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Les déficiences ou les lacunes des politiques du Sénat

Interpellation--Suite du débat

10 mars 2020


Honorables sénateurs, j’interviens au sujet de l’interpellation de la sénatrice Dyck, qui souhaite attirer l’attention du Sénat sur les déficiences ou les lacunes des politiques du Sénat du Canada par rapport à d’autres organes parlementaires sur les comportements de sénateurs individuels qui constituent de l’intimidation, du harcèlement ou de l’inconduite sexuelle qui se produisent pendant les travaux parlementaires.

Je soutiens que, malgré les progrès accomplis, il faut agir pour faire du Parlement et du Sénat des endroits paritaires et que l’interpellation de la sénatrice Dyck doit faire l’objet d’un appui unanime pour qu’on y donne suite de toute urgence.

Chers collègues, je suis perplexe. Je suis fière de travailler en vue de favoriser le progrès et le bien-être de tous les Canadiens, mais je n’aurais jamais pensé devoir prendre la parole au sujet du harcèlement perpétré par des sénateurs à l’endroit d’autres sénateurs dans cette enceinte que l’on appelle la Chambre de second examen objectif et que l’on compare à un conseil de sages, à un conseil consultatif et à un rempart contre la tyrannie de la majorité.

Je sais qu’un grand nombre d’entre nous parlent et agissent en conformité avec les normes d’éthique les plus élevées et qu’ils respectent des principes moraux qui comprennent l’honnêteté, l’équité, l’égalité et la dignité. Hélas, pour des raisons que je n’arrive pas à comprendre totalement, de nombreuses formes de violence subtiles, mais explicites, se manifestent pendant les travaux des comités ou par l’entremise des médias.

Je remercie la sénatrice Dyck d’avoir eu le courage d’attirer l’attention sur ce problème et de s’élever publiquement contre le comportement inapproprié de certains de ses collègues sénateurs. Son témoignage m’a renversée. Je ne peux pas rester indifférente ni permettre qu’en me taisant, on pense que j’approuve implicitement le langage ou le comportement non parlementaire.

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Honorables sénateurs, comme il est maintenant 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure. Souhaitez-vous ne pas tenir compte de l’heure?

En prévision de mon allocution, j’ai regardé l’enregistrement vidéo du comité. J’ai lu, j’ai consulté des professionnels et j’ai discuté avec beaucoup de sénateurs, hommes et femmes, de tous les groupes et caucus. Un mot revenait toujours : dégoûtant.

Honorables sénateurs, j’aimerais vous faire part de quelques statistiques qui démontrent la croissance de la violence faite aux femmes en politique. Les agressions subtiles comprennent des blagues sexuelles, des commentaires sexistes, de l’écart salarial, l’effet du plafond de verre, des barrières au leadership, des tactiques de contrôle et des menaces, de l’abus physique et émotionnel, et de la violence physique et sexuelle. On a relevé ce type d’agressions régulièrement dans le milieu politique canadien, plus récemment à l’endroit de Shannon Phillips, de Rachel Notley et de Catherine McKenna, pour ne nommer que celles-là.

Je vous invite également à lire un rapport publié en 2019 par le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes, qui précise que le traitement de préjugés sexistes de la part des médias et la violence et le harcèlement sont des facteurs qui dissuadent les femmes de se lancer en politique.

Une étude menée par l’Union interparlementaire auprès de femmes de 39 pays dans cinq régions du monde a révélé que 82 % des femmes parlementaires ont été victimes de violence psychologique, que 65 % d’entre elles ont avoué avoir été victimes de commentaires sexistes, que 44 % disent avoir reçu des menaces sérieuses, que 25 % ont été victimes de violence physique, et que 20 % ont été harcelées sexuellement.

Les agressions subtiles finissent nécessairement par mener à pire. Il faut que la tolérance zéro devienne la norme. Selon cette même étude, seulement 21 % des Parlements nationaux ont une politique sur le harcèlement contre les députés et 48 % ont ce genre de politique pour le personnel parlementaire. Qui plus est, seulement 28 % ont une procédure de traitement des plaintes des députés et 53 % ont une telle procédure pour le personnel parlementaire.

Il y a de plus en plus de femmes en politique. C’est normal. Elles représentent 51 % de la population. Il est donc normal qu’elles soient représentées proportionnellement et participent à la prise de décisions. Certaines études révèlent en outre que la présence des femmes en politique a permis d’améliorer les lois et d’augmenter la confiance envers les institutions démocratiques. Dans le rapport mentionné précédemment, le comité de la Chambre des communes concluait :

Il est indéniable que la participation accrue des femmes à la vie politique en tant qu’élues mène à de meilleurs résultats sociaux, économiques et politiques pour tous. Que l’on pense à l’attention accrue accordée aux enjeux qui ont une incidence sur la vie des femmes ou au milieu de travail souvent plus axé sur la collaboration, l’augmentation de la représentation des femmes en politique est un facteur crucial pour renforcer la démocratie au Canada.

On parle dans les études de la masse critique nécessaire pour qu’un changement sociopolitique se produise; elle se situe autour de 30 %. À mesure que les femmes atteignent cette masse critique, comme c’est le cas ici, au Sénat, leur présence accrue est accueillie avec joie et enthousiasme par la majorité des hommes. Malheureusement, les études révèlent également qu’il y a aussi des réactions négatives, une résistance découlant d’une idéologie patriarcale qui n’accepte pas l’arrivée, la présence ou le leadership des femmes au Parlement.

En 2009, le Sénat du Canada est devenu l’une des institutions nationales à se doter d’une politique sur la prévention et le règlement du harcèlement au travail. Le Sénat aurait pu se féliciter d’avoir créé une politique aussi nécessaire si son application ne s’était pas avérée extrêmement faible. En effet, une série de scandales ont permis à certains sénateurs d’insulter d’autres sénateurs, de s’intimider mutuellement dans le cadre de procédures parlementaires et en ligne, et d’agresser sexuellement le personnel du Sénat. Au cours des crises passées et actuelles, nous avons assisté à une volonté — empreinte d’hésitations et parfois de condescendance — de faire traîner les plaintes de harcèlement déposées à l’encontre de l’ancien sénateur Don Meredith, tombé en disgrâce. Certains ont tenté de minimiser l’impact des plaintes en proposant des procédures secrètes et en consultant à peine les victimes. De leur côté, les administrateurs ont eu les mains liées ou n’ont guère aidé à rendre justice aux victimes en temps utile.

La mise en œuvre de la politique de prévention du harcèlement de 2009 pourrait malheureusement être considérée comme une catastrophe. J’ai dit « pourrait » parce que nous n’avons pas été officiellement informés de l’ampleur du problème. Pourtant, nous savons tous que la réputation du Sénat est ternie. Au cours de son discours, la sénatrice Dyck a déclaré ceci :

[...] un sénateur qui est l’objet de harcèlement par un autre sénateur pendant les travaux du Sénat n’a aucune façon de porter plainte [...]

Cette question n’est toujours pas réglée, car le Sénat n’en a pas discuté et il ne s’est pas prononcé sur ce point. Je suis profondément troublée d’entendre que des plaintes ont été rejetées en invoquant le privilège parlementaire, et ce, sans que le Sénat n’ait jamais discuté de son incidence sur la politique.

Il est peut-être utile de rappeler que le harcèlement peut être une infraction criminelle passible d’une sanction juridique. En empêchant les sénateurs de suivre un processus de recours au Sénat, les encourageons-nous à présenter leurs plaintes à la Commission canadienne des droits de la personne? Sommes-nous en train de suggérer que le projet de loi C-65 — Loi modifiant le Code canadien du travail (harcèlement et violence), la Loi sur les relations de travail au Parlement, et la Loi no 1 d’exécution du budget —, qui a reçu la sanction royale en 2018, ne s’applique pas aux sénateurs?

Il est manifeste que de nombreuses questions nécessitent des discussions, notamment la définition et la portée du privilège parlementaire. Une chose est certaine : le privilège parlementaire ne doit pas servir à protéger un sénateur qui fait du harcèlement. La décision concernant la portée du privilège parlementaire ne peut être prise par des personnes de l’administration, un seul sénateur ou même un comité. Elle doit être prise par le Sénat avec l’aide d’une tierce partie neutre ayant une expertise spécialisée.

Dans la procédure de la Chambre des communes, on décrit le privilège parlementaire comme les droits et immunités jugés nécessaires pour permettre aux parlementaires d’exercer leurs fonctions. Il désigne aussi les pouvoirs dont le Parlement est investi « pour se protéger, ainsi que ses députés et procédures, d’une ingérence indue et s’acquitter efficacement de ses principales fonctions, soit de légiférer, délibérer et demander des comptes au gouvernement ».

Chers sénateurs, lorsque la politique de 2009 a été adoptée, on était tout à fait conscient de l’existence du privilège parlementaire établi depuis un siècle, mais il n’est pas mentionné. Comment peut-on voir dans ce silence une affirmation claire que le privilège parlementaire s’applique aux plaintes pour harcèlement et protège les sénateurs? Il serait tout aussi possible de voir dans ce silence la reconnaissance que le processus confidentiel prévu par la politique protège adéquatement les victimes et le privilège parlementaire, puisque aucun renseignement n’est communiqué publiquement.

En fait, le Sénat, par l’entremise du Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration, a établi un processus provisoire visant à préciser comment se déroulera le processus de résolution si de nouvelles plaintes pour harcèlement sont présentées avant l’entrée en vigueur d’une nouvelle politique. En 2019, le sénateur Marwah a envoyé un courriel à l’ensemble des sénateurs et des membres de leur personnel pour les informer de la procédure de traitement des plaintes en sept étapes prévue par la politique relative au harcèlement. Cependant, mon personnel n’a pas trouvé de compte rendu des délibérations ou de discours concernant la présentation de cette politique par le Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration, puisque les délibérations se sont probablement tenues à huis clos. Par conséquent, nous ne connaissons pas la teneur des délibérations sur la politique à l’égard des privilèges parlementaires. Dans les lignes directrices qu’elle a rédigées sur cette même question, en 2019, l’Union interparlementaire a indiqué que le fait de lever les privilèges parlementaires pour régler un problème d’intimidation ou de harcèlement de la part d’un parlementaire ne nuirait aucunement à la liberté d’expression ou aux fonctions essentielles du Parlement. Selon l’Union interparlementaire, une telle mesure pourrait bien, en revanche, permettre de neutraliser ce genre d’inconduite, voire de l’éradiquer une bonne fois pour toutes.

Étant donné que le libellé de la politique ne reflète aucunement l’intention de faire en sorte que les privilèges parlementaires l’emportent sur la politique contre le harcèlement que nous avons adoptée, celle-ci devrait s’appliquer également aux délibérations parlementaires. Lorsqu’il s’agit d’établir s’il y a lieu de lever des privilèges parlementaires qui peuvent empêcher la tenue d’une enquête sur un cas d’intimidation, cette décision importante ne doit pas être prise unilatéralement par un administrateur, un whip ou un président de comité. Les parlementaires doivent en débattre entre eux tout en étant parfaitement conscients de la montée de la violence envers les femmes politiques.

Nous avons appris au Sénat que des plaintes ont été déposées auprès de la Direction des ressources humaines conformément à cette politique. J’aimerais que le Comité de la régie interne et la Direction des ressources humaines rendent publique l’information suivante : le nombre de plaintes officielles qu’ils ont reçues au cours de la dernière législature, la proportion de plaintes qui ont été rejetées et les motifs de ces rejets.

Le Sénat est une vieille institution. Je pense que la question du privilège parlementaire par rapport aux cas de harcèlement ou de conflit d’intérêts n’a rien de nouveau. Le Comité de la régie interne ou le Comité sur l’éthique ont dû déjà demander des avis juridiques à des experts externes. Si une telle expertise ou de tels avis nous étaient transmis, le processus s’en trouverait accéléré. Sinon, j’aimerais demander l’avis juridique du Bureau du légiste sur cette question dans le but de le remettre à tous les sénateurs afin d’éclairer nos délibérations.

La Chambre des communes regroupe les droits et les immunités associés au privilège parlementaire comme suit : la liberté de parole; l’immunité d’arrestation dans les affaires civiles; l’exemption du devoir de juré; l’exemption de l’obligation de comparaître comme témoin devant un tribunal; et la protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité.

On ne trouve nulle part, dans les descriptions du privilège parlementaire, le droit de faire subir du harcèlement en toute impunité. Au contraire, un sénateur qui a été victime de harcèlement se voit définitivement privé de sa protection contre toute obstruction, interférence ou intimidation ou contre tout mauvais traitement. Des actions visant à répondre à ces violations sont absolument nécessaires. D’ailleurs, la Chambre des communes a considéré l’intimidation ou la tentative d’intimidation du Président au moment des délibérations parlementaires comme une violation du privilège parlementaire. Cette violation se produit si une personne fait une critique sur l’impartialité du Président ou tente d’influencer toute décision de sa part en insinuant qu’on devrait lui retirer son poste.

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Sénatrice Galvez, votre temps est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Oui, deux minutes.

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Le consentement est-il accordé?

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

J’entends des non.

Ça va. Je comprends pourquoi.

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