Projet de loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité
Troisième lecture
29 juin 2021
Propose que le projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, en tant que marraine du projet de loi, j’interviens aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050.
En novembre 2020, le gouvernement a présenté le projet de loi C-12, qui enchâsserait dans la loi l’engagement du Canada à atteindre la carboneutralité d’ici 2050 et qui fournirait un cadre global de responsabilisation et de transparence pour que les gouvernements entreprennent le processus de planification, prennent les mesures requises et effectuent la surveillance nécessaire pour atteindre cet objectif. En mai 2021, le Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes a été saisi du projet de loi C-12.
Le projet de loi compte 29 articles et a été amélioré par plus de 30 amendements proposés par divers partis à l’autre endroit. Parlant d’amendements, j’aimerais commencer par souligner l’amendement le plus important, qui nous offre la possibilité d’apporter d’éventuelles améliorations au projet de loi. Un examen approfondi des dispositions et de l’application de la loi sera réalisé par les comités pertinents du Sénat ou de la Chambre des communes, ou des deux, cinq ans après l’adoption du projet de loi. Ainsi, les parlementaires pourront se pencher sur l’efficacité du projet de loi à la lumière de cinq années d’expérience et formuler des recommandations pour l’améliorer.
L’objectif du projet de loi C-12 est de permettre au Canada d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050, ce qui signifie une situation dans laquelle les émissions anthropiques de gaz à effet de serre sont entièrement compensées par l’absorption anthropique de ces gaz. La nouvelle version du projet de loi C-12 précise que celui-ci n’empêche pas l’atteinte de la carboneutralité avant 2050. Autrement dit, la carboneutralité est une course, et nous ne devons pas attendre jusqu’en 2050 pour l’atteindre. Si nous parvenons à atteindre l’objectif plus tôt, ce serait excellent, et rien dans la loi proposée n’empêche de faire preuve d’une telle ambition. Les données scientifiques sur le climat sont claires : chaque intervention est cruciale pour éviter des conséquences catastrophiques. De nombreuses parties intéressées et de nombreux Canadiens craignaient que la version initiale du projet de loi n’aille pas suffisamment loin pour assurer une reddition de comptes avant 2030. Je me réjouis donc que l’on ait amendé la section du projet de loi intitulée « Objet » pour mettre l’accent sur « une action immédiate et ambitieuse ».
On a ajouté un objectif provisoire pour 2026, et on exige un rapport d’étape en 2023, en 2025 et en 2027. De plus, le rapport d’étape de 2025 doit contenir une évaluation de la cible pour 2030 et préciser, au besoin, les modifications apportées pour rectifier le tir afin d’atteindre la cible. De surcroît, le projet de loi exige maintenant que le premier rapport du commissaire à l’environnement et au développement durable soit présenté d’ici la fin de 2024. Ces modifications prévoient — et assurent — une reddition de comptes en bonne et due forme à intervalles réguliers au cours de la prochaine décennie, ce qui, en outre, constituera de l’information utile pour l’examen parlementaire qui aura lieu dans cinq ans.
L’autre endroit s’est également employé à améliorer les dispositions du projet de loi concernant les cibles.
Premièrement, cette mesure inscrit dans la loi la cible fixée pour 2030 en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre puisqu’elle précise la contribution déterminée au niveau national, pour l’année cible, conformément à l’Accord de Paris. Cet amendement fait suite à l’engagement pris par le Canada lors du sommet des dirigeants sur le climat, en avril 2021, de hausser la cible de réduction des émissions en vertu de l’Accord de Paris, de 40 à 45 % sous le niveau de 2005. L’adoption du projet de loi C-12 fera en sorte que les cibles fixées pour 2030 et 2050 seront dorénavant clairement inscrites dans la loi.
En outre, des précisions ont été apportées pour que les cibles fixées en vertu de la loi soient progressivement toujours plus ambitieuses que les précédentes pour éviter que le Canada ne perde du terrain au chapitre de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le projet de loi prévoit maintenant que toutes les cibles suivantes, pour la période de 2030 à 2050, doivent être établies au moins 10 ans avant le début de l’année visée. Par conséquent, les cibles seront maintenant établies dix années à l’avance plutôt que cinq années à l’avance comme le prévoyait la version initiale du projet de loi. Cette formule fera en sorte que le gouvernement commence à planifier assez tôt en vue d’atteindre les cibles. Bref, elle nous offre une excellente occasion de planifier à long terme.
Le projet de loi va encore plus loin. Il exige maintenant que le ministre de l’Environnement et du Changement climatique publie une description détaillée des principales mesures de réduction des émissions visant à atteindre la cible, ainsi que les plus récentes prévisions sur les émissions de gaz à effet de serre dans l’année qui suit l’établissement des cibles pour 2035, 2040 et 2045.
Par exemple, la cible pour 2035 devra être établie par le ministre au plus tard le 1er décembre 2024, et la description détaillée des principales mesures, de même que les prévisions, devront être rendues publiques au plus tard le 1er décembre 2025. Le plan détaillé de réduction des émissions pour la cible de 2035 doit être établi au moins cinq ans avant l’échéance, c’est-à-dire au plus tard en décembre 2029.
Une autre série d’amendements renforcent l’implication des peuples autochtones. Le préambule définit maintenant l’engagement du gouvernement du Canada à tenir compte des connaissances autochtones dans la réalisation de l’objet de la loi. Des amendements connexes exigent que le ministre tienne compte des connaissances autochtones pour établir les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre. De plus, il doit veiller à ce que les Autochtones soient représentés au sein de l’organisme consultatif pour y apporter leur expertise. Les plans de réduction des émissions doivent prendre en considération la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Le projet de loi comprend maintenant plus de détails sur le contenu obligatoire de ces plans. Il est maintenant obligatoire d’inclure dans chaque plan une description de la manière dont les engagements internationaux du Canada par rapport aux changements climatiques ont été prises en compte, des projections des réductions annuelles des émissions de gaz à effet de serre résultant de l’effet combiné des mesures et des stratégies du plan, et un sommaire des mesures de collaboration ou des accords, en matière de réduction des émissions, avec les provinces ou d’autres gouvernements du Canada.
Nous avons entendu des critiques selon lesquelles le projet de loi ne fixe pas de cibles juridiquement contraignantes. J’aimerais toutefois attirer votre attention sur le paragraphe 9(1), qui stipule que « Le ministre prépare un plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour chaque cible […] », ce qui signifie qu’il y a une obligation de préparer un plan pour réussir.
Dans le même ordre d’idées, les rapports d’étape doivent contenir les dernières projections visant les émissions de gaz à effet de serre publiées pour le Canada pour le prochain jalon, ainsi que les détails de toute mesure additionnelle qui pourrait être prise pour augmenter les chances d’atteindre la cible, si les projections indiquent que la cible ne sera pas atteinte.
Un contenu similaire est également requis dans les rapports d’évaluation.
Le projet de loi modifié a également pris en compte les préoccupations relatives à l’organisme consultatif. Il précise désormais que le Groupe consultatif pour la carboneutralité fournit des conseils indépendants sur l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050 et sur les cibles et les plans.
En ce qui concerne les membres de l’organisme consultatif, le projet de loi amendé contient une disposition exigeant que le ministre de l’Environnement et du Changement climatique prenne en considération le fait que l’organisme a, dans son ensemble, l’expertise et les connaissances dans les domaines suivants : la science des changements climatiques; les connaissances autochtones; les sciences physiques ou sociales pertinentes; les changements climatiques et la politique des changements climatiques aux niveaux international, national et infranational; l’offre et la demande énergétiques; les technologies pertinentes.
Ces exigences explicites en matière d’indépendance et d’expertise placent le Canada dans le « club des pratiques exemplaires » à cet égard. Je remarque que le rapport d’étude préalable de notre propre comité incluait une observation sur l’indépendance administrative de l’organisme consultatif, incluant le contrôle sur son propre budget et un secrétariat, choses que, je l’espère, le gouvernement considérera. En ce qui concerne le fait d’éviter les conflits d’intérêts, la Loi sur les conflits d’intérêts de 2006, qui s’applique à tous les titulaires de charge publique, s’appliquera également aux membres de l’organisme consultatif.
Conformément à ses objectifs de transparence et de responsabilité, le projet de loi C-12 exige que le ministre de l’Environnement et du Changement climatique rende public le rapport de l’organisme consultatif dans les 30 jours suivant sa réception, et qu’il y réponde publiquement dans les 120 jours suivant sa réception. Toujours selon le projet de loi, la réponse du ministre devra inclure toute cible que celui-ci aura établie et qui diffère des recommandations de l’organisme consultatif.
Enfin, le projet de loi C-12 est, à certains égards, plus solide que la loi britannique sur les changements climatiques, qui est considérée comme la référence en la matière. Il prévoit des plans et des rapports plus détaillés ainsi qu’un meilleur calendrier. Le nouveau mécanisme de rajustement, prévu aux articles 14 à 16, est beaucoup plus solide, tout comme l’obligation pour le ministre des Finances de préparer un rapport sur les risques et les occasions d’ordre financier liés aux changements climatiques. Le fait que les cibles doivent être de plus en plus élevées n’est pas non plus présent dans la loi britannique.
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles a commencé son étude préliminaire le lundi 7 juin et il s’est réuni chaque jour de la semaine. Le comité a entendu 35 témoins représentant 22 groupes et 5 personnes à titre personnel au cours d’audiences qui ont duré au total 11,5 heures. Étant donné que l’autre endroit n’a entendu aucun témoin autochtone lors de son étude du projet de loi, il était essentiel dans le cadre de notre étude que nous entendions des groupes qui sont touchés de façon disproportionnée par les changements climatiques. Nous avons entendu les représentants de quatre Premières Nations et de l’organisme Indigenous Climate Action.
Les témoins étaient unanimes pour dire que le projet de loi C-12 est un texte législatif important et qu’un cadre de responsabilité climatique est absolument nécessaire.
En tant qu’environnementaliste, j’aurais souhaité un projet de loi plus ambitieux, mais en réalité, hélas, nous n’avons plus de temps à gaspiller. Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.
Je suis fermement convaincue que ce projet de loi est actuellement la meilleure occasion d’action rapide pour répondre à l’urgence climatique et pour assurer le bien-être des générations futures. Il est impératif que le Parlement fournisse le cadre juridique qui garantira la responsabilité et la transparence des gouvernements successifs quant à leurs actions pour lutter contre les changements climatiques et ses effets néfastes.
Le 17 juin 2019, une grande majorité des élus de la Chambre des communes ont adopté une motion déclarant que, et je cite :
[…] le Canada est en situation d’urgence climatique nationale, en réponse à laquelle le Canada doit s’engager à atteindre ses objectifs nationaux en matière d’émissions énoncés dans l’Accord de Paris et à procéder à des réductions plus importantes conformément à l’objectif de l’Accord de maintenir le réchauffement planétaire sous la barre des deux degrés Celsius et de poursuivre les efforts pour demeurer sous la barre du 1,5 degré Celsius;
Depuis cette date, la situation climatique au Canada ne s’est pas améliorée, au contraire; cela a empiré. Le projet de loi C-12 est la suite logique de cette reconnaissance d’une urgence climatique.
Je souhaite remercier tous les sénateurs et sénatrices qui ont mis temps et énergie à l’étude de ce projet de loi, particulièrement les membres du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, qui se sont réunis successivement pendant plusieurs jours afin que nous puissions faire notre travail de parlementaires bien informés.
J’espère que vous voterez tous avec moi en faveur de cette version améliorée du projet de loi C-12, qui vise à répondre enfin aux causes du changement climatique dans ce pays afin que nous tous, citoyens canadiens et du monde entier, y compris les générations futures, puissions bénéficier d’une vie prospère sur cette terre.
Merci beaucoup. Meegwetch.
Chers collègues, je prends aujourd’hui la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-12, dont le titre abrégé est « Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité ».
Théoriquement, le projet de loi C-12 se veut un outil permettant au Canada d’arriver à la carboneutralité en 2050. Dans le résumé législatif du projet de loi, on peut lire ceci :
Par « carboneutralité », on entend qu’un équilibre est atteint entre les émissions produites et les émissions retirées de l’atmosphère. La carboneutralité n’est pas synonyme de « zéro émission », terme selon lequel toutes les sources ramènent leurs émissions à zéro.
Le projet de loi C-12 a pour but de prévoir des dates auxquelles le gouvernement doit se fixer des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre et produire des rapports qui expliquent les moyens qu’il a pris pour atteindre ces cibles. Le projet de loi C-12, simplement dit, est un calendrier de rapports à produire d’ici 2050.
Le projet de loi C-12 crée aussi le Groupe consultatif pour la carboneutralité chargé de donner son point de vue au ministre sur les cibles à atteindre et sur les moyens pris par le gouvernement pour y parvenir. Cet organisme consultatif doit produire des rapports annuels, et le ministre doit répondre publiquement aux conseils que contiennent ces rapports annuels.
Dans le discours qu’il a prononcé le 25 novembre 2020, le ministre de l’Environnement a affirmé que le projet de loi C-12 permettra de réaliser, voire de surpasser les cibles de réduction pour 2030 prévues dans l’Accord de Paris sur le climat. Toutefois, cette cible sera extrêmement difficile à atteindre, selon les données suivantes du gouvernement du Canada qui sont citées dans le résumé législatif :
[…] le Canada s’est engagé à réduire ses émissions de GES de 40 à 45 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030. […]
Ses émissions seront toutefois de 3 à 5 % inférieures aux niveaux de 2005 en 2020.
Ces chiffres nous révèlent que le Canada n’est parvenu en 15 ans qu’à diminuer de 3 à 5 % ses émissions, mais qu’il devra donc réduire ses émissions d’encore 37 à 40 % dans les 9 prochaines années afin d’atteindre l’objectif qu’il s’est fixé pour 2030. Ainsi, en 15 ans, nous avons seulement réussi à gravir la première marche d’un long escalier, mais nous aurons à gravir toutes les autres marches au cours des 9 prochaines années.
J’ajoute qu’une partie des réductions des émissions observées en 2020 est temporaire, car elle est attribuable aux mesures de confinement qui ont permis de lutter contre la pandémie et qui ont ralenti certaines activités économiques. Je cite le témoignage donné le 10 juin 2021 par Corinne Le Quéré, professeure en science du changement climatique à l’Université d’East Anglia :
En 2020, la décroissance des émissions dues aux mesures de confinement de la COVID-19 est temporaire parce que rien n’a changé : nous avons les mêmes infrastructures, elles sont simplement moins utilisées. Les émissions remontent de par le monde et la situation est extrêmement sérieuse.
Je suis convaincu que le projet de loi C-12, puisqu’il néglige de présenter des mesures concrètes et de responsabiliser le gouvernement s’il rate ses cibles, est un plan peu ambitieux. Ce projet de loi ne fait que proposer un plan pour avoir un plan. Ce n’est pas assez ambitieux ni assez structurant pour nous permettre d’atteindre l’objectif de 2030 fixé par l’Accord de Paris et celui de la carboneutralité prévu pour 2050.
Ce projet de loi que le gouvernement nous demande d’adopter à toute vapeur est une promesse fallacieuse faite aux Canadiens, en particulier aux plus jeunes qui subiront les plus graves effets des changements climatiques. Ce projet de loi ne fera qu’augmenter le cynisme en permettant encore une fois au gouvernement fédéral, d’une part, de promettre des cibles de réduction sans prévoir de mesures robustes pour les atteindre et, d’autre part, de ne subir aucune conséquence s’il n’atteint pas les cibles promises.
Comme l’explique le rapport du comité sénatorial présenté au terme de l’étude préalable du projet de loi :
Le Canada n’a jamais eu de difficulté à se fixer des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES); il éprouve plutôt de la difficulté à les atteindre. Jusqu’à maintenant, aucun gouvernement du Canada n’a été tenu responsable sur le plan politique de ces échecs.
Je suis d’avis que le projet de loi C-12 ne fera pas exception à cette tendance désolante et dramatique. En fait, j’observe que ce projet de loi ne donne aucune indication sur les moyens que devra prendre le Canada à court, moyen et long terme pour parvenir à la carboneutralité. Je fais mienne cette critique que la sénatrice Paula Simons a adressée le 9 juin 2021 au ministre de l’Environnement :
C’est un plan pour dresser un plan et si, dans le titre même de la loi, on trouve les mots « transparence » et « responsabilité », je ne vois pas de mécanisme de reddition de comptes réel dans le texte.
Ce projet de loi est clairement électoraliste, et je suis navré que le gouvernement joue ainsi avec l’avenir climatique de notre pays.
Pour vous en convaincre, voici un exemple éloquent. Dans sa version initiale, le projet de loi C-12 n’imposait absolument aucun mécanisme de reddition de comptes au gouvernement de 2021 à 2030. Le gouvernement libéral s’était donc volontairement donné une fenêtre pour promettre, pendant sa prochaine campagne électorale, des cibles de réduction élevées afin d’épater la galerie — et de lancer de la poudre aux yeux —, mais très difficiles à atteindre d’ici 2030, de sorte que, s’il était réélu, il n’ait pas à s’expliquer s’il ne les atteignait pas.
Les amendements apportés par le comité de la Chambre des communes ont corrigé un peu cette situation en obligeant le ministre à préparer un plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre avec un objectif provisoire pour 2026 et à produire un rapport d’étape au plus tard à la fin de 2023, suivi d’un autre rapport au plus tard à la fin de 2025 et d’un dernier au plus tard à la fin de 2027.
Toutefois, ces amendements sont nettement insuffisants parce qu’ils ne règlent pas le plus important problème du projet de loi, à savoir l’absence de responsabilisation du gouvernement s’il rate les cibles de réduction. Je cite à ce sujet les questions posées par la sénatrice Simons le 7 juin 2021 à M. John Moffet, sous-ministre adjoint au ministère de l’Environnement et du Changement climatique :
Je veux revenir sur les questions soulevées par mes collègues, les sénateurs Black, Miville-Dechêne et Massicotte. On nous dit qu’il y aura trois rapports d’étape d’ici 2030. Il y aura de très nombreux autres rapports de natures diverses, mais où est le risque moral auquel on s’exposerait en ratant les cibles? Vous avez dit à la sénatrice Miville-Dechêne qu’il n’y a pas de droit aux actions civiles pour demander des comptes au gouvernement. Le gouvernement est responsable de la production des rapports, mais y a-t-il un risque moral, au-delà de l’humiliation publique, si les résultats ne se concrétisent pas?
À ces questions de la sénatrice Simons, M. Moffet répond essentiellement que le gouvernement, s’il rate ces cibles, pourrait s’exposer à deux conséquences qui, selon moi, sont insuffisantes compte tenu de la gravité de la situation pour les générations futures si on rate les cibles, car celles-ci devront subir les pires effets des changements climatiques.
La première conséquence, selon le sous-ministre adjoint, est que le gouvernement s’exposerait à un recours en contrôle judiciaire. Or, ce recours existe déjà, comme l’a bien noté le sénateur Massicotte. Ce dernier a souligné ceci à M. Moffet : « Le même recours s’applique depuis 30 ans et il n’a rien donné. Cela ne changera pas. »
La seconde conséquence, si le gouvernement rate ses cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre, est un risque accru qu’il perde ses élections, ce qui constitue une bien mince consolation pour les jeunes générations, en particulier celles qui n’ont pas encore l’âge de voter.
Je ne dis pas que les amendements proposés au projet de loi par le comité de la Chambre des communes n’y ont apporté aucune amélioration. Je les juge cependant absolument insuffisants. Autrement dit, je trouve que le projet de loi ne va pas assez loin, car il ne nous permettra pas, dans sa forme actuelle, d’atteindre ni de surpasser les cibles proposées par l’Accord de Paris ou d’atteindre la carboneutralité en 2050.
Cela dit, je trouve intéressant l’amendement que le comité de l’autre endroit à apporté à l’article 7, qui exige que chaque cible liée aux émissions de gaz à effet de serre représente une progression par rapport à la précédente. Cette obligation est incontournable si l’on veut atteindre la carboneutralité en 2050. Si l’on veut réussir à gravir le long escalier, on ne doit pas pouvoir reculer en chemin.
Je déplore cependant que, malgré ces amendements, le projet de loi ne rende pas le gouvernement suffisamment responsable s’il rate ses cibles et qu’il ne comporte aucune mesure concrète. Une simple promesse législative, selon laquelle le gouvernement rédigera un plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre, n’est pas suffisante pour convaincre les Canadiens et les autres pays que le Canada atteindra les cibles qu’il se sera fixées. En fait, le projet de loi C-12 n’est ni plus ni moins qu’une simple table des matières nous indiquant qu’il y aura des chapitres, sans nous dire quels seront ces chapitres.
À titre d’exemple, le projet de loi ne comporte aucune obligation de moyens pour que le ministre prenne les mesures nécessaires pour atteindre les cibles fixées, alors que cela est pourtant une obligation prévue dans l’Accord de Paris. Je cite le témoignage du 11 juin 2021, de Me Christopher Campbell-Duruflé, représentant le Centre québécois du droit de l’environnement :
[...] il s’agit d’un cadre très procédural où nous proposons des plans pour atteindre des cibles, mais il n’y a aucune obligation légale de mettre ces plans en œuvre pour le moment, alors qu’on prévoit une obligation de moyens, dans le paragraphe 4(2) de l’Accord de Paris, afin de prendre des mesures pour atteindre les cibles.
Cela dit, j’adhère à l’ajout, par le comité de la Chambre des communes, de l’alinéa 8d) et du paragraphe 9(5) au projet de loi. Ces deux nouveaux articles, lus avec l’article 13 qui se trouvait dans la version initiale du projet de loi, renforcent l’obligation du gouvernement fédéral de tenir compte du point de vue des provinces. L’article 13 prévoit que le gouvernement fédéral, lorsqu’il établit une cible d’émissions de gaz à effet de serre ou qu’il prépare le plan de réduction des émissions, doit donner l’occasion aux gouvernements des provinces, en plus des peuples autochtones, de présenter leurs observations. Le projet de loi oblige désormais le ministre à tenir compte de leurs observations grâce à l’ajout de l’alinéa 8d) et du paragraphe 9(5).
L’ajout de ces deux nouveaux articles au projet de loi est souhaitable, mais j’estime que le projet de loi pourrait en faire beaucoup plus pour assurer que le gouvernement fédéral collabore avec les provinces pour réaliser l’objectif de la carboneutralité en 2050.
L’environnement est un champ de compétence constitutionnelle qui est partagé entre le fédéral et les provinces. Ces dernières ont leur mot à dire et elles doivent être écoutées. Le comité sénatorial qui a fait l’étude préalable du projet de loi C-12 partage ce point de vue. Je rappelle que ce comité est formé de 12 membres expérimentés des quatre groupes de sénateurs, et que son rapport sur le projet de loi C-12 était unanime, c’est-à-dire sans observations dissidentes. Le rapport rappelle l’importance du rôle que jouent les gouvernements provinciaux et les structures de gouvernance autochtones en matière d’efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre au Canada. Je cite le rapport :
Au sein de la fédération canadienne, la compétence relativement à certaines des plus importantes questions de politiques ayant une incidence sur les émissions de GES appartient aux gouvernements des provinces et des territoires ainsi qu’aux structures de gouvernance autochtones, et non au gouvernement fédéral.
Je suis convaincu que nous ne pourrons atteindre ni la cible de réduction de 2030 de l’Accord de Paris ni la carboneutralité en 2050, si le gouvernement fédéral ne favorise pas davantage l’harmonisation de ses propres cibles et plans spécifiques de réduction de gaz à effet de serre à ceux des gouvernements des provinces et des administrations de grandes villes et de grandes industries. Ainsi, je suis bien d’accord avec ce passage du rapport du comité sénatorial, que je cite :
Le comité tient à faire remarquer qu’il est très important que le fédéral collabore étroitement avec les gouvernements des provinces et des territoires, les dirigeants des municipalités et de l’industrie et, dans le cadre d’une collaboration et de consultations continues, avec les structures de gouvernance autochtone à l’atteinte de la cible de carboneutralité d’ici 2050.
De plus, le comité sénatorial reconnaît à juste titre que la transition énergétique et le respect des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre poseront plus de difficultés à certains secteurs de l’économie. Or, plusieurs grandes entreprises ont réussi à faire ce que le gouvernement fédéral n’est pas parvenu à inclure dans le projet de loi C-12 : elles se sont dotées de plans comportant des moyens concrets pour réduire leurs émissions.
Par exemple, hier, le 28 juin, dans La Presse, on pouvait lire un article très intéressant d’Hélène Baril sur la participation des différentes industries à l’atteinte de la carboneutralité. Dans l’article, on affirme ce qui suit :
Au Canada, 66 % des entreprises de l’indice composé S&P/TSX divulguent leurs émissions de GES, constate Millani [firme de Montréal spécialisée dans l’intégration des enjeux ESG (pour environnement, société, gouvernance)], mais seulement 23 % d’entre elles appliquent les recommandations du Task Force on Climate-Related Financial Disclosures sur la nécessité d’intégrer dans leurs activités des mesures de gouvernance et de gestion des risques climatiques.
Il est donc urgent de mobiliser les entreprises en ce qui concerne les différentes stratégies de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Il est ironique que même Suncor et d’autres entreprises pétrolières se soient dotées, avant le gouvernement fédéral, d’un plan pour atteindre la carboneutralité. Je cite à ce sujet un autre extrait de l’article de Mme Baril :
Suncor, Canadian Natural Resources, Cenovus Energy, MEG Energy et l’Impériale, qui produisent 90 % du pétrole canadien, viennent de prendre ensemble l’engagement d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050, tout en poursuivant leurs activités.
Or, les entreprises pétrolières mentionnent que le projet de loi C-12 n’en fait pas assez pour soutenir leurs efforts afin de réduire leurs émissions. Elles demandent que le projet de loi soit modifié pour favoriser une meilleure harmonisation entre les plans des provinces et du gouvernement fédéral. Elles expliquent qu’une harmonisation insuffisante aura des conséquences néfastes et importantes. Je cite à ce propos le témoignage du 8 juin 2021, au comité sénatorial, de Mme Shannon Joseph, représentant l’Association canadienne des producteurs pétroliers :
Nous savons, en tant qu’industrie réglementée aux échelons fédéral et provincial, que des gouvernements différents ont leurs propres ambitions climatiques et perspectives sur des possibilités de mesures stratégiques permettant de réaliser ces ambitions. Souvent, des ordres de gouvernement différents élaborent des politiques qui ciblent les mêmes activités et les mêmes émissions, et cela crée des inefficiences stratégiques qui éloignent les capitaux nécessaires pour permettre à l’industrie canadienne d’innover et d’obtenir des résultats environnementaux.
Le projet de loi C-12 doit créer le cadre qui nous permet de faire mieux. Il devrait être modifié afin de rehausser l’intégration et la collaboration entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de la manière dont les stratégies sont élaborées et évaluées.
Je partage également l’inquiétude du comité sénatorial, qui note dans son rapport sur le projet de loi C-12 que ce dernier ne comporte aucune obligation pour le ministre d’inclure dans les plans de réduction des émissions de gaz à effet de serre des informations au sujet des incidences économiques et sociales des mesures prévues dans ces plans. En effet, le rapport du comité indique que le ministre n’est pas tenu de considérer, dans les plans de réduction qu’il aura à préparer, des indicateurs économiques essentiels comme le produit intérieur brut réel, les niveaux d’investissement et d’emploi, de même que l’accessibilité et la sécurité énergétiques. Cette omission constitue une autre faiblesse importante du projet de loi, car, je cite une fois de plus le rapport du comité :
[...] l’inclusion de facteurs économiques et sociaux dans le régime de responsabilité climatique ne diminue pas le signal politique clair envoyé par les jalons prévus en vertu du projet de loi C-12 pour la réduction des émissions de GES. En fait, la prise en compte et la mesure de ces facteurs pourraient permettre d’améliorer la capacité du Canada d’atteindre le niveau net zéro de façon plus rapide et plus équitable.
Il est donc contre-productif que le gouvernement libéral refuse de préciser, dans le projet de loi, que les perspectives économiques et sociales des communautés et des industries sont des facteurs que le ministre doit prendre en compte dans le cadre de l’élaboration des plans de réduction des émissions de gaz à effet de serre du Canada. J’ajoute que la législation sur la responsabilité climatique du Royaume-Uni et de la France tient compte des considérations économiques, selon le témoignage de la professeure Le Quéré du 10 juin 2021 devant le comité sénatorial. Elle ajoute, et je cite :
Le Royaume-Uni et la France reconnaissent que la lutte contre les changements climatiques aura un coût, et leurs comités consultatifs ont pour rôle de faire le travail au moindre coût et de répartir les coûts équitablement. Leurs avis ne sont pas insensibles à l’économie, mais ils visent à réduire les émissions de la manière la plus efficace, compte tenu de la capacité d’absorption de l’économie en général, mais en donnant la priorité à l’instrument qui donnerait les meilleurs résultats.
J’estime donc qu’il aurait été essentiel que le projet de loi C-12 précise que le ministre doit nécessairement prendre en compte les facteurs économiques dans l’élaboration des plans de réduction des gaz à effet à serre. Dans le cas contraire, ces plans ne peuvent être adaptés à la réalité des communautés et des industries, ce qui signifie qu’il sera impossible pour elles d’aider pleinement à atteindre les cibles de réduction fixées au moyen de ces plans gouvernementaux.
L’autre importante lacune du projet de loi concerne l’insuffisance des garanties de l’indépendance du commissaire à l’environnement et au développement durable et du Groupe consultatif pour la carboneutralité. Il s’agit d’une lacune qui a été évoquée par plusieurs témoins au moment de l’étude du projet de loi, tant devant le comité de la Chambre des communes que devant celui du Sénat. Le rôle du commissaire, en vertu du projet de loi C-12, est décrit à l’article 24. Ce dernier doit produire un rapport, au moins une fois tous les cinq ans, traitant de la mise en œuvre des mesures adoptées par le gouvernement du Canada en vue d’atténuer les changements climatiques. Toutefois, pour permettre au commissaire de mener un examen approfondi, il est nécessaire, à mon avis, que le projet de loi soit modifié de manière à lui accorder davantage d’indépendance par rapport au gouvernement. Le 19 mai 2021, Me Paul Fauteux a recommandé, lors de son témoignage devant le comité de la Chambre des communes, que le commissaire soit désigné comme un agent du Parlement, afin qu’il puisse répondre aux parlementaires plutôt qu’au gouvernement. Le rapport du comité sénatorial contient la même recommandation, qui aurait assuré une plus grande transparence et une meilleure reddition de comptes en ce qui concerne les futures mesures gouvernementales visant à atteindre la carboneutralité.
Toutefois, et c’est fâcheux, le gouvernement n’a assurément pas l’intention d’appuyer un amendement au projet de loi pour augmenter l’indépendance du commissaire. De toute évidence, le gouvernement refuse de faire cette modification, parce que cela signifie que le projet de loi devra être renvoyé à la Chambre des communes et qu’il ne pourra donc pas être adopté avant l’ajournement de l’été.
Pour vous convaincre du fait que cette proposition d’amendement que je pourrais présenter serait rejetée en cette fin de session, voici un extrait d’une lettre ouverte rédigée par neuf sénateurs du Québec, membres du groupe majoritaire au Sénat, au sujet d’un amendement que j’ai présenté relativement au projet de loi C-15 et qui a été rejeté. Il s’agissait d’un amendement pourtant légitime, qui visait à répondre à une demande claire des premiers ministres de six provinces. Je vais citer un extrait de leur lettre :
Il sied maintenant de parler, sans naïveté, de l’objectif véritable de cet amendement : ralentir à tout prix l’adoption du projet de loi. Ainsi, il s’enliserait lentement au Feuilleton, prisonnier d’un ping-pong parlementaire entre le Sénat et la Chambre des communes.
Je ne partage pas le point de vue de ces sénateurs. Je crois plutôt que le Sénat est, encore une fois, pris en otage par une fausse urgence du gouvernement libéral, qui l’a lui-même créée, en tardant à faire progresser l’étude de ce projet de loi ces derniers mois. En effet, le gouvernement a attendu un an après son élection pour déposer ce projet de loi. Il nous impose maintenant une fausse urgence, empêchant ainsi le Sénat de jouer son véritable rôle, qui est de mener un second examen attentif et réfléchi des projets de loi. Le gouvernement fait tout cela pour des considérations purement électorales, puisque c’est son choix, alors que nous voyons des signes de plus en plus nombreux quant au déclenchement d’une campagne électorale cet été.
Dans un autre ordre d’idées, le rapport du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles a évoqué, tout comme je l’ai fait, l’insuffisance de garanties en ce qui a trait à l’indépendance du Groupe consultatif pour la carboneutralité. Le comité a écrit ce qui suit :
[...] le comité est d’avis que le Groupe consultatif pour la carboneutralité doit être indépendant sur le plan administratif et que, pour ce faire, il doit exercer un droit de regard sur son budget et son secrétariat, et se doter d’un code rigoureux régissant les conflits d’intérêts de manière à pouvoir se récuser de toute discussion et recommandation concernant les conflits directs des membres.
Dans son témoignage du 19 mai dernier, Me Paul Fauteux a bien noté l’absence d’indépendance du processus de nomination des membres du groupe consultatif. Il a dit ceci :
[...] c’est le ministre qui nomme les membres de l’organisme et qui en décrit le mandat, qu’il peut changer quand il le veut.
Les députés Dan Albas et Elizabeth May ont aussi déploré le fait, quand le ministre de l’Environnement a témoigné devant le comité le 17 mai dernier, que les membres du groupe consultatif aient déjà été choisis avant même l’entrée en vigueur du projet de loi. Cette préoccupation est bien résumée dans la question que Mme May a posée au ministre, qui n’a pu lui donner de réponse convaincante au moment de son témoignage. Je cite Mme May :
[…] le projet de loi renvoie à un comité consultatif, et non pas à un groupe d’experts. Vous n’avez qu’un seul climatologue dans l’organisme actuel. Je pense que c’était faire preuve d’un manque de respect à l’endroit du Comité et du processus parlementaire que d’agir prématurément et de nommer un comité consultatif avant même qu’un seul témoin ne soit venu parler, dans le cadre du projet de loi, de la raison pour laquelle un si grand nombre de personnes et d’experts croient que nous devrions nous aligner beaucoup plus sur le comité climatique du Royaume-Uni, qui est reconnu universellement pour son expertise. Votre organisme consultatif compte un climatologue. […]
Je me demande si vous reconsidérerez la composition — plus que les personnes qui y siègent, c’est la structure — afin qu’elle ressemble davantage à celle du groupe d’experts du Royaume-Uni qui établit les budgets carbone.
J’estime que le projet de loi aurait dû conférer des garanties d’indépendance au groupe consultatif, ce qui comprend des garanties structurelles à l’organisme consultatif et des garanties individuelles aux membres. Il est inexplicable que le gouvernement ne l’ait pas fait.
Or, je rappelle que l’amendement qui a été adopté à l’article 20 est purement symbolique et ne remédie aucunement au problème de l’absence d’indépendance du groupe et de ses membres. Alors que la version initiale de l’article 20 exigeait que le groupe fournisse des conseils au ministre, la nouvelle version prévoit qu’il doit fournir au ministre des conseils « indépendants ». L’ajout du mot « indépendants » ne fait rien pour assurer de meilleures garanties en ce qui a trait à l’indépendance institutionnelle et structurelle de l’organisme consultatif.
Je m’opposerai donc à l’adoption du projet de loi C-12, car il comporte de graves lacunes et ne donne pas les moyens nécessaires pour atteindre l’objectif de 2050 en matière de carboneutralité ou l’objectif de 2030 prévu en vertu de l’Accord de Paris. Je suis convaincu qu’il n’y a aucune possibilité que le gouvernement, à commencer par une majorité de sénateurs, agrée à des propositions d’amendements au projet de loi en raison de la pression indue ressentie par le gouvernement libéral de tenir des élections hâtives et parce que ce projet de loi risque de mourir au Feuilleton. Je refuse de répondre à l’ultimatum du gouvernement. Je n’adopterai pas un projet de loi qui comporte des failles et qui manque de substance, un projet de loi qui incitera les Canadiens à faire preuve de cynisme, eux qui comptent pourtant sur nous pour adopter des lois robustes afin de réduire de façon draconienne et durable nos émissions de gaz à effet de serre. Je ne suis pas d’accord avec le proverbe qui dit : « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Les jeunes Canadiens ont le droit de s’attendre aux plus hautes garanties fondamentales pour assurer la protection de leur environnement.
Je vous invite donc humblement à voter contre le projet de loi C-12, ce qui exigera de la part du gouvernement qu’il refasse ses devoirs et nous propose un nouveau projet de loi qui, cette fois-ci, comporterait bien plus qu’une promesse d’établir des plans, mais plutôt des moyens précis, concrets et robustes pour atteindre nos objectifs de carboneutralité et se conformer à l’Accord de Paris. Il nous faut également un projet de loi qui rendrait le ministre et le gouvernement responsables s’ils échouent à atteindre les cibles fixées.
Je vous remercie de votre attention.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050.
Comme beaucoup d’entre vous le savent, je suis et je serai toujours un défenseur de l’agriculture. J’ai travaillé dans le domaine de l’agriculture presque toute ma vie. C’est ce que je connais le mieux, et ce domaine restera mon principal centre d’intérêt tant que je représenterai les Canadiens au Sénat.
Je me concentrerai donc aujourd’hui sur le rôle de l’agriculture dans la lutte contre les changements climatiques et l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre pour appuyer les efforts du Canada en vue d’atteindre la carboneutralité au cours des 29 prochaines années.
Je tiens d’abord à remercier ma collègue l’honorable sénatrice Rosa Galvez d’avoir parrainé le projet de loi au Sénat. Il s’agit d’une étape importante pour faire du Canada un endroit plus vert, plus propre et plus durable où vivre, travailler et se divertir.
J’ai été particulièrement heureux de constater que des mesures de responsabilisation supplémentaires ont été présentées à l’autre endroit, comme des rapports d’évaluation supplémentaires en 2023 et 2025, y compris un examen de l’objectif de 2030, et un objectif de réduction des émissions provisoire pour 2026, ainsi que des exigences normatives pour le plan de réduction des émissions et les rapports d’évaluation. Ces indicateurs en cours de route nous procurent non seulement des jalons en matière de reddition de comptes, mais ils nous offrent aussi des options pour tenir les Canadiens au courant de nos progrès et les intégrer dans le processus.
Comme je l’ai mentionné précédemment, l’agriculture est l’une de mes principales priorités, et il ne fait aucun doute que ce secteur joue un rôle de premier plan dans la lutte contre les changements climatiques. Selon l’OCDE, l’agriculture était responsable d’environ 17 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale en 2016, et ce pourcentage n’inclut pas une part additionnelle allant de 7 % à 14 % occasionnée par les nouveaux usages des terres. Selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, 10 % des émissions de gaz à effet de serre au Canada proviennent de la production agricole et de l’élevage de bétail. Cela n’inclut pas les émissions issues de l’utilisation de combustibles fossiles et de la production d’engrais.
Ces chiffres sont très élevés et nous devons tout faire pour les réduire. Toutefois, cette responsabilité ne doit pas seulement reposer sur les épaules des agriculteurs et des joueurs de l’industrie agricole. Ils travaillent très fort pour produire nos denrées alimentaires, sans compter que la majorité d’entre eux sont de très bons gardiens des terres. Voilà pourquoi les agriculteurs sont profondément engagés dans la lutte contre les changements climatiques et l’atténuation de ses conséquences.
En fait, dans bien des cas, nos agriculteurs sont les premiers touchés par les conséquences des changements climatiques puisque l’industrie agricole canadienne en subit grandement l’impact. La fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes a doublé depuis les années 1990. On constate une augmentation des inondations, des sécheresses, des feux de forêt et des tempêtes, qui, sans surprise, entravent autant l’ensemencement que la récolte. Ce sont les exploitations agricoles, peu importe leur taille, qui sont les plus durement affectées.
S’il faut reconnaître que l’agriculture n’est qu’une petite partie du problème en ce qui concerne les changements climatiques, le secteur agricole n’a cessé de s’améliorer depuis de nombreuses années, tandis que les émissions des autres secteurs ont augmenté au fil du temps. L’agriculture a également un potentiel extraordinaire pour être un élément important de la solution.
En fait, de nombreux agriculteurs ont déjà pris des mesures au fil des ans pour faire de leurs terres une exploitation sans labour. Cette technique accroît la rétention de la matière organique et le cycle des nutriments, ce qui augmente le piégeage du carbone. Nombre d’entre eux ont également inclus des cultures fourragères vivaces et des cultures de couvre-sol dans leurs rotations culturales. Il y a plus de carbone dans les sols sous les fourrages vivaces que sous les cultures annuelles, en partie parce que les premiers transfèrent mieux le carbone au sol. En fait, la Fédération canadienne de l’agriculture a indiqué que les agriculteurs ont maintenu leurs émissions stables pendant 20 ans tout en doublant presque leur production, ce qui a permis de réduire de moitié l’intensité des émissions de gaz à effet de serre.
Agriculture et Agroalimentaire Canada reconnaît également que l’agriculture contribue à ralentir les changements climatiques en stockant le carbone dans les terres agricoles. Le stockage, ou séquestration, du carbone dans les sols sous forme de matière organique, dans la végétation pérenne et dans les arbres réduit les quantités de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.
Nous avons également assisté à davantage de progrès et d’innovations technologiques, notamment l’agriculture de précision, le recours à l’intelligence artificielle et à des drones, qui visent à diminuer les impacts environnementaux négatifs tout en augmentant la rentabilité. Nous pouvons également explorer la possibilité d’utiliser à plus grande échelle les technologies dont nous savons déjà qu’elles produisent des résultats environnementaux positifs.
Il existe beaucoup d’autres méthodes novatrices que les agriculteurs emploient pour protéger l’environnement sans sacrifier la rentabilité. Par exemple, la réintégration du bétail et des cultures à la ferme et la gestion des pâturages peuvent permettre d’augmenter la consommation de nutriments par le bétail, en plus d’augmenter la matière organique dans le sol.
En outre, la popularité de l’agriculture verticale et de l’agriculture urbaine s’est accrue au cours des dernières années. Ces méthodes d’agriculture novatrices permettent de produire des récoltes en zone urbaine sans occuper trop d’espace. On constate également l’utilisation de l’hydroculture, c’est-à-dire la culture qui se fait directement dans de l’eau enrichie d’éléments nutritifs plutôt que dans la terre.
Dans le secteur agricole et agroalimentaire, le défi consistera à atténuer les gaz à effet de serre tout en s’adaptant aux conséquences des changements climatiques, sans mettre en péril la sécurité alimentaire. Pour ce faire, les producteurs agricoles et les transformateurs d’aliments canadiens auront besoin de l’aide du gouvernement pour effectuer la transition de leurs installations afin de les rendre plus viables. Il leur faudra aussi l’aide du gouvernement pour changer des pratiques et des procédures qui sont en application depuis des décennies.
Nombre d’organismes, y compris la Fédération canadienne de l’agriculture, la Fédération de l’agriculture de l’Ontario, la Canadian Cattlemen’s Association, le Conseil canadien du porc et bien d’autres, ont dit être déterminés à aider le Canada dans sa lutte contre les changements climatiques. Chaque secteur a évidemment des préoccupations par rapport à certaines questions comme la tarification équitable du carbone, dont j’ai parlé par le passé, ainsi que d’autres facteurs pouvant avoir des effets sur la durabilité des industries en général. Toutefois, dans l’ensemble, le secteur agricole canadien sait qu’il a un rôle crucial à jouer comme intendant des terres, notamment lorsqu’il s’agit de préserver les écosystèmes et les ressources, comme les sols et l’eau, et de réduire les effets de ses activités sur l’environnement en adoptant de bonnes pratiques agricoles.
J’aimerais maintenant parler de la façon dont la santé des sols et des facteurs environnementaux peuvent avoir une incidence sur les changements climatiques. Dans cette enceinte et au Comité de l’agriculture et des forêts, j’ai parlé à plusieurs reprises de l’importance de la santé des sols. Comme vous le savez peut-être, j’ai proposé que le Comité de l’agriculture et des forêts entreprenne une nouvelle étude sur la santé des sols au Canada.
En ce qui concerne le projet de loi C-12, les sols du pays jouent un rôle essentiel dans le stockage du carbone et peuvent nous aider à atteindre la carboneutralité d’ici 2050.
Comme il s’agit de l’une des ressources naturelles les plus précieuses du Canada, la conservation des sols est une priorité pour les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire. En fait, je pense que c’est une préoccupation dans tous les secteurs et toutes les régions du Canada. L’avenir de notre pays est intrinsèquement lié à la santé de son écosystème, laquelle repose sur la santé des sols.
Depuis que j’ai été nommé sénateur en 2018, j’ai régulièrement rencontré des personnes qui s’intéressent à la santé des sols, y compris des scientifiques, des agriculteurs et d’autres propriétaires d’entreprises agricoles, sans oublier des experts comme le parrain de la santé des sols, Don Lobb, et son fils, David Lobb, qui a fait des études doctorales dans ce domaine. En fait, c’est Don Lobb qui m’a encouragé à lire le rapport que l’ancien sénateur Herbert Sparrow a publié en 1984 sur la santé des sols.
La dernière étude que le Sénat a effectuée sur la santé des sols remonte maintenant à 37 ans. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que l’étude de 1984, qui est intitulée Nos sols dégradés et qui a été faite par le Comité sénatorial de l’agriculture, est le rapport du Sénat ayant fait l’objet du plus grand nombre de demandes sur la Colline du Parlement. Cela dit, au fil des décennies qui se sont écoulées depuis la publication du rapport, le paysage canadien s’est transformé. Une mise à jour s’impose.
Pour l’instant, je suis heureux de pouvoir dire que mon bureau a entendu plus de 185 partisans de l’étude proposée. Nous avons reçu le soutien d’universitaires, de fonctionnaires et d’organisations nationales et provinciales de partout au pays.
J’espère que l’étude que j’ai proposée au Comité de l’agriculture, si elle est entreprise, rencontrera un écho chez les Canadiens en présentant la santé des sols sous l’angle de la sécurité alimentaire et de la conservation de l’environnement et en montrant le lien entre la qualité de l’air et de l’eau et la santé des sols et entre le rôle des sols dans les marchés du carbone et les changements climatiques, car avoir des sols sains, c’est un atout pour atteindre la carboneutralité, au Canada.
Nous sommes tous d’accord pour dire, je pense, qu’assurer la bonne santé des sols canadiens et leur conservation relève d’une responsabilité partagée, ce qui veut dire un leadership collectif, un engagement soutenu et des actions durables de la part des personnes directement responsables de la gestion des sols dans tout le pays. Un sol sain, c’est sans doute l’une des ressources les plus importantes pour garantir la santé de nos écosystèmes naturels et agricoles et ainsi assurer la pérennité de la production alimentaire et les services écosystémiques. Savoir comment gérer les sols et comprendre leur fonctionnement est essentiel pour leur productivité et leur durabilité à long terme et aura des effets importants sur la façon dont nous gérerons les changements climatiques, à l’avenir.
En mars 2019, un rapport de l’Institut canadien des politiques agroalimentaires, intitulé Croissance écologique en agriculture, a souligné que :
Les émissions de gaz à effet de serre imputables à l’agriculture canadienne n’ont cessé de baisser du fait de bouleversements technologiques importants. L’agriculture canadienne continue de réduire ses émissions grâce aux efforts déployés par des gouvernements, l’industrie et le milieu universitaire.
Le rapport affirme aussi que ces efforts aident l’industrie à devenir « un puits net [...] avec des solutions pour le reste de l’économie. »
Chers collègues, la santé des sols et le changement climatique sont étroitement liés. D’un côté, les sols sont les deuxièmes puits de carbone en importance après les océans. Ils stockent trois fois plus de carbone que la quantité de carbone qui se trouve dans l’atmosphère. D’un autre côté, la hausse des températures et l’évolution des cycles de précipitations peuvent entraîner l’érosion des sols, la diminution de leur fertilité et la réduction des capacités des sols à fournir des services écosystémiques de base.
Nous savons que les sols ne sont pas une ressource renouvelable et qu’il nous reste peu de temps pour les sauver; moins de 50 ans selon certains experts. En outre, le coût de la dégradation des sols au Canada est estimé à 3 milliards de dollars chaque année, et ce chiffre augmentera si nous restons les bras croisés. Il n’existe pas qu’une seule façon d’améliorer la qualité des sols sur un territoire aussi vaste et varié que le Canada, mais il est clair que la bonne santé de nos sols jouera un rôle important dans notre économie, notre environnement et notre société, notamment pour nous permettre d’atteindre notre objectif de carboneutralité en 2050.
Honorables collègues, nous savons que le changement climatique est un des plus importants enjeux mondiaux. Il ne fait aucun doute que l’industrie agricole comprend et appuie la prise de mesures pour lutter contre les changements climatiques. Cela dit, le gouvernement exige beaucoup des agriculteurs canadiens. De nombreuses exploitations dépendent de pratiques qui datent de plusieurs décennies et qui viennent tout juste d’être considérées comme néfastes à l’environnement. Les nouvelles technologies sont coûteuses, et même si je n’ai jamais entendu parler d’un agriculteur qui cherchait uniquement à faire de l’argent, un virage de la sorte peut avoir des conséquences sur la viabilité de son entreprise.
J’en profite donc pour demander une fois de plus au gouvernement de collaborer avec le secteur agricole afin de lui faciliter la transition vers la durabilité environnementale.
Je suis persuadé que l’industrie agricole — qui fait preuve d’innovation depuis le début de son existence — continuera de se montrer à la hauteur de la situation et participera activement à la lutte contre les changements climatiques. Évidemment, tous les secteurs doivent unir leurs efforts et prendre les mesures qui s’imposent. Le gouvernement doit travailler en collaboration avec les industries pour atteindre les cibles en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Je sais que beaucoup d’entre nous dans cette enceinte ont des enfants et des petits-enfants. Si nous ne travaillons pas ensemble pour lutter contre les changements climatiques, je crains que les prochaines générations vivent dans un monde entièrement différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. J’espère que tous les sénateurs se joindront à moi pour appuyer l’adoption de cet important projet de loi.
Merci. Meegwetch.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-12, la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité. J’aimerais remercier les sénatrices Galvez et Coyle de tout le travail qu’elles ont fait.
J’ai passé une grande partie de ma carrière de sénatrice à collaborer avec les innombrables communautés autochtones qui sont ravagées par les changements climatiques, ainsi que par l’extraction et l’exploitation des ressources, et à défendre leurs intérêts. J’en profite donc pour faire entendre leur voix dans ce débat important et prononcer un discours au nom de Wa Ni Ska Tan, une alliance de communautés touchées par les répercussions de l’hydroélectricité qui représente 40 communautés au Manitoba.
Wa Ni Ska Tan est un terme cri qui signifie « élevons-nous » ou « réveillons-nous ». Voici ce qu’a dit l’alliance :
Nous sommes heureux de pouvoir parler de ce projet de loi et des répercussions des barrages hydroélectriques et des changements climatiques au Manitoba, plus particulièrement sur les communautés autochtones.
Les Cris et les Anishinabes au Manitoba subissent depuis plus d’un demi-siècle les répercussions des barrages hydroélectriques, du détournement des rivières et des lacs de barrage, et ils ne connaissent que trop bien les graves dommages environnementaux qu’ils causent. Ils se préoccupent aussi de l’escalade de la crise climatique.
Depuis longtemps, l’hydroélectricité a la réputation d’être une énergie « propre et verte », voire « carboneutre ». Malheureusement, cette réputation est imméritée. De récentes recherches ont montré que, en plus des dommages importants causés par la génération d’énergie hydroélectrique aux lacs, aux rivières, aux forêts, aux oiseaux et aux animaux terrestres, l’énergie hydroélectrique contribue grandement à la crise climatique.
La conversation publique au sujet des changements climatiques et des gaz à effet de serre porte en grande partie sur l’utilisation des carburants fossiles en tant que principale cause des changements climatiques. Si les carburants fossiles sont évidemment une des causes importantes du problème, ce serait une grave erreur de construire de nouveaux barrages hydroélectriques dans le but de réduire notre consommation de carburants fossiles. D’abord, comme l’a souligné le groupe de protection des rivières American Rivers :
Il est tout aussi impératif de ne pas détruire l’environnement que nous tentons de sauver en développant à la va-vite des sources d’énergie à faibles émissions qui causeront de graves dommages environnementaux et qui entraîneront d’énormes coûts socioéconomiques.
Au-delà de ces considérations vitales, il est également important de savoir que l’énergie hydroélectrique n’est pas vraiment carboneutre et qu’elle contribue à de fortes émissions de gaz à effet de serre de différentes façons.
Les grands réservoirs représentent la plus importante source d’émissions de gaz à effet de serre liée à la génération d’énergie hydroélectrique. Le résumé d’une recherche menée récemment explique le problème de la façon suivante :
[...] les réservoirs de la planète constituent une source sous-estimée de gaz à effet de serre et produisent l’équivalent d’environ 1 gigatonne de dioxyde de carbone, soit 1,3 % de tous les gaz à effet de serre produits par les humains.
Cela équivaut à une production [mondiale] de gaz à effet de serre supérieure à celle du Canada.
Les réservoirs hydroélectriques produisent en fait non seulement du dioxyde de carbone, mais également de l’oxyde nitreux et du méthane, deux gaz qui contribuent de manière beaucoup plus puissante aux changements climatiques. En effet, sur une période de 100 ans, les émissions de méthane et d’oxyde nitreux génèrent respectivement un potentiel de réchauffement climatique 24 fois et 298 fois plus élevé que le dioxyde de carbone. À court terme, l’impact du méthane est encore plus grand : sur une période de 10 à 20 ans, il est 86 fois plus dévastateur que le dioxyde de carbone pour ce qui est d’accélérer les changements climatiques. Le méthane compte pour près de 80 % des émissions de gaz à effet de serre émanant des réservoirs.
Les réservoirs produisent ces émissions de gaz à effet de serre principalement en inondant les rivages et les forêts, ce qui tue les arbres et les plantes et qui introduit donc de la matière organique dans l’eau qui, ensuite, se décompose, produisant du dioxyde de carbone, de l’oxyde nitreux et du méthane. De telles inondations se produisent non seulement au moment où le barrage est aménagé, mais également régulièrement et continuellement sur les rives des lacs, les îles et les berges des cours d’eau dès qu’un service public d’hydroélectricité élève artificiellement le niveau de l’eau ou libère le surplus d’eau retenue dans le réservoir.
Ces observations scientifiques sont appuyées par l’expérience et le savoir des collectivités autochtones dont les terres ancestrales englobent un tel réservoir. Ainsi, Leslie Dysart, un pêcheur de la nation crie O-Pipon-Na-Piwin vivant près de South Indian Lake, dans le Nord du Manitoba, a dit :
Au fil des ans, j’ai observé maintes fois, le long des rivages érodés et détruits, des endroits où des bulles remontent continuellement à la surface, libérant des gaz produits sous l’eau.
Les barrages et les centrales hydroélectriques ont également entraîné la destruction de larges pans de la taïga canadienne, l’équivalent nordique de la forêt amazonienne en termes de protection contre le changement climatique. En effet, la taïga séquestre le carbone et dégage de grandes quantités d’oxygène. Cependant, elle subit des assauts incessants depuis de nombreuses années, car lors de la construction de barrages, les sociétés d’hydroélectricité procèdent à des coupes forestières pour construire des routes et des centrales, installer des corridors de lignes de transport, ériger les barrages proprement dits et obtenir du bois d’œuvre. Ces activités entraînent des inondations qui détruisent encore davantage la forêt. En fait, chaque année, des dizaines de milliers d’arbres meurent à cause de l’érosion constante des berges et la destruction des îles causée par la manipulation des niveaux d’eau.
Encore une fois, comme Leslie Dysart l’indique :
Au fil des décennies, des centaines d’îles du lac Southern Indian sont disparues. Les arbres et la végétation submergés pourrissent et dégagent des émissions de gaz à effet de serre. On ne surveille pas cette dégradation environnementale.
La construction et la mise hors service des barrages hydroélectriques sont également d’importantes sources d’émissions de gaz à effet de serre. La construction de gigantesques barrages nécessite le déplacement de tonnes de terre et de roches et le transport sur de longues distances de matériaux lourds comme le béton et le ciment, ce qui entraîne la combustion d’une grande quantité de combustibles fossiles. La mise hors service de barrages génère encore plus d’émissions – jusqu’à trois fois plus que la construction elle-même. Par conséquent, dans le calcul des émissions liées à l’hydroélectricité, il faut tenir compte de la mise hors service, en plus de la construction et de l’entretien.
Les barrages hydroélectriques et les changements climatiques ont des répercussions importantes sur les peuples et les communautés autochtones. Les peuples autochtones comptent parmi les groupes les plus durement touchés par la maladie et les problèmes de santé au Canada et parmi ceux qui ont le moins accès aux soins de santé. Bien que de multiples facteurs contribuent à ces enjeux dans le Nord du Manitoba, les barrages hydroélectriques jouent un rôle important. Des lacs et des rivières sont maintenant remplis de silt, d’arbres morts et de débris qui rendent les déplacements dangereux, sont déjà la cause de nombreux décès et créent un problème d’accès à l’eau potable sur un territoire où, par le passé, les gens pouvaient littéralement tremper un verre dans l’eau et la boire. Dans de nombreux lacs dont l’eau était autrefois pure, il n’est plus possible de se baigner : l’eau cause des éruptions cutanées aux enfants qui s’y risquent.
La contamination au mercure causée par des inondations a forcé l’arrêt de nombreuses activités de pêche au fil des ans, et les dommages causés aux terres et aux plans d’eau ont empêché la culture et la récolte d’aliments sains et de plantes médicinales. Les gens se retrouvent aux prises avec des avis permanents de faire bouillir l’eau et doivent s’en remettre à des aliments coûteux, malsains et généralement transformés achetés en épicerie. Ils doivent payer pour ces nouveaux aliments malsains avec de l’argent provenant surtout de l’aide sociale, vu que leurs activités de pêche, autrefois lucratives, ont été décimées par les barrages hydroélectriques.
Les changements climatiques ne feront qu’aggraver ces problèmes, ce qui commence d’ailleurs déjà à être le cas. Les barrages hydroélectriques ont créé un problème chronique de « glace suspendue », qui ne flotte plus sur l’eau lorsque le niveau des réservoirs baisse l’hiver. Les changements climatiques affaibliront encore davantage cette glace, ce qui provoquera plus de décès causés par des chutes à travers la glace.
Déjà, dans les Prairies, les hivers sont plus courts et plus chauds, ce qui signifie que les routes d’hiver ne peuvent être utilisées que pendant de très courtes périodes pour transporter des fournitures lourdes et encombrantes jusqu’à des collectivités qui n’ont pas d’accès terrestre permanent. Il est donc plus difficile, et plus coûteux, d’approvisionner ces collectivités en fournitures essentielles. Une glace plus mince pendant une plus courte période augmente aussi les risques et la difficulté de se déplacer sur terre et sur l’eau, ce qui menace davantage la santé et risque de provoquer plus d’accidents et de décès.
Les changements climatiques menacent les populations animales qui ont longtemps été importantes pour les communautés autochtones, comme le rat musqué, le caribou et l’orignal. Les barrages hydroélectriques ont déjà forcé de nombreux animaux à se déplacer — les orignaux, les caribous, les castors, les rats musqués et les lièvres —, car ils ne peuvent plus vivre dans la forêt ou près des lacs et des rivières dont le niveau d’eau fluctue de façon imprévisible. L’esturgeon et le corégone qui constituaient traditionnellement la base de l’alimentation des Cris ont déjà été décimés par les activités de production d’hydroélectricité parce qu’ils sont incapables de frayer en toute sécurité ou de suivre leurs chemins migratoires habituels, sans mentionner le problème des filets de pêche emmêlés ou détruits par les arbres tombés. Les changements climatiques ne feront qu’aggraver ces désastres.
Tous ces changements négatifs touchant le climat, ainsi que les terres, les eaux, les forêts et les animaux, sont particulièrement néfastes pour les peuples autochtones et ils découlent d’activités qui leur ont apporté peu de bénéfices, voire aucun. De nombreux Cris et Anishinaabes touchés par des barrages hydroélectriques ont du mal à payer l’électricité qui chauffe et éclaire leurs maisons, bien qu’elle soit produite à grands frais pour eux sur le plan environnemental, économique et humain.
Non seulement l’énergie hydroélectrique a largement anéanti les économies de la chasse, du piégeage et de la pêche qui étaient autrefois abondantes, mais elle a aussi causé de graves dommages et ravages à leurs terres ancestrales, leurs économies, leur santé et leur famille, ce qui a entraîné des pertes humaines, des dommages psychologiques et de la détresse émotionnelle.
Par ailleurs, les activités industrielles qui ont engendré la crise climatique leur ont apporté proportionnellement peu d’avantages, car les emplois et les services que l’économie industrielle met à la disposition des Canadiens non autochtones leur sont plus difficiles, voire impossibles d’accès, même s’ils vivent à proximité. En outre, les effets combinés de l’hydroélectricité et de la crise climatique coïncident avec d’autres problèmes auxquels sont confrontées les communautés autochtones, notamment les pensionnats, la violence faite aux femmes et la toxicomanie. En effet, une grande partie de l’attention médiatique s’est récemment concentrée sur la violence faite aux femmes autochtones et aux personnes bispirituelles engendrée par ce qu’on appelle les « camps de travailleurs », notamment ceux liés à la construction de centrales hydroélectriques au cours des 50 dernières années.
Nous accueillons favorablement ce projet de loi, qui vise à exiger des mesures concrètes et mesurables pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et atteindre la carboneutralité. Dans le cadre de sa mise en œuvre, il faut rejeter explicitement les grandes installations hydroélectriques comme une stratégie acceptable et prévoir une collaboration directe, obligatoire et financée adéquatement entre les scientifiques et les gardiens du savoir autochtone, combinant ainsi l’expertise et le savoir-faire scientifiques à la connaissance approfondie que chaque nation autochtone possède des terres et des eaux de ses territoires ainsi qu’à la relation de longue date qu’elle entretient avec elles.
Les connaissances écologiques traditionnelles autochtones sont des connaissances locales, approfondies et détaillées accumulées au cours de millénaires d’utilisation active, d’observations et de gestion de terres natales précises. Elles offrent une source inestimable de compréhension des écosystèmes en tant que réseaux holistiques, interdépendants et synergiques de connexions et d’interactions. Cette collaboration devrait également porter sur la manière de mieux atténuer les répercussions passées, présentes et futures liées à l’hydroélectricité et aux changements climatiques. Les travaux et les décisions qui en découlent devraient faire l’objet de consultations auprès des communautés touchées, et des comptes devraient leur être rendus.
Ils concluent ainsi : « Merci de nous avoir donné l’occasion d’exprimer nos préoccupations au Sénat. »
Chers collègues, en tant que sénatrice, je vous exhorte à appuyer le projet de loi afin que nous puissions passer à l’action. Nous ne pouvons pas nous permettre de continuer à ne rien faire. Merci.
Honorables sénateurs, je prends également la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050.
Je voudrais commencer mes observations en disant que je soutiens fermement l’objectif de carboneutralité d’ici 2050. Il s’agit d’un objectif commun important des gouvernements, de l’industrie et de la société civile. Sa réalisation nécessitera les efforts de l’ensemble des secteurs économiques. Le projet de loi C-12 vise à créer un régime de responsabilité climatique, comme nous l’avons entendu cet après-midi, par l’établissement de cibles de réduction des émissions et la production de rapports à ce sujet. Comme des centaines, voire des milliers de Canadiens me l’ont rappelé par courriel et sur Twitter, il s’agit d’une mesure législative lourde de conséquences. Le résultat, si tout se passe comme prévu, n’est rien de moins qu’une réorganisation du fonctionnement de l’économie canadienne. Avant d’aborder le contenu du projet de loi, j’aimerais parler du processus.
Bien que je sois très fier du travail accompli par le comité, des observations et du niveau de coopération et de respect dont ont fait preuve tous les sénateurs, je dois admettre que le processus a été écourté. L’une des principales forces du Sénat est son travail approfondi et sans entrave. Comme je l’ai souvent dit, nous sommes le meilleur groupe de réflexion du Canada, mais si nous écourtons nos processus pour accommoder un gouvernement, comme nous l’avons fait beaucoup trop souvent au cours de la pandémie, nous perdrons ce rôle à juste titre.
Selon moi, et je crois que nombre de mes collègues sont de mon avis, l’étude préalable est un outil conçu non pas pour faire adopter à la hâte des mesures législatives qui sont à l’étude depuis des années, mais pour être employé dans des circonstances particulières et complexes où le temps presse, comme lors de l’étude d’un projet de loi d’exécution du budget, d’accords commerciaux dont la date fixée pour la ratification est imminente ou d’un projet de loi qui vise à répondre à une ordonnance de la cour selon le délai prescrit.
Il est difficile, voire impossible, d’avoir une vue d’ensemble des mesures d’un projet de loi et de leurs répercussions avant même que le Sénat soit saisi de la version finale du projet de loi. La situation dans laquelle nous nous sommes retrouvés en essayant de faire l’étude préalable du projet de loi C-12 indique parfaitement pourquoi les études du Sénat et de la Chambre devraient être menées de façon successive et non en parallèle.
Pendant que notre comité faisait comparaître des témoins et se penchait sur des propositions d’amendement, on délibérait sur des amendements substantiels au comité de l’autre endroit.
Comme le projet de loi évoluait constamment et que nous avions très peu de temps à cause des échéances que le gouvernement a imposées de manière arbitraire et que le Sénat a acceptées, nous n’avons pas pu entendre une foule de témoins, soit parce que nous n’avions pas assez de temps, soit parce que nous demandions à des témoins de présenter des observations réfléchies à seulement un jour ou deux de préavis. Nous n’avons pas fait très bonne figure.
Ce qui est peut-être encore pire, comme le comité l’a indiqué dans son rapport d’étude préalable, c’est que des témoins importants qui auraient pu dresser un portrait plus complet de la situation n’ont pas pu participer à l’étude.
Parmi les témoins potentiels — que nous n’avons pas entendus même s’ils étaient nombreux à avoir manifesté leur désir de témoigner —, on retrouve des représentants de certains secteurs, comme le transport ferroviaire, les compagnies aériennes, le transport routier, l’agriculture, l’acier, la construction et le logement. Nous n’avons pas entendu les témoignages de représentants des gouvernements provinciaux et territoriaux. Nous n’avons pas entendu les témoignages de représentants d’autres pays ayant de l’expérience en matière de responsabilité climatique, pas plus que des professionnels des investissements ou des économistes, ce qui aurait été très utile.
Si nous n’avions pas eu les mains liées de façon si arbitraire, nous aurions pu finir le travail qu’il nous incombe dans cette enceinte, c’est-à-dire examiner minutieusement les mesures législatives qui touchent les Canadiens. Sénateurs, il faut se le dire, décarboniser radicalement l’économie selon un échéancier serré aura une incidence sur tous les Canadiens. Cela mérite la plus grande attention du Sénat.
Le rôle du Sénat est aussi de comprendre et de défendre l’intérêt des régions, une responsabilité dont nous n’avons pas pu nous acquitter convenablement lors de notre examen du projet de loi C-12. Le processus est imparfait, mais le projet de loi l’est tout autant. Le premier ministre aime dire que l’environnement et l’économie vont de pair. Combien de fois l’avons-nous entendu, chers sénateurs? Toutefois, ce projet de loi tient compte d’un seul côté de la médaille. Aucune attention n’a été accordée à l’autre côté qui détermine toutes nos circonstances sociales et notre prospérité.
Comme le comité le souligne dans ses observations, les cibles devraient porter exclusivement sur la réduction des émissions. Je suis d’accord, mais il n’en demeure pas moins que si les décisions ne tiennent pas compte des facteurs économiques et qu’il n’y a ni suivi, ni rapports à ce sujet, il est peu probable que nous puissions atteindre les cibles visées. De plus, le projet de loi ne cherche aucunement à déterminer où les changements doivent se produire, que ce soit dans l’industrie, dans le secteur commercial ou dans la vie de chaque Canadien.
Voici un bref extrait des observations du comité :
[…] le comité s’inquiète du fait qu’il n’est pas essentiel que les plans et les rapports énoncés dans le projet de loi contiennent de l’information au sujet des incidences économiques et sociales de l’action ou de l’inaction à l’égard du climat, comme une analyse des coûts et des bénéfices. De plus, malgré le fait que, dans le préambule du projet de loi C-12, on mentionne qu’il faut rendre l’économie canadienne « plus résiliente, inclusive et compétitive », il n’est nullement mention de mesures comme le produit intérieur brut réel, les niveaux d’investissement et d’emploi, l’accessibilité des énergies, entre autres, comme considérations dans les plans et les rapports du ministre. La sécurité énergétique n’est pas mentionnée non plus, malgré l’importance de ce facteur de transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Par conséquent, le comité est d’avis que ces facteurs doivent être inclus dans les plans et les rapports du ministre avant l’examen quinquennal de la Loi.
Sénateurs, si nous tenons sérieusement — ce qui devrait être le cas — à atteindre les cibles dont ce projet de loi requiert l’établissement, il faut cesser de regarder les choses comme si nous les survolions de très haut et redescendre sur le terrain sans nous écraser.
Examinons la question sous un angle différent, mais en utilisant une analogie semblable : nous devons construire un avion qui possède toutes les pièces nécessaires pour s’envoler sans s’écraser au décollage. Cela signifie des investissements dans les secteurs public et privé, des talents, des emplois, ainsi que des sources d’énergie abordables et fiables. Si une seule de ces pièces est absente, ce projet de loi ne deviendrait qu’une liasse de papiers sans valeur, comme les engagements climatiques précédents que le Canada a pris.
Sans investissements nationaux ou étrangers, nous ne pouvons pas accroître l’électrification, réaliser des projets d’énergie propre ou favoriser les innovations technologiques que nous savons nécessaires. Sans talent, nous ne pouvons pas construire les infrastructures nécessaires pour un avenir à faible émission de carbone. De plus, si aucun emploi n’est créé et qu’aucune source d’énergie abordable et fiable n’est disponible, on ne pourra pas garantir d’appui politique pour les politiques de carboneutralité ou, même, les objectifs de carboneutralité.
Je crois que le régime de responsabilité climatique du Canada doit inclure un volet économique pour être efficace. En fait, je crois que le projet de loi devrait être amendé pour y inclure des considérations économiques. Cependant, compte tenu des circonstances, je reconnais que le Sénat n’est pas disposé à l’amender. Même si j’accepte ce fait, je tiens à indiquer clairement que le projet de loi est incomplet sans ce volet économique.
L’autre grand problème, c’est que le projet de loi ne reconnaît pas adéquatement le rôle des provinces et des territoires dans la transition vers la carboneutralité, comme mon collègue le sénateur Carignan l’a aussi souligné. Les chemins vers la carboneutralité sont multiples, et chaque province ou territoire a un profil d’émissions et une capacité sociale et financière à apporter des changements économiques à grande échelle dans une très courte période. Le gouvernement fédéral doit en tenir compte. L’amendement qui a été adopté à l’autre endroit porte sur la consultation, mais il ne précise pas le travail qui s’impose pour y arriver.
Étant donné qu’une grande partie du pouvoir constitutionnel relève d’administrations autres que le gouvernement fédéral, une collaboration intergouvernementale est manifestement nécessaire. Plus précisément, le projet de loi C-12 aurait dû prévoir que les politiques et les plans de lutte contre les changements climatiques des provinces et des territoires soient intégrés dans les cibles, les plans et les rapports du ministre.
Tirer parti des structures de gouvernance et des collectivités autochtones est également extrêmement important à cet égard. C’est aussi le cas des initiatives prises par les administrations locales. Or, il n’y a pas un mot sur toutes ces questions.
Une approche intégrée pour la réduction des émissions s’avère nécessaire pour réussir cette entreprise gigantesque. Les témoins se sont montrés sans équivoque au comité en affirmant que des investissements soutenus sont requis pour financer la transition énergétique du Canada. Or, un contexte politique stable et prévisible permet d’attirer de tels investissements. Au gouvernement fédéral, des régimes de reddition de comptes sur le climat doivent jouer un rôle dans la création de ce contexte, quoique les investisseurs doivent également constater que les gouvernements collaborent entre eux. En incluant une disposition à cet égard dans le projet de loi, le Canada indique clairement qu’il a l’intention de respecter les champs de compétence et de collaborer avec ses partenaires gouvernementaux pour faire avancer les choses.
Une transition juste et équitable, comme on la qualifie souvent, sera impossible sans tenir compte des régions et des économies régionales. Les défis qui attendent ma province, l’Alberta, pour cette transition sont différents de ceux de l’Ontario ou de la Nouvelle-Écosse, par exemple.
Il convient de mentionner que les progrès continus de réduction des émissions se verront menacés si le pays est plongé dans un conflit politique ou dans des batailles de compétence devant les tribunaux.
Ce ne sont pas les seules réserves que j’aie à l’endroit du projet de loi C-12. Je ne suis pas très à l’aise avec l’idée d’accorder à un seul ministre, tout capable qu’il soit, le pouvoir de modifier les cibles et les plans en matière d’émissions. En outre, le comité a fait d’autres observations quant à des améliorations qui pourraient être apportées au projet de loi. Combler les lacunes du projet de loi C-12 permettrait de rassurer ceux dont l’appui est essentiel à l’atteinte des objectifs du projet de loi : les provinces, les territoires, les communautés autochtones, les investisseurs et les Canadiens.
Avant de conclure mon discours, j’aimerais remercier les autres membres du comité de la collaboration dont ils ont fait preuve pendant l’étude préliminaire que nous avons menée. Je veux tout particulièrement remercier le président du comité, le sénateur Massicotte, de son leadership dans ces circonstances très difficiles. De plus, je veux souligner la contribution de la marraine du projet de loi, la sénatrice Galvez.
Je me permets également de remercier les membres de mon personnel de l’excellent travail qu’ils accomplissent, ainsi que les greffiers et tout le personnel de soutien des comités, qui ont dû travailler sous pression du début à la fin.
En résumé, je vais voter pour le projet de loi. J’appuie ses objectifs, mais j’ai d’importantes préoccupations pratiques quant au fait que le manque d’équilibre et les omissions dans le projet de loi C-12 risquent d’empêcher le Canada d’atteindre l’objectif de la carboneutralité d’ici 2050.
Je ne crois pas que ce soit la dernière fois que nous aurons à débattre de cette mesure législative. J’exhorte le gouvernement à accorder aux observations et aux commentaires formulés par les sénateurs au comité et ici aujourd’hui toute l’attention qu’ils méritent afin de combler ces lacunes le plus tôt possible pour que le Canada puisse atteindre cette cible. Je vous remercie, chers collègues.
Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi C-12, qui vise à aider le Canada à atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050. Le cadre proposé par cette mesure législative représente un progrès important, et je suis heureux de dire qu’au cours de la 43e législature nous aurons pris des mesures significatives pour le climat.
La première question qu’il convient de se poser est la suivante : quel héritage souhaitons-nous laisser à nos petits-enfants en matière de climat? Je ne pense pas que je serai encore de ce monde en 2050, mais je sonne l’alarme pour que notre génération cesse de les laisser tomber.
Nous n’avons plus de temps à perdre. Des mesures bien plus strictes que celles du projet de loi C-12 seront nécessaires pour éviter une catastrophe sur cette planète. Pour autant, avec la tarification du carbone, les investissements et les innovations écologiques, ce texte de loi donne une chance au Canada de contribuer à l’effort collectif pour relever un des pires défis auquel l’humanité n’a jamais été confrontée. Ce projet de loi vise essentiellement à mettre en place un plan de réduction des émissions, en s’appuyant sur des rapports fournis par le gouvernement et un organisme consultatif composé d’experts afin d’atteindre des objectifs graduels. Cette mesure législative s’appliquera dans les décennies à venir au fil des différents gouvernements, sauf si on tente de l’abroger. Sur ce point, le Sénat devra faire preuve d’une grande vigilance.
Le Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes a renforcé le projet de loi, en ajoutant des exigences en matière de rapports en 2023 et 2025 pour tendre vers le jalon critique de 2030. Selon le rapport de 2018 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou GIEC, pour éviter une catastrophe, il faut que les émissions diminuent d’environ 43 % d’ici 2030, par rapport aux émissions de 2010, puis il faut atteindre la carboneutralité d’ici 2050. C’est ce qui est nécessaire pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius. J’expliquerai dans un instant l’importance scientifique de ce seuil. Selon le GIEC, l’atteinte de cet objectif nécessitera « [...] des transitions rapides et de grande envergure dans les domaines de l’énergie, des terres, des villes et des infrastructures, y compris les transports et les bâtiments, ainsi que des systèmes industriels. »
Malheureusement, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 3,3 % de 2016 à 2019, au Canada. Le récent taux de croissance est le plus élevé de tous les pays du G7. Depuis la signature de l’accord de Paris en 2016, tous les autres pays du G7, à l’exception des États-Unis, ont diminué leurs émissions. Ces diminutions se situent entre 4,4 % en Italie et 10,8 % en Allemagne.
Le Canada est un pays riche dont les émissions, par habitant, sont très élevées. En fait, les Canadiens sont parmi les plus grands émetteurs, par habitant — 3,4 fois la moyenne mondiale en 2019 — d’émissions provenant de la combustion de combustibles fossiles. Nous sommes aussi responsables d’une grande partie du monde naturel, dont la responsabilité collective de protéger de nombreux écosystèmes relativement vierges et d’importance mondiale. Dans le même temps, le Canada se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde, et l’Arctique se réchauffe trois fois plus vite que la planète.
Le Canada ne fait pas sa juste part pour ce qui est de réduire les émissions et en fait encore moins pour ce qui est de jouer un rôle de leader. Les progrès ont aussi été difficiles à réaliser. Cette année encore, la Cour suprême a confirmé la constitutionnalité de la loi fédérale sur la tarification du carbone et nous a ainsi permis de conserver l’outil de politique le plus efficace de notre pays, en dépit des contestations judiciaires des gouvernements de la Saskatchewan, de l’Ontario et de l’Alberta.
Heureusement, un consensus quasi général s’est dégagé au niveau fédéral sur le fait que les changements climatiques sont réels et que la tarification du carbone est judicieuse et efficace pour réduire les émissions.
Nous pouvons — et devons — respecter nos engagements dans le cadre de l’Accord de Paris en utilisant cet outil et en investissant massivement dans la protection de l’environnement.
Le Canada doit gagner en crédibilité pour avoir une influence positive à l’international et éviter les catastrophes. Dans ce but, le gouvernement devra, en s’appuyant sur le projet de loi C-12, développer un plan rationnel et rendre compte de sa réussite ou de son échec. Les sénateurs peuvent aider de façon constructive à élaborer et à favoriser des politiques visant à atteindre nos objectifs de Paris.
Nous pouvons également dépolitiser le débat grâce à une approche à long terme fondée sur des données probantes. Avec les changements climatiques, nous devons réaffirmer notre engagement à nous fier aux données scientifiques, comme nous l’avons fait pour notre réponse à la pandémie.
Chers collègues, le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou GIEC, commence par une référence qui énonce le défi qui nous attend. Voici une citation d’Antoine de Saint-Exupéry :
Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible.
Comparons donc les différentes options entre une planète où le réchauffement a été limité à 1,5 degré Celsius et une planète où il l’a été à 2 degrés. Selon le rapport du GIEC, limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré Celsius permettrait de limiter les risques d’augmentation des épisodes de fortes précipitations, notamment le nombre de cyclones tropicaux et d’ouragans très intenses. À l’échelle mondiale, l’Ouest et l’Est du Canada sont deux régions très exposées à l’augmentation du nombre d’événements du genre si la hausse de la température moyenne de la planète atteint 2 degrés.
Limiter le réchauffement à 1,5 degré permettrait aussi de réduire considérablement la probabilité de sécheresses extrêmes et de pénuries d’eau. Ce taux de changement moindre rendra plus facile pour les systèmes naturels et humains de s’adapter et aidera à assurer la résilience des écosystèmes ainsi qu’en matière de production alimentaire.
Si on limitait le réchauffement à 1,5 degré, cela permettrait d’atténuer les risques de pauvreté extrême en termes d’énergie, de nourriture et d’eau en Afrique, en Asie et dans les petits États insulaires. Si le réchauffement ne dépassait pas 1,5 degré, il y aurait nettement moins de risques d’inondations et d’extinction de nombreuses espèces. De plus, la possibilité que l’océan Arctique soit libre de glace en été serait d’une fois par siècle plutôt qu’une fois par décennie, comme ce serait le cas si le réchauffement était de 2 degrés. Avec un plafond de réchauffement à 1,5 degré, le niveau de la mer à l’échelle de la planète serait, à l’horizon 2100, inférieur de 10 centimètres à celui qui risquerait d’être enregistré si le réchauffement était de 2 degrés.
Voici une donnée particulièrement frappante : un réchauffement de 1,5 degré entraînerait la destruction de 70 à 90 % des récifs de corail alors que s’il était de 2 degrés, plus de 99 % des récifs disparaîtraient.
Il faut maintenir le réchauffement à un plafond de 1,5 degré et apporter des changements à notre mode de vie. Par rapport aux sacrifices consentis par les générations précédentes, notamment celles qui ont connu la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale, on nous demande bien peu. Pour réduire notre empreinte environnementale, on pourrait par exemple voyager moins en avion, acheter des véhicules moins polluants et consommer davantage d’aliments d’origine végétale.
Les conséquences tangibles du changement climatique sont déjà évidentes. Les incendies de forêt en Australie, en Californie et dans l’Ouest du Canada ont fait des ravages et donnent un avant-goût de ce que l’avenir nous réserve. Au Québec, 66 personnes sont décédées lors de la canicule de 2018 à Montréal. Les Îles-de-la-Madeleine subissent une érosion massive faute de protection contre la glace marine. En 2019, l’ouragan Dorian, renforcé par le changement climatique, a causé de terribles dommages à Halifax.
Les conséquences de notre inaction dans un pays riche comme le Canada seront désastreuses pour les populations les plus pauvres de la planète et s’inscriront, à notre honte, dans l’histoire, sauf si nous changeons de cap dès maintenant.
Le pire crime d’entre tous est peut-être l’extinction de masse qui se produit. L’éradication d’espèces représente un vol incalculable commis contre toutes les générations futures et une atrocité envers Dame Nature et nos semblables. Les changements climatiques ont lieu en même temps que de nombreuses autres activités humaines — comme la destruction des habitats, le trafic d’espèces sauvages, la pollution par le plastique, la surpêche et la propagation d’espèces envahissantes — qui contribuent à l’extinction d’espèces, et les changements climatiques sapent la moindre résilience que la faune épuisée pourrait encore posséder.
En 2018, le Fonds mondial pour la nature a publié un important rapport qui indiquait que 60 % des vertébrés, c’est-à-dire les mammifères, les oiseaux, les poissons, les reptiles et les amphibiens, ont été éradiqués depuis 1970. Depuis que j’avais 18 ans, plus de 60 % des vertébrés ont été éradiqués.
Selon un rapport de 2019 de l’ONU, un million d’espèces animales et végétales sont maintenant menacées d’extinction, dont beaucoup d’ici quelques décennies. Cette disparition rapide, que les scientifiques appellent désormais l’extinction de l’Anthropocène, a été baptisée ainsi en notre déshonneur et constitue la sixième extinction massive de l’histoire de la planète.
Pour mettre les choses en contexte, la dernière des six extinctions massives a eu lieu il y a 66 millions d’années, lorsqu’un astéroïde a percuté la Terre, ce qui a fait disparaître 75 % des espèces animales et végétales de la planète, y compris les dinosaures. Lorsque nous nous penchons sur des questions comme celle dont nous sommes saisis, il faut penser aux jeunes, aux générations futures.
En 2019, un mouvement mondial de lutte contre les changements climatiques a été amorcé par des adolescents qui manifestaient en Europe. Le 27 septembre de la même année, des centaines de milliers de Canadiens sont descendus dans les rues pour exhorter le gouvernement à prendre des mesures audacieuses dans le but de lutter contre les changements climatiques. Des Canadiens de tous âges ont manifesté aux quatre coins du pays, de St. John’s à Vancouver, en passant par Edmonton. Des manifestations ont eu lieu jusqu’à Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest. Greta Thunberg a rencontré le premier ministre Trudeau et a participé à la mobilisation des jeunes à Montréal. Ici, à Ottawa, près du Parlement, une fillette tenait une pancarte posant une question : restera-t-il des baleines, des tortues et des guépards sur la planète lorsque j’aurai 18 ans? Un autre manifestant, plus âgé, tenait une pancarte exhortant les aînés à se battre pour la planète. Une autre personne, plus jeune, tenait une image du fameux gardien de la forêt du Dr Seuss, le Lorax, auquel la sénatrice Coyle a fait allusion hier lorsqu’elle a parlé du risque inquiétant qui nous guette, « à moins que ».
Honorables sénateurs, tout le travail que nous faisons, notamment l’adoption du projet de loi C-12, doit servir les intérêts des jeunes Canadiens, nos petits-enfants. Les décisions que nous prenons en matière d’environnement auront des conséquences bien plus importantes sur eux que sur nous, et ils ne sont pas bien représentés dans les processus et les institutions politiques.
Dans ce pays et dans le monde entier, nous devons mettre de côté les divisions politiques. Nous devons collaborer, car une chose est certaine : si nous ne travaillons pas ensemble, nous allons tous être perdants. Pas plus tard que ce mois-ci, le rapport du directeur parlementaire du budget indiquait que le gouvernement n’était pas en voie d’atteindre ses objectifs. Si le projet de loi C-12 et des mesures comme la tarification du carbone ne peuvent pas réduire nos émissions en raison d’obstacles politiques à des politiques rationnelles, il se peut que les tribunaux finissent par s’en mêler, étant donné les conséquences des changements climatiques sur les droits de la personne.
En 2019, la Cour suprême des Pays-Bas a ordonné au gouvernement national de prendre de nouvelles mesures de lutte contre les changements climatiques, exigeant une réduction de 25 % par rapport aux émissions de 1990 avant la fin de 2020. En 2020, la Cour suprême d’Irlande a annulé le plan national de réduction des émissions du gouvernement, car il ne donnait pas suffisamment de détails sur la réduction des gaz à effet de serre. Des décisions importantes ont été prises cette année en France et en Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale allemande déclarant que les mesures inadéquates actuelles violaient les libertés des jeunes. Au Canada, des efforts sont actuellement déployés pour porter une affaire climatique devant la Cour d’appel fédérale. Néanmoins, dans les assemblées législatives et à l’aide de mesures de l’exécutif, tous les efforts doivent être orientés vers des moyens rationnels et efficaces de réduire les émissions.
Les défis que posent les changements climatiques font en sorte que nous sommes à un moment décisif de l’histoire de l’humanité. Nous ne devons pas être le maillon faible de la chaîne. Si nous ne coopérons pas pour atteindre les objectifs communs qui sont nécessaires afin de sauver l’environnement, nous manquerons à notre devoir envers nous-mêmes, nos enfants, nos petits-enfants et toutes les générations futures. Nous manquerons à notre devoir envers les magnifiques créatures avec lesquelles nous partageons la planète. Nous sommes à la fois leur seul espoir et leur seule menace. Nous devons choisir de faire mieux. Grâce au projet de loi C-12, le Parlement peut s’engager à prendre toutes les mesures nécessaires pour commencer à inverser cette vague en créant un plan rationnel que nous pourrons mettre en œuvre.
Le Sénat devrait contribuer à l’atteinte de cet objectif au cours des années décisives à venir. Pour l’avenir de nos petits-enfants, nous devrions — nous devons — faire preuve d’audace.
Chers collègues, je demande qu’on passe au vote.
Le vote!
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
L’honorable sénatrice Galvez, avec l’appui de l’honorable sénatrice Gagné, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois.
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
J’entends un non.
Que les sénateurs présents au Sénat qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs présents au Sénat qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
À mon avis, les oui l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever.
Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?
Quinze minutes. Est-ce que quelqu’un s’oppose à ce que la sonnerie retentisse pendant 15 minutes? Si c’est le cas, veuillez dire non.
Le vote aura lieu à 16 h 40.
Convoquez les sénateurs.