La Loi sur les lettres de change—La Loi d'interprétation—Le Code canadien du travail
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
3 juin 2021
Propose que le projet de loi C-5, Loi modifiant la Loi sur les lettres de change, la Loi d’interprétation et le Code canadien du travail (Journée nationale de la vérité et de la réconciliation), soit lu pour la troisième fois.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-5, qui institue la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.
Les mots manquent pour expliquer l’horreur et la profonde tristesse que j’ai ressenties, tout comme les Inuits du Nunavut et d’ailleurs au Canada, lorsque les restes de 215 enfants ont été découverts dans une fosse commune sur le site du pensionnat indien de Kamloops la semaine dernière.
Aucun parent ne devrait ressentir la douleur causée par la perte d’un enfant. Pourtant, des parents autochtones ont été contraints d’en souffrir année après année au pays, depuis l’ouverture du Mohawk Institute en 1831 jusqu’à la fermeture du Pensionnat indien de Gordon, le dernier pensionnat du Canada, en 1996.
Cela me fait réfléchir au rôle que nos prédécesseurs dans cette enceinte ont pu jouer pour faciliter ces horreurs, et je suis profondément attristé de savoir que cette découverte ne sera pas la dernière.
Comme le sénateur Francis l’a reconnu dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, cette politique raciste était imposée à tous les Autochtones du Canada : Premières Nations, Inuits et Métis. Au cours de mes quelque cinq décennies de travail dans le Nord, j’ai appris à connaître et à aimer de nombreux survivants, dont certains sont devenus membres de ma famille élargie par les liens du mariage. En tant que résidant et avocat de l’aide juridique, j’ai constaté — et je continue de constater — trop souvent les traumatismes intergénérationnels que les pensionnats ont infligé aux Inuits.
Lorsque j’ai été nommé ministre de l’Éducation des Territoires du Nord-Ouest en 1981, des pensionnats y étaient toujours ouverts. C’est la connaissance intime que j’avais des torts qu’avaient causé les pensionnats à ma famille, à mes amis et à mes clients qui m’a poussé à piloter une initiative visant à mettre en place un programme d’école secondaire dans chaque communauté, petite ou grande, afin d’assurer la fermeture de tous les pensionnats des Territoires du Nord-Ouest. Ces mesures étaient appuyées par les recommandations d’un comité spécial sur l’éducation, dont je faisais également partie, qui a été formé dans le cadre de la neuvième législature de l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest.
Pour moi, il était aussi évident à ce moment-là qu’il l’est aujourd’hui que le retrait de ces enfants de leur famille entraînait des conséquences négatives profondes et durables sur les familles en question, de même que sur les communautés dans leur ensemble.
À la suite de l’horrible découverte à Kamloops, les drapeaux ont été mis en berne au Nunavut. L’Assemblée législative du Nunavut l’a fait pour une durée de 215 heures. Les députés et les ministres territoriaux, tous unis dans le deuil, ont parlé des traumatismes collectifs. Le Président Paul Quassa, ancien premier ministre du territoire, a déclaré ceci :
En tant que survivant des pensionnats autochtones, je ressens une grande tristesse pour toutes les personnes qui ont été touchées directement par cet événement terrible.
Tous les députés dans cette Chambre ont des proches et des habitants de leur circonscription qui sont toujours aux prises avec le sombre héritage de l’histoire de notre pays.
Nous avons le devoir de faire tout ce que nous pouvons pour obtenir justice.
La ministre Jeannie Ehaloak a aussi pris la parole :
Je suis une survivante. On m’a enlevée avec quatre autres membres de ma famille. Je n’avais que 4 ans. À mes parents, qui sont passés de six enfants à un seul en quelques heures, je ressens votre douleur.
Je vais citer un article du 31 mai 2021 du Nunatsiaq News :
Cathy Towtongie, la députée de Rankin Inlet Nord-Chesterfield Inlet, a dit qu’elle avait pleuré lorsqu’elle a appris la découverte des restes des enfants.
« C’est le passé du Canada, et il y en a encore d’autres », dit-elle.
« Lorsque les enfants ont été enlevés, il n’y avait plus d’enfants qui venaient dans les alentours. Il n’y avait plus d’enfants qui riaient et qui s’amusaient. »
« Nos aînés ont changé, tout a changé [...] »
Cela dit, les pensionnats autochtones ne sont pas la seule tragédie qui a frappé les Inuits. Les récits de pertes et de deuils ont fait remonter à la surface d’autres pratiques discriminatoires et racistes, comme l’envoi des patients tuberculeux dans les sanatoriums du Sud du pays. Beaucoup d’entre eux, tant des enfants que des adultes, ne sont jamais rentrés à la maison. Comme dans le cas des pensionnats, ils ont parfois été victimes de mauvais traitements. En ce qui concerne les patients qui mourraient, on en disposait trop souvent sans en informer leurs proches inquiets qui étaient restés à la maison.
Cela m’a affecté personnellement. Dans les années 1980, je suis allé à un sanatorium pour le traitement de la tuberculose à Ninette, dans le Sud du Manitoba. J’y suis allé avec ma conjointe de l’époque, dont la mère, comme bien d’autres, avait été séparée de sa jeune famille et obligée d’aller dans le Sud pour un traitement. Lorsque ma conjointe avait 10 ans, un hydravion est arrivé au camp de sa famille et a emmené sa mère. Elle ne l’a plus jamais revue. On n’a jamais dit aux membres de sa famille comment elle était morte ni où elle était enterrée. Pendant notre voyage, nous avons fait des recherches dans des cimetières en milieu rural. Avec l’aide d’un prêtre du coin, nous avons finalement trouvé la tombe anonyme de sa mère. Ce fut une expérience très émouvante pour nous. Cependant, ceux qui ont vécu des expériences semblables sauront que le modeste soulagement qui vient avec le fait de savoir enfin quelque chose ne fait rien pour atténuer la douleur permanente qui accompagne un tel deuil.
J’ai entendu des gens comparer la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation au jour du Souvenir. J’aurais une observation à faire à ce sujet.
Avant le jour du Souvenir, ou soulignait le jour de l’Armistice, en l’honneur de l’armistice qui a mis fin à la Première Guerre mondiale, le 11 novembre 1918. Selon une fiche de renseignements qui se trouve sur le site Web du ministère des Anciens Combattants :
De 1921 à 1930, le jour de l’Armistice fut célébré le lundi de la semaine où tombait le 11 novembre. En 1931, Alan Neill, député fédéral de Comox–Alberni, introduisit un projet de loi visant à commémorer l’Armistice le jour même du 11 novembre. Ce projet de loi adoptée par la Chambre des communes changea aussi le nom de cette journée à « jour du Souvenir ». Le premier jour du Souvenir fut célébré le 11 novembre 1931.
Par conséquent, chers collègues, le jour du Souvenir a été instauré à une époque où les atrocités de la guerre étaient fraîches à l’esprit de la population. En effet, chaque Canadien avait subi des pertes. Année après année, on rappelle constamment aux Canadiens l’ultime sacrifice consenti par les dizaines de milliers de Canadiens qui, à ce jour, sont morts à la guerre.
Pourquoi est-ce que je soulève ce point? C’est en raison de ce que le sénateur Francis a dit dans son discours à l’étape de la deuxième lecture. Il a dit, et d’autres l’ont répété aujourd’hui, que l’éducation est importante. Je suis tout à fait d’accord. Cette journée nationale que le gouvernement souhaite instituer pour honorer les Autochtones ayant perdu la vie dans des pensionnats ne peut pas être seulement célébrée par « quelques » Canadiens. Comme pour le jour du Souvenir, nous devons nous assurer que tous les Canadiens prennent le temps de faire une pause et de réfléchir, comme le prévoit le projet de loi.
Pour en arriver là, nous devons garantir l’accès à du matériel éducatif général, uniforme et adéquatement financé d’un bout à l’autre du pays. Au cours des premières années, nous devrons redoubler d’efforts, comme nous l’avons entendu aujourd’hui en comité plénier, pour que tous les Canadiens sachent la vérité. Je ne parle pas seulement de la vérité que nous avons entendue dans cette enceinte aujourd’hui, mais de toutes les vérités des survivants courageux partout au pays, qui ont été décrites avec rigueur et conviction dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.
Malgré les excuses officielles de l’ancien premier ministre Harper en 2009 et sa décision de lancer la Commission de vérité et réconciliation du Canada — et malgré la publication du rapport de cette dernière en 2015 avec ses appels à l’action —, je pense qu’il a fallu la macabre découverte à Kamloops pour ouvrir les yeux de bien des Canadiens sur les atrocités de ce sombre chapitre de notre histoire.
Nous savons et reconnaissons tous qu’il reste du travail à faire pour éduquer la population aux réalités des peuples autochtones au Canada.
Je suis porte-parole pour ce projet de loi, honorables sénateurs, et je dois admettre qu’il m’est difficile d’entendre parler des centaines de millions de dollars qui serviront à offrir aux employés fédéraux un jour de congé payé. Je pense à l’engagement permanent dont nous avons entendu parler aujourd’hui. Ce jour férié coûtera 388,9 millions de dollars par an, si l’on tient compte des coûts associés aux fonctionnaires fédéraux et aux organismes sous réglementation fédérale. Je pense à la façon dont cet argent pourrait changer radicalement la vie des Nunavummiuts et des peuples autochtones à l’échelle nationale. Imaginez ce que signifierait, à long terme, un financement réservé et stable pour assurer la sécurité alimentaire, mettre un terme au déficit infrastructurel, qui est énorme, en finir avec les avis de faire bouillir l’eau et s’attaquer à la pénurie de logements dans les communautés autochtones.
Permettez-moi de mentionner une fois de plus la crise aiguë du logement au Nunavut, sur laquelle un comité du Sénat s’est penché. Le gouvernement actuel n’a pu trouver que 25 millions de dollars dans son récent budget de plusieurs milliards de dollars pour le logement au Nunavut. En comparaison, combien dépensera-t-on pour l’éducation?
Pour mettre les choses en perspective, je dirai — comme nous l’avons entendu aujourd’hui — que seulement 60 millions de dollars ont été dépensés pour la protection et la revitalisation des langues autochtones entre 2019 et 2021.
Ce serait faire insulte aux membres de ma famille, à mes amis et aux souvenirs des survivants que j’ai perdus en cours de route si cette journée devait devenir une nouvelle journée payée au chalet pour les employés fédéraux. Il faut que ce soit vraiment une journée de commémoration et d’apprentissage.
Mentionnons également que l’apprentissage ne devrait pas se limiter à une journée. Nous devrions offrir des occasions d’apprentissage de façon constante tout au long de l’année. Je sais qu’il y a toujours plus de choses à apprendre et plus de possibilités d’en faire davantage. Je suis favorable à la création de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, mais je veux m’assurer qu’on ne perdra jamais de vue l’objectif de cette journée et qu’on fera constamment des efforts en conséquence.
Honorables sénateurs, j’aimerais conclure en citant les paroles d’un aîné inuit, Piita Irniq, qui milite depuis longtemps pour que l’on recense et soutienne les nombreux Inuits qui souffrent des traumatismes liés aux pensionnats autochtones. J’ai demandé sa permission pour citer ces propos qu’il a publiés récemment sur les médias sociaux.
Comme je suis le porte-parole de l’opposition officielle pour ce projet de loi, je crois que la convention veut qu’on me laisse clore le débat. Étant donné que le projet de loi va désigner une journée nationale pour rendre hommage aux survivants, je pense qu’il est tout à fait approprié que les derniers mots soient ceux d’un survivant.
Voici les mots de M. Irniq :
J’ai été kidnappé par un prêtre catholique romain, en plein jour, sous les yeux de mes parents! Nous étions à notre camp d’été près de Naujaat, une minuscule localité sur la côte Ouest de la baie d’Hudson, et nous nous préparions à marcher vers l’intérieur des terres pour la chasse annuelle au caribou.
C’était en 1958. J’avais 11 ans et je m’apprêtais à entrer à l’Externat fédéral Sir Joseph Bernier à Igluligaarjuk, que l’on appelait à l’époque Chesterfield Inlet.
Mes parents et moi étions loin de nous douter que c’était le début de mon acculturation et de mon assimilation linguistique. J’allais vivre dans un monde dont seraient absentes la spiritualité inuite et la pratique du chamanisme, que nous utilisions pour la guérison. Je devais me dissocier le lien spécial qui unit les Inuits entre eux et qui les unit aussi aux animaux, à la terre, à leur passé et à leur avenir. Nous devions nous assimiler au monde des Blancs et penser comme un Européen.
Les pertes que nous avons subies allaient devenir permanentes. Elles ont été sources de traumatismes pour nous tous, c’est-à-dire pour ma famille, mes amis et beaucoup de gens qui sont considérés comme des leaders de notre peuple. Nous sommes nombreux à avoir passé notre vie à tenter, de bien des manières, de retrouver un « sens » à une vie qui avait été vidée des idées, des croyances et des relations qui avaient, pendant des millénaires, donné un sens et un but aux Inuits. Certains se sont tournés vers cette religion moderne qu’est le christianisme. D’autres, comme moi, sont convaincus qu’il faut retrouver la culture que nous avons perdue pour redonner une orientation non seulement à notre propre vie, mais aussi aux générations futures.
Honorables sénateurs, merci. Qujannamik.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)