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Projet de loi sur la Journée nationale de l’alimentation locale

Deuxième lecture--Suite du débat

10 avril 2019


Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je prends la parole aujourd’hui sur le projet de loi C-281, qui vise essentiellement à désigner le vendredi précédant le jour de l’Action de grâce comme la Journée nationale de l’alimentation locale.

Je dois d’abord avouer que la multiplication des projets de loi consacrés à une journée soulignant un enjeu précis m’exaspère parfois.

Cependant, j’appuie avec grand enthousiasme la création d’une journée nationale de l’alimentation locale, puisqu’elle répondrait aux préoccupations quotidiennes des citoyens.

De plus en plus, les consommateurs s’intéressent de près à ce qui se trouve dans leur assiette. Les émissions de télévision, les sites web et les blogues se multiplient pour faire la lumière sur notre alimentation. On constate que les consommateurs poussent cette logique un peu plus loin en privilégiant les aliments locaux. Ils reconnaissent les nombreux avantages qu’ils représentent pour eux et pour leur environnement.

Choisir l’alimentation locale, c’est d’abord une question de plaisir. Mettre les aliments de chez nous dans son assiette, c’est d’abord se faire plaisir. Il suffit de comparer le goût des fraises du Québec à celles de la Californie, qui sont sélectionnées d’abord pour leur capacité à supporter de longs trajets, et non pour leur goût, pour comprendre l’avantage des circuits courts.

Il est fascinant de voir, depuis quelques années, l’engouement suscité par les semences patrimoniales, soutenu par la volonté des consommateurs de retrouver des aliments goûteux et des saveurs oubliées. Lorsque je pense à une Journée de l’alimentation locale, je pense à ces centaines d’artisans qui se consacrent patiemment à la multiplication des saveurs d’antan.

Je songe notamment à Yves Gagnon, des Jardins du Grand-Portage, au Jardin de Julie au Bic et à la société des plantes de Kamouraska, qui s’emploient à faire connaître des végétaux délaissés pour des raisons commerciales, mais qui ont une saveur exceptionnelle. C’est grâce à des gens comme ceux-là que l’on est en train de rescaper le melon de Montréal, l’ail du Jardin-des-Jésuites, le rutabaga laurentien, le maïs de Gaspé et des centaines d’espèces de tomates qui ont eu une notoriété locale à une certaine époque.

Sans les centaines de conservateurs du patrimoine qui peuplent nos campagnes et nos banlieues, plusieurs pans de notre histoire seraient aujourd’hui disparus. De plus, notre biodiversité serait plus pauvre.

Encore récemment, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture nous mettait en garde en ce qui a trait au risque de pénurie alimentaire attribuable à la diminution inquiétante de la biodiversité dans l’agriculture. Permettez-moi de citer un extrait alarmant de ce rapport :

Sur les 6 000 espèces végétales cultivées à des fins alimentaires, 9 d’entre elles représentent 66 pour cent de la production agricole totale.

Favoriser l’achat local contribue à la culture d’un plus grand nombre d’espèces et assure une plus grande capacité de résistance à des perturbations pouvant être causées par des maladies ou par les changements climatiques.

Choisir l’alimentation locale, c’est aussi une question de santé. Puisque les produits destinés à la consommation locale voyagent moins, ils ont souvent une plus grande qualité nutritive, car ils sont cueillis à maturité, et ils n’ont pas à supporter de longs trajets. Par ailleurs, on découvre de plus en plus l’effet pervers de la mondialisation de l’alimentation sur notre santé.

Par exemple, l’épidémie de diabète et de prédiabète qui touche 11 millions de Canadiens est probablement aggravée par le bouleversement de l’alimentation. Nous consommons plus d’aliments transformés et plus de fructose, car les fruits sont maintenant offerts toute l’année en Amérique du Nord. Les glucides ont maintenant supplanté les lipides à titre de principale source d’énergie. En moins d’une génération, notre alimentation a beaucoup changé sous l’impulsion de la mondialisation. On commence à comprendre que notre métabolisme n’a pas suivi. Notre alimentation est mondiale, mais notre corps est demeuré local.

Le phénomène que je décris est tout particulièrement fréquent chez les Autochtones, dont les habitudes alimentaires ont été bouleversées en quelques décennies et qui souffrent maintenant de taux effarants de diabète.

Bref, valoriser l’alimentation locale a de nombreuses vertus pour la santé. Manger local, c’est soutenir également l’économie locale. Mettre sur pied une Journée de l’alimentation locale, c’est aussi se rappeler collectivement que manger local, c’est soutenir nos producteurs et notre économie locale.

Selon le ministère de l’Agriculture du Québec, si, chaque semaine, on remplaçait 30 $ de produits importés par 30 $ de produits locaux, à l’échelle du Québec seulement, on injecterait 1 milliard de dollars en cinq ans dans l’économie locale.

Cela dit, favoriser l’alimentation locale suppose de mieux appuyer les structures qui sont déjà en place afin de favoriser la production et la mise en marché locale. Je vous donne trois exemples.

On sait, par exemple, que la plupart des marchés publics au Québec parviennent difficilement à faire leurs frais. Il faut trouver des moyens d’assurer leur pérennité et de créer des plans d’affaires innovants. Je suis fier de mentionner, au passage, que le Marché public de Rimouski, que nous avons mis sur pied en 2008, connaît une croissance constante, avec une augmentation des ventes de 7 p. 100 cette année. Il est non seulement un lieu de commerce, mais aussi un lieu d’éducation et de socialisation important pour notre communauté.

Pour ce qui est de l’agriculture soutenue par la communauté, les fameux paniers bios se sont multipliés au Québec grâce notamment au Réseau des fermiers de famille mis en place par Équiterre. Même sur un vaste territoire comme celui de la Gaspésie, nous avons des réseaux semblables. Je pense notamment à l’organisme Baie des saveurs, qui regroupe une dizaine de producteurs et de transformateurs bioalimentaires qui font de la vente directe auprès des citoyens de la Baie-des-Chaleurs.

Cela dit, il y a encore peu de distribution qui se fait en hiver, alors que c’est tout à fait possible. Depuis 2015, la ferme maraîchère biologique Saveurs Mitis offre des paniers de légumes de conservation durant l’hiver. Il faut trouver des moyens de reproduire ce modèle et de développer les marchés d’hiver.

Enfin, il faut mieux appuyer tout l’écosystème qui favorise la recherche et la concertation dans le domaine bioalimentaire afin de développer des produits qui répondent aux besoins des consommateurs et de créer des emplois en région. Je m’en voudrais au passage de ne pas souligner le rôle important que jouent, dans l’Est-du-Québec, la Table de concertation bioalimentaire du Bas‑Saint-Laurent, l’Institut de technologie agroalimentaire de La Pocatière et les différents acteurs de la Technopole maritime du Québec.

En terminant, favoriser l’alimentation locale, c’est aussi favoriser la protection de notre environnement. Si l’on tient compte du fait que les aliments que l’on retrouve dans nos épiceries ont voyagé en moyenne 2 500 kilomètres, et c’est toute une distance, on constate rapidement le coût environnemental de nos choix en matière de consommation de pétrole et de gaz à effet de serre générés.

Lutter contre les changements climatiques, cela passe aussi par la décarbonisation de notre alimentation.

Espérons qu’une journée nationale de l’alimentation locale, combinée à des campagnes de sensibilisation, nous rappellera que la consommation de produits locaux de saison est un bon moyen de réduire notre empreinte écologique.

Une journée nationale… mais locale. En terminant, j’aimerais apporter une petite mise en garde sur ce projet de loi, que je juge, par ailleurs, tout à fait pertinent : il faut éviter le « mur à mur ». Régionaliste convaincu, je souhaite que cette journée, bien que nationale, soit à l’image de notre alimentation : qu’elle soit locale, diversifiée et enracinée dans nos traditions, dans le respect des réalités de chacune de nos localités.

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