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Recours au Règlement

Report de la décision de la présidence

3 décembre 2020


L’honorable Frances Lankin [ + ]

Votre Honneur, j’invoque le Règlement. J’ai levé la main à l’aide de l’outil virtuel à notre disposition et j’ai également envoyé un message aux techniciens pour signifier que j’avais levé la main afin d’invoquer le Règlement.

Je crois que nous avons tous entendu le sénateur Housakos accuser le premier ministre d’être corrompu et d’avoir accepté des pots-de-vin — le gouvernement, le premier ministre et sa famille —, mais il a clairement utilisé les mots « corruption » et « pots-de-vin ». Votre Honneur, je sais que vous avez horreur de vous ingérer dans nos débats et nos délibérations, mais vous nous avez exhortés à maintes reprises à ne pas utiliser de remarques cinglantes et offensantes.

À mon avis, ceci dépasse les limites de l’acceptable. La corruption est une accusation au titre du Code criminel, alors l’honorable sénateur vient de porter une accusation d’activité criminelle. En théorie, il a droit à son opinion, et je n’enlèverais ce droit à aucun sénateur. Or, je crois qu’accuser des représentants du gouvernement de corruption quand il n’y a aucune preuve et aucun signe d’activité criminelle dépasse les bornes. Selon moi, on devrait demander au sénateur de se rétracter.

Merci beaucoup, Votre Honneur.

Son Honneur le Président [ + ]

La sénatrice Lankin a invoqué l’article 6-13(1) du Règlement. Sénateur Housakos, voulez-vous répondre?

Oui, Votre Honneur, je vous remercie beaucoup.

Nous avons évidemment le privilège au Sénat de pouvoir nous exprimer comme nous l’entendons. J’exerce ce privilège. J’aimerais répondre à la sénatrice Lankin.

J’ai eu l’intégrité et la décence d’aller au-delà de cela, car les affirmations que j’ai faites dans mon discours aujourd’hui, en vertu du privilège et de l’immunité dont je jouis en tant que parlementaire, je les ai déjà faites sur les médias sociaux; j’ai fait ces déclarations publiquement. J’ai invité le premier ministre, s’il le souhaite, à prendre des mesures à mon égard en réponse à ces déclarations. Il est libre de le faire, et je serais plus qu’heureux de le voir devant un tribunal et de l’y contre-interroger.

Je maintiens ma déclaration. Je crois que l’organisme UNIS a versé des sommes à sa mère, à son frère et à son épouse à différents moments, ce qui représentait carrément un conflit d’intérêts et une infraction au Code criminel, et des mois plus tard, il y a eu échange de subventions et de fonds gouvernementaux.

Le premier ministre a commis ce genre de faute plus d’une fois. J’ai décrié le fait que la fondation de l’Aga Khan avait reçu des dizaines de millions de dollars quelques mois après que le premier ministre s’est rendu à l’île privée de l’Aga Khan dans le cadre de deux voyages de luxe. Les sommes en question avaient été versées à la suite de décisions prises par le Cabinet, pour lesquelles le premier ministre ne s’est pas excusé alors qu’il se trouvait clairement en conflit d’intérêts.

Tout ce que je viens d’exprimer dans cette enceinte, je l’ai exprimé publiquement et je maintiens ce que j’ai dit. Je serais plus qu’heureux d’en assumer les conséquences, car j’ai eu le courage de faire valoir mon point de vue dans la sphère publique.

Le sénateur Campbell [ + ]

C’est une honte! C’est une honte!

Son Honneur le Président [ + ]

Avant de poursuivre, alors que plusieurs sénateurs veulent participer au débat, je vous rappelle que l’article 6-13(1) du Règlement concerne ce qui survient dans l’enceinte du Sénat. Essentiellement, ce qui se passe à l’extérieur de cette Chambre n’est pas visé par cet article.

Sénatrice Lankin, je sais que vous voulez prendre la parole, mais je vois aussi le sénateur Dalphond se lever, alors je vais lui permettre d’être le prochain à intervenir.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ + ]

Merci, Votre Honneur.

Je pense que je viens d’entendre le sénateur Housakos aller encore plus loin que ce qu’il a dit dans son discours. Je pense que c’est contraire à l’article 6-13(1) du Règlement parce que ce sont des propos non parlementaires. Dans les médias, il peut accuser le gouvernement d’avoir reçu des pots-de-vin ou d’avoir fait autre chose, ou alors il peut le faire dans un discours qu’il prononce quelque part à Montréal en compagnie de M. O’Toole.

Toutefois, c’est une autre paire de manches lorsqu’il participe aux débats du Sénat. Il doit alors se conformer au Règlement du Sénat, où il est important de maintenir le décorum et où la dignité et le respect pour les institutions et envers les personnes qui servent la population, comme le premier ministre, les ministres, les sénateurs et les députés, sont importants. Voilà pourquoi nous avons cet article du Règlement :

Les propos injurieux ou offensants sont non parlementaires et contraires au Règlement.

Dire de quelqu’un qu’il a commis un crime alors qu’il a peut-être enfreint le code d’éthique de la Chambre des communes, c’est brouiller intentionnellement les cartes. C’est mentir devant le Sénat. C’est induire en erreur le grand public, qui nous regarde.

C’est non parlementaire, Votre Honneur, et à mon avis le sénateur Housakos doit retirer ses propos et s’excuser. Merci.

La sénatrice Lankin [ + ]

Votre Honneur, sans vouloir inciter le sénateur Housakos à reprendre son discours, puisque c’est ce qu’il vient de faire en réponse au rappel au Règlement, j’aimerais que vous preniez en considération la réputation de cette auguste institution. Il est question de la conduite attendue des sénateurs. C’est une question de respect de notre code d’éthique, qui nous interdit de ternir la réputation de cette institution. Tout cela doit être considéré.

La règle en question, qui dit que les propos injurieux ou offensants ne peuvent être tolérés parce qu’ils sont non parlementaires, doit certainement compter pour quelque chose. Je suis consciente que, même si vous demandez toujours aux sénateurs de se comporter adéquatement, il arrive que ce genre de choses se produisent lors d’un débat particulièrement houleux, mais il s’agissait manifestement d’une prise de position politique. Je pense que la plupart d’entre nous en conviendront, même si le sénateur Housakos le nie. Je pense qu’il a franchi les limites établies par cette règle, et je voudrais que vous lui demandiez de se rétracter.

L’honorable Renée Dupuis [ + ]

Je voudrais intervenir pour appuyer le rappel au Règlement qui a été soulevé. Je crois qu’on aurait pu tout aussi bien soulever une question de privilège comme sénateurs. Le manque de considération du sénateur Housakos, non seulement pour les personnes qu’il accuse, mais aussi pour les sénateurs et sénatrices qui, comme moi, participent à la séance ce soir est inacceptable.

Je vous demande donc de prendre en considération ce rappel au Règlement; sinon, je voudrais déposer une question de privilège pour une atteinte à notre capacité, à titre de sénateurs et sénatrices, d’exercer nos fonctions à un moment extrêmement difficile non seulement de l’histoire de l’humanité en général, mais aussi de celle de la collectivité canadienne, en raison de la pandémie de COVID-19.

Je pense que nous sommes tenus d’observer, en qualité de parlementaires — et encore plus de législateurs non élus —, un minimum de réserve dans nos interventions dans cette Chambre. L’invocation d’un privilège parlementaire pour attaquer, pour des raisons politiques ou autres, des responsables publics devant cet auditoire captif que sont les sénateurs et sénatrices est inacceptable.

Je n’ai pas employé de propos non parlementaires dans mon discours ou lorsque j’ai pris la parole pour invoquer le Règlement. Au fil des ans, j’ai pris de soin de respecter les règles de la Chambre des communes, du Sénat et des autres assemblées issues de la tradition parlementaire de Westminster, et je n’ai pas employé un seul mot que la présidence pourrait qualifier de non parlementaire. Je faisais allusion au code d’éthique, que tous les parlementaires sont tenus de respecter. J’ai fait allusion au Code criminel, aux lois de ce pays, et nous nous attendons à ce que les lois soient appliquées, peu importe l’identité des personnes concernées.

Notre privilège parlementaire nous confère le droit de nous exprimer librement. C’est ce qu’on appelle la liberté d’expression. Je n’ai jamais, en aucun cas, employé des propos qui auraient été considérés comme étant offensants par quelque Président que ce soit dans l’histoire du Sénat. Personne n’enlèvera à un parlementaire son droit d’interpeller sur la scène publique les membres de l’exécutif qui, selon lui, ont enfreint le code d’éthique. C’est ce que le premier ministre a fait à trois reprises — cela a été confirmé — et il fait toujours l’objet d’une enquête par le commissaire à l’éthique. À ce sujet, je crois comprendre que la GRC a déclaré il y a quelques semaines qu’elle menait une enquête sur le scandale de l’organisme UNIS.

Au bout du compte, les parlementaires ont le droit de s’assurer que le Code criminel et leur code d’éthique sont respectés. Nous avons le droit de nous exprimer librement. Certains parlementaires ayant peut-être des intérêts politiques invoquent le Règlement pour défendre un membre de l’exécutif qu’ils veulent protéger contre toute critique, en prétextant que les questions que je pose et les termes que j’utilise sont trop directs. Or, c’est mon droit, et personne n’a le droit de m’en priver. J’ai simplement répondu à la sénatrice Lankin, et j’ai aussi fait ces accusations sur la scène publique. Je n’ai pas agi comme un lâche. Mon privilège parlementaire me confère manifestement ce droit. Merci, honorables sénateurs.

Son Honneur le Président [ + ]

Je remercie tous les sénateurs ayant participé à ce débat. Je prendrai la question en délibéré.

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