La Loi sur l'Agence du revenu du Canada
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
18 avril 2023
Que le projet de loi S-258, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, vous remarquerez que je présente pour la troisième fois le même projet de loi d’initiative parlementaire, la loi sur l’équité pour les contribuables canadiens, qui exigerait que le gouvernement du Canada fasse état de toutes les condamnations pour évasion fiscale à l’étranger et qu’il évalue le manque à gagner fiscal, c’est-à-dire la différence entre le montant qui aurait dû être prélevé et le montant réel des impôts perçus. Il exigerait également que l’Agence du revenu du Canada fournisse au directeur parlementaire du budget les données sur le manque à gagner fiscal qu’elle a recueillies, ainsi que les données supplémentaires que le directeur parlementaire du budget juge pertinentes pour effectuer sa propre analyse du manque à gagner fiscal.
Lors de la dernière tentative — la deuxième —, le projet de loi a été adopté au Sénat, mais pas à la Chambre des communes. Espérons que la troisième fois sera la bonne.
Permettez-moi d’abord de faire une mise en garde, comme je le fais toujours : il n’est pas illégal d’avoir un compte bancaire à l’étranger. Il est toutefois illégal de ne pas déclarer les produits de ces comptes à l’Agence du revenu du Canada. Chers collègues, il fut un temps où l’Agence du revenu du Canada n’attirait pas beaucoup l’attention, que ce soit de la part du public ou du gouvernement. En tant que seule organisation gouvernementale sur laquelle on peut compter pour atteindre le seuil de rentabilité, on a toujours été tenté de la laisser faire — tant que tout fonctionne, on ne touche à rien.
Cependant, cette confiance s’est érodée, car nous avons vu de nombreux cas d’évasion fiscale à l’étranger qui ne sont pas punis et pour lesquels on ne peut malheureusement récupérer que peu d’argent, voire rien du tout. Ajoutons à cela les réponses de l’Agence du revenu du Canada chaque fois qu’un cas est divulgué publiquement. Elle nous dit, par exemple, qu’elle travaille fort pour épingler ceux qui fraudent le fisc à l’étranger, qu’elle prend ce problème très au sérieux, qu’elle a déterminé que tel montant est à percevoir, au lieu de nous dire qu’elle l’a perçu. Malheureusement, ces commentaires de l’Agence du revenu du Canada trahissent le fait que les efforts déployés et les résultats obtenus sont extrêmement décevants.
Parmi les nombreux exemples, citons les Panama Papers, publiés en 2016. Dans les sept ans qui ont suivi la publication de ces données, qui révèlent notamment que des centaines de Canadiens détiennent des comptes gérés par un cabinet d’avocats au Panama, d’autres pays ont réussi à percevoir plus de 1,3 milliard de dollars en impôts auprès de citoyens qui, selon les documents publiés, détenaient des comptes cachés au Panama.
En 2021, soit l’année la plus récente pour laquelle des données sont disponibles, l’Australie avait recouvré 138 millions de dollars, l’Équateur, 84 millions de dollars, et l’Espagne, 166 millions de dollars. Même l’Islande, un pays de 340 000 habitants, a recouvré 25 millions de dollars. Or, malgré les centaines de comptes et les dizaines de vérifications, le Canada n’a pas annoncé le moindre recouvrement de fonds. Pas un sou n’a été recouvré.
L’Agence du revenu du Canada a déclaré avoir établi des montants totalisant plus de 16 millions de dollars, mais, comme je l’ai dit, ce qui est établi n’est pas perçu, et aucune personne n’a été accusée, et encore moins condamnée, pour évasion fiscale à l’étranger. Dans d’autres pays, des gens ont été inculpés et condamnés, en plus de devoir rembourser les fonds.
En octobre 2012, il y a presque 11 ans, j’ai écrit au directeur parlementaire du budget de l’époque pour lui demander d’enquêter sur l’impact économique de l’évasion fiscale à l’étranger. À sa suggestion, cette enquête s’est transformée en un effort pour déterminer l’écart fiscal, c’est-à-dire la différence entre ce que l’Agence du revenu devrait percevoir et ce qu’elle perçoit réellement. Le directeur a déterminé qu’il était effectivement possible de fournir une estimation de cet écart, d’autant plus que beaucoup d’autres pays le font. Par la suite, il a communiqué avec l’Agence du revenu pour s’assurer de sa coopération dans cette démarche.
Chers collègues, l’agence a refusé de coopérer. On sait pourquoi lorsqu’on réalise que l’écart fiscal ne mesure pas seulement ce qui devrait être perçu, mais aussi l’efficacité — ou, dans ce cas, l’inefficacité — de l’Agence nationale du revenu relativement à son devoir et à sa responsabilité de percevoir les sommes dues au gouvernement du Canada. Je suis certain que la mise en évidence, par une analyse de l’écart fiscal, du travail totalement inadéquat de l’Agence du revenu du Canada dans la lutte contre l’évasion fiscale à l’étranger a été un facteur majeur dans son refus de coopérer avec le directeur parlementaire du budget.
Même sans la coopération de l’ARC, le directeur parlementaire du budget a été en mesure de tirer ses propres conclusions à propos du manque à gagner fiscal. Devant un comité sénatorial, il a déclaré ce qui suis en mars 2020, en se fondant sur sa propre analyse :
[P]our avoir travaillé à l’ARC et pour avoir été directeur parlementaire du budget depuis maintenant un an et demi, je suis convaincu qu’il y a des centaines de millions ou même des milliards de dollars en impôts non déclarés qui échappent aux autorités fiscales du Canada, probablement chaque année, en raison des transactions internationales.
De son côté, le très respecté Conference Board of Canada a publié il y a six ans un rapport intitulé Canadian Tax Avoidance and Examining the Potential Tax Gap — un rapport sur l’évasion et le manque à gagner fiscal. L’organisation a conclu que des recettes fiscales pouvant s’élever jusqu’à 47 milliards de dollars ne sont pas perçues par le gouvernement du Canada.
Sur son site Web, l’ARC affiche une liste des communiqués sur les Canadiens reconnus coupables d’infractions liées à l’évitement fiscal. Dans ses propres mots, l’ARC vise ainsi :
[...] à maintenir la confiance en l’intégrité du système d’autocotisation et à accroître l’observation de la loi grâce à l’effet dissuasif de cette publicité.
Si vous parcourez la liste, comme je l’ai fait récemment, vous verrez les noms d’un large éventail de personnes d’un océan à l’autre, toutes arrêtées et punies, presque toutes pour évasion fiscale au Canada. Si vous cachez votre argent à l’étranger, vos chances de vous faire prendre sont très faibles, alors que si vous trichez sur votre déclaration de revenus au Canada, vous risquez de vous faire prendre, de recevoir une amende et d’être emprisonné dans certains cas. À cette fin, sur tous les avis — et il y en avait 105 lorsque j’ai regardé — remontant à 2017, seulement trois étaient des condamnations pour ce que l’on pourrait appeler l’évasion fiscale à l’étranger et aucune ne portait sur des montants particulièrement élevés. La plupart de ces condamnations ont été prononcées à la suite d’une action appropriée de l’assurance.
Je dois souligner que les dernières années ont été marquées par un certain nombre de réussites. Le programme électoral de 2015 du Parti libéral contenait un engagement à :
Demander à l’ARC de procéder immédiatement à une analyse de la fraude fiscale, ou de ce que l’OCDE appelle « l’écart fiscal ».
L’agence, malgré toute sa réticence passée, a été contrainte, en raison de cette promesse, de commencer à publier une série de rapports sur l’écart fiscal à partir de 2016, le plus récent remontant à l’été dernier et faisant référence au passage à l’évasion fiscale à l’étranger.
Cependant, le Canada doit effectuer une série d’études au fil du temps pour évaluer l’efficacité de l’Agence du revenu du Canada afin de voir ce qui fonctionne bien et ce qui a besoin d’être amélioré. La décision d’entreprendre ces études ne doit pas revenir uniquement à l’Agence. Vu son refus de coopérer avec le directeur parlementaire du budget, elle devrait y être contrainte par la loi, ce que le projet de loi permettra d’accomplir.
Je tiens à souligner qu’exiger que l’Agence du revenu du Canada fasse rapport sur l’évasion fiscale à l’étranger et sur le manque à gagner fiscal en général n’est pas le résultat d’une simple curiosité. D’autres pays, comme les États-Unis, le Royaume-Uni, la Turquie, la Suède, et même l’État de la Californie mesurent leur manque à gagner fiscal. Ils ont constaté qu’il s’agit d’un outil très utile pour élaborer des politiques. Ils conviennent tous que l’argent caché à l’étranger doit être rapatrié, et ils ont besoin de renseignements à jour sur le manque à gagner fiscal afin d’identifier les sommes concernées et d’aider à rapatrier l’argent.
Comme je l’ai dit, au Canada, il n’y a aucun danger à cacher son argent à l’étranger, puisque les chances d’être accusé, sans parler l’être condamné, sont pratiquement nulles. Les centaines de millions de dollars, voire les milliards de dollars calculés par le directeur parlementaire du budget ne résoudront pas, comme par magie, nos problèmes financiers, mais si nous en récupérions ne serait-ce qu’une portion, nous pourrions réduire le déficit et financer divers programmes. Nous savons tous que chaque fois qu’une nouvelle politique est suggérée au Canada, la question qui revient est « Où prendra-t-on l’argent pour la financer? » Voilà donc un moyen formidable de financer des politiques. Les milliards de dollars cachés à l’étranger pourraient être la solution.
On pourrait également réduire divers impôts.
Il est indéniable que le pays perd une somme d’argent considérable en raison de l’évasion fiscale à l’étranger, mais au-delà de cette réalité, il y a le simple fait que c’est grossièrement injuste. Ceux d’entre nous qui respectent les règles et paient leurs impôts se font duper par d’autres Canadiens qui contournent le système et cachent leur argent à l’étranger.
En ne percevant pas l’impôt qui est dû, on mine l’assurance que tous sont traités également. Si nous sommes tous dans la même situation, alors nous payons tous des impôts. Autrement, certains Canadiens qui disposent de moyens pour cacher leur argent bénéficient d’un traitement spécial, tandis que les autres doivent payer pour combler le manque à gagner.
Chers collègues, avant de conclure, je tiens à remercier les sénateurs qui sont intervenus en faveur de ce projet de loi lorsque je l’ai présenté pour la dernière fois. Le projet de loi dont le Sénat est saisi aujourd’hui est identique au projet de loi précédent. J’ai particulièrement apprécié le soutien du sénateur Paul MacIntyre, qui a pris sa retraite depuis, de la sénatrice Bovey, de la sénatrice Galvez et de la sénatrice McPhedran. Je les en remercie. Je remercie d’ailleurs tous les sénateurs qui ont voté en faveur de ce projet de loi la dernière fois. Nous espérons que la Chambre des communes fera preuve de bon sens cette fois-ci et qu’elle l’adoptera également.
Je vous remercie, chers collègues.