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Le Sénat

Motion tendant à exhorter le gouvernement à réaliser et à publier une analyse des actes terroristes parrainés par l'Iran--Suite du débat

1 décembre 2020


Honorables sénateurs, la motion est assez simple. On y demande que le gouvernement réalise et publie, d’ici la fin du mois de mars prochain, une analyse des actes terroristes parrainés par l’Iran, et de l’incitation à la haine et des violations des droits de la personne imputables à ce pays, et qu’il cerne et impose des sanctions en vertu de la loi de Magnitski contre les fonctionnaires iraniens responsables de telles activités.

Vous vous souviendrez que, le 29 octobre, intervenant au sujet d’une autre de mes motions, portant celle-là sur la Chine, j’ai expliqué en détail les origines et les visées de la loi de Magnitski du Canada.

Je ne répéterai pas mes propos, si ce n’est pour dire que, grâce aux efforts de notre ancienne collègue la sénatrice Andreychuk, mais surtout en raison des épreuves infligées par les Russes à Sergei Magnitski, dont la loi porte le nom, la loi canadienne prévoit désormais des sanctions contre les dirigeants étrangers qui violent les droits de la personne ainsi que les principes de justice fondamentale et de la primauté du droit.

À ce moment-là, j’ai aussi mentionné que, depuis que le projet de loi est entré en vigueur, des dirigeants de la Russie, du Venezuela, du Soudan du Sud, du Myanmar et de l’Arabie saoudite ont fait l’objet de sanctions en vertu de la loi de Magnitski. Évidemment, c’est bien, mais il est déconcertant que le gouvernement actuel n’ait imposé aucune sanction en vertu de cette loi contre des dirigeants iraniens.

C’est déconcertant, certes, mais, hélas, c’est parfaitement prévisible de la part de l’actuel gouvernement et fidèle à l’approche qu’il adopte depuis son arrivée au pouvoir, en 2015, face à des régimes tyranniques comme celui de l’Iran. C’est une approche qui, avant tout, semble être animée d’un désir de distinguer le gouvernement Trudeau du gouvernement Harper qui l’a précédé.

Voilà peut-être la réponse à la question que j’ai posée au leader du gouvernement plus tôt aujourd’hui. Cela explique peut-être pourquoi son chef, Justin Trudeau, a délaissé la position de principe qu’avait le Canada depuis longtemps, selon laquelle il n’appuyait pas les résolutions contre Israël présentées aux Nations unies. Quand le premier ministre a appuyé une telle résolution l’an dernier, c’était parce qu’il espérait obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU, simplement pour mieux paraître que l’ancien premier ministre Harper. Nous savons comment cette histoire s’est terminée.

M. Trudeau a refait la même chose il y a quelques semaines. Michael Levitt, qui a démissionné à titre de député libéral l’été dernier, est maintenant président des Amis du Centre Simon Wiesenthal. Je me permets de citer ici M. Levitt, qui n’est ni conservateur, ni partisan :

En appuyant cette résolution, le Canada nourrit les arguments de ceux qui cherchent à délégitimer et à diaboliser l’État d’Israël, ce qui nuit aux perspectives de paix dans la région.

Quand on voit le Canada appuyer une résolution qui cible très injustement Israël et se ranger aux côtés de tous les despotes et les tyrans de la planète, il est clair qu’il ne s’agit pas d’un geste d’exception, comme le leader du gouvernement au Sénat l’affirme, mais que le Canada de Justin Trudeau maintiendra une position anti-Israël. Il ne s’agit pas d’un simple désir mesquin de se démarquer de son prédécesseur. La situation devient particulièrement dangereuse quand on tient compte de son approche dans le dossier iranien.

Les sénateurs se souviendront que le gouvernement Harper a adopté la ligne dure envers l’Iran, allant même jusqu’à rompre en 2012 ses liens diplomatiques avec ce régime, à expulser les diplomates iraniens et à fermer l’ambassade canadienne dans ce pays.

Du même coup, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, John Baird, a déclaré que l’Iran figure parmi les pires pays violateurs des droits de la personne au monde. Il est même allé plus loin et a souligné qu’en plus d’avoir un bilan catastrophique en matière de droits de la personne, l’Iran abrite des groupes terroristes auxquels il fournit une aide matérielle, attise la haine contre Israël, menace d’annihiler ce pays et fait partie des plus fervents partisans du régime meurtrier d’Assad, en Syrie. Reconnaissant le fait que l’Iran est le principal commanditaire du terrorisme dans le monde, le gouvernement Harper a adopté la Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme. Comme l’a dit le ministre de la Justice de l’époque, Rob Nicholson, cette loi vise à permettre aux victimes de terrorisme et à leur famille :

[...] de poursuivre les auteurs d’actes terroristes et ceux qui les soutiennent, y compris les États étrangers visés, pour les pertes ou les dommages subis par suite d’un acte de terrorisme commis n’importe où dans le monde [...]

— à partir du 1er janvier 1985. Autrement dit, elle lève l’immunité des États qui financent le terrorisme.

La première poursuite en vertu de la Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme a été intentée un an plus tard par une dentiste de Vancouver, Sherri Wise. Celle-ci a poursuivi l’Iran pour son rôle dans les attentats à la bombe perpétrés par le Hamas en 1997, dans lesquels elle avait été blessée.

Trois ans plus tard, en 2016, cinq procédures judiciaires ont été entamées en Ontario par des victimes de huit attaques distinctes perpétrées par le Hamas et le Hezbollah. Le juge a octroyé aux victimes des millions de dollars provenant de propriétés iraniennes non diplomatiques et de comptes de banque se trouvant à Ottawa et à Toronto.

Honorables sénateurs, la Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme vise à mettre fin aux activités terroristes parrainées par l’Iran. Son efficacité se mesure non seulement par les sommes d’argent qui ont été accordées aux victimes du terrorisme soutenu par l’Iran, mais aussi par l’indignation qu’elle a soulevée chez le gouvernement iranien.

Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères de l’Iran a déclaré que le jugement de la Cour de l’Ontario était politique et hostile envers l’Iran, en plus de l’associer aux politiques de l’ancien gouvernement extrémiste. Il faisait référence, bien entendu, au gouvernement Harper et à sa ligne dure contre le terrorisme et contre ceux qui le soutiennent.

J’aimerais lui répondre : c’est bien dommage. À l’instar d’autres gouvernements autoritaires — la Chine, par exemple —, le régime iranien et son ministre des Affaires étrangères en particulier ne se rendent pas compte que dans une démocratie, dans notre système de gouvernement, l’État n’intervient pas dans les procédures judiciaires.

En revanche, étant donné le comportement répréhensible du gouvernement Trudeau dans l’affaire SNC-Lavalin, on pourrait peut-être excuser le régime iranien de se montrer un peu confus par rapport à ce principe.

Honorables sénateurs, je mentionne la Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme pour deux raisons : premièrement, parce que c’est une mesure efficace appliquée à l’encontre d’un régime criminel et, deuxièmement, parce que, comme M. Nicholson l’a mentionné dans son discours, cette loi vient du Sénat. M. Nicholson, qui était à l’époque ministre, a fait référence tout spécialement à notre ancien collègue, le sénateur Tkachuk, et à d’autres géants de cette institution, de même qu’au projet de loi S-7 qui, comme le projet de loi d’initiative ministérielle ayant été adopté, visait à lever l’immunité des États inscrits sur une liste de pays soutenant le terrorisme.

Sous des numéros différents, le projet de loi S-7 est demeuré environ sept ans au Sénat avant que l’ancien premier ministre Stephen Harper en fasse un projet de loi d’initiative ministérielle et qu’il soit adopté. Cependant, le sénateur Tkachuk n’en est pas resté là. En 2017, il a présenté un autre projet de loi d’intérêt public du Sénat, le S-219, dont la portée était plus large que celle du projet de loi S-7. Cette mesure législative reconnaissait que le régime iranien est non seulement l’un des principaux commanditaires du terrorisme dans le monde, mais qu’il est aussi un régime qui incite à la haine et a l’habitude de violer de manière flagrante les droits de la personne.

Les sénateurs reconnaîtront que ma motion fait écho au projet de loi S-219 qui, s’il avait été adopté, aurait notamment obligé le ministre des Affaires étrangères à publier un rapport annuel sur le terrorisme, l’incitation à la haine et les violations des droits de la personne imputables à l’Iran.

Le Sénat a rejeté ce projet de loi. Je dois toutefois dire qu’un grand nombre des sénateurs qui ont voté contre la mesure législative venaient tout juste d’être nommés, littéralement quelques jours avant le vote. Ils ne pouvaient donc pas bien connaître le projet de loi ni les témoignages des intervenants qui l’appuyaient ou qui s’y opposaient. Cela ne les a pas empêchés de rejeter le projet de loi.

Au comité, nous avons notamment entendu Irwin Cotler, qui est sans contredit un éminent expert des droits de la personne au Canada, en plus d’avoir été ministre libéral de la Justice. On pourrait difficilement l’accuser de faire preuve de partisanerie.

Au moment de son témoignage, M. Cotler était président du Centre Raoul-Wallenberg pour les droits de la personne. Il appuyait le projet de loi S-219, qu’il décrivait comme « un cadre modeste pour réagir aux trois principales menaces du réseau de menaces de l’Iran ».

M. Cotler a ensuite parlé des trois principaux thèmes de la motion que je présente :

Il importe de souligner que ces menaces [de l’Iran] constituent des violations permanentes des normes et des accords internationaux auxquels adhèrent le Canada et l’Iran. Autrement dit, si l’Iran s’adonne au terrorisme international, il enfreint un réseau de traités et d’accords internationaux, y compris quand ce terrorisme international finit par cibler des diplomates, comme cela s’est d’ailleurs produit. Cela fait intervenir tout le réseau de l’immunité diplomatique, des traités et des dispositions semblables.

S’il incite les gens au génocide, alors il commet, comme je l’ai souligné, une violation permanente de la convention sur le génocide et il contrevient aux obligations qui sont les siennes, à titre d’État partie, de ne pas s’adonner à une telle incitation.

Si l’Iran commet de graves violations des droits de la personne, alors il enfreint d’importants traités internationaux, comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou le traité sur la torture. Ici encore, ces traités ont été signés par les deux États.

En un mot, nous sommes obligés, à titre d’État partie à ces traités et de membre responsable de la communauté internationale, d’appliquer les normes internationales, de sanctionner les contrevenants et de lutter contre la culture d’impunité permettant aux contrevenants d’éviter de rendre des comptes.

Ce ne sont pas mes propos, mais bien ceux de l’ancien ministre de la Justice, M. Cotler.

Le principal argument des personnes qui s’opposaient au projet de loi S-219, c’était que ce dernier insistait sur le fait que le Canada maintienne les sanctions qu’il a imposées contre l’Iran jusqu’à ce que deux rapports annuels consécutifs, similaires au rapport que je propose dans le cadre de ma motion, démontrent que l’Iran s’était amélioré à ces trois égards.

Plusieurs spécialistes ont comparu devant le comité et ont affirmé que si le Canada est le seul à imposer des sanctions, cela n’aurait pas l’effet escompté et pourrait même aller à l’encontre du but visé.

De plus, Affaires mondiales Canada a envoyé une lettre au comité pour s’opposer fermement au projet de loi S-219, indiquant que cette mesure législative va à l’encontre de la politique d’engagement du ministère avec l’Iran. Affaires mondiales veut collaborer avec tout le monde. C’est leur affaire, chers collègues.

Les sénateurs se souviendront qu’à l’époque, le Canada rencontrait discrètement des diplomates iraniens afin de favoriser ce dialogue et peut-être même rouvrir notre ambassade là-bas.

Initialement, les sénateurs du Groupe des sénateurs indépendants membres du Comité des affaires étrangères ont essayé de torpiller le projet de loi à l’étape du comité, mais la sagesse l’a emporté et il a été renvoyé à la Chambre, où il a été défait à la troisième lecture, le 9 mai 2018.

J’imagine que le gouvernement était heureux.

Honorables sénateurs, beaucoup de choses ont changé depuis. La loi de Magnitski, dont était saisi le Comité sénatorial des affaires étrangères au même moment que le projet de loi S-219, a reçu la sanction royale en octobre 2017.

Depuis, comme je l’ai mentionné, le Canada a imposé des sanctions Magnitski à des dirigeants étrangers dans de très nombreux pays. Les précédents ne manquent pas pour pouvoir imposer des sanctions aux dirigeants iraniens qui seraient identifiés dans l’analyse gouvernementale du comportement du régime iranien que je propose.

Deuxièmement, pratiquement un mois jour pour jour après le rejet du projet de loi S-219 par le Sénat, des députés ministériels et de l’opposition ont appuyé, à raison de 248 voix contre 45, une motion portant que le Canada « [...] [cesse] immédiatement toute négociation ou discussion avec la République islamique d’Iran en vue du rétablissement des relations diplomatiques [...] ».

Parmi les députés qui ont appuyé la motion se trouvaient le premier ministre Justin Trudeau, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland et le ministre de la Sécurité publique Ralph Goodale.

La motion demandait également au gouvernement « d’inscrire immédiatement la Brigade des Gardiens de la révolution islamique dans la liste des entités terroristes établie en vertu du Code criminel du Canada ». Je répète que le premier ministre libéral, la ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Sécurité publique ont appuyé la motion.

Honorables sénateurs, aucune sanction en application de la loi de Magnitski n’a été imposée aux dirigeants iraniens, qui sont pourtant membres d’un régime qui demeure l’un des pires violateurs des droits de la personne au monde.

La Brigade des Gardiens de la révolution islamique, le principal organe du régime responsable de la perpétration de bon nombre de ces violations, voire toutes, n’est toujours pas inscrite dans la liste des entités terroristes établie en vertu du Code criminel, en dépit du fait que cela fait plus de deux ans que le gouvernement a appuyé une motion lui demandant de le faire immédiatement. Peut-être faut-il lui donner un petit coup de coude ou lui rappeler les motions que la Chambre des communes appuie à l’unanimité. Il est plus que temps que le gouvernement du Canada identifie les dirigeants iraniens responsables des nombreux crimes perpétrés par l’État iranien et leur impose les sanctions prévues dans la loi de Magnitski.

Honorables collègues, j’espère que nous reconnaîtrons qu’il ne fait aucun doute que l’Iran est le plus grand auteur de violations des droits de la personne et le plus grand promoteur de l’extrémisme à l’heure actuelle dans le monde. En dépit de cela, le gouvernement refuse encore et encore de le dénoncer, faisant fi de la volonté du Parlement. La présente motion est une autre occasion pour nous de défendre la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit. Honorables collègues, j’espère que ceux d’entre vous qui croient à ces valeurs appuieront cette motion. Merci.

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