Les histoires ignorées et les contributions importantes des Premières Nations, des Métis et des Inuits
Interpellation--Ajournement du débat
20 février 2020
Ayant donné préavis le 10 décembre 2019 :
Qu’il attirera l’attention du Sénat sur les histoires ignorées et les contributions importantes des Premières Nations, des Métis et des Inuits.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour décrire le but de l’interpellation proposée, qui s’intitule « Les histoires ignorées et les contributions importantes des Premières Nations, des Métis et des Inuits ».
Je tiens tout d’abord à reconnaître que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel non cédé des Algonquins et des Anishinaabes.
Honorables collègues, de par leur nature, les interpellations dans cette enceinte permettent aux sénateurs de se prononcer publiquement sur tout sujet qu’ils estiment requérir de l’attention. L’objet de la présente interpellation consiste à révéler l’histoire des Premières Nations, des Métis et des Inuits et leur contribution au développement de la nation que nous appelons le Canada. J’espère que ce discours vous fournira des clarifications, vous inspirera et vous aidera à établir des liens.
Cette interpellation est importante, car elle permettra de mettre l’accent sur les nombreuses personnes autochtones qui sont éclairées, motivées et prospères en dépit des obstacles, et cela même si elles ne jouent pas à armes égales. Grâce à cette interpellation, les Canadiens apprendront que, au fil des années, il y a eu de nombreuses initiatives fructueuses dirigées par des Autochtones dans les domaines du développement commercial et économique, de la médecine, des sports, de la musique, du droit et de l’éducation, et que toutes ces initiatives sont avantageuses tant pour les communautés autochtones que pour le reste de la société canadienne.
Les thèmes abordés incluront les liens entre les traditions autochtones, les cérémonies, les langues, la qualité de vie et son caractère subjectif, le niveau de scolarité et les avantages de la réussite économique, qui permet notamment de combler l’écart en matière d’autodétermination, d’autonomie, d’autosuffisance et de création de la richesse.
Il sera aussi question de la source des stéréotypes qui perdurent à l’égard des peuples autochtones, de l’exclusion continue des systèmes économiques et financiers du pays ainsi que des résultats positifs en dépit de ces désavantages ou en réaction à ceux-ci. À mon avis, ces sujets ont été très largement mis de côté ou négligés. Ils continuent pourtant à colorer, en filigrane, les discussions et les débats de la majorité.
Honorables sénateurs, l’histoire n’est pas perçue de la même façon par tout le monde. Différents milieux façonnent différents points de vue. Lorsqu’un groupe est prospère, d’autres peuvent être freinés dans leur élan. Lorsqu’un groupe envisage l’avenir avec optimisme, d’autres peuvent être plongés dans le désespoir. Lorsqu’un groupe détient tout le pouvoir politique, d’autres peuvent se sentir réprimés. Lorsque l’histoire rapporte la réalité d’un seul groupe, l’expérience des autres est souvent passée sous silence.
Le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones nous a appris que les colons et les communautés autochtones ont différentes façons de voir l’histoire. À la section 3 de la première partie du volume 1, intitulée « Les conceptions de l’histoire », il est indiqué que l’histoire autochtone se transmet traditionnellement à l’oral et qu’elle emprunte une perspective qui n’est pas linéaire ni statique. On a recours à des techniques narratives qui ne racontent pas nécessairement les événements en ordre chronologique. Il est aussi possible d’intégrer une histoire au sein de l’histoire principale pour ajouter la morale ou d’utiliser des événements dynamiques plutôt que statiques pour illustrer une transition.
De plus, l’histoire racontée par les aînés peut être employée pour illustrer des leçons, pour communiquer et enseigner des valeurs culturelles ou confirmer des relations avec le Créateur, les mondes physique et spirituel en général.
Les Autochtones ne présentent pas du tout l’histoire comme le font les pays de l’Europe occidentale, qui, eux, présentent une série d’événements linéaires immuables dans le but de transmettre une information qu’ils veulent objective et factuelle.
Voilà qui m’amène à la nécessité de cette interpellation. Le gouvernement ayant tenté d’assimiler les peuples autochtones, de les obliger à adopter un mode de vie occidental, leur histoire s’est en grande partie perdue ou a été mise de côté. On s’attendait en fait à ce que les peuples autochtones acceptent la version de l’histoire de l’Europe occidentale, une version qui n’avait été ni écrite ni transmise par eux, mais écrite pour eux dans le seul but de les amener de force vers un avenir et un mode de vie qui ne seraient pas les leurs.
Les effets de l’assimilation sont résumés dans le 15e rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones présenté pendant la 42e législature, intitulé « Comment en sommes-nous arrivés là? Un regard franc et concis sur l’histoire de la relation entre les peuples autochtones et le Canada ».
Le comité écrit dans ce rapport :
L’assimilation a eu des répercussions différentes sur les Autochtones, selon la région où ils habitaient et la relation qu’ils entretenaient avec la Couronne. Toutefois, les déplacements et la dépossession ont été particulièrement dommageables pour toutes les communautés, étant donné l’importance de la terre comme source d’identité, de spiritualité, de gouvernance et de subsistance. Ces politiques et la perte de terres ont laissé des séquelles intergénérationnelles complexes qui perdurent dans de nombreuses communautés autochtones à ce jour. Elles ont notamment entraîné des disparités dans des domaines tels que la santé et l’éducation ainsi qu’une surreprésentation des peuples autochtones dans les services de protection de la jeunesse et le système de justice pénale.
Honorables collègues, la réconciliation a été décrite comme le processus à mettre en œuvre pour remédier à nombre de problèmes, et surtout, aux conséquences négatives de l’assimilation. La réconciliation est définie de bien des façons. Dans le contexte de la relation entre les Autochtones et la Couronne, il s’agit de reconnaître que, pendant 100 ans, des enfants et des jeunes ont été enlevés de force et placés dans les pensionnats indiens afin d’éliminer d’abord les cultures des Premières Nations, mais aussi celles des Métis et des Inuits par la même occasion. Le but de la réconciliation est de nous amener à travailler ensemble pour que nous puissions bâtir une relation fondée sur le respect mutuel afin d’assurer à tous un avenir prospère où personne n’est laissé pour compte.
Pour continuer de promouvoir la réconciliation, nous devons examiner, évaluer et comprendre les effets d’une foule de facteurs historiques sur les multiples réalités, expériences et croyances des Autochtones et des non-Autochtones d’aujourd’hui. Nous devons examiner, évaluer et comprendre les leçons retenues et avancer ensemble.
Jusqu’à présent, la plupart des efforts de réconciliation ont consisté à persuader le gouvernement de reconnaître son rôle dans les violations des droits de la personne que les peuples autochtones ont systématiquement endurées pendant des générations. Les appels à l’action proposés par la Commission de vérité et réconciliation en 2015 nous servent de guide. Parmi les appels à l’action, on retrouve les recommandations maintes fois répétées visant à faire connaître aux Canadiens l’histoire et l’héritage des pensionnats, des traités, du droit autochtone et des relations entre les Autochtones et la Couronne.
Comprendre les effets de l’éloignement forcé des enfants de leur famille et de leur communauté, de la perte de leur langue et de leur culture, au nom du progrès ou de l’assimilation, exigera un effort soutenu et déterminé. Cette enquête se veut une contribution aux efforts collectifs déployés pour répondre aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.
Aujourd’hui, honorables sénateurs, je commencerai par aborder le sujet de l’exclusion économique. Le plus grand défi auquel font face de nombreuses communautés et entreprises autochtones est de devoir contempler les possibilités de l’extérieur. Trop de collectivités et de personnes autochtones doivent encore surmonter des obstacles qui empêchent leur participation — des obstacles uniques, allant d’une qualité de vie médiocre avec peu ou pas d’espoir aux stéréotypes, en passant par l’exclusion pure et simple, l’absence de sentiment d’appartenance et une attitude réservée découlant du fait que pendant des générations, les gens se contentaient de leur sort.
Ceux d’entre nous qui ont une formation commerciale savent que les entreprises fonctionnent mieux dans un marché libre où la concurrence détermine qui est le plus efficace pour fournir des services et des biens de la manière la meilleure, la plus rapide et la plus économique. Les entreprises doivent également composer avec d’autres critères, notamment la disponibilité de la main-d’œuvre, l’abordabilité des biens immobiliers, la négociation de l’environnement fiscal et réglementaire, l’obtention de technologies de pointe en matière d’information et de communication, les réseaux de transport, la recherche et l’innovation, etc.
Le développement économique constitue aussi un enjeu complexe. Il exige, lui aussi, l’existence d’une vision commune ainsi que, dans bien des cas, l’engagement et la collaboration de trois échelons supérieurs de gouvernement; des consultations poussées menées auprès d’une vaste communauté; une planification et un travail qui tiennent compte des contraintes financières et sociales; et la nécessité de faire preuve de souplesse et de s’adapter à des variables changeantes, par exemple les énoncés de politiques, les considérations politiques, de même que les ressources limitées mentionnées plus tôt.
Quand on se fonde sur les principes du commerce et du développement économique pour examiner l’expérience des peuples autochtones qui réussissaient, il y a déjà longtemps, à s’épanouir dans un climat très rigoureux tout en collaborant ou en se faisant concurrence les uns les autres, on voit que la notion de mercantilisme et le sens de l’initiative socioéconomique ne leur étaient pas étrangers.
Ils ont su surmonter les défis et s’épanouir dans ce climat physique et social pendant des milliers d’années, bien avant l’arrivée des explorateurs et des colons; faire du commerce avec les explorateurs; se battre aux côtés des Britanniques et des Français; leur apprendre à survivre dans un climat et un territoire peu hospitaliers auxquels la plupart d’entre eux étaient mal préparés. Chers collègues, cette période de l’histoire devrait suffire, à elle seule, à déboulonner le mythe voulant que les peuples autochtones soient incapables de participer à la société.
Ce mythe, qui perdure encore aujourd’hui, fait obstacle à la réalisation d’un programme économique plus large, qui profiterait à tous les Canadiens. Il sert d’excuse pour continuer d’exclure les Autochtones des décisions qui touchent directement leurs communautés, leurs familles et leur subsistance, de même que leur autodétermination, leur autonomie, leur autosuffisance et l’accroissement de leur richesse.
La traite des fourrures et la pêche ont largement enrichi les entreprises européennes au Canada, alors qu’elles reposaient presque exclusivement sur les connaissances des Autochtones, des Métis et des Inuits en matière de pêche, de chasse et de piégeage, sans parler de leurs techniques de survie, de leur capacité à s’orienter dans des contrées sauvages, de leur maîtrise de plusieurs langues et de leurs talents de négociateurs, forgés au fil des relations économiques complexes entre différentes cultures. Ces attributs ne tarderont pas à menacer les colons dans leurs aspirations en matière de domination, de propriété foncière et de mercantilisme.
La Compagnie de la Baie d’Hudson a reçu sa première charte de la Couronne britannique en 1670. Pendant près de deux siècles, elle et ses concurrents ont fait le commerce de la fourrure avec les peuples autochtones de l’intérieur de l’Amérique du Nord, établissant ainsi des protocoles particuliers pour cimenter leurs liens commerciaux et diplomatiques. Voyant cela, les premiers gouvernements coloniaux ont commencé à réorienter leur politique économique de façon à exclure les peuples autochtones afin de démanteler ces systèmes économiques complexes et fructueux, souvent par l’entremise de politiques sociales. Lorsque cette stratégie a échoué, ils ont employé la force dans le but de donner un avantage aux colons et à la Couronne.
En 1871, lorsque la traite des fourrures a perdu de sa rentabilité et que l’agriculture est devenue essentielle à la colonisation de l’Ouest, les traités numéros 1 et 2 ont vu le jour.
Les traités visaient à faciliter à la fois la colonisation de l’Ouest et l’assimilation des Premières Nations à une société eurocanadienne en obligeant les peuples visés par les traités à accepter un avenir et un mode de vie qui ne sont pas les leurs. Malheureusement, les dirigeants des Premières Nations ont commis l’erreur de voir les traités comme un moyen de défendre et de protéger leurs terres ancestrales et leurs moyens de subsistance traditionnels tout en obtenant de l’aide pour faire la transition vers un nouveau mode de vie.
Les traités 1 et 2 incarnent ces objectifs divergents et laissent derrière eux une foule de questions non résolues en raison des différences d’interprétation entre les Premières Nations et les Eurocanadiens. Si l’on étudie ces traités, on constate qu’ils servent d’ententes de non-concurrence au profit du Dominion et des colons européens. Ils prévoient que les communautés autochtones recevront une compensation en échange de leur exclusion du marché dans les secteurs économiques florissants de la pêche, de l’agriculture, de la chasse, de l’élevage, de l’extraction des ressources et des banques.
Sénateur Klyne, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?
Oui, s’il vous plaît.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Les Premières Nations allaient être déplacées sur des terres qui leur étaient réservées. Cependant, pour la plupart des bandes, ces terres étaient éloignées et moins fertiles, ce qui nuisait à la capacité des Premières Nations de participer à la croissance économique du pays. Le caractère désavantageux de cette situation est aussi perceptible dans la transcription du Traité no 1, qui prévoit ce qui suit :
Tant que ces terres ne seront pas requises, vous serez libres d’y chasser et de les utiliser entièrement comme dans le passé. Mais lorsque ces terres seront nécessaires pour être labourées ou occupées, leur accès vous sera interdit.
Les Premières Nations ne s’attendaient pas à ce que ces accords soient pour elles aussi difficiles à accepter, mais ils ne les ont pas découragées au point d’éliminer ou d’émousser leur volonté d’atteindre l’autodétermination et l’autosuffisance. Lorsqu’il est devenu évident que l’émancipation prévue aux termes de l’Acte pour encourager la civilisation graduelle n’atteignait pas les résultats souhaités, le gouvernement a poussé son contrôle un peu plus loin en promulguant la Loi sur les Indiens en 1876. Au lieu de bénéficier d’une relation de nation à nation, comme le prévoyaient à l’origine la Proclamation royale de 1763 et les traités, les membres des Premières Nations et les Inuits sont devenus des pupilles de l’État et étaient considérés par le gouvernement au même titre que les prisonniers et les enfants.
Quatre ans plus tard, en 1880, ces efforts se sont intensifiés avec un amendement de la Loi sur les Indiens ajoutant l’émancipation obligatoire des Autochtones qui obtenaient un diplôme universitaire ou qui devenaient membres du clergé. Ainsi, un membre d’une bande devait y penser à deux fois avant de choisir de faire des études et ainsi renoncer aux droits garantis par les traités.
Le but ultime de l’émancipation — qui entraînait la perte des droits et des avantages conférés par le statut — était d’encourager l’assimilation et de réduire le nombre de personnes dont le gouvernement fédéral était financièrement responsable. Ce fut un échec. Les politiques des divers gouvernements désavantagent la majorité des Autochtones qui souhaitent lancer leur propre entreprise ou se préparer pour réussir à obtenir un emploi de qualité dans l’économie générale.
Mon prochain discours, que j’ai intitulé « Les contributions économiques des peuples autochtones au développement du Canada, Partie I » sera ma première contribution substantielle à la présente interpellation. Il traitera du rôle important de l’indépendance économique, en mettant l’accent sur les politiques du passé et les réalités actuelles. J’ai l’intention de présenter des exemples de projets de développement économique où, même si les chances étaient minces, les communautés autochtones ont réussi à devenir autonomes et à participer avec succès à l’économie générale, tout en protégeant, en incluant et en pratiquant leurs traditions et leurs cérémonies.
Chers collègues, j’invite chacun d’entre vous à me faire part de tout renseignement concernant les histoires ignorées et les contributions importantes des peuples autochtones du Canada.
Je vous remercie, honorables sénateurs, de l’intérêt que vous portez à cette interpellation et aux précieuses contributions que vous apporterez peut-être pour faire connaître ces histoires.