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Projet de loi sur le cadre national sur l’insuffisance cardiaque

Deuxième lecture

9 décembre 2025


L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler [ - ]

Honorables sénateurs, c’est à titre de porte-parole bienveillante que je parlerai aujourd’hui du projet de loi S-204, Loi concernant l’élaboration d’un cadre national sur l’insuffisance cardiaque. J’ai eu seulement quelques minutes la semaine dernière pour mon intervention, mais le temps qui m’est alloué aujourd’hui devrait me permettre de me rendre jusqu’au bout cette fois-ci.

Je tiens tout d’abord et à remercier et à saluer la sénatrice Martin d’avoir présenté ce projet de loi.

L’insuffisance cardiaque est un syndrome clinique dont les symptômes et les signes sont causés par une anomalie cardiaque structurelle ou fonctionnelle, le tout accompagné de manifestations objectives de congestion pulmonaire ou systémique. L’insuffisance cardiaque touche des centaines de milliers de Canadiens. Ce projet de loi part du principe que la coordination, les données et l’accès aux soins ont besoin d’être améliorés.

Aujourd’hui, je m’en tiendrai à trois grands éléments : primo, l’objectif et l’importance de ce texte législatif; secundo, l’état des lieux de la santé canadienne; et tertio, une vaste réflexion sur ce que nous dit le projet de loi S-204 à propos des politiques de santé.

En soi, ce projet de loi est inspirant. Il permet d’imaginer à quoi les services de santé offerts aux Canadiens devraient ressembler, quel que soit l’endroit où ils vivent. Il permet d’imaginer un réseau de la santé où chacun a accès rapidement à un diagnostic, à des soins reposant sur des lignes directrices et à un soutien multidisciplinaire et global.

L’objectif de ce projet de loi est clair : créer une approche nationale concertée qui est fondée sur des données probantes et qui produit de meilleurs résultats pour les patients, leurs proches et les soignants.

En discutant de ce projet de loi, nous devrions également réfléchir aux raisons pour lesquelles il est nécessaire. Chaque fois que nous adoptons un projet de loi-cadre pour un problème de santé précis, que ce soit la démence, le diabète ou les troubles oculaires, on nous rappelle que notre système de santé est fragmenté. Les personnes qui vivent avec des problèmes de santé ne devraient pas avoir besoin de cadres cloisonnés. Elles ont besoin d’un système cohérent et coordonné qui fournit des soins de santé sûrs et de grande qualité.

Ce projet de loi est important parce que, derrière, il y a des personnes et des familles dont les histoires nous rappellent le coût humain de l’accès aux soins inégal, inadéquat et tardif. Je pense en particulier aux patients et aux familles du Nord du Manitoba qui doivent prendre la route pendant des heures afin d’aller à Winnipeg pour recevoir des soins cardiaques spécialisés et complexes.

Je tiens à rappeler que, même si je parlerai du « système de santé du Canada » dans mon discours, ce que nous avons en réalité n’est pas un système national, mais 14 régimes d’assurance-maladie des gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral. Ces régimes couvrent des services médicaux définis et essentiels pour les patients sans que ces derniers aient à payer les frais au moment de recevoir les soins.

À titre de rappel, je précise que l’administration et la prestation des soins de santé relèvent principalement de la compétence des provinces et des territoires. Cette complexité partagée entre plusieurs ordres de gouvernement explique pourquoi l’on voit un nombre accru de projets de lois-cadres pour divers problèmes de santé.

Je passe maintenant à mon deuxième point, l’état actuel des soins de santé au Canada, car le projet de loi S-204 doit tenir compte de la réalité dans laquelle nous évoluons.

Le Canada consacre 11,2 % de son PIB aux soins de santé. Il s’agit de l’un des taux les plus élevés parmi les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques, dont la moyenne est de 9,2 %.

Les données à l’échelle mondiale confirment que l’accès aux soins primaires contribue à réduire les coûts des soins de santé quand l’accent est mis sur la prévention, le dépistage précoce et la prise en charge des maladies chroniques, réduisant par le fait même le nombre de visites à l’hôpital et aux urgences. Le coût global des soins de santé est indéniablement plus bas dans les pays dotés d’un bon système de soins primaires que dans les pays dont le système de santé est moins efficace. Pourtant, des millions de Canadiens n’arrivent toujours pas à avoir accès aux soins dont ils ont besoin.

L’emplacement géographique influence également l’état de santé. En 2019, Statistique Canada a révélé que le lieu où l’on vit peut littéralement déterminer l’espérance de vie. Selon les données, les taux de mortalité de causes pouvant être prévenues et de causes traitables augmentent au fur et à mesure que l’on s’éloigne d’un centre urbain, quel que soit son sexe ou son âge. Ces disparités sont liées aux barrières géographiques, à l’accès limité aux services de santé, aux besoins non satisfaits en matière de soins et aux conditions sociales et historiques qui influencent la santé de nombreuses communautés autochtones et rurales.

Une étude plus récente menée en Ontario sur la proximité des soins primaires confirme ces conclusions. L’étude a révélé que les personnes vivant plus près des fournisseurs de soins primaires ont un taux d’utilisation des soins primaires plus élevé, un taux d’utilisation des services d’urgence plus faible et un recours plus important au dépistage recommandé du cancer. En revanche, celles qui vivent plus loin des fournisseurs de soins primaires sont davantage susceptibles de se rendre aux urgences pour des cas non urgents, de passer plus de temps sans consulter un médecin de famille et de manquer davantage de tests de dépistages du cancer.

Ces résultats soulignent l’importance des réformes du système de santé qui améliorent l’accès aux soins et les soins à proximité du domicile.

Ces lacunes touchent tout le monde, mais les personnes atteintes de maladies chroniques, comme l’insuffisance cardiaque, ressentent davantage les défauts du système. L’insuffisance cardiaque demeure l’une des principales causes d’hospitalisation au Canada. Lorsque l’accès aux soins dépend du lieu où l’on vit, il ne s’agit pas que d’un problème de système, c’est également un problème d’équité.

L’inégalité des résultats n’est pas seulement une question de géographie : les résultats varient aussi selon les groupes ethniques et les groupes d’âge. De nombreuses communautés connaissent des taux de maladies cardiaques plus élevés et de pires résultats en matière de santé que les autres parce que les facteurs de risques qui y existent sont différents, que le contexte social est différent et que tout le monde n’a pas le même accès à la prévention et aux traitements.

Il existe des lacunes dans les données sur la santé quand des provinces ou des territoires ne recueillent pas ou ne diffusent pas les mêmes données, particulièrement s’il y a une absence ou un manque de données désagrégées en fonction de caractéristiques raciales, ethniques et socioéconomiques. En l’absence de données complètes et normalisées, des inégalités demeurent invisibles et les personnes les plus durement touchées ne sont pas prises en compte dans l’élaboration des politiques.

Cela m’amène à un point crucial : bien que le projet de loi mette fortement l’accent sur le diagnostic et les traitements encadrés par des lignes directrices, l’importance accordée à ces deux aspects risque de faire oublier la prévention.

La prévention de l’insuffisance cardiaque devrait être un pilier central de ce cadre puisque le système de santé du Canada intervient trop souvent après l’apparition de problèmes plutôt qu’en amont.

Comme la sénatrice Martin l’a souligné dans son discours, 750 000 Canadiens souffrent d’une insuffisance cardiaque, un problème de santé qui entraîne des hospitalisations fréquentes, s’accompagne d’un taux de mortalité élevé et représente un fardeau considérable pour les aidants.

Cela coûte cher au système de santé. Selon les projections, de 2019 à 2039, les hospitalisations liées à une insuffisance cardiaque coûteront 19,5 milliards de dollars.

Le projet de loi S-204 présente une vision de la forme que pourrait prendre la coordination des soins liés à l’insuffisance cardiaque au Canada, de la détection au traitement, à la gestion et aux mesures de soutien à long terme.

Le projet de loi obligerait le ministre de la Santé à élaborer, en collaboration avec les provinces, les territoires, les organismes autochtones, les spécialistes et les associations de patients, un cadre national qui favorise le dépistage précoce et le diagnostic précis de l’insuffisance cardiaque, qui améliore la formation et le soutien offerts aux patients et aux soignants, qui soutient et favorise les thérapies et les soins multidisciplinaires axés sur des lignes directrices, qui aplanit les disparités en matière de soins offerts, qui comble les trous dans les données, qui crée les infrastructures nationales en matière de données de santé, dont un registre national de l’insuffisance cardiaque, et qui définit des indicateurs nationaux de rendement du système.

Après le discours de la sénatrice Martin à l’étape de la deuxième lecture, la sénatrice Duncan a posé une question sur la collecte de données par l’Institut canadien d’information sur la santé. Effectivement, cet institut recueille des données sur l’insuffisance cardiaque auprès des provinces et des territoires, notamment sur les hospitalisations, les indicateurs de qualité, les soins ambulatoires, les soins à long terme et la surveillance. En fait, l’Agence de la santé publique du Canada se sert des données de l’institut pour la surveillance nationale des maladies cardiaques, notamment l’insuffisance cardiaque, dans le cadre du Système canadien de surveillance des maladies chroniques.

Dans son étude du projet de loi S-204, le comité pourrait se pencher sur les problèmes à régler dans la collecte de données, le diagnostic et le traitement de la maladie et les indicateurs de rendement afin de favoriser la collaboration et d’éviter les doubles emplois.

Le projet de loi prévoit aussi la création d’un registre national de l’insuffisance cardiaque. Les registres de patients recueillent des données normalisées sur un groupe de patients qui sont dans la même situation médicale ou qui ont le même vécu. Actuellement, il n’existe pas de cadre uniforme définissant ce qui constitue un registre des patients et ses usages. Dans son étude, le comité pourrait se pencher sur l’objectif, le mandat, le financement et les conditions de propriété d’un éventuel registre national de l’insuffisance cardiaque.

En fin de compte, ce qui fait un bon cadre, surtout s’il est question d’améliorer la santé des gens et de sauver des vies, c’est la collaboration entre le fédéral, les provinces et les territoires, un financement adéquat et des mécanismes de reddition de comptes clairs.

Passons maintenant au troisième et dernier point. J’appuie ce projet de loi. L’accès rapide aux soins est important. Les équipes multidisciplinaires aussi. Or, j’estime également que le Canada doit avoir une vision plus large de ses politiques de santé.

Les projets de loi qui proposent la création de cadres — et celui-ci ne fait pas exception — partent d’une bonne intention et peuvent devenir des outils puissants. Ils attirent l’attention sur un problème de santé important et sur les lacunes qui doivent être comblées sans tarder.

Le Canada dispose par exemple de cadres sur la démence, le diabète, les soins oculaires et maintenant — qui sait — sur l’insuffisance cardiaque. Chacun ajoute de la valeur et aide nos concitoyens.

Collectivement, cela dit, les cadres portant sur une maladie donnée permettent de dégager une tendance : nous traitons les symptômes, mais pas les causes. Chaque cadre ajoute une nouvelle couche de normes, de rapports et de coordination entre ordres de gouvernement.

Ce projet de loi me rappelle le rapport marquant que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a produit en 2002 sur le réseau de la santé du pays. Ce rapport, qui est souvent surnommé le rapport Kirby, réclame un nouveau leadership fédéral dans le domaine de la santé, un leadership qui reposerait sur la reddition de comptes et la coordination nationale et qui produirait des résultats mesurables.

On peut y lire que, dans sa structure actuelle, le réseau de la santé n’est pas financièrement viable et que le statu quo pourrait mener à son effondrement pur et simple.

Il presse le gouvernement fédéral d’unir les efforts des provinces et des territoires autour de principes communs, comme la transparence des rapports et l’accès équitable. Il s’attend à ce que le gouvernement fédéral donne l’exemple et se tienne loin de la microgestion.

Plus de 20 ans plus tard, le message du rapport Kirby résonne encore. Nous sommes toujours aux prises avec bon nombre des mêmes problèmes en matière d’accès, d’information et de coordination des soins de santé à l’échelle du pays, ce à quoi vise à remédier, à bien des égards, le projet de loi S-204.

Honorables sénateurs, je vous exhorte à appuyer le projet de loi S-204 et à le renvoyer au comité afin d’examiner plus en détail l’objectif d’améliorer la santé des Canadiens.

Merci. Meegwetch.

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

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