DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS — Les excuses papales
5 avril 2022
Honorables sénateurs, il y a des moments marquants dans la vie où le temps semble s’arrêter et où les événements sont gravés dans les cœurs, les esprits et les mémoires. Il y a des moments dans l’aventure incroyable qu’est la vie où les plaques tectoniques s’entrechoquent et où on réalise qu’on est témoin d’une chose extraordinaire qui entraînera des changements ayant des répercussions pendant des années.
Un tel moment a eu lieu il y a près de 14 ans lorsque le premier ministre Stephen Harper a pris la parole à la Chambre des communes en juin 2008. Ces excuses, présentées 128 années après la mise sur pied des pensionnats, étaient ni plus ni moins monumentales, un véritable tremblement de terre. Je peux dire que dans le cas de mon peuple, les Mi’kmaqs, nous nous demandions avec espoir si cette approche de conciliation et de réparation continuerait de progresser.
Vendredi dernier, au Vatican, c’est ce dont nous avons été finalement témoins. Sa Sainteté le pape François a présenté des excuses aux survivants :
Pour la conduite déplorable de [...] membres de l’Église catholique, je demande le pardon de Dieu et je voudrais vous dire du fond du cœur : je suis vraiment affligé. Je me joins à mes frères évêques du Canada pour vous présenter mes excuses.
Chers collègues, ces excuses changent tout autant la donne. C’est pourquoi il est extrêmement important que nous les recevions, les appuyions et encouragions activement leur acceptation.
Déjà, certains mettent en doute la sincérité de ces excuses et soutiennent qu’elles ne signifient rien si elles ne s’accompagnent pas de mesures concrètes. Je ne suis cependant pas convaincu que cela corresponde au sentiment des survivants. La plupart des commentaires semblent émaner de la périphérie. Ne tenons pas cette position pour acquise. Écoutons plutôt ce que certains survivants mi’kmaqs ont à dire.
Magit Poulette a 79 ans. Elle est une survivante du pensionnat autochtone de Shubenacadie, une aînée de la Première Nation de We’koqma’q, une fervente catholique et une « guerrière de la prière » autoproclamée. Elle a déclaré : « C’était très bien. Je pense que ça venait droit de son cœur. »
Parmi les autres délégués du Canada atlantique, on retrouve Phyllis Googoo, qui a 79 ans. Elle vient elle aussi de We’koqma’q et elle fait partie du groupe de soutien communautaire des survivants. Elle a passé 10 ans dans les pensionnats, à partir de l’âge de 4 ans seulement. Les excuses l’ont rendue euphorique tout en lui laissant la gorge serrée. De toute évidence, cet événement a été très émotif pour elle.
Je laisserai le dernier commentaire des Mi’kmaqs au leader de ma communauté et à mon grand ami, le chef Terry Paul, qui a dit :
Tous les jours de ma vie, depuis les 40 dernières années ou presque en tant que chef de Membertou, j’ai porté les souvenirs de ce garçon de 5 ans qui a fréquenté le pensionnat de Shubenacadie, il y a de cela bien des années.
En grandissant, je me suis promis de ne pas laisser mes expériences au pensionnat me décourager. Je ne laisserais pas le souvenir des moments douloureux de ma vie définir ce que je pourrais devenir ou ce que je pourrais faire.
Honorables sénateurs, je vous supplie de songer au fait que pour les survivants il ne s’agit pas tant que justice soit rendue que d’être libérés de l’héritage de douleur et de souffrance absolues liées aux souvenirs des traumatismes vécus aux pensionnats.
Honorables sénateurs, les excuses sont un cadeau qui permettra aux survivants de dire enfin, « nos chaînes ont été enlevées; nous sommes libres ». Wela’lioq, merci.
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler des excuses présentées aux peuples autochtones par Sa Sainteté le pape François, au sujet du rôle de l’Église catholique dans le système des pensionnats.
Je suis catholique. Je suis également un survivant des externats indiens. Je peux vous dire qu’il était important pour moi d’entendre le pape se dire « très peiné » de la conduite de certains membres de son clergé. Mais j’aurais aimé qu’il aille plus loin. L’Église catholique doit assumer l’entière responsabilité du rôle qu’elle a joué dans l’instigation, le soutien et la défense du génocide historique et continu des peuples autochtones au Canada, notamment dans les pensionnats et les externats indiens, où la faim, la négligence, les abus et la mort étaient monnaie courante.
Elle doit aussi condamner la doctrine de la découverte et d’autres discours racistes et injustes qui, en plus de dépeindre les peuples autochtones comme inférieurs ou sauvages, ont aussi permis de les déplacer et de les déposséder de leurs terres et de leurs ressources.
Chers collègues, les excuses incomplètes ont été offertes après une semaine de réunions tenues à Rome à la demande des délégués autochtones. Elles sont le résultat d’efforts courageux et tenaces de survivants et de leurs descendants, qui se battent depuis des décennies pour mettre au jour la vérité, alors qu’ils sont toujours à se remettre du traumatisme.
C’est aussi le produit d’une indignation, tant au Canada qu’à l’étranger, à la suite de la découverte de milliers de tombes anonymes sur les terrains d’anciens pensionnats autochtones. N’eût été ces découvertes accablantes, mais pas surprenantes, qui sait combien de temps encore il aurait fallu pour que l’Église catholique présente des excuses.
Au cours des prochains mois, le pape François doit répondre à l’appel à l’action no 58 de la Commission de vérité et réconciliation, qui demande qu’il vienne au Canada pour présenter des excuses solides et significatives. Par ailleurs, l’Église catholique, qui a déjà failli à ses obligations au titre de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, doit puiser dans ses vastes richesses pour procéder à d’importants dédommagements financiers. Elle doit aussi remettre tous les artefacts autochtones, de même que tous les documents et dossiers pertinents en sa possession. Ces prochaines étapes ne sont pas négociables.
En conclusion, chers collègues, à mes yeux, ces excuses partielles sont importantes, mais tout simplement insuffisantes. Si le pape est vraiment déterminé à suivre la voie de la vérité, de la guérison, de la justice et de la réconciliation, l’Église catholique doit le prouver par des mesures et des changements concrets.
Les actes répréhensibles de l’Église catholique ne sont pas uniquement choses du passé. Ils continuent d’affecter les Autochtones, y compris nos enfants, qui sont davantage surreprésentés dans le système de protection de l’enfance actuel qu’ils ne l’étaient au pire de l’époque des pensionnats autochtones. Wela’lin, merci.
Honorables sénateurs et sénatrices, mes pensées vont à tous les êtres de lumière qui n’ont jamais pu retourner à leur territoire à la suite de leur séjour dans les pensionnats.
Comme vous le savez, la semaine dernière, une délégation de Premières Nations, de Métis et d’Inuits est allée à la rencontre du Saint-Père François afin d’obtenir justice pour le génocide perpétré dans les pensionnats, administrés par l’Église catholique sous la gouverne du gouvernement du Canada.
Les pensionnats font partie des efforts délibérés d’assimilation qui visent à détruire nos cultures, nos langues, nos identités riches et à annihiler nos histoires. La grande cheffe Mandy Gull-Masty de la Nation crie faisait partie de la délégation à Rome et elle a déclaré ceci, et je cite :
« On ne peut ignorer le pouvoir des excuses », a-t-elle dit, ajoutant qu’elles peuvent stimuler les efforts visant à « transformer la colère et la douleur en un processus de paix, d’amour et de liberté ».
Le pape s’est finalement excusé à la délégation, mais je pense à tous ceux et celles qui sont ici au Canada. C’est un baume pour certains, le début d’une vraie guérison pour d’autres, mais pour plusieurs, cela ne rime à rien et, finalement, pour d’autres encore, il est trop tard.
Nous devons accepter l’accueil ou non des excuses. Nous devons accepter les différents chemins de guérison que les survivants et les survivantes et leurs familles veulent emprunter. Nous devons marcher à leurs côtés, à leur rythme, et ce, sans jugement.
Il est aussi impératif que le Saint-Père vienne ici, au Canada, pour s’excuser auprès de tous ceux et celles qui n’ont pas pu se déplacer. C’est ici que les choses se sont passées, que les torts ont été causés et que l’irréparable s’est produit. Au-delà des excuses, le Saint-Père doit aussi accepter d’ouvrir l’accès aux archives du Vatican afin de fournir les informations manquantes pour beaucoup d’entre nous et beaucoup de familles, afin que ces gens puissent entamer un réel processus de deuil, de guérison et retrouver en quelque sorte leur dignité et leur identité.
Les Premières Nations, les Métis et les Inuits ont toujours été ici. Pendant des temps immémoriaux, ils ont été les habitants de ce pays que l’on appelle le Canada. Le processus de réconciliation en appelle à éradiquer les actes fondés sur la dominance de l’un par rapport à l’autre. C’est pourquoi il est important de révoquer la bulle papale qui a donné lieu à la doctrine de la découverte et de terra nullius.
Comme le dit si bien le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones :
On ne peut pas fonder un pays sur un mensonge patent. Nous savons maintenant — si les premiers colons ne le savaient pas alors — que ce pays n’était pas une terre inoccupée à l’époque du contact et que les nouveaux arrivants ne l’ont pas « découvert » dans tous les sens du terme. Nous savons également que les habitants de ce pays avaient des régimes de droit et de gouvernement, des coutumes, des langues et une culture qui leur étaient propres; qu’ils n’étaient pas incultes et ignorants, mais simplement que le Créateur les avait coulés dans un moule différent, inconnu et incompris des nouveaux arrivants; qu’ils avaient une vision différente du monde et de la place qu’ils y occupaient et, enfin, que leur vie était régie par des normes et des valeurs différentes.
Chers collègues, la réconciliation ne peut pas se bercer sur les lèvres des gens, elle doit se propulser en actions concrètes, que ce soit en célébrant la présence des Premières Nations, des Métis et des Inuits dans les livres d’histoire, en se dotant d’une université par et pour les premiers peuples, ancrée dans les valeurs, les cultures, les langues et les savoirs de nos grands peuples, mais aussi ouverte sur le monde. Je nous invite à embrasser et à mettre de l’avant les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Ensemble, nous pouvons faire de grandes choses.