Affaires étrangères et commerce international
Motion tendant à autoriser le comité à examiner la situation à Hong Kong--Ajournement du débat
5 novembre 2020
Conformément au préavis donné le 30 septembre 2020, propose :
Que le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, la situation à Hong Kong, dès que le comité sera formé, le cas échéant;
Que le comité soumette son rapport final au plus tard le 28 février 2021.
— Honorables sénateurs, ce à quoi nous assistons à Hong Kong s’inscrit dans une série d’événements plus vastes qui, selon le premier ministre australien Scott Morrison, constituent « l’une des périodes les plus difficiles que nous ayons connues depuis les années 1930 ». Les sénateurs connaissent bien l’histoire de Hong Kong, qui était une colonie de la Couronne britannique jusqu’en 1997 et qui a ensuite été rétrocédée à la Chine conformément à une entente entre le Royaume-Uni et la République populaire de Chine.
Je me souviens qu’à l’époque, la rétrocession suscitait à la fois inquiétude et espoir. Inquiétude, parce que la Chine était un État communiste où les droits de l’homme avaient non seulement été scandaleusement bafoués, mais où des tueries massives avaient eu lieu pendant la révolution culturelle. En dépit de cette histoire, il y avait aussi de l’espoir, l’espoir que la Chine avait changé.
Après tout, la Chine avait libéralisé son propre système économique. Même si le souvenir du massacre de la place Tiananmen était encore frais, on espérait que la Chine respecterait l’accord qu’elle avait conclu avec le Royaume-Uni de préserver le système capitaliste de Hong Kong et son mode de vie pendant une période d’au moins 50 ans.
Pendant un certain temps après 1997, il a semblé régner un certain optimisme quant à la possibilité que cet espoir initial se concrétise. Dans l’ensemble, Hong Kong continuait de fonctionner comme avant et conservait ses libertés. Or, un conflit fondamental couvait sous la surface. Il y a un conflit entre la population de Hong Kong, qui veut voir le territoire devenir une vraie démocratie, et le Parti communiste chinois, qui n’est manifestement pas disposé à permettre une telle chose. En fait, au cours de la dernière décennie, le régime a cherché à exercer un contrôle de plus en plus grand sur Hong Kong. Les mesures adoptées ont fini par entraîner un conflit ouvert en 2019, à commencer par les mesures qui auraient permis les extraditions vers la Chine continentale.
Nous avons tous été témoins du résultat : des dizaines de milliers de citoyens de Hong Kong manifestant dans les rues et les réactions de plus en plus brutales des autorités de Hong Kong et du gouvernement chinois. Malgré cela, la résilience de la population de Hong Kong ne s’est que renforcée au fil du temps. Les citoyens ont persévéré face aux tactiques toujours plus brutales de l’État impliquant l’arrestation de milliers de manifestants et l’adoption, en juin dernier, d’une loi sur la sécurité nationale.
Amnistie internationale considère que cette loi pourrait entraîner la condamnation à la prison à vie des accusés pour la moindre critique du régime communiste chinois. En effet, cette loi définit des termes comme « subversion » ou « appui à la sécession » de manière si vague que pratiquement toute opposition au gouvernement peut être punie en vertu de ses dispositions. Des personnes peuvent ainsi être arrêtées pour possession de drapeaux, d’autocollants ou de bannières. Elles peuvent être arrêtées pour avoir porté un T-shirt jugé inapproprié par le régime, ou pour avoir chanté certaines chansons.
Gloria Fung, présidente de Canada-Hong Kong Link, a récemment déclaré au Comité spécial de la Chambre des communes sur les relations sino-canadiennes que les dispositions extraterritoriales de la loi sont si larges que :
Quiconque critique les gouvernements de la Chine ou de Hong Kong dans le monde pourrait être considéré comme un criminel en vertu d’une disposition au libellé vague [...]
La loi chinoise sur la sécurité nationale contient également une disposition permettant de renvoyer des suspects en Chine continentale, et Amnistie internationale pense qu’elle pourrait s’avérer un précurseur pour des pratiques de détention secrète et de torture.
Parallèlement, le gouvernement de Hong Kong et les autorités chinoises ont de plus en plus restreint les libertés démocratiques et politiques à Hong Kong. Les partisans de la démocratie n’ont plus le droit de se présenter aux élections, et les élections législatives qui devaient avoir lieu cet automne ont été reportées.
Cette décision a d’ailleurs donné lieu à une déclaration commune des ministres des Affaires étrangères des pays du Groupe des cinq condamnant la « disqualification injuste de candidats et le report excessif des élections au Conseil législatif ».
Aussi effrayants que soient tous ces développements, ils s’inscrivent dans une tendance beaucoup plus répandue de coercition et d’intimidation de la part du gouvernement chinois. Par exemple, lorsque le secrétaire d’État aux Affaires étrangères du Royaume-Uni, Dominic Raab, a récemment protesté contre ces mesures parce qu’il soutient qu’elles violent les engagements pris par la Chine en 1997, la Chine a averti qu’elle pourrait cesser de reconnaître les passeports de Hong Kong délivrés par les Britanniques, menaçant ainsi des centaines de milliers de personnes détenant de tels passeports à Hong Kong.
Dans le même ordre d’idées, le mois dernier, l’ambassadeur de la Chine au Canada a averti le Canada que s’il accordait l’asile à des manifestants de Hong Kong, « la santé et la sécurité » des 300 000 détenteurs de passeports canadiens à Hong Kong pourraient être mises en danger. Il est difficile d’imaginer un comportement plus coercitif.
Chers collègues, je suis également préoccupé par les implications de ce que nous observons à Hong Kong en ce qui concerne les actions de l’État chinois ailleurs. Nous devrions reconnaître à présent que l’État chinois ne prête pas beaucoup d’attention au droit international ou aux normes internationales. Par exemple, il a ignoré une décision rendue par un tribunal de La Haye en 2016 selon laquelle ses saisies territoriales et sa campagne de construction d’îles dans la mer de Chine méridionale sont illégales en vertu du droit international.
À l’époque, le Quotidien du Peuple, l’organe de presse officiel du Parti communiste chinois, s’est moqué de cette décision en disant que le tribunal international était « un laquais de quelconques forces extérieures » dont on se souviendrait « comme la risée de l’histoire de l’humanité ». Ce qui m’inquiète le plus, c’est que l’approche de la Chine à l’égard des questions nationales et internationales relatives aux droits de la personne ne tient plus du tout compte des droits de la personne ou des lois internationales. Il s’agit d’une orientation dont nous devons commencer à prendre conscience, et je crois que le ministre des Affaires étrangères devrait examiner cette question de près en faisant appel à des universitaires internationaux et nationaux pour obtenir leur analyse.
Je crains sérieusement que le gouvernement du Canada ne comprenne pas encore pleinement de quoi il est question quand on parle des politiques d’État chinoises. Le premier ministre a déclaré ceci :
Nous défendrons bec et ongles les droits de la personne partout dans le monde, qu’il s’agisse de la situation vécue par les Ouïghours ou de la situation très préoccupante à Hong Kong ou qu’il s’agisse de dénoncer la diplomatie coercitive de la Chine.
En juillet, le ministre des Affaires étrangères, M. Champagne, a déclaré ceci : [...] [N]ous envisageons toutes les possibilités qui s’offrent à nous en matière de défense des droits de la personne. »
Toutefois, pour être honnête, c’est ce que le gouvernement dit depuis environ deux ans maintenant, longtemps après que la Chine s’est emparée de Michael Spavor et de Michael Kovrig dans la rue et les a pris en otage au mépris de toutes les règles juridiques.
Chers collègues, je pense que l’absence de toute mesure concrète de la part du gouvernement est due au fait qu’il croit qu’il y aura un retour à la normale avec la Chine.
En effet, pas plus tard que le mois dernier, le gouvernement a publié une déclaration à l’occasion du 50e anniversaire des relations diplomatiques entre le Canada et la Chine communiste. Dans la déclaration, le ministre Champagne mentionne la détention arbitraire de Michael Kovrig et Michael Spavor, mais il déclare également ceci :
L’avenir du Canada et de la Chine dépend de la primauté du droit, du respect des droits et libertés ainsi que des personnes dans toute leur diversité. Nous poursuivrons le dialogue et la coopération lorsqu’il sera judicieux de le faire.
En considérant les récentes mesures prises par l’État chinois, je ne comprends pas comment cela est possible.
Je comprends peut-être la bonne volonté dont fait preuve le gouvernement pour essayer de trouver une solution à ce conflit de valeurs, mais il est manifeste que le dialogue et notre compromis ne fonctionnent pas. Je ne vois absolument aucune indication que l’État chinois s’intéresse à la primauté du droit. Il est illusoire de croire qu’il s’intéresse aux droits et aux libertés des personnes « dans toute leur diversité ». De surcroît, je ne vois aucun intérêt au dialogue et à la coopération si cela ne se fait pas entièrement selon les conditions fixées par le parti communiste chinois.
Voilà, me semble-t-il, la manière dont l’État chinois se comporte à l’intérieur de ses frontières. Voilà la manière dont il se comporte face aux minorités de la Chine et aux habitants de Hong Kong.
C’est également la manière dont il se comporte à l’étranger, dans la mer de Chine méridionale, la mer de Chine orientale, face au Japon, à l’Inde et à Taïwan, à qui le président Xi Jinping a menacé plusieurs fois au cours des derniers mois de déclarer la guerre si elle ne se plie pas aux demandes chinoises d’une réunification sous la direction du Parti communiste. Nous sommes témoins d’un conflit fondamental d’intérêts et de valeurs qui ne peut disparaître par enchantement.
Face à cette situation, le Canada a besoin d’une nouvelle approche politique qui doit reposer sur la défense de la primauté du droit et le respect du droit international. Nous devons faire preuve de fermeté. Nous devons être rigoureux dans la défense de ces valeurs.
Michael Levitt, l’ancien président libéral du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes, a écrit ceci récemment, dans le Toronto Star :
[…] l’idée selon laquelle les frontières d’un pays créeraient un bouclier d’impunité contre la responsabilité des violations des droits de la personne est catégoriquement fausse et contraire aux importantes leçons que nous avons tirées de l’Holocauste et d’autres moments tragiques de l’histoire. Les droits de la personne sont universels et il incombe au Canada et à tous les pays de les défendre et de demander des comptes en cas de violations, peu importe où et quand elles se produisent.
Il est temps de faire beaucoup plus que de hausser le ton. Il est temps d’agir. En tant que président du Comité des affaires étrangères de la Chambre des communes à la dernière législature, j’ai vivement recommandé que le Canada applique des sanctions en vertu de la loi de Magnitski afin de tenir responsables les individus coupables de violations graves des droits de la personne.
C’est la perspective de M. Michael Levitt, et je suis tout à fait d’accord avec lui. Je crois que les parlementaires peuvent contribuer à orienter la politique canadienne dans une direction beaucoup plus réaliste et efficace.
Des témoins qui ont comparu devant le comité spécial de la Chambre des communes ont indiqué que le Canada pourrait envisager diverses mesures, comme l’application de sanctions en vertu de la loi de Magnitski tel que le propose la motion à l’étude au Sénat, la nomination d’un rapporteur spécial des Nations unies sur la situation à Hong Kong et l’octroi accéléré du statut de résident permanent à des demandeurs d’asile hongkongais.
Pour l’heure, le Sénat est saisi d’une motion réclamant l’application de sanctions en vertu de la loi de Magnitski. Profitons de l’occasion, chers collègues, et prononçons-nous fermement et rapidement. Le gouvernement se vante d’accueillir les demandeurs d’asile à bras ouverts. Pourquoi ne pas accélérer le traitement des demandes d’asile de gens de Hong Kong ou même de Hongkongais qui se trouvent déjà au Canada?
Peu importe les décisions que nous allons prendre, j’estime que nous devrons agir multilatéralement, et nous devrions commencer par jeter les bases d’une approche unifiée et efficace par rapport aux violations des droits de la personne qui sont perpétrées à Hong Kong et ailleurs dans le monde. Les menaces et l’intimidation du Parti communiste chinois et de ses représentants ne doivent plus nous empêcher de passer à l’action.
Je crois que le Sénat du Canada doit s’attaquer à cet enjeu. Par conséquent, je demande aux sénateurs d’appuyer cette motion, de l’envoyer au Comité des affaires étrangères et de commencer à exercer des pressions sur notre gouvernement pour qu’il défende les valeurs si chères aux Canadiens. Les Canadiens n’attendent pas moins de leur gouvernement. Je vous remercie.