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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture

7 décembre 2021


L’honorable René Cormier [ + ]

Propose que le projet de loi C-4, Loi modifiant le Code criminel (thérapie de conversion), soit lu pour la deuxième fois.

Chers collègues, c’est avec émotion que je prends la parole aujourd’hui pour entamer le débat à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-4, qui propose d’interdire la thérapie de conversion, une pratique odieuse qui stigmatise les communautés lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers et bispirituelles et qui exerce une discrimination à leur égard.

Il s’agit de pratiques néfastes pour les personnes qui y sont soumises et préjudiciables pour la société en générale. Des pseudothérapies qui perpétuent des stéréotypes et des mythes n’ont pas leur place dans la société canadienne.

Bien qu’on qualifie encore souvent ces interventions de « thérapies » de conversion, elles n’ont évidemment rien de thérapeutique. Elles partent de la prémisse selon laquelle les personnes LGBTQ2+ peuvent et doivent changer, et elles prennent souvent des formes insidieuses.

Si certaines personnes doutent encore de la présence de ces pratiques délétères dans notre pays, les résultats de l’enquête Sexe au présent de 2019-2020 indiquent qu’environ 10 % des hommes appartenant à une minorité sexuelle qui ont répondu à l’enquête ont été soumis à une thérapie de conversion au Canada.

Toujours selon cette enquête, l’exposition à ces pratiques destructrices était plus importante chez les personnes non binaires et transgenres, les immigrants, les jeunes et les personnes à faible revenu.

Dans la majorité des cas, l’exposition à la thérapie de conversion avait eu lieu dans un cadre religieux, et dans les autres cas, elle se déroulait dans un contexte de soins de santé. Chers collègues, les thérapies de conversion sont donc bien réelles, nocives et encore présentes dans notre pays.

Depuis des décennies, les communautés LGBTQ2+ et particulièrement les personnes qui ont survécu à ces actes dangereux militent avec détermination et courage pour que cessent ces pratiques insensées. Le temps est enfin venu de répondre à l’appel et de les protéger, adultes comme enfants.

En renforçant les protections proposées dans l’ancien projet de loi C-6, qui avait été présenté au cours de la législature précédente, le projet de loi C-4 lance un message fort et nécessaire. Aucune forme de thérapie de conversion ne sera tolérée à l’endroit de la population canadienne.

Je m’en voudrais d’entrée de jeu de ne pas souligner la vive émotion ressentie par de nombreux Canadiens et Canadiennes lors de l’adoption à l’unanimité de ce projet de loi à l’autre endroit le 1er décembre dernier.

Bien que nous ayons pu être étonnés de la rapidité de son adoption, la manifestation de solidarité exprimée en dit long sur les valeurs qui nous sont chères en tant que Canadiens et Canadiennes : des valeurs d’égalité, de dignité et de respect pour tous, et ce, dans la pleine reconnaissance de nos différences.

Le projet de loi C-4 s’inscrit dans la continuité d’une longue démarche de reconnaissance des droits des personnes LGBTQ2+ dans notre pays.

De la décriminalisation partielle de l’homosexualité en 1969 à l’adoption du projet de loi C-23 en 2000 qui accordait aux couples de même sexe les mêmes avantages sociaux et fiscaux qu’aux personnes hétérosexuelles vivant en union libre, de la promulgation de la Loi sur le mariage civil permettant aux couples de même sexe de se marier partout au Canada en 2005 à l’adoption en 2017 du projet de loi C-16 qui ajoutait l’identité de genre et l’expression de genre aux motifs de discrimination interdits par la Loi canadienne sur les droits de la personne, jusqu’à l’adoption en 2018 du projet de loi C-66 que j’ai eu le privilège de parrainer ici même au Sénat, qui vise la radiation des condamnations historiquement injustes envers les personnes des communautés LGBTQ2+, notre pays a franchi d’importants jalons visant le respect des droits fondamentaux et la dignité de tous les citoyens.

Il aura fallu plusieurs propositions législatives avant d’en arriver au présent projet de loi et, à cet égard, permettez-moi de saluer notre ancien collègue le sénateur à la retraite Serge Joyal, qui avait déposé le projet de loi S-260 dans cette Chambre lors de la 42e législature, ce qui avait déclenché une prise de conscience chez ses collègues parlementaires.

Aujourd’hui, c’est à nous de poursuivre ce travail en posant un second regard attentif et rigoureux sur le projet de loi C-4, en faisant preuve d’empathie et en travaillant avec diligence afin que tous les Canadiens et Canadiennes, peu importe leur âge, leur orientation sexuelle, leur identité ou leur expression de genre, puissent aimer la personne de leur choix, être eux-mêmes aimés en toute liberté et vivre comme ils l’entendent en toute sécurité.

Le projet de loi C-4 est expressément conçu pour protéger la dignité et l’égalité des Canadiens LGBTQ2+ en mettant fin aux thérapies de conversion au Canada. Pour y arriver, il criminaliserait les thérapies de conversion dans tous les contextes, peu importe l’âge de la personne ou l’obtention du consentement. Même s’il est vrai que l’ancien projet de loi C-6 aurait bien protégé les enfants, il n’aurait protégé les adultes que des thérapies de conversion forcées et n’aurait interdit que la commercialisation de cette pratique. L’approche globale du projet de loi C-4 vise à cibler les différents types de préjudices que causent les thérapies de conversion. Ces préjudices peuvent être observés à l’échelle individuelle, y compris chez les personnes qui subissent des pratiques de conversion avec leur consentement.

Les recherches sur les préjudices causés par les thérapies de conversion provenant du Canada et des États-Unis exposent clairement les répercussions dévastatrices pour les personnes, y compris la honte, l’isolement, l’anxiété, la dépression, la toxicomanie et les idées suicidaires. Par exemple, selon le Trevor Project National Survey on LGBTQ Youth Mental Health, publié en 2019 aux États-Unis, 57 % des jeunes transgenres et non binaires qui ont subi une thérapie de conversion ont rapporté avoir tenté de se suicider dans la dernière année.

Les associations professionnelles canadiennes et internationales ont dénoncé ces pratiques. J’en nommerai que quelques-unes : l’Organisation mondiale de la santé, le Comité contre la torture, le Comité des droits de l’enfant et le Comité des droits de l’homme des Nations unies, de même que l’Association des psychiatres du Canada, la Société canadienne de psychologie, l’Ordre professionnel des sexologues du Québec et l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux. Elles ont toutes condamné sans appel ces pratiques, qui sont dangereuses.

Je voudrais aussi attirer votre attention sur les témoignages de personnes courageuses dans le cadre de l’étude par l’autre endroit de l’ancien projet de loi C-6. Leurs propos sont révélateurs. Elles ont dit que les préjudices des thérapies de conversion sont graves, peu importe l’âge et l’obtention du consentement, et que la meilleure façon de protéger les gens était d’interdire complètement la pratique. Nous devons les écouter, chers collègues.

Il y a amplement de preuves des préjudices causés aux victimes des thérapies de conversion, mais n’oublions pas que les effets de ces pratiques discriminatoires se manifestent à plus grande échelle dans la société. En effet, l’existence même des thérapies de conversion porte atteinte à la dignité et à l’égalité des membres de la communauté LGBTQ2+, car l’existence de ces pratiques laisse entendre qu’il y a quelque chose de fondamentalement inacceptable chez les membres de cette communauté, et qu’ils devraient changer leur façon d’être, d’aimer ou de s’exprimer pour adopter une orientation sexuelle, une identité de genre ou une expression de genre que certaines personnes jugent préférable.

Cette prémisse est intrinsèquement discriminatoire et nuisible, non seulement pour les communautés LGBTQ2+, mais aussi pour la société en général, car nous sommes tous diminués par des pratiques qui portent atteinte à l’égalité et à la dignité de tout membre de notre société.

Ainsi, une façon de mettre fin aux pratiques qui sont fondées sur des prémisses aussi blessantes et discriminatoires est de les interdire complètement, indépendamment du consentement d’une personne.

Ce n’est pas un rôle inhabituel ou inapproprié pour le droit criminel. En vertu de sa compétence en la matière, le Parlement fédéral peut effectivement criminaliser un mal légitime pour la santé publique. Dans ce cas-ci, les preuves sont accablantes. Les thérapies de conversion sont profondément nuisibles.

L’interdiction de la thérapie de conversion, lorsque le bénéficiaire est un adulte consentant, soulève naturellement des questions quant au respect de la Charte canadienne des droits et libertés. L’idée de la thérapie de conversion peut être, pour certains, liée à des croyances religieuses, et d’autres peuvent croire qu’ils devraient avoir la liberté de choisir des interventions qu’ils estiment bénéfiques pour eux.

Or, les préjudices bien établis, ainsi que la prévalence des pratiques de thérapie de conversion parmi les membres vulnérables d’une communauté déjà marginalisée, appuient la décision d’une interdiction complète de ces pratiques.

J’ajoute que nous ne pouvons pas ignorer la tendance qui se dessine sur la scène internationale, laquelle laisse présager un consensus concernant les méfaits des thérapies de conversion et les moyens juridiques pour les interdire, comme ceux proposés dans le projet de loi.

Au printemps 2020, l’expert indépendant des Nations unies sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre a publié un rapport intitulé Pratiques des thérapies dites « de conversion ».

Selon ce rapport, la meilleure façon de s’attaquer aux méfaits des thérapies de conversion est d’en interdire la publicité et la pratique dans tous les milieux, qu’ils soient publics ou privés, y compris les contextes éducatifs, communautaires ou religieux. En particulier, l’expert indépendant des Nations unies décrit les pratiques des thérapies de conversion comme des « [...] pratiques profondément nuisibles qui reposent sur le principe médical erroné que les personnes LGBT et de genre variant sont malades. »

Le rapport souligne également que ces pratiques sont à l’origine de graves souffrances ainsi que de traumatismes psychologiques et physiques à long terme.

Chers collègues, je me permets de citer deux passages du rapport :

Par essence, toutes les pratiques tendant à la conversion sont humiliantes, dégradantes et discriminatoires. Sous l’effet conjugué d’un sentiment d’impuissance et d’une humiliation extrême, les victimes éprouvent de la honte, de la culpabilité et un dégoût d’elles-mêmes, et sont blessées dans leur dignité, autant d’atteintes profondes susceptibles de se traduire par une détérioration de l’image qu’elles ont d’elles-mêmes et par des modifications durables de leur personnalité.

Ces pratiques vont également à l’encontre de l’interdiction de la torture et des mauvais traitements, puisqu’elles partent du principe que les personnes d’orientation sexuelle diverse ou de genre variant sont en quelque sorte inférieures, sur le plan moral, spirituel ou physique, aux personnes hétérosexuelles et cisgenres et doivent donc modifier leur orientation ou leur identité pour y remédier. Dès lors, les procédés et les mécanismes dans le cadre desquels les personnes LGBT sont considérées comme des êtres humains inférieurs sont, par définition, dégradants, et peuvent être assimilés à des actes de torture en fonction des circonstances, selon la gravité des souffrances physiques et mentales infligées.

Outre le rapport de l’expert indépendant de l’ONU, plusieurs pays étudient ou ont adopté des mécanismes pour bannir les thérapies de conversion.

Le Territoire de la Capitale australienne a récemment adopté une législation pénale visant à interdire la pratique des thérapies de conversion sur les mineurs et les personnes dont la capacité de décision est réduite.

Un projet de loi est actuellement à l’étude en France pour proposer d’interdire les pratiques de thérapie de conversion, qui ont un impact sur la santé mentale ou physique d’une personne.

Un projet de loi a été présenté en Nouvelle-Zélande cet été, proposant de créer des infractions pénales qui interdiraient de pratiquer une thérapie de conversion sur des mineurs ou des personnes qui n’ont pas la capacité de prendre des décisions, et de fournir une thérapie de conversion à quiconque si elle cause un « préjudice grave », c’est-à-dire :

[…] tout préjudice physique, psychologique ou émotionnel qui affecte sérieusement et de manière préjudiciable la santé, la sécurité ou le bien-être de l’individu.

Le consentement ne serait pas un moyen de défense pour l’une ou l’autre de ces infractions proposées.

Le gouvernement britannique, quant à lui, consulte actuellement le public sur une proposition visant à criminaliser certains aspects de la thérapie de conversion, notamment lorsqu’elle prend la forme d’une « thérapie par la parole », en plus des actes physiques accomplis au nom de la thérapie de conversion.

Enfin, on se souviendra que Malte a été le premier État à criminaliser la prestation de thérapie de conversion à l’égard des « personnes vulnérables », incluant, notamment, des personnes âgées de moins de 16 ans.

Au Canada, des provinces, un territoire et plusieurs municipalités ont mis l’épaule à la roue dans leurs champs de compétences respectifs.

Le Yukon, l’Ontario, le Québec, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard ont adopté des lois précisant que la thérapie de conversion n’est pas un service de santé assuré et interdisant aux professionnels de la santé, et dans certains cas à quiconque, de fournir des traitements dans des circonstances particulières. Le Manitoba a pour sa part une déclaration de principe contre ces pratiques.

Des municipalités telles que Vancouver, Calgary, Edmonton, St. Albert, Lethbridge, Saskatoon, Regina, Kingston et plusieurs autres ont répondu à l’appel en interdisant aux entreprises d’offrir des thérapies de conversion à l’intérieur de leur territoire.

Chers collègues, ces avancées canadiennes et internationales renforcent un élan en matière d’interdiction des thérapies de conversion. Elles envoient un signe clair, d’une part, que notre pays est plus que prêt à mettre fin à de telles pratiques, et d’autre part, que l’approche du projet de loi C-4 consistant à recourir au droit criminel pour interdire complètement cette pratique néfaste, dans tous les contextes et toutes les disciplines, n’est ni unique ni inappropriée.

J’aimerais maintenant discuter de la définition de thérapie de conversion qui figure dans le projet de loi C-4 puisqu’elle a une incidence sur la portée des quatre infractions proposées dans le projet de loi.

Le projet de loi C-4 définit une « thérapie de conversion » comme une « pratique, [un] traitement ou [un] service », que j’appellerai collectivement une intervention, qui vise à atteindre l’un des six objectifs interdits suivants :

a) à modifier l’orientation sexuelle d’une personne pour la rendre hétérosexuelle;

b) à modifier l’identité de genre d’une personne pour la rendre cisgenre;

c) à modifier l’expression de genre d’une personne pour la rendre conforme au sexe qui a été assigné à la personne à sa naissance;

d) à réprimer ou à réduire toute attirance ou tout comportement sexuel non hétérosexuels;

e) à réprimer toute identité de genre non cisgenre;

f) à réprimer ou à réduire toute expression de genre qui ne se conforme pas au sexe qui a été assigné à une personne à sa naissance.

Le fait de préciser que les interventions qui visent à réprimer ou à réduire les sentiments ou les comportements non hétéronormatifs ou non cisnormatifs constituent une « thérapie de conversion » apaise la crainte que les prestataires de thérapies de conversion puissent chercher à éviter la responsabilité criminelle en se réfugiant derrière un argument à peine voilé selon lequel leurs efforts visent à réduire ou à réprimer certaines formes de sentiments ou d’expression et non à modifier l’identité d’une personne.

Cette définition comprend aussi une très importante « disposition de précision » qui indique que les interventions visant à aider une personne à explorer ou développer son identité personnelle intégrée ne constituent pas une thérapie de conversion si elles ne sont pas fondées sur la supposition selon laquelle une quelconque orientation sexuelle, identité de genre ou expression de genre est à privilégier. Je le répète, cette disposition vise à protéger les pratiques, les traitements ou les services légitimes et non les thérapies de conversion prétendant aider une personne à modifier un aspect fondamental de son identité sous le couvert d’une thérapie de développement ou de réconciliation de l’identité.

Cette disposition précise également que les interventions de transition de genre, ces étapes qu’une personne choisirait et prendrait pour vivre davantage en fonction de son identité ou de son expression de genre, ne sont pas des thérapies de conversion.

On a soulevé des inquiétudes lors de la législature précédente concernant le fait que la définition contenue dans l’ancien projet de loi C-6, sensiblement identique au projet de loi C-4 actuel, était vague et qu’elle pouvait englober de simples conversations sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou l’expression de genre. J’aimerais expliquer pourquoi je ne partage pas ces inquiétudes.

La définition formulée dans le projet de loi à l’étude contient deux critères distincts, qui doivent être présents. Premièrement, le comportement doit être considéré comme une intervention — les termes précis énoncés dans le projet de loi sont « pratique », « traitement » et « service ». Ces termes ont un sens littéral clair qui sous-entend que les interventions sont établies, structurées ou formelles et qu’elles sont généralement offertes au public ou à un segment du public. Deuxièmement, une intervention doit aussi être conçue pour atteindre l’un des buts prohibés dans la définition, c’est-à-dire d’imposer des normes hétéronormatives ou cisnormatives sur la personne assujettie à l’intervention.

Cette approche pour définir ce qu’on entend par « thérapie de conversion » est totalement appropriée. De plus, elle est conforme aux objectifs fondamentaux du projet de loi qui consistent à protéger les membres de la communauté LGBTQ2+ des interventions discriminatoires à leur égard.

Bref, la définition est soigneusement adaptée pour cibler uniquement les interventions qui causent des préjudices parce qu’elles posent comme postulat que les identités ou expressions hétéronormatives et cisnormatives sont préférables aux autres.

Le projet de loi C-4 protégerait également tous les Canadiens contre la commercialisation de la pratique, en interdisant de tirer profit de la thérapie de conversion, de la promouvoir ou d’en faire la publicité. De plus, il offrirait une protection supplémentaire aux enfants, en ciblant les gens qui voudraient les faire passer à l’extérieur du pays pour les soumettre à une thérapie de conversion.

En termes clairs, chers collègues, le projet de loi modifie le Code criminel, notamment pour créer les infractions suivantes. Ainsi, est passible de poursuite quiconque, sciemment, fait suivre une thérapie de conversion à une personne, notamment en lui fournissant de la thérapie de conversion; quiconque, sciemment, fait la promotion de la thérapie de conversion ou fait de la publicité d’une thérapie de conversion; quiconque bénéficie d’un avantage matériel, notamment pécuniaire, qu’il sait provenir ou avoir été obtenu, directement ou indirectement, de la prestation de thérapies de conversion; quiconque fait passer à l’étranger un enfant de moins de 18 ans pour lui faire subir une thérapie de conversion.

Ce que le projet de loi C-4 propose d’interdire est soigneusement conçu pour englober uniquement les pratiques préjudiciables qui visent à modifier l’identité d’une personne, fondées sur une prémisse discriminatoire selon laquelle certaines orientations sexuelles, identités ou expressions de genre sont moins souhaitables que d’autres.

Il n’englobe pas les interventions de soutien ni la simple expression de croyances à propos de l’orientation sexuelle, de l’identité ou de l’expression de genre. En outre, l’approche proposée n’empêche nullement les personnes de faire leurs propres choix sur la manière d’exprimer leur identité de genre ou leur orientation sexuelle. Elle ne vise que les interventions visant à changer l’identité d’une personne.

L’approche du projet de loi C-4 peut paraître audacieuse, mais une interdiction complète est la meilleure façon d’atteindre l’objectif important de protéger les personnes et les communautés LGBTQ2+ contre les préjudices et la discrimination qui découlent de la thérapie de conversion.

Honorables sénateurs, personnellement, je suis fier que le Canada fasse preuve de leadership dans ce dossier. En effet, ce projet de loi placerait le Canada à l’avant-garde de la communauté internationale. Son adoption au pays serait déterminante pour tous les Canadiens bien sûr, mais en pensant aux victimes de ces pratiques ailleurs dans le monde, nous pouvons facilement saisir l’impact qu’il aurait sur la scène internationale.

Les Canadiens accordent une grande importance à la diversité; ce n’est un secret pour personne. Nous voulons que notre pays respecte les différences entre chacun d’entre nous. C’est l’aspect de notre culture qui définit notre pays. Au Canada, chaque personne devrait se sentir en sécurité de révéler sa véritable identité.

Je sais que nous sommes tous déterminés à bien saisir l’objectif primordial du projet de loi C-4 qui est de protéger la dignité et l’égalité de tous les Canadiens. Ce projet de loi tient compte de nos valeurs fondamentales en tant que Canadiens, telles qu’elles sont énoncées dans la Charte canadienne des droits et libertés. Je sais que nous sommes tous d’accord pour dire que le Canada devrait être un pays qui célèbre la diversité et non qui la méprise — un pays où règnent l’égalité et la liberté pour toutes les personnes.

Chers collègues, ce projet de loi n’en est pas un d’opposition. Il ne vise pas à porter des jugements sur les convictions religieuses des individus. Il ne vise pas à empêcher les parents qui ont à cœur la santé et le bonheur de leurs enfants d’avoir des conversations avec eux.

Il ne vise pas non plus à interdire aux enseignants de parler d’orientation sexuelle et d’identité de genre avec leurs étudiants. Il vise avant tout la pleine reconnaissance des droits fondamentaux de tout un chacun de vivre dans la dignité.

Après avoir fait de la recherche et enquêté à ce sujet, et en pensant aux plus de 47 000 hommes qui ont subi des thérapies de conversion au Canada, comme l’affirme le rapport précité Sexe au présent, il me tarde que nous puissions étudier et adopter le projet de loi C-4 en temps opportun.

Pour terminer sur une note plus personnelle, je vous dirais qu’il y a heureusement un grand nombre de personnes au Canada qui n’ont pas eu à subir une thérapie de conversion. Grâce à leur entourage, des individus n’ont pas eu à faire ces choix déchirants. Dans le processus d’acceptation de son orientation sexuelle ou de son identité de genre, il y a des périodes sombres et tourmentées. L’envie d’arrêter de souffrir est omniprésente.

À l’âge de 19 ans, j’ai vécu cette détresse qui aurait pu m’amener à poser un geste fatal ou à vivre une thérapie de conversion comme tant d’autres. Le mal-être intérieur était trop grand et la peur du rejet trop profonde. Heureusement, grâce à ma famille et à ma communauté, grâce à mes amis qui ont été là, sans jugement, simplement en m’accompagnant dans mon processus d’acceptation, je suis devant vous aujourd’hui et je suis rempli de gratitude envers celles et ceux qui m’ont aidé.

Aujourd’hui, chers collègues, mes pensées vont vers les victimes de ces thérapies de conversion, celles qui ont survécu et qui ont le courage de témoigner et celles qui, malheureusement, n’ont pas survécu à ces horribles pratiques discriminatoires.

En tant que législateurs, faisons en sorte que tous celles et ceux qui sont confrontés à ces mêmes choix déchirants puissent vivre pleinement et, grâce au projet de loi C-4, assurons-nous que ces personnes ne sont pas dirigées dans des directions ayant des impacts désastreux pour elles.

À quelques jours de la Journée internationale des droits de la personne, je nous invite donc à travailler en collaboration, comme nous savons si bien le faire, pour étudier et adopter le projet de loi C-4 dans les meilleurs délais afin que toutes les personnes vivant dans ce pays puissent être protégées et aimées pour ce qu’elles sont : des êtres humains qui ne demandent qu’à vivre, à aimer, à être heureux et à contribuer à notre société.

Merci. Wela’lin.Meegwetch.

Honorables sénateurs, je souhaite intervenir dans le débat d’aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-4, Loi modifiant le Code criminel (thérapie de conversion).

Je tiens d’abord à remercier le sénateur Cormier, qui parraine ce projet de loi. Il a fait de l’excellent travail à l’égard de l’ancien projet de loi C-6, qui est maintenant devenu le projet de loi C-4. Le sénateur Cormier ainsi que le personnel de son bureau, y compris Marilyse Gosselin, ont déployé des efforts exceptionnels pour que nous puissions tous voir la vision qui sous-tend le projet de loi C-4 se concrétiser. Je vous remercie de votre dévouement. Je remercie également ma propre équipe, y compris Madison Pate-Green, de son soutien et de son excellent travail.

Honorables sénateurs, comme bon nombre d’entre vous, j’ai reçu d’innombrables courriels et appels de la part de Canadiens qui défendent différents points de vue à l’égard de ce projet de loi. Je crois que nous devons entendre tous les points de vue dans le cadre de ce débat. Dans un courriel que j’ai reçu, une personne me demande ce qui suit :

Si ce projet de loi est adopté, des parents seront passibles d’une peine d’emprisonnement de cinq ans pour avoir demandé à un thérapeute de les aider à composer avec les problèmes de dysphorie de genre de leur enfant. [...]

Si ce projet de loi est adopté, des membres de la communauté LGBTQ+ ne pourront pas obtenir l’aide qu’ils désirent. Pendant le débat sur le projet de loi C-6, soit l’ancienne version de ce projet de loi, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a entendu le témoignage de Canadiens appartenant à la communauté LGBTQ+ qui ont expliqué comment la thérapie les ont aidés à comprendre leur identité et à réduire leurs comportements non hétérosexuels. [...]

Les parents, les enseignants et les pasteurs devraient tous pouvoir apporter leur soutien dans la vie d’une jeune personne qui a de la difficulté à composer avec son identité de genre. [...] Les formes néfastes de thérapie de conversion devraient être interdites, mais le projet de loi C-4 ratisse trop large en interdisant à tort les services de counseling chrétiens de même que d’autres services d’aide.

Honorables sénateurs, comme le sénateur Cormier vient de le dire, et comme d’autres aussi le diront, les Canadiens se rendront compte que ce projet de loi ne cherche pas à interdire le dialogue, mais qu’il cherche à interdire des comportements qui causent du tort à certaines personnes. Pourtant, honorables sénateurs, je crois qu’il persiste un doute dans l’esprit de certains Canadiens à savoir si ce projet de loi cherche à empêcher le dialogue. Qu’il leur suffise d’écouter ce que le sénateur Cormier a raconté. Je suis persuadée que lorsque le ministre témoignera au comité, les Canadiens seront assurés qu’il ne s’agit pas d’interdire le dialogue avec les parents et les conseillers, mais qu’il s’agit plutôt d’interdire des actes qui causent du tort à des personnes. À l’instar de ce que nous avons fait pour l’aide médicale à mourir, il nous incombe d’écouter tous les Canadiens à l’échelle du pays, et de prendre en considération ce qu’ils nous disent. Puisque nous en sommes à la deuxième lecture de ce projet de loi, je continuerai à écouter tous les discours de ce débat.

Beaucoup de Canadiens considèrent que les thérapies de conversion reposent sur l’idée que les personnes qui s’identifient autrement qu’hétérosexuelles ou cisgenres — les personnes dont l’identité de genre correspond au sexe attribué à la naissance — ont des problèmes de santé mentale. De nombreuses études indiquent que les enfants qui vivent dans des environnements où ils ne sont pas acceptés comme ils sont, soit des environnements malsains, finissent souvent par avoir des problèmes de santé mentale. Cela peut se manifester de différentes façons, notamment par de l’anxiété, de la dépression et, dans les pires cas où les traumatismes sont les plus graves, le suicide.

David Kinitz, étudiant au doctorat en sciences sociales et comportementales de la santé à l’Université de Toronto, a courageusement accepté de faire connaître son histoire :

Comme je suis un survivant de la thérapie de conversion, je sais d’expérience à quel point elle peut être néfaste. À l’âge de 16 ans, j’ai moi-même décidé de m’inscrire à une thérapie de conversion dans l’espoir d’être « hétéro » et de me comporter de façon plus masculine. Les années précédentes avaient été remplies d’expériences négatives et de pressions hétéronormatives qui m’avaient poussé à croire qu’être queer était incompatible avec la vie dans notre société. Tout cela m’a incité à envisager de changer ma vie, ou, pire, de me suicider.

Si je raconte mon histoire, c’est que je crois qu’aucun jeune ne devrait avoir à subir le même sort que moi et que tellement d’autres.

Il ajoute que les thérapies de conversion devraient être criminalisées.

Aujourd’hui je suis chercheur en santé et je milite pour l’égalité pour la communauté LGBTQ+ en travaillant à un projet dirigé par le socioépidémiologiste Travis Salway, à l’Université Simon Fraser. Le but de l’étude est de comprendre l’expérience vécue par les survivants et de recommander des méthodes de guérison.

Faisant écho au sentiment de David, en 2012, l’Organisation panaméricaine de la santé a conclu qu’il n’existe aucune justification médicale pour cette pratique et que celle-ci menace la santé et les droits de la personne de ceux qui la subissent.

En 2016, l’Association mondiale de psychiatrie aurait conclu qu’« il n’existe aucune preuve scientifique concrète que l’orientation sexuelle innée peut être modifiée ». De plus, selon l’Independent Forensic Expert Group on Conversion Therapy, le fait de proposer une thérapie de conversion est une forme de tromperie, de publicité mensongère et de fraude.

Moins de 25 % des Canadiens croient qu’il est possible de convertir activement une personne LGBTQ+ afin qu’elle devienne hétérosexuelle au moyen d’une intervention psychologique ou spirituelle. Au Canada, c’est chez les femmes qu’on observe le taux d’appui le plus élevé pour l’interdiction des thérapies de conversion, ce taux étant de 62 %. Chez les femmes de 18 à 31 ans, ce taux atteint les 64 %. En 2019, un sondage d’opinion a révélé qu’une majorité de Canadiens, c’est-à-dire trois Canadiens sur cinq, s’opposent aux thérapies de conversion. La même année, le gouvernement fédéral actuel a publiquement demandé à toutes les provinces et à tous les territoires d’interdire cette pratique abominable.

Récemment, un envoyé des Nations unies a cité une enquête mondiale selon laquelle quatre personnes sur cinq ayant subi une thérapie de conversion auraient subi celle-ci avant l’âge de 25 ans et, dans environ la moitié des cas, avant l’âge de 18 ans.

Honorables sénateurs, j’aimerais maintenant vous faire la lecture des aspects des thérapies de conversion qui sont bien trop souvent passés sous silence à cause de la honte et des traumatismes non résolus qu’ils évoquent : coups, viol, nudité forcée, gavage ou privation de nourriture, isolement, confinement, prise de médicaments forcée, violence verbale et humiliation.

En vertu de l’alinéa 37a) de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant :

Nul enfant ne [doit être] soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ni la peine capitale ni l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans;

Honorables sénateurs, je sais que la thérapie de conversion prive les personnes de leurs libertés les plus fondamentales et intrinsèques, qui sont d’être à l’abri de la persécution et de la haine pour ne pas avoir peur d’être soi-même.

Sénateurs, je voudrais vous confier que lorsque nous avons assisté aux audiences sur l’aide médicale à mourir, cela m’a semblé interminable. Tout un tas de personnes sont venues témoigner pour nous expliquer leur point de vue sur ce projet de loi. Lorsque je suis en déplacement au pays, même maintenant, des personnes me disent qu’elles ne sont pas sûres, mais qu’au moins elles étaient aux audiences et se sont fait entendre.

Je pense sincèrement que nous avons besoin d’échanger davantage aujourd’hui dans notre pays. Il nous faut comprendre le point de vue des autres. En coupant court au débat, nous signifions essentiellement à l’autre que nous nous moquons de son avis. Si nous acceptons de discuter, même si nous ne sommes pas d’accord, nous lui accordons la parole.

C’est pourquoi aujourd’hui, honorables sénateurs, je suis ici devant vous à l’étape de la deuxième lecture pour vous demander d’envisager d’envoyer ce projet de loi à un comité afin que ceux qu’il concerne puissent s’exprimer et être entendus. Je vous remercie de votre attention.

L’honorable Leo Housakos (leader suppléant de l’opposition) [ + ]

Honorables sénateurs, le projet de loi C-4 est malheureusement devenu un enjeu politique controversé. Chers collègues, je tiens à signaler que, durant la dernière législature, nous avons reçu le prédécesseur de ce projet de loi la veille de l’ajournement du Parlement par le gouvernement, qui désirait déclencher des élections inutiles. À plusieurs reprises, le gouvernement a dit que la communauté LGBTQ2 revêt une très grande importance pour lui. Elle est si importante pour lui qu’il a pris six ans pour présenter ce projet de loi et qu’il l’a fait à la dernière minute avant que le Parlement mette fin à ses travaux en prévision de l’élection générale.

Je tiens à dire qu’aucun Canadien, qu’il soit membre de la communauté LGBTQ ou de n’importe quelle autre communauté, ne mérite d’être utilisé à des fins politiques ou par opportunisme politique. Ce n’est pas ainsi qu’on fait les choses au Canada.

Je peux dire que la communauté LGBTQ a été entendue. La Chambre des communes l’a entendue. Nous avons vu cette dernière faire ce qui s’impose il y a quelques jours en adoptant à l’unanimité cette mesure législative. Elle a agi ainsi parce qu’elle croyait que c’était dans l’intérêt national.

Chers collègues, des affaires du gouvernement ont déjà été renvoyées aux comités sénatoriaux. Il ne nous reste qu’une semaine avant d’ajourner pour la pause, selon notre habitude. Le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles fait déjà une étude préalable du projet de loi C-3. Comme je l’ai mentionné plus tôt, bon nombre de parlementaires au Sénat souhaitent se pencher sur une série de projets de loi d’initiative parlementaire et de motions.

À mon avis, cette institution doit développer un réflexe : lorsqu’une mesure a un intérêt universel, qu’elle est dans l’intérêt de la population, nous devrions éviter les dédoublements et les débats inutiles. De plus, je pense que nous ne devrions pas faire d’une question un accessoire politique ou l’utiliser pour semer la division. Notre institution devrait travailler à l’unité canadienne.

Par conséquent, honorables sénateurs, je demande le consentement du Sénat pour que le projet de loi soit lu une deuxième fois. Merci, chers collègues.

L’honorable Peter Harder (Son Honneur le Président suppléant) [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

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