Le Sénat
Motion tendant à reconnaître que les changements climatiques constituent une urgence--Suite du débat
5 avril 2022
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en étant reconnaissante envers le Créateur pour cette journée et pour le privilège de m’adresser à vous à partir des terres ancestrales des Algonquins anishinabes et de servir le Canada et les Canadiens, respectueusement, avec vous tous.
Aujourd’hui, je prends la parole au sujet de la motion de la sénatrice Galvez qui décrit les changements climatiques comme étant une urgence. La sénatrice Mégie l’a dit de façon éloquente lorsqu’elle a déclaré que notre planète, qui soutient la vie, doit être traitée aux soins intensifs sans plus de délais.
Qu’est-ce qui constitue une urgence? Une urgence, c’est une menace à la vie. Notre climat et la vie sur notre planète telle que nous la connaissons sont menacés par des phénomènes météorologiques extrêmes partout dans le monde. Au Canada, nous avons été témoins d’inondations, d’incendies, de sécheresses et de chutes de neige records, en plus de la fonte des glaces de l’Arctique, notamment dans le couloir d’icebergs de Terre-Neuve-et-Labrador. Une urgence, c’est une menace à la sécurité des gens. Ne pas avoir de refuge, surtout lorsqu’il y a des conditions météorologiques extrêmes, constitue une urgence.
Ne plus avoir accès à la nourriture et au mode de subsistance sur lesquels votre culture a compté pendant des milliers d’années, voilà une menace à la sécurité et à la culture d’une personne. Il s’agit d’une urgence.
Pour un gouvernement et ses dirigeants, la décision de qualifier une situation d’urgence n’est pas à prendre à la légère, et arriver à un consensus n’est pas facile. Nous avons été témoins de débats à ce sujet au début de l’année.
En 2018, lors de discussions stratégiques entre Kluane Adamek, cheffe régionale de l’Assemblée des Premières Nations, son équipe et les chefs du Yukon, on a inventé l’expression « A Yukon that Leads » — un Yukon qui montre la voie — pour décrire notre région, le leadership des Premières Nations et les progrès réalisés.
La cheffe régionale m’a donné la permission de partager cela avec vous. J’en ai parlé dans un hommage au regretté Paul Birckel, ancien chef des Premières Nations au Yukon. Nous avons perdu un leader. Heureusement, nous n’avons pas perdu le chemin. « Un Yukon qui montre la voie. » Je ne pourrais penser à une meilleure expression pour décrire la grande variété des initiatives des Premières Nations du Yukon.
Un exemple remarquable est le chef Dana Tizya-Tramm de la Première Nation Vuntut Gwitchin. Le 19 mai 2019, Old Crow, où habite la nation Vuntut Gwitchin, a déclaré un état d’urgence dans la communauté. Les changements climatiques altèrent radicalement le mode de vie dans cette communauté éloignée, la seule collectivité yukonaise à ne pas avoir une route accessible toute l’année.
Je reviendrai au sujet des routes dans un instant.
Honorables sénateurs, j’aimerais vous faire part de cette citation du chef Tizya-Tramm. Voici ce qu’il a dit :
En un clin d’œil, mon arrière-petit-enfant vivra sur un territoire complètement différent, et si cela ne suffit pas pour constituer une urgence, je ne sais pas ce qui le serait.
L’urgence — cette crise urgente — est à nos portes, comme l’a décrit la sénatrice Galvez. Ce n’est pas la première fois qu’on le signale aux Canadiens. Un rapport du gouvernement du Canada publié en 2019, le Rapport sur le climat changeant du Canada, fait remarquer ce qui suit :
Le Nord du Canada est défini comme étant la région géographique au nord du 60e latitude nord, englobant le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest, la majorité du Nunavut ainsi que certaines parties du Nunavik (nord du Québec) et du Nunatsiavut (la partie la plus nordique de Terre-Neuve et Labrador). Dans l’ensemble de cette région, la température annuelle moyenne a augmenté de 2,3 °C entre 1948 et 2016, environ trois fois plus que le taux de réchauffement de la température moyenne mondiale.
Dans son discours sur la motion, le sénateur Black a indiqué qu’il parlerait de ce qu’il connaît le mieux, à savoir les changements climatiques et l’agriculture. La sénatrice Anderson a parlé avec beaucoup d’éloquence des changements climatiques dans le Nord qu’elle connaît. Aujourd’hui, je parle de ce que je sais : le changement climatique au Yukon.
Dans ma vie, chers collègues, j’ai été témoin d’hivers de plus en plus doux. Oui, nous connaissons encore parfois une semaine de grand froid, mais pas les semaines de moins 40 degrés Celsius de l’époque où je me rendais à l’école à pied.
En tant que jeune adulte, j’ai travaillé pour la Brigade jeunesse pour la conservation de l’environnement de Parcs Canada dans le parc national Kluane, au pied du mont Sheep, où le glacier Kaskawulsh agrémente le paysage et alimente le majestueux lac Kluane.
Honorables sénateurs, je vous invite à lire l’histoire dramatique que raconte Ainslie Cruickshank dans son ouvrage sur le changement climatique dans le Nord, intitulé A River Ran Through It, publié le 24 juin 2019. On peut y lire ceci :
Le Nord est la proie du changement climatique. Dans une démonstration spectaculaire de sa puissance, un glacier en train de fondre a volé la rivière qui alimente ce lac et les conséquences se sont répercutées sur tout le bassin versant.
Elle faisait référence au glacier Kaskawulsh et au lac Kluane. « Aujourd’hui, la Première Nation de Kluane est contrainte de s’adapter. »
La motion de la sénatrice Galvez parle des changements climatiques comme étant une crise urgente ayant des conséquences catastrophiques, surtout pour les jeunes Canadiens.
La motion indique que les changements climatiques constituent une crise urgente, et qu’il est nécessaire d’agir rapidement, à défaut de quoi les conséquences seront très graves pour nos jeunes. Oui, il y a des jeunes qui ont été applaudis pour leurs efforts louables, qui agissent comme chefs de file et qui reconnaissent l’urgence de la situation et la nécessité de changer. Dans l’intervalle, toutefois, les effets dévastateurs des changements climatiques s’accumulent.
Comme je l’ai mentionné précédemment, la communauté d’Old Crow est accessible uniquement par avion. Au fil des années, lorsqu’une nouvelle école ou une nouvelle clinique médicale était construite, un pont de glace était aménagé pour accéder à Old Crow. Cette année, les camions ont été incapables d’utiliser le pont de glace pendant une certaine partie de la saison en raison des températures plus élevées. Le pont de glace qui mène à Old Crow est une infrastructure essentielle même si elle est de nature temporaire.
L’impact sur les infrastructures permanentes, par exemple le réseau routier qui traverse le Yukon, est considérable. Parmi ces routes, l’Al-can, la route de l’Alaska, est un axe de transport routier très important. Elle relie les 48 États américains à l’Alaska, ainsi que des routes que Diefenbaker qualifiait de « routes menant aux ressources », dont la route Dempster, un lien essentiel pour les communautés d’Inuvik et de Tuktoyaktuk, dans les Territoire du Nord-Ouest.
Selon les estimations, le dégel du pergélisol sur ces routes fait grimper le coût de leur entretien de plusieurs centaines de milliers de dollars par année depuis 2005. Ces centaines de milliers de dollars peuvent sembler peu quand on pense à un budget provincial de plusieurs millions de dollars ou au prochain budget fédéral, qui se chiffrera dans les milliards de dollars. C’est toutefois une somme considérable dans le contexte du budget — plutôt limité — d’un gouvernement territorial.
Les discussions à propos du transport, des changements climatiques et de solutions telles que l’utilisation d’autobus électriques à Edmonton sont aussi importantes que toutes les petites et les grandes étapes de la lutte contre les changements climatiques.
Les honorables sénateurs m’entendent souvent dire qu’il n’existe pas de solution unique. Il faut faire des changements et agir sans tarder, mais ce n’est pas tout le monde qui le reconnaît et l’accepte. On le remarque notamment chez certains jeunes. Pendant leur enfance, les membres de toute une génération ont joué avec de gros camions qui faisaient « vroum, vroum » et rêvé d’avoir un jour un camion F-150 ou un GMC Denali muni de gros pneus. Aujourd’hui, ces jeunes adultes aiment faire de la motoneige et conduire leur quatre-roues dans l’arrière-pays des provinces et des territoires.
Les conséquences que ces jeunes devront subir, c’est de se dire que toutes les choses qu’ils pensaient savoir et le monde où ils pensaient grandir n’existent plus. C’est de se rendre compte qu’ils ne pourront pas avoir le même style de vie et vivre les mêmes aventures que la génération qui les a précédés.
Nous sommes tous devenus très conscients des divisions qui règnent au pays. Je pense que nos débats sur les mesures d’urgence doivent comporter des discussions sur la douleur que provoquent chez certaines personnes ces décisions qui changent des vies.
Il ne faut pas oublier que nous devons également démontrer que nous comprenons le Canada rural, les régions où les réseaux de transport en commun électriques, ou même les systèmes de transport en commun traditionnels, ne sont pas la norme. Dans les petites collectivités rurales, vous montez sur un quatre-roues pour aller au magasin. La camionnette ou la Suburban est votre bureau. Vous l’utilisez pour transporter les équipes sportives à la patinoire et pour vous rendre en famille jusqu’au grand centre le plus près pour faire l’épicerie et les courses.
L’abandon des combustibles fossiles est un vrai défi. Certes, nous voyons les progrès réalisés dans le domaine des véhicules électriques. Aux informations d’hier, on annonçait des investissements des gouvernements dans une usine de véhicules électriques. Nous devons nous adapter aux changements, et pas seulement à ceux qui concernent le climat. Nous devons ajuster notre mode de vie et nos attentes, et nous assurer que la transition ne se fera pas sous la contrainte et selon un modèle unique.
Honorables sénateurs, en parlant de s’adapter au changement, on cite le chef Bob Dickson de la Première Nation de Kluane dans l’ouvrage A River Ran Through It. Ses paroles nous offrent une leçon à tous. Il dit : « Nous devons réapprendre nos connaissances traditionnelles parce que les choses changent ».
L’article se poursuit :
Il ne s’agit pas seulement du bas niveau des lacs. Les hivers sont plus chauds, il pleut davantage et le rut des orignaux — la saison des amours — arrive plus tard à l’automne.
On cite encore le chef Dickson :
Nous accepterons cette réalité. Quand ils ont créé un parc national, ils nous ont déplacés ici et nous nous sommes adaptés. Je pense que nous nous adapterons à cette situation de la même manière.
Dans le cadre de nos discussions sur cette urgence et sur l’avenir, je crois que nous devons être conscients des diverses circonstances et aborder nos discussions de manière à approfondir notre compréhension sans diviser, comme nous l’avons constaté dans l’interpellation de la sénatrice Coyle sur les solutions aux changements climatiques, et aspirer à un avenir meilleur. J’espère avoir l’occasion d’en discuter plus tard au cours de la session.
Honorables sénateurs, si on peut dire quelque chose de bon sur tout, je dirais que notre quête de solutions au problème des changements climatiques et nos efforts pour réduire notre dépendance aux combustibles fossiles nous offrent peut-être des possibilités. Comme la sénatrice Dasko l’a déclaré récemment, le Yukon est la région du pays où l’on a observé la plus grande croissance. La demande d’électricité dépasse largement la capacité de production des installations hydroélectriques au Yukon, surtout à Whitehorse. La demande est si importante que les génératrices au diésel augmentent leur approvisionnement depuis plusieurs hivers.
À Old Crow, après avoir déclaré une urgence climatique, la collectivité la plus nordique du Yukon a annoncé l’achèvement d’un projet ambitieux, qui avait été retardé par la pandémie comme tant d’autres projets. Sree Vyah est un projet d’énergie solaire consistant en 2 160 panneaux monocristallins à une face, configurés de manière à maximiser la génération d’énergie solaire durant les longues heures d’ensoleillement de l’été. Cela réduira la dépendance de la collectivité envers les génératrices au diésel de 189 000 litres de diésel par an. C’est un changement radical pour une collectivité accessible seulement par avion. Le financement du projet vient de plusieurs programmes fédéraux, de la Première Nation et de la Société de développement du Yukon.
Un autre projet novateur appartenant à des Premières Nations a été annoncé le mois dernier : je parle du contrat d’achat d’électricité qu’Énergie Yukon a conclu avec le Tlingit Homeland Energy Limited Partnership, une entreprise qui appartient entièrement à la Première Nation des Tlingit de Taku River, laquelle construira et détiendra le projet d’expansion hydroélectrique d’Atlin. Atlin se trouve en fait en Colombie-Britannique. Ce projet ajoutera huit mégawatts au réseau du Yukon, qui pourra se passer de quatre génératrices au diésel de location chaque hiver. Il générera environ 31 gigawattheures d’électricité chaque hiver, soit à peu près l’équivalent de la consommation de 2 500 foyers yukonnais par année.
Honorables sénateurs, depuis le peu de temps que je siège au Sénat, j’ai eu l’occasion d’en apprendre davantage sur l’industrie nucléaire du Canada. Je me suis particulièrement intéressée aux petits réacteurs nucléaires comme sources d’énergie possibles dans le Nord. L’Association nucléaire canadienne a affirmé que les besoins en uranium de l’industrie créeront et maintiendront des emplois, en particulier pour les Premières Nations du Nord de la Saskatchewan. Ontario Power Generation, Bruce Power, Énergie Nouveau-Brunswick et SaskPower ont mis au point une initiative pancanadienne pour développer et déployer de petits réacteurs nucléaires modulaires. Ce ne sont là que quelques-unes des solutions et des possibilités canadiennes dont j’ai hâte de discuter dans le cadre de l’interpellation de la sénatrice Coyle.
Honorables sénateurs, j’espère que ma participation aujourd’hui a confirmé à vos yeux que la crise climatique est bien réelle au Yukon, le territoire que je représente, et qu’elle a de grandes répercussions négatives et destructrices sur la santé humaine, la vie, la sécurité alimentaire et les infrastructures, qu’elles soient permanentes ou temporaires, sans oublier le véritable coût financier des changements climatiques.
Cependant, comme l’ont montré les exemples que j’ai donnés, une approche universelle ne convient pas. La transition doit être adaptée au contexte local. Elle doit être dirigée par les collectivités et jouir d’un soutien suffisant de tous les ordres de gouvernement : le fédéral, les provinces, les territoires, les autorités autochtones et les municipalités.
Nous devons être conscients des différences dans l’ensemble du territoire et des possibilités qui existent.
J’ai hâte de discuter de l’urgence climatique ainsi que des solutions dans les prochains jours. Merci, mahsi’cho, gùnáłchîsh.