
Projet de loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter)
Deuxième lecture--Suite du débat
8 décembre 2020
Honorables sénateurs, je souhaite aujourd’hui donner mon appui au projet de loi S-209, qui abaisserait à 16 ans l’âge auquel les citoyens peuvent voter. Ce projet de loi cadre parfaitement avec le mandat constitutionnel du Sénat, qui doit protéger les minorités peu ou mal représentées au Parlement, comme les jeunes et les générations futures. Les sénateurs Mercer, McPhedran, Miville-Dechêne, Omidvar et McCallum ont tous pris la parole avant moi et ils ont expliqué de manière éloquente pourquoi il s’agit d’une bonne idée. Parmi les excellents arguments qu’ils ont fait valoir, j’ai retenu ceux-ci : les jeunes ont déjà des responsabilités équivalentes à celles des adultes, mais ils n’ont pas les mêmes droits qu’eux; on s’attend à ce qu’ils respectent les lois, mais quand vient le temps de les adopter ou de les modifier, ils n’ont pas leur mot à dire; ils participent déjà à la vie politique, même si d’aucuns cherchent à les tenir à l’écart du processus officiel, nonobstant le fait qu’ils feraient des électeurs sagaces et consciencieux.
En abaissant l’âge auquel on peut voter, nous pourrions faire augmenter le taux de participation aux élections, en plus d’améliorer la vie des jeunes. En démocratie, on ne refuse pas aux gens le droit de voter parce qu’ils risquent de voter contre les idées qu’on défend. Le suffrage universel est — le nom le dit — universel et le droit de voter ne devrait jamais être retiré à la légère ou de manière arbitraire. Enfin, cette idée cumule des appuis un peu partout dans le monde, et dans les pays qui ont modifié leurs lois en ce sens, les résultats sont encourageants. Pour tout dire, quand les jeunes de Norvège, d’Écosse et d’Autriche ont appris qu’ils pourraient voter, ils ont commencé à s’intéresser à la chose politique.
Comme vous le savez, les connaissances et l’expérience ne sont pas des critères d’admissibilité pour voter.
Amélie Beaulé, 17 ans, renchérit en disant ce qui suit :
L’argument affirmant que nous ne sommes pas assez sages pour élire notre dirigeant est aporétique. La sagesse est un comportement propre à l’humain qui aspire à la connaissance et à la compréhension tout en sachant rester indéterminé. Or, si nous manquons de sagesse, pourquoi avons-nous le droit d’arrêter d’étudier à 16 ans?
En 2017, les éditeurs de l’Oxford English Dictionary ont choisi youthquake comme mot de l’année, ce qui signifie un changement culturel, politique ou social significatif résultant des actions ou de l’influence des jeunes.
En effet, les jeunes de moins de 18 ans ont remporté un prix Nobel, atteint le sommet du mont Everest, mené des recherches sur le cancer, publié des ouvrages, enseigné la physique nucléaire de deuxième cycle, géré leurs propres écoles, travaillé pour la NASA et risqué leur vie pratiquement tous les jours pour sauver d’autres personnes.
Selon un sondage d’Abacus en 2019, les jeunes Canadiens de 15 à 30 ans accordent la priorité à la résolution de problèmes mondiaux « [...] comme les changements climatiques, les bouleversements démographiques, les transitions et les perturbations économiques, et la montée de l’extrémisme et de la polarisation politique partout dans le monde [...] ».
Les jeunes Canadiens sont très conscients de ces problèmes qui les touchent de façon disproportionnée, mais comme les jeunes sont sous-représentés en politique, les questions qui les concernent le sont aussi.
Aya Arba, de Gatineau, en est un bel exemple. L’étudiante de troisième secondaire, qui est impliquée dans son école et aime beaucoup l’histoire, la politique, les sciences et l’astronomie, affirme, et je la cite :
Crise climatique, droits humains, inégalités sociales et économiques, tant de dossiers sur lesquels le pays bénéficierait à nous écouter. Je pense qu’une bonne partie d’entre nous sont prêts à voter, car nous sommes beaucoup plus conscientisés et informés sur les enjeux importants du pays, plus encore que nos parents et grands-parents ne l’étaient à notre âge. En effet, grâce à Internet, nous avons accès à toute l’information du monde au bout de nos doigts. Même à 14 ans, il n’est pas rare de nous voir discuter de politique et partager nos opinions avec le désir un peu idéaliste de voir bouger les choses.
Même son de cloche chez Solène Tessier, de Montréal. Je cite son témoignage :
Je suis engagée socialement depuis que je suis une enfant. À 4 ans, j’ai chanté pour amasser des fonds pour un centre d’aide aux femmes en difficulté. En commençant comme représentante pour le comité vert de l’école quand j’étais à la maternelle, je me suis toujours impliquée dans la vie étudiante à l’école. À 8 ans, je marchais pour les femmes. J’ai aussi marché avec ma mère et ma casserole avec le mouvement des carrés rouges pour défendre mon futur et mon droit d’accès à l’éducation en 2012. C’est moi qui ai convaincu mon père de sortir aussi. J’avais 10 ans. J’ai fait énormément de bénévolat pour différentes causes. À 15 ans, j’allais tenir compagnie aux patients à l’hôpital 3 heures par semaine. C’est aussi à cet âge que j’ai commencé à développer mes propres valeurs et opinions politiques. J’écoute l’Assemblée nationale de temps en temps, des fois c’est long, mais ce n’est pas si pire que ça! À 17 ans, je suis devenue Jeune leader pour le climat d’ENvironnement JEUnesse. Je donne des conférences dans les écoles. J’agis surtout par espoir, l’espoir d’un futur sain et vert où je me sentirais bien dans ma communauté et je crois sincèrement qu’ensemble on va y arriver. C’est tellement un beau projet de société!
Comme jeune impliquée, c’est dur de ne pas pouvoir voter. On s’exprime, on demande de l’action, mais on ne peut pas participer à cette action en votant pour ceux qui doivent le faire. Sans présence politique, notre voix ne porte pas. Si on ne se sent pas entendu, ce n’est pas motivant, même si tout le monde nous félicite pour notre engagement et nos pétitions. Les changements climatiques sont très loin pour les personnes plus âgées qui ne le vivront pas complètement. Les gens qui votent en ce moment ne le font pas en fonction des intérêts de la jeunesse; ils s’inquiètent de ce qui les touche dans l’immédiat.
Nous, les jeunes, allons vivre les conséquences concrètes des changements climatiques. Si nous devons tous attendre d’avoir 18 ans pour avoir le droit de voter et exiger plus d’action des gouvernements, il sera trop tard pour gérer les conséquences. Les jeunes seraient moins anxieux pour leur futur s’ils n’étaient pas juste des spectateurs dans la pièce politique. J’aurais voulu pouvoir voter aux dernières élections fédérales, ce qui aurait été possible si c’était permis à 16 ans. Et j’aurais préféré voter selon un système proportionnel mixte. À la place, j’ai commencé à m’impliquer avec Extinction Rebellion Canada et je participe à des actions directes parce que j’avais l’impression que je ne pouvais pas avoir d’impact autrement. Quand je m’implique, je suis beaucoup moins anxieuse, ça me donne de l’espoir. Et ça marche, ça a mis la crise climatique à Tout le monde en parle.
Solène a eu 18 ans cet été. Elle contribue à la société depuis déjà 14 ans, mais elle n’a pas encore pu voter.
Ses préoccupations trouvent aussi un écho chez les Ontariennes Zoe Keary-Matzner et Sophia Mathur.
Zoe Keary-Matzner, 13 ans, a dit ceci :
L’avenir des jeunes est détruit par les générations qui les précèdent. Nous n’avons pas notre mot à dire dans les décisions gouvernementales qui touchent pourtant notre avenir. C’est pourquoi nous manifestons. Parce que c’est la seule chose que nous pouvons faire pour nous protéger. Ce serait bien de décider de notre avenir, pour une fois. Si l’âge requis pour voter était abaissé, nous pourrions faire entendre notre voix et avoir un droit de regard sur les décisions du gouvernement.
Zoe souhaite devenir un jour éthologue pour étudier le comportement animal, mais elle s’inquiète de l’incidence de la perte de biodiversité sur ses plans de carrière.
Sophia Mathur renchérit :
Depuis que j’ai 7 ans, je défends la lutte contre les changements climatiques auprès des politiciens. Tous mes amis connaissent les enjeux qui ont une incidence sur notre vie. Nous avons 13 ans, ce qui veut dire que nous ne pourrons pas voter pour préserver notre avenir avant 2025. C’est beaucoup trop long avant de pouvoir nous protéger contre une catastrophe climatique.
Sophia Mathur a été la première élève du Canada à se joindre au mouvement #vendredispourlefutur en novembre 2018. C’est bien avant que la militante suédoise Greta Thunberg galvanise le mouvement des jeunes pour le climat, ce qui s’est traduit par plus d’un demi-million de personnes dans les rues de Montréal en septembre 2019 et beaucoup d’autres sympathisants partout au Canada.
Zoe et Sophia poursuivent le gouvernement de l’Ontario pour avoir assoupli ses cibles en matière de lutte contre les changements climatiques, ce qui entraînera beaucoup de maladies et de décès — comme nous le constatons avec la pandémie de COVID-19 — et violera leurs droits à la vie, à la liberté et à la sécurité garantis par la Charte.
Chers collègues, les jeunes veulent une action politique pour protéger leur avenir. Soit nous leur donnons les moyens d’agir — en leur permettant d’exercer leurs droits démocratiques —, soit nous continuerons à retrouver nos propres enfants, nièces, neveux, petits-enfants et leurs amis devant les tribunaux ou à les regarder manifester dans les rues.
Beaucoup de mes collègues ont proposé des mesures législatives pour aider les jeunes, que ce soit à propos des éclaireuses, de la protection contre la pornographie ou de l’établissement d’un commissaire à la jeunesse. Cependant, comme le montrent clairement les témoignages dont j’ai fait part au Sénat aujourd’hui, la meilleure chose que nous puissions faire pour les jeunes est de les laisser parler pour eux-mêmes, ce qu’ils sont évidemment capables de faire, et d’appuyer le projet de loi S-209.
Merci, meegwetch.