Le budget de 2025
Interpellation--Suite du débat
9 décembre 2025
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation du gouvernement no 1, qui attire l’attention du Sénat sur le budget intitulé Un Canada fort, déposé à la Chambre des communes le 4 novembre 2025.
Le budget de 2025 s’inscrit dans la continuité et montre clairement les efforts qui sont déployés pour moderniser le cadre fiscal du Canada. Le budget interpelle avec des promesses d’un « changement à portée historique » et il affirme même ceci : « La lutte contre les changements climatiques n’est pas seulement une obligation morale, mais aussi un impératif économique. » Pourtant, lorsqu’on examine les détails, le plan reprend les anciennes formules tout en reportant les mesures audacieuses qu’exige véritablement l’édification d’un pays.
Le nouveau cadre de budgétisation des investissements en capital adopté par le gouvernement redéfinit le déficit, transformant presque chaque dollar en investissement. Le plan promet d’équilibrer les dépenses courantes et les recettes d’ici 2028-2029, tout en doublant presque les dépenses en capital, qui passeront de 32,2 milliards de dollars en 2024-2025 à 59,6 milliards de dollars en 2029-2030. À ce moment-là, tout le déficit relèverait des dépenses d’investissement.
Toutefois, une nouvelle présentation n’est pas un gage de données probantes. Malheureusement, le budget de 2025 ne propose aucun indicateur de rendement, aucune mesure d’efficacité et aucun test d’alignement sur les objectifs climatiques pour montrer si ces milliards dépensés renforcent la résilience et l’adaptation ou ne font qu’alourdir la dette. L’intention de moderniser la planification budgétaire est la bienvenue, mais la transparence sur le rendement réel de ces investissements — que l’on pense aux aspects économiques, sociaux ou environnementaux — est essentielle pour gagner la confiance du public.
Le budget de 2025 prévoit aussi 25,2 milliards de dollars d’économies sur quatre ans grâce à une réduction des coûts de fonctionnement du gouvernement fédéral pour réduire les processus inefficaces et automatiser les processus. Par le passé, les compressions indiscriminées ont rarement eu des effets souhaitables, et les ministères disposant d’un budget modeste ont perdu une part bien plus grande de leur capacité opérationnelle.
On attend d’Environnement et Changement climatique Canada qu’il économise 1,1 milliard de dollars sur quatre ans grâce à l’automatisation et à des réductions progressives dans les programmes. En revanche, les compressions à Ressources naturelles Canada doivent atteindre jusqu’à 15 % sur trois ans en mettant fin à des initiatives comme le programme 2 milliards d’arbres. L’efficacité et la modernisation sont louables, mais réduire les capacités dans des ministères clés va à l’encontre des résultats visés en mettant en œuvre la modernisation.
Selon la professeure Mazzucato, une éminente économiste au University College de Londres, l’efficacité ne vient pas de l’austérité brutale, mais d’une gouvernance stratégique. Les compressions devraient cibler les activités qui ne créent pas de valeur publique, par exemple les chevauchements administratifs, les subventions désuètes et la prestation cloisonnée des programmes. Les gouvernements doivent protéger et renforcer les capacités axées sur leur mission, comme les sciences, la réglementation, les marchés publics et la création conjointe avec les collectivités et les peuples autochtones. En résumé, nous devons alléger l’appareil bureaucratique qui s’occupe de la prestation des services, et non l’expertise qui favorise l’innovation et le rendement économique et social à long terme.
Le gouvernement appelle sa Stratégie de compétitivité climatique un pilier central du plan pour faire du Canada l’économie la plus forte du G7. Elle vise les résultats plutôt que les objectifs. En réduisant les programmes et les initiatives de protection de l’environnement, le Canada continue, malheureusement, à ne pas faire ce qu’il faut pour soutenir la concurrence dans une économie mondiale qui passe déjà aux énergies et aux technologies propres.
Cette année, on prévoit qu’environ 2,2 billions de dollars américains seront investis dans les énergies renouvelables, le nucléaire, les réseaux électriques, le stockage d’énergie par batterie, les carburants à faibles émissions, l’efficacité énergétique et l’électrification, soit deux fois plus que le montant prévu pour les investissements dans le pétrole et le gaz.
Selon le rapport World Energy Investment 2025 de l’Agence internationale de l’énergie :
Les tendances en matière d’investissement sont influencées par l’avènement de « l’ère de l’électricité » et l’augmentation rapide de la demande en électricité pour le refroidissement industriel, la mobilité électrique, les centres de données et l’intelligence artificielle [...]
Chers collègues, l’ère de l’électricité est arrivée. En 2025, la Chine, plusieurs États américains et l’Union européenne ont investi respectivement 627 milliards, 400 milliards et 386 milliards de dollars américains dans les énergies propres. En tant que chefs de file de l’ère de l’électricité, ces États et pays se positionnent comme des « électro-États ». En même temps, plusieurs États pétroliers, dont le Canada, augmentent leur production de combustibles fossiles et refusent de quitter l’ère des combustibles fossiles. Les observateurs mondiaux indiquent même que l’action climatique du Canada semble marquer le pas, la qualifiant de « très insuffisante », et, alors que des phénomènes météorologiques extrêmes coûteux dévastent les communautés, rien dans le budget de 2025 ne change cette situation.
La nouvelle trajectoire de tarification du carbone après 2030 et le « filet de sécurité amélioré » redéfinissent les engagements. Le Fonds souverain pour les minéraux critiques, d’une valeur de 2 milliards de dollars sur 5 ans, redéfinit les initiatives existantes de Ressources naturelles Canada. Les fameux contrats sur différence pour le carbone sont probablement trop modestes pour transformer les marchés, tandis que la série de crédits d’impôt remboursables n’est qu’une simple prolongation des programmes lancés en 2022 et 2024. Ce qui me préoccupe le plus, personnellement, c’est la prolongation du crédit d’impôt à l’investissement pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, ou CUSC.
Premièrement, les projets de CUSC visent généralement à extraire davantage de pétrole ou de gaz plutôt qu’à stocker le dioxyde de carbone sous terre, de sorte que le captage et le stockage du carbone sont plus susceptibles d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre que de les réduire. Deuxièmement, le captage et le stockage du carbone ont depuis longtemps donné des résultats inférieurs aux attentes et n’ont pas permis de réduire les émissions, et cela ne devrait pas changer dans un avenir prévisible. Il convient de noter que le premier projet à grande échelle de captage et de stockage du carbone visant à obtenir des émissions nettes négatives a été lancé en 1996. Après près de 30 ans, cette technologie prometteuse devrait avoir fait davantage de progrès et être mise en œuvre à plus grande échelle. Le crédit d’impôt à l’investissement pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone risque d’être une nouvelle subvention inefficace aux énergies fossiles.
Au bout du compte, la Stratégie de compétitivité climatique du Canada du budget de 2025 fait de petits pas pour la préparation face aux changements climatiques, mais elle est loin d’en faire assez pour répondre à l’ampleur des urgences climatiques et économiques. Bien sûr, le financement de 40 millions de dollars sur 2 ans pour un service jeunesse pour le climat est le bienvenu, tout comme les 257,6 millions de dollars pour la location de 4 bombardiers à eau et les 55,4 millions de dollars pour un nouveau modèle de système national d’alerte au public.
Il s’agit de mesures fort valables, mais modestes lorsqu’on les compare aux inondations, aux feux de forêt et aux autres pertes d’une valeur inégalée qui coûtent déjà très cher au Canada — 9,2 milliards de dollars l’an dernier.
Croyons-nous que le Canada soit riche au point de pouvoir continuer de gaspiller des fonds en subventions inefficaces en espérant se développer dans une économie mondiale qui passe rapidement à un modèle de croissance à faibles émissions de gaz carbonique? La vraie question est plutôt de savoir si le Canada réussit à suivre le rythme des indicateurs mondiaux de compétitivité. Ces indicateurs sont clairs : les investissements mondiaux ont désormais tendance à préférer l’énergie propre aux combustibles fossiles; la concurrence sur les marchés a évolué, les énergies solaire et éolienne étant maintenant les deux sources d’électricité les moins coûteuses de la planète; les directives et politiques de l’Union européenne, de la Chine et de nombreux États américains réorientent les capitaux vers les technologies propres; l’attitude des sociétés reflète l’adoption de plus en plus généralisée de cibles scientifiquement éprouvées et de portefeuilles tournant le dos aux combustibles fossiles; l’innovation liée à l’hydrogène, le stockage d’énergie par batteries et les modèles circulaires nous apprennent où seront les emplois de demain. L’éventail des risques se resserre dans la mesure où le climat a un effet sur les actifs riches en carbone, et quant à la demande publique, elle favorise largement les énergies propres et la résilience.
Les Canadiens ont besoin que le budget leur signale clairement que finances et climat peuvent aller de pair, mais nous sommes loin du compte. Dans la section « Mobiliser des capitaux à l’appui de la transition vers la carboneutralité », le gouvernement reconfirme qu’il a l’intention de créer une « taxonomie canadienne », mais pas avant la fin de 2026. Il affirme également avoir l’intention d’envisager l’élaboration d’un cadre d’obligations durables.
Cependant, certaines initiatives clés faisaient défaut : un fonds vert d’intérêt national visant à promouvoir les énergies renouvelables et l’adaptation avec les partenaires autochtones, ainsi qu’un cadre visant à rendre le secteur financier conforme aux engagements juridiquement contraignants du Canada en matière de lutte contre les changements climatiques. Le Canada a besoin d’un cadre clair pour guider le secteur financier dans l’atténuation des risques climatiques, la redistribution des capitaux vers la résilience et la décarbonisation, et la communication transparente des progrès réalisés.
Je vous conseille de lire les nouvelles. La semaine dernière, la Banque d’Angleterre a fait un grand pas dans cette direction.
Lorsque des capitaux sont détournés vers des actifs qui deviennent condamnés, cela entraîne une perte de croissance. Sans flux financiers alignés sur le climat, le Canada entre dans un cercle vicieux : une inflation alimentée par des chocs climatiques, un endettement croissant causé par les plans de sauvetage et une faible croissance attribuable à des industries condamnées. Nous avons besoin d’un budget qui finance une croissance propre et qui s’appuie sur un cadre solide pour réorienter les finances vers une croissance à faibles émissions de carbone, lutter contre l’inflation et assurer la prospérité à long terme.
Les autres économies du G7 intègrent déjà le risque climatique dans leur réglementation, elles créent des taxonomies et elles réorientent leurs investissements vers une croissance propre. Sans obligation similaire de rendre des comptes, le Canada risque de devenir un « pays aux actifs condamnés » qui dépend d’actifs liés aux combustibles fossiles qui perdent de leur valeur tandis que d’autres pays s’emparent des marchés de demain. Si rien n’est fait, le risque climatique se transformera en risque d’inflation, en risque d’endettement et en risque de perte de compétitivité.
Enfin, dans le budget de 2025, le gouvernement a annoncé son intention de mettre à jour les dispositions relatives à l’écoblanchiment en supprimant l’obligation pour les entreprises de justifier leurs déclarations d’avantages environnementaux en fonction de normes méthodologiques reconnues à l’échelle internationale, et la possibilité pour les tierces parties de déposer des plaintes en matière d’écoblanchiment directement devant le Tribunal de la concurrence. Actuellement, ces dispositions offrent aux consommateurs les protections nécessaires contre les fausses déclarations et elles obligent les entreprises à justifier leurs déclarations en se fondant sur des normes internationales. En fin de compte, une entreprise ne devrait faire aucune déclaration, qu’elle soit de nature écologique ou autre, sans données probantes. Exiger que les déclarations soient fondées sur des normes internationales garantit simplement que les données qui étayent une déclaration sont fiables. La croissance du marché vert du Canada dépend de l’efficacité des dispositions relatives à l’écoblanchiment.
Le budget de 2025 aurait pu être l’occasion de concilier discipline financière et ambition climatique. Malheureusement, il s’appuie sur d’anciens cadres, de futures promesses et des compressions budgétaires qui nuisent à l’atteinte de résultats. Il existe des outils pour concilier argent et obligations, et pour concilier finances et avenir. Chaque dollar investi dans l’adaptation et la résilience génère plus de 10 $ de retombées par décennie.
L’édification du pays doit reposer sur l’innovation, la compétitivité économique, l’indépendance énergétique et la mobilisation de fonds publics et privés pour des projets d’énergie renouvelable et propre, ainsi que sur le renforcement de la résilience mené par les collectivités. Cette année, la septième des neuf limites planétaires a été franchie pour la première fois, ce qui signifie, chers collègues, que les systèmes terrestres qui soutiennent la vie et toutes les économies sont en train de se déstabiliser.
Pour bâtir un Canada fort, le budget doit assurer la prospérité économique, ainsi qu’un environnement sûr et sain, tout en s’attaquant de toute urgence à de multiples crises afin de garantir un avenir durable pour nous tous et les générations futures.
Merci, meegwetch.