demande dans quelle mesure la modification de ce terme aurait une incidence sur la marge de manœuvre d’un avocat et sur les possibilités qui s’offrent à lui. Outre l’importance d’appeler les choses par leur nom, est-ce que cela change aussi la portée et les circonstances de ce travail?

La sénatrice Batters [ - ]

Le changement ne nuit certainement pas au travail des avocats. On y a fait très attention. Je crois qu’il y a même un article en particulier du projet de loi à cet égard, et certainement dans le travail accompli à la Chambre des communes et en comité. Il est certain qu’au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, nous veillerons à ce qu’il s’agisse uniquement d’un changement apporté au terme. Ce changement ne touchera aucunement les définitions. Toutes les parties du projet de loi visent simplement à remplacer « pornographie juvénile » par « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels ». Je suis une avocate; Frank Caputo est un avocat, nous voulons être certains que cette mesure contribue à améliorer la situation. Personne parmi nous ne veut faire quoi que ce soit qui nuirait à ce travail, et nous sommes convaincus que ce n’est pas le cas.

Je pensais aux possibilités d’amélioration, et pas vraiment aux entraves. Il y a eu des cas intéressants, et je me demande si un tel changement a peut-être aussi amélioré votre travail.

La sénatrice Batters [ - ]

Oui, comme je l’ai indiqué dans mon discours... Je suis désolée pour l’état de ma voix. C’est très sec ici, et j’ai parlé pendant un bon moment. C’est assurément quelque chose qui est fait à l’international. Nous espérons que ce changement permettra au grand public de mieux comprendre que de tels actes ne devraient même pas pouvoir être considérés comme du divertissement, de l’art ou quoi que ce soit du genre. Ce type de matériel est dégradant et dégoûtant. On inflige de mauvais traitements aux enfants qui sont plongés dans ces scénarios contre leur gré. Ce n’est pas du divertissement. Oui, j’espère que cette mesure législative contribuera à améliorer la situation, même un tant soit peu. Merci.

L’honorable Brent Cotter [ - ]

Acceptez-vous de répondre à une question, sénatrice Batters?

La sénatrice Batters [ - ]

Oui.

Le sénateur Cotter [ - ]

Il s’agit d’une excellente initiative — et d’un discours très fouillé. Nous vous remercions tous du travail que vous avez accompli. Votre ami et collègue Frank Caputo a été mon étudiant; je me sens lié à cette question d’une certaine manière. Cela me rappelle mon grand âge.

Ma question est la suivante. Je suis d’accord avec vous pour dire que les mots ont de l’importance, mais est-ce que vous — ou les parrains du projet de loi à la Chambre — êtes rassurés quant à la teneur de l’infraction? Vous avez mentionné les taux élevés de condamnation en Saskatchewan dans les cas où des accusations sont portées, mais comment interprétez-vous les choses? Pensez-vous qu’il faut prendre en compte cette dimension également?

La sénatrice Batters [ - ]

Merci beaucoup, sénateur Cotter. J’allais préciser que Frank Caputo est un fier diplômé de la Faculté de droit de l’Université de la Saskatchewan, tout comme le juge Greg Koturbash, que j’ai cité. Je ne sais pas si vous lui avez enseigné, à lui aussi. Quoi qu’il en soit, merci. Bravo à la Faculté de droit de l’Université de la Saskatchewan.

Il y a quelque chose de particulier à propos des projets loi d’initiative parlementaire. Les personnes qui réussissent le mieux essaient de prendre une chose particulière et de la changer.

Il y a donc peut-être quelque chose de plus à faire au sujet de la définition ou de je ne sais quoi d’autre, mais c’est la partie particulière que M. Caputo et M. Arnold ont décidé de mettre de l’avant, et je pense que c’est intelligent. Parfois, un projet de loi d’initiative parlementaire peut devenir un peu trop global.

Peut-être que c’est une approche à examiner à l’avenir, mais c’est ce que nous avons choisi de faire pour l’instant. Merci.

Haut de page