Droits de la personne
Motion tendant à autoriser le comité à étudier les persécutions incessantes et la détention illégale des musulmans ouïghours en Chine continentale--Ajournement du débat
3 novembre 2020
Conformément au préavis donné le 30 septembre 2020, propose :
Que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, les persécutions incessantes et la détention illégale des musulmans ouïghours en Chine continentale, dès que le comité sera formé, le cas échéant;
Que le comité soumette son rapport final au plus tard le 28 février 2021.
— Honorables sénateurs, je propose que notre Comité des droits de la personne se penche sur une question qui est, à bien des égards, sans précédent à notre époque. Je pense que le caractère sans précédent de ce à quoi nous faisons face en Chine est illustré par le fait que des sénateurs de tous les groupes ont cherché à attirer l’attention sur cette question.
Je me suis certainement exprimé sur cette question, mais d’autres sénateurs l’ont fait aussi, y compris les sénateurs Ngo, Frum, McPhedran et Dalphond.
Le mois dernier, le Sous-comité des droits internationaux de la personne de la Chambre des communes a conclu que la persécution par la Chine de ses minorités musulmanes contrevient clairement aux droits de la personne et a pour objectif d’éradiquer la culture et la religion ouïghoures. Le sous-comité a également conclu que ce programme de persécution, de stérilisation forcée, de travail forcé et de surveillance de l’État répond à la définition de génocide établie dans la Convention sur le génocide de 1948.
Je pense qu’il est important de réfléchir à la définition de génocide qui figure dans la convention de 1948.
Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
La convention de 1948 porte sur des actes visant à éliminer physiquement un groupe en particulier. Étant donné que la convention a été rédigée à la suite de l’Holocauste en Europe, il n’y a aucun doute possible sur les circonstances qui ont mené à la création de cette convention.
En 2020, nous devrions être extrêmement troublés chaque fois qu’un organe législatif conclut qu’un génocide au sens de la convention de 1948 est en train de se produire. Cependant, le sous-comité de la Chambre des communes n’est pas le seul à tirer cette conclusion.
Pas plus tard que le mois dernier, le Sénat des États-Unis a présenté une résolution bipartisane visant à tenir la Chine responsable d’un génocide envers les personnes appartenant à l’ethnie ouïghoure, à l’ethnie kazakhe et à d’autres minorités musulmanes.
Uyghur Human Rights Project, Genocide Watch, l’European Centre for the Responsibility to Protect ainsi que d’autres groupes et personnes ont récemment exhorté le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à faire enquête sur la campagne menée par la Chine à l’égard des minorités musulmanes turciques, car selon eux, cela équivaut à un génocide.
Tous les sénateurs et les Canadiens devraient trouver cette situation effroyable. Je pense que nous devons tous tenter de saisir toute l’ampleur de ce qui se produit dans la région que la Chine appelle le Xinjiang, mais qu’on devrait plutôt appeler le territoire du Turkestan oriental occupé par la Chine.
Selon un récent rapport d’enquête publié dans le journal The Guardian, des images captées par satellite ont révélé l’existence d’au moins 380 camps de détention. On souligne dans le rapport que ces 380 camps équivalent à un établissement de détention pour chaque groupe de 37 000 habitants de la région n’étant pas de nationalité han. L’un des établissements de détention s’étend sur plus de 300 acres.
En tout, on croit qu’entre 1 et 3 millions de personnes, ou environ 30 % de la population ouïghoure, sont détenues dans ces camps. On rapporte aussi que des dizaines de milliers d’anciens détenus ont été envoyés par la suite dans des camps de travail forcé.
D’après un rapport publié par l’Australian Strategic Policy Institute, des milliers de ces personnes contraintes aux travaux forcés travaillent pour des entreprises appartenant à BMW, à Nike et à Huawei, entre autres.
On dit que ce système, dans le cadre duquel pas moins de 30 % de toutes les personnes d’ethnie ouïghoure sont détenues pour la moindre infraction, a tellement terrorisé l’ensemble de la population qu’elle l’a réduite au silence. Elle vit dans la peur. Comme le rapporte la BBC, la région est maintenant couverte par un réseau omniprésent de surveillance, y compris des barrages policiers et des caméras qui balayent tout, des plaques d’immatriculation aux visages des gens, à leurs expressions et aux discussions qu’ils ont entre eux. Il semble même qu’on a trouvé des caméras de surveillance dans les appartements et les maisons des habitants de la région.
À ce niveau de surveillance orwellien s’ajouterait une campagne de stérilisations forcées, chers collègues. Selon des documents obtenus par le sous-comité de la Chambre des communes, cette région représente environ 80 % des implantations de stérilets en Chine. Le taux de natalité dans la région aurait diminué de presque 24 % dans la dernière année. Cette campagne de stérilisations s’accompagne de politiques d’établissement qui visent à inciter un grand nombre de Hans à s’installer parmi la population locale d’Ouïghours pour arriver à ce qu’ils constituent la majorité.
De nombreux pays étrangers n’ont pas seulement été contraints au silence, mais aussi poussés à collaborer avec les autorités chinoises. Vous seriez étonnés de savoir lesquels. Le Canada et d’autres. Il a récemment été rapporté qu’un certain nombre de pays, dont l’Égypte, l’Arabie saoudite et d’autres États, ont arrêté des Ouïghours en exil et les ont renvoyés en Chine à la demande de Pékin. Il semblerait que, dans les mains du régime communiste chinois, les dollars américains aient beaucoup de pouvoir. La Turquie a été accusée d’expulser des membres de minorités d’origine turque pour les remettre aux mains des autorités chinoises. Ne nous faisons pas d’illusions, le régime chinois a recours à l’intimidation pour essayer d’empêcher ce Parlement de parler.
Quand le Sous-comité des droits internationaux de la personne de la Chambre des communes a publié son rapport le mois dernier, l’ambassadeur de la Chine au Canada a déclaré que la mesure ferait l’objet d’une vive réaction. J’ai soutenu que cette forme d’intimidation, qui est devenue une tactique trop courante de la part cet ambassadeur, ne doit pas rester sans riposte du gouvernement du Canada. Tout le monde sait que le gouvernement hésite énormément à critiquer ouvertement le gouvernement chinois. C’est le cas depuis le jour où Justin Trudeau est devenu premier ministre. Il a déclaré que la Chine était le pays qu’il, je le cite, « admirait le plus » en raison de sa, je le cite encore, « dictature fondamentale ». On espère qu’il a grandi et évolué dans une certaine mesure depuis qu’il a prononcé ces mots. Toutefois, tout ce que je peux dire, c’est que, en dépit de mes questions répétées, je ne sais toujours pas si on a convoqué l’ambassadeur chinois pour qu’il rende des comptes au sujet des menaces qu’il a proférées contre les parlementaires.
Je sais que, même relativement aux menaces récentes qu’il a proférées contre les 300 000 Canadiens vivant à Hong Kong, Affaires mondiales lui a demandé des comptes, mais pas le premier ministre, ni la vice-première ministre ni le ministre des Affaires étrangères. Même la sous-ministre ne l’a pas rencontré. À ce que je comprends, l’ambassadeur qui a menacé des Canadiens aurait été réprimandé par un sous-ministre délégué. Chers collègues, c’est ridicule. Pensons-nous vraiment qu’un ambassadeur, en particulier celui-ci, prendrait cela au sérieux?
D’une part, je comprends la crainte du gouvernement. La Chine est non seulement une superpuissance, c’est également un État sans loi, c’est-à-dire un État où le droit ne prime pas. Cela signifie que le régime est entièrement disposé à enlever tout simplement des gens dans les rues, qu’il s’agisse de Chinois ou d’étrangers, et à les tenir en otage jusqu’à ce que l’on satisfasse ses demandes. La détention arbitraire des Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor le montre clairement. Honorables sénateurs, ces hommes sont en détention depuis longtemps. Ce que fait la Chine en ce qui concerne ces deux Canadiens innocents, elle l’a fait un million de fois pour sa population ouïghoure.
Des politiques semblables ayant pour objectif de réprimer les dissidents ont été constatées à Hong Kong. Honorables sénateurs, ce qui se passe en Chine est inquiétant, tout comme les agissements du régime chinois à l’extérieur de ses frontières, pas seulement à l’endroit du Canada, mais aussi à l’endroit de l’Inde, des pays qui bordent la mer de Chine méridionale, du Japon, de Taïwan, de l’Australie, et la liste pourrait se poursuivre. Il est clairement évident que, dans ses relations extérieures, la Chine est une puissance agressive qui ne craint personne. Dans ses affaires domestiques, la Chine est un régime totalitaire où l’anéantissement d’une population entière est acceptable si elle sert les intérêts de l’État.
C’est précisément en raison des agissements de la Chine sur l’échiquier mondial et de ses agissements à l’intérieur de ses frontières que nous devons, en tant que parlementaires, dénoncer haut et fort ce que nous constatons. Honorables sénateurs, je crois que nous avons le devoir de poursuivre le travail du Sous-comité des droits internationaux de la personne de la Chambre des communes là où il s’est arrêté. Je crois que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne pourrait commencer par entendre des ministres et d’autres témoins pour comprendre ce que le gouvernement entend faire en réponse au rapport présenté par le sous-comité de la Chambre. Il est temps que le Parlement convoque l’ambassadeur chinois pour lui demander d’expliquer certaines choses aux Canadiens.
Comme nos démarches gagneront en efficacité si elles sont multilatérales, il serait utile que le comité examine comment d’autres Parlements aux vues similaires réagissent à cette situation. Je crois qu’il serait bon de travailler de concert avec d’autres assemblées législatives et gouvernements nationaux pour que nos actions donnent des résultats. Finalement, il serait approprié, je crois, que le comité examine des façons de commencer à protéger la société, les gens et l’économie du Canada contre toute tentative de conversion, d’intimidation ou de représailles de la part de la Chine. Si nous voulons tenir tête efficacement aux tentatives d’intimidation d’une superpuissance, notre façon de traiter avec ce régime ne peut pas continuer comme avant, comme si de rien n’était.
Honorables sénateurs, je crois que cet enjeu cadre tout à fait avec le mandat du Comité sénatorial des droits de la personne, puisqu’il a pour mandat de « se pencher sur les questions relatives aux droits de la personne en général que le Sénat peut lui renvoyer ». De toute évidence, l’enjeu en question touche les droits de la personne. Je soutiendrais même que, parmi les divers enjeux en matière de droits de la personne qui existent sur la planète, aucun n’est plus important, à l’heure actuelle, que la situation des musulmans ouïghours de la Chine.
C’est pourquoi j’encourage vivement les sénateurs à appuyer la motion à l’étude. Le Sénat fait partie intégrante du Parlement canadien. Nous avons aussi le privilège d’être nommés et même nommés pour longtemps, ce qui nous permet d’être moins partisans et de ne tenir compte que de principes et de valeurs vraiment chers aux Canadiens.
Honorables sénateurs, nous avons l’occasion de nous situer du bon côté de l’histoire, de défendre des principes. Dans quelques mois ou quelques années, lorsque les manuels d’histoire seront rédigés — c’est naturel, nous l’avons constaté à maintes reprises lors de génocides, les gens plongent leur tête dans le sable, parfois sciemment, parfois par mégarde, et prétendent que rien ne se passe parce qu’ils prêtent attention à d’autres choses. Mais un jour, lorsque l’histoire sera écrite et que les faits seront dévoilés au grand jour, vous regarderez dans le miroir et vous vous demanderez ce qu’il aurait été possible de faire et ce que nous avons omis de faire. Voilà que nous avons l’occasion, en tant qu’institution, de protester contre une chose que les Canadiens considèrent comme odieuse. Les Canadiens que je connais, les gens que nous représentons — car nous ne représentons pas le premier ministre qui nous a nommés au Sénat, peu importe qui il est, nous représentons le tissu de la nation. Ce qu’endure ce groupe minoritaire en Chine, tous les Canadiens, s’ils savaient ce qui se passe — nous sommes tous préoccupés par d’autres choses —, s’ils savaient ce qui se passe là-bas — et il nous incombe d’attirer leur attention là-dessus —, s’indigneraient de la situation. Ils s’attendraient à ce que le Parlement prenne position. Nous en avons l’occasion, honorables sénateurs.
Acceptons ce rendez-vous avec l’histoire. Agissons en leaders, comme l’a fait le Parlement du Canada par le passé, quand il a lutté contre l’apartheid. Soyons des leaders à de multiples égards, comme lorsque le gouvernement canadien, jadis, est intervenu à Chypre en tant que gardien et artisan de la paix. Il nous incombe d’agir en leaders. Nous en avons le pouvoir, en vertu de la Constitution qui nous réunit tous ici. Merci.