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Projet de loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu

Troisième lecture--Suite du débat

15 mai 2019


L’honorable Bev Busson [ + ]

Honorables sénateurs, c’est un privilège pour moi de m’adresser à vous aujourd’hui pour donner mon appui au projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu. Selon moi, il s’agit d’un projet de loi important qui tombe à point nommé, car dans le monde où nous vivons, la sécurité n’a jamais eu autant de valeur. C’est d’autant plus vrai qu’à bien des endroits, elle est aussi précaire.

À lui seul, ce projet de loi ne résoudra pas le problème de la violence liée aux armes à feu et ne mettra pas le crime organisé hors jeu. Il n’empêchera probablement même pas les armes à feu de proliférer, mais à mon humble avis, il s’agit à n’en pas douter d’un pas dans la bonne direction. Il constitue également un moyen respectueux et sensé de nous rapprocher de l’équilibre entre les droits et responsabilités des propriétaires d’armes à feu et la nécessité de réglementer la possession d’armes à feu de la manière la moins intrusive possible.

À bien des égards, la culture canadienne est intrinsèquement liée à celle de nos voisins du Sud : nous regardons les mêmes films, nous écoutons la même musique, et cætera. Cela dit, s’il y a un dossier où notre attitude tranche avec celle des Américains, c’est celui des armes à feu. La façon de voir unique du Canada est directement liée à son histoire et à sa Constitution. La Cour suprême du Canada a en effet conclu que la possession d’armes à feu est un privilège et non un droit et que le second amendement de la Constitution des États-Unis, qui porte sur le droit de s’armer, n’a pas sa place dans le paysage constitutionnel canadien.

J’ose espérer que, grâce à ce projet de loi, les Canadiens laisseront quelque chose de mieux aux générations suivantes et qu’ils prendront conscience des conséquences indésirables qui peuvent survenir quand les armes à feu prennent trop de place dans la culture d’un pays.

J’ai grandi avec des armes à feu et mes parents chassaient ensemble, bien que la question de savoir qui était le meilleur tireur constituait toujours une pomme de discorde. J’aime aussi le tir à la cible et la joie que me procure un score parfait — d’accord, cela s’est peut-être produit une seule fois — et je respecte les gens qui aiment cette activité.

À titre d’ancienne agente de la paix, de mère d’un policier, de grand-mère et de citoyenne engagée, j’appuie le projet de loi parce que je crois qu’il est sensé. Toute mesure législative qui a pour effet d’accroître l’efficacité des policiers et, par association, la sécurité des citoyens du Canada, mérite d’être examinée. C’est ce que fait le projet de loi. Il réglemente plus strictement le transport des armes à autorisation restreinte d’un endroit à un autre. Il exige ainsi des propriétaires d’armes à feu qu’ils agissent responsablement en rendant des comptes et en faisant preuve de prudence. Bien sûr, c’est déjà ce que font la majorité des propriétaires légitimes d’armes à feu.

Tout permis, y compris le permis de conduire, est soumis à des règlements et assorti de responsabilités.

Ajoutons un peu de contexte. Avant 2015, sauf pour aller au champ de tir, une personne devait obtenir une autorisation de transport pour aller où que ce soit avec son arme. Ce n’était pas automatique. Les armes à feu doivent être traitées avec attention et respect, et les personnes qui en sont propriétaires sont tenues responsables de leur utilisation, de leur transport ou de leur entreposage dans un lieu sûr.

Entre autres problèmes, des règles moins strictes en matière de transport permettraient à des personnes qui détiennent un permis de possession et d’acquisition valide de servir plus facilement d’intermédiaire, c’est-à-dire d’acheter une arme à feu, de la transporter et puis de la vendre légalement à quelqu’un qui utiliserait cette arme à des fins ignobles. En Colombie-Britannique, un seul trafiquant aurait réussi à empocher environ 100 000 $ en utilisant un permis de possession et d’acquisition valide pour acheter des armes à feu et les revendre à des membres de gangs. Le cran de sûreté était enclenché, l’arme n’était pas chargée et elle était même emballée pour la livraison, comme l’exige la loi. Il reste que ces armes posaient un danger pour la population.

Ne vous méprenez pas : le projet de loi ne vise pas les propriétaires légitimes d’armes à feu. Vous ne serez probablement pas étonnés d’apprendre que les nombreuses vérifications effectuées par la police ne sont pas aléatoires ni accidentelles. Les décisions à cet égard sont fondées sur les preuves et les renseignements recueillis dans le cadre d’enquêtes sur des crimes graves, ainsi qu’auprès d’informateurs et d’autres sources. La police a besoin d’outils que la loi l’autorise à utiliser pour saisir des armes trouvées au cours de ces enquêtes.

Dans son témoignage devant le comité, le représentant de l’Association canadienne des chefs de police a ajouté que la loi actuelle contient des zones grises, qui permettent à des gens de transporter dans leur véhicule une arme à autorisation restreinte ou prohibée en toute légalité et pendant de longues périodes. Sur les plans personnel et professionnel, je trouve que c’est inacceptable.

Divers témoins ayant différents points de vue ont aussi parlé des articles 16 et 18, qui visent à remettre entre les mains des experts de la GRC la responsabilité de classifier les armes à feu ou de les faire passer de la catégorie des armes à autorisation restreinte et à celle des armes prohibées. Compte tenu de son mandat, qui consiste à assurer la sécurité des Canadiens, la GRC est chargée de protéger les Canadiens, et je pense qu’il est tout à fait approprié qu’elle recouvre cette responsabilité aux termes du projet de loi C-71. Je crois que le maintien de cette fonction de reclassification entre les mains du gouverneur en conseil reviendrait à confier la prise de décisions aux politiciens plutôt qu’aux experts, qui ont reçu la formation professionnelle nécessaire à cet égard.

Je vous ai dit ce que j’en pensais d’un point de vue policier, mais il y en a d’autres. Je m’inquiète en effet énormément des effets physiques et psychologiques de la violence armée à la fois sur les victimes, les premiers répondants et le personnel soignant qui arrivent sur la scène de l’incident. Une vérification plus rigoureuse des antécédents permettrait de prévenir bien des tragédies. Je ne vous choquerai pas davantage en vous décrivant certaines scènes horribles d’homicide et de suicide que j’ai vues dans ma carrière et où des armes à feu avaient été utilisées. Vous pouvez vous-même imaginer le carnage.

Le problème des maladies mentales s’aggrave dans notre pays. Selon les statistiques, le fait qu’une personne souffrant de maladie mentale puisse avoir accès à une arme à feu augmente le risque d’utilisation de cette dernière dans un acte de violence susceptible de mettre en danger non seulement la personne elle-même, mais aussi son entourage.

Les opposants au projet de loi affirment qu’une arme à feu n’est qu’une arme parmi d’autres et que si on ne peut pas s’en procurer, on utilisera un couteau, un bâton de baseball ou tout autre objet. C’est peut-être vrai, mais l’une des personnes qui ont témoigné au comité sénatorial à l’occasion de l’examen du projet de loi a expliqué que dans un tel scénario, aucun enfant n’a jamais été tué dans une cour de récréation avec un bâton de baseball ou un couteau. De par leur puissance et leur portée, les armes à feu sont tout simplement beaucoup plus dangereuses et mortelles que n’importe quelle autre arme.

Un autre article visant à accroître la sécurité publique porte sur l’élargissement de la portée de la vérification des antécédents : on peut actuellement remonter à un maximum de cinq ans, mais on pourra désormais remonter plus loin. Le monde a changé. N’est-ce pas suffisant d’apprendre qu’il existe un plan d’action et d’évacuation en cas de fusillade dans la plupart des écoles au Canada? Il n’y a tout simplement pas de mots pour exprimer la terreur que suscite ne serait-ce que l’idée d’une telle éventualité. Par conséquent, nous devons changer notre mode de pensée à l’égard des lois sur les armes à feu.

Approfondir la vérification des antécédents fera ressortir davantage de renseignements, ce qui donnera de meilleures chances d’intervenir et, ce faisant, de réduire le nombre de tragédies causées par un tireur actif, et écartera le terrible spectre du suicide et de la violence familiale impliquant des armes à feu.

Selon Statistique Canada, le suicide était la neuvième cause de mortalité au Canada en importance en 2016 : 3 978 personnes en tout se sont suicidées cette année-là.

En 2016, 723 personnes sont mortes au Canada des suites de blessures causées par une arme à feu. Parmi ces décès, 75 p. 100 étaient des suicides, 19 p. 100 étaient des homicides et 2 p. 100 ont été qualifiés d’accidentels.

Selon une source, la présence d’une arme à feu à la maison multiplie par cinq le risque de suicide et elle augmente le risque d’homicide en milieu familial et d’accidents. De plus, ce mémoire indique que, dans une grande partie des suicides par arme à feu, celle-ci n’appartenait pas à la victime. Par conséquent, les mesures de contrôle de l’accès aux armes à feu protègent non seulement les propriétaires d’armes à feu, mais aussi leur entourage.

Au sujet de la violence familiale, une lettre adressée au Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes dit ceci :

Lorsqu’on détermine le risque de violence familiale et domestique, les armes à feu restent le facteur unique de létalité le plus important [...]

Le contexte de menace continue d’évoluer, comme le montre en particulier le nombre de fusillades de masse survenues dans le monde. Tout comme les Néo-Zélandais encore récemment, nous pensions que notre culture, la culture canadienne, nous immunisait contre ce genre de tragédie. Malheureusement, celles de l’École polytechnique, de Mayerthorpe, de Moncton et de Danforth, pour n’en nommer que quelques-unes, nous rappellent que nous devons être plus résolus à éviter d’autres tragédies et repérer plus tôt toute menace émergente ou imminente de violence avec des armes à feu.

Le projet de loi exige également des fournisseurs de consigner le nom et l’adresse de tout acheteur d’arme. La plupart des détaillants le font déjà. Je vous rappelle que la police aurait besoin d’un mandat pour obtenir ces renseignements dans le cadre d’une enquête. Je donne mon nom, mon adresse et bien d’autres renseignements lorsque j’achète une voiture ou même un réfrigérateur. J’estime donc que cette partie du projet de loi n’est pas exagérément intrusive.

L’article 7 exige que soient recueillis et conservés certains renseignements personnels qui permettraient à la police, avec une autorisation judiciaire, de retracer des armes à feu utilisées lors de crimes. Devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, un représentant de l’Association canadienne des chefs de police a déclaré :

Relativement à la tenue des dossiers par les vendeurs, je dirai que la majorité des entreprises de bonne réputation ont déjà mis cette pratique en place pour satisfaire à leurs propres besoins. Depuis l’abolition du registre des armes d’épaule, la police a été, pour ainsi dire, aveugle au nombre de transactions en matière d’armes à feu sans restriction effectuées par tout particulier titulaire d’un permis. L’absence de tels dossiers élimine pratiquement la capacité de la police de repérer le dernier propriétaire d’une arme à feu sans restriction utilisée pour commettre un délit.

Il ne s’agit pas d’un registre des armes à feu, mais d’une pratique commerciale normale, comme la tenue de tout autre dossier professionnel. Par ailleurs, seuls des policiers ayant des mandats de perquisition autorisés par les tribunaux y auraient accès.

En terminant, la Cour suprême du Canada a confirmé que la possession et l’utilisation d’armes à feu ne constituent pas un droit que garantit la Charte des droits et libertés, mais un privilège.

Honorables sénateurs, je vous exhorte à appuyer ce projet de loi et j’espère que vous tiendrez compte de mes commentaires et de ceux de mes collègues qui ont parlé avant moi en faveur du projet de loi C-71. Ce projet de loi nous permettra de répondre aux inquiétudes ressenties partout au Canada et d’éviter de suivre une voie différente et plus permissive, une voie qui comporte de nombreuses complications tragiques et qui, à mon avis, ne sert pas l’intérêt public.

Nous devons nous efforcer de trouver un équilibre entre le droit indisputable à la sécurité de sa personne et le privilège de posséder une arme. Je soutiens humblement que le projet de loi C-71 permet d’avancer vers cet équilibre. Donc, honorables sénateurs, prenant en considération à la fois mon expérience de policière et ma préoccupation à l’égard des générations futures, je vous encourage à appuyer le projet de loi C-71.

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu.

Je vais m’exprimer en faveur du projet de loi C-71, non parce que je crois que c’est la meilleure mesure législative pour régler efficacement les questions de santé publique liées aux morts causées par des armes à feu, mais parce qu’il représente un petit pas — et, à mon avis, un pas plutôt hésitant — vers l’amélioration de la sécurité des Canadiens.

Mon intervention reposera à la fois sur mon expérience professionnelle et sur mon expérience personnelle. Je me concentrerai sur le lien entre les armes à feu et le suicide. Il s’agit d’une préoccupation importante qui, selon moi, aurait dû faire l’objet d’un examen plus approfondi pendant l’étude du projet de loi au comité. C’est un lien que beaucoup de Canadiens ne comprennent pas bien.

Je suppose que tous les sénateurs ont été touchés, d’une façon ou d’une autre, par le suicide. Je suis conscient que mon intervention pourrait raviver de douloureux souvenirs. J’aimerais qu’il en soit autrement.

J’ai consacré ma vie professionnelle à la promotion de la santé mentale et au traitement de la maladie mentale. Cette vocation m’a fait on ne peut mieux comprendre les conséquences tragiques du suicide. C’est un événement tragique pour les parents, les familles et les collectivités.

Cependant, mon expérience professionnelle par rapport au suicide n’était rien en comparaison de mon vécu personnel. En effet, mon très cher oncle, qui était un banquier compétent et très prospère, qui était père de deux enfants extraordinaires, dont le mariage était rempli d’amour et qui avait survécu au chaos de la Seconde Guerre mondiale dans son adolescence, s’est enlevé la vie.

Tous ceux qui le connaissaient n’auraient jamais pu s’attendre à ce qu’il meure de cette façon. Si une diseuse de bonne aventure lui avait dit qu’il allait se suicider, je suis convaincu qu’il n’en aurait pas cru un mot, comme tous ceux qui le connaissaient. Comme d’autres familles, la nôtre s’est demandé ce qui expliquait ce geste, mais sans obtenir de réponse claire ou satisfaisante.

À titre de psychiatre, j’ai décidé que l’étude de la prévention du suicide et l’application de ces connaissances seraient une composante essentielle de mes recherches et de mon travail clinique. Je vous parlerai aujourd’hui des incidences que le projet de loi C-71 pourrait avoir sur les décès par suicide causés par une arme à feu, en me fondant à la fois sur mon expertise professionnelle et mon expérience personnelle.

Au Canada, 75 p. 100 des décès par arme à feu sont des suicides. De 2000 à 2016, parmi les 12 692 décès causés par une arme à feu au pays, près de 10 000 étaient des suicides. C’est donc dire qu’au chapitre des décès par arme à feu, ce sont les suicides, et non les homicides, qui représentent notre principal défi.

Une personne qui tente de se suicider choisit de poser ce geste parce qu’il causera sa mort. Beaucoup de Canadiens ne savent toutefois pas que la plupart des tentatives de suicide ne se soldent pas par un décès. Dans les faits, environ 90 p. 100 des personnes qui tentent de se suicider n’en meurent pas, une proportion à la fois étonnante et d’une immense importance, qui soulève une question cruciale : parmi les gens qui tentent de se suicider, quelle est la différence entre ceux qui meurent et ceux qui ne meurent pas?

La différence tient principalement à la létalité de la méthode choisie. Plus la méthode est létale, plus la mort est probable.

Les armes à feu sont des machines à tuer très efficaces. Alors qu’elles sont utilisées dans moins de 5 p. 100 des tentatives de suicide, elles causent 30 p. 100 des décès par suicide. Si une personne qui tente de se suicider utilise une arme à feu, il est probable qu’elle mourra.

En outre, il est important de comprendre qu’une tentative de suicide est souvent un acte impulsif. Le contrôle qu’exerce le cerveau humain sur le comportement est un mécanisme complexe, mais, en gros, il fait appel à deux systèmes de prise de décision. L’un réagit rapidement à une pensée ou à un événement, et l’autre réagit plus lentement. Le premier génère des gestes impulsifs, et l’autre, des gestes réfléchis.

En général, la composante réfléchie l’emporte sur la composante impulsive. Parfois — habituellement dans un contexte de stress émotionnel extrême, comme dans le cas d’une dépression ou d’un épisode psychotique où les capacités cognitives sont diminuées, ou sous l’influence de substances comme l’alcool ou des drogues —, cette modulation ne se produit pas.

Résultat : on pose des gestes impulsifs comme une tentative de suicide. C’est ce qu’on appelle une crise suicidaire. Les données montrent que, en moyenne, environ la moitié des tentatives de suicide sont des actes impulsifs. Environ 25 p. 100 d’entre elles surviennent dans les cinq minutes suivant la pensée initiale. Environ 70 p. 100 surviennent dans l’heure qui suit la pensée initiale. L’apparition d’une crise suicidaire est souvent immédiatement suivie d’une tentative de suicide.

Voilà pourquoi il faut tenir compte de la létalité.

Si une arme à feu est disponible durant une crise suicidaire, le geste impulsif ne laisse pas de temps pour la réflexion. L’arme à feu est utilisée, et la mort est probable. Si aucune arme à feu n’est disponible et qu’une autre méthode est choisie — l’ingestion de pilules, par exemple —, la mort n’est pas probable.

Environ 5 p. 100 des suicides commis au moyen d’une arme à feu ont lieu dans des foyers où il n’y a aucune arme. En comparaison, près de 80 p. 100 des suicides commis au moyen d’une arme à feu ont lieu dans des foyers où une arme est présente. C’est le fait de vivre dans une maison où se trouve une arme qui est problématique, et non le fait d’en posséder une. Dans certains cas, la personne qui se suicide est un membre de la famille du propriétaire de l’arme, parfois même son enfant. D’ailleurs, comme je vous l’ai montré en vous racontant l’histoire de mon oncle, il est extrêmement difficile, voire impossible, de prédire quel membre de notre famille risque de s’enlever la vie et à quel moment cela se produira.

Dans ma vie professionnelle, chaque fois que je menais une évaluation des risques de suicide, je demandais toujours si des armes à feu se trouvaient dans la maison. Souvent, cette question a soulevé une préoccupation que les parents n’avaient pas envisagée. Des parents aimants et attentionnés — des gens qui voulaient que leurs enfants vivent et s’épanouissent — n’étaient pas conscients que la présence d’une arme à feu chez eux rendait leur enfant plus susceptible de mourir. Cette idée ne leur avait jamais traversé l’esprit. Ils n’étaient pas conscients du lien qui existait entre les armes à feu et le suicide.

À l’échelle mondiale, le poids des meilleures données scientifiques disponibles confirme que des mesures comme l’amélioration de la surveillance et de la réglementation des armes à feu sauvent des vies.

Des études de nombreux pays différents utilisant différentes méthodes de recherche parviennent sans cesse aux mêmes conclusions. Les interventions qui contrôlent l’accès aux armes à feu, y compris une vérification des antécédents comme celle prévue dans le projet de loi C-71, ainsi que des règlements plus stricts régissant l’utilisation des armes à feu, sont associés à des taux de suicide inférieurs.

Il est également évident que la substitution de méthode ne mène pas à des taux de décès semblables. Si l’on rend plus difficile l’accès aux moyens de suicide les plus mortels, cela sauve des vies.

Il est évident que le poids considérable des meilleures preuves disponibles montre qu’il existe un lien entre les armes à feu et le suicide et qu’une meilleure surveillance des armes à feu entraîne des taux de suicide par arme à feu considérablement inférieurs, de même qu’une proportion inférieure des suicides exécutés au moyen d’une arme à feu.

Par conséquent, il est raisonnable que nous considérions le projet de loi C-71 comme un pas en avant, si modeste soit-il, pour améliorer la sécurité des Canadiens dans l’optique du lien entre les armes à feu et le suicide.

Il existe de nombreuses façons d’améliorer notre surveillance des armes pour aider à réduire les taux de suicide par arme à feu et, ce faisant, à réduire les taux globaux de suicide. L’une de ces façons consiste à prendre des règlements réfléchis.

À ce moment-ci, j’aimerais, en particulier, faire deux suggestions qui, je crois, pourraient améliorer la situation à l’avenir. Elles sont fondées sur mon expérience professionnelle ainsi que sur mon étude des armes à feu et du suicide.

En plus d’un meilleur contrôle des armes à feu, la communication aux propriétaires d’armes à feu de meilleurs renseignements sur la façon de réduire les risques de suicide pourrait contribuer à la prévention des suicides commis au moyen d’armes à feu. Selon moi, il est impératif que des informations sur les risques de suicide et les armes à feu soient offertes à tous les propriétaires d’armes à feu.

Ma première suggestion concerne le permis de possession et d’acquisition et le processus pour l’obtenir. Présentement, le futur propriétaire d’une arme à feu doit acquérir différentes connaissances relatives entre autres à l’utilisation d’une arme à feu, aux composantes d’une arme à feu et aux responsabilités d’un propriétaire d’arme à feu.

Il n’y a absolument rien sur la prévention des suicides liés aux armes à feu. Je crois que nous aurions l’occasion d’ajouter un chapitre qui pourrait sauver des vies.

C’est pourquoi je propose que le cours d’éducation et de formation pour l’obtention du permis de possession et d’acquisition soit modifié de façon à inclure des renseignements sur les liens entre les armes à feu et le suicide et sur la façon de reconnaître une personne en détresse et de l’aider.

Ensuite, je propose que, dès qu’il y a cession de la possession d’une arme à feu, le cessionnaire soit tenu de communiquer des renseignements précis concernant le risque accru de suicide qu’amène la possession d’une arme à feu.

Son Honneur le Président [ + ]

Je suis désolé de vous interrompre. Comme il est maintenant 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je dois quitter le fauteuil, à moins qu’il soit entendu que nous ne tiendrons pas compte de l’heure.

Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Ces deux suggestions pourraient réduire le nombre de suicides commis avec une arme à feu.

À ma grande surprise, une fois que j’ai proposé cette idée, mon personnel a découvert qu’elle n’était pas nouvelle. De telles initiatives existent déjà et reçoivent un certain appui par l’entremise de mouvements populaires aux États-Unis. Au Colorado, le CO Gun Shop Project collabore avec les détaillants, les propriétaires de champ de tir et les instructeurs de cours sur la sécurité pour introduire de l’information sur la prévention du suicide. Le New Hampshire a un projet semblable qui distribue de la documentation, mise au point par et pour les détaillants d’armes à feu et les propriétaires de champ de tir, sur les façons de prévenir les suicides commis avec une arme à feu.

Réduire le risque de préjudice au moyen de formations et de mesures législatives est une méthode éprouvée pour accroître la sécurité des citoyens.

Honorables sénateurs, peu importe notre rapport aux armes à feu, nous devons utiliser nos connaissances sur le lien entre les armes à feu et le suicide pour guider nos délibérations. Nous devons faire preuve de compassion et de mesure pour remplir ce devoir le mieux possible.

Nous devons aussi réfléchir à notre expérience personnelle de la tragédie qu’est le suicide, et l’utiliser pour orienter nos prises de décision.

Le suicide est un important problème de santé publique. Il frappe toutes les collectivités et touche la vie de beaucoup de gens. Nous devons contribuer à réduire les taux de suicide, notamment en encadrant mieux les armes à feu. À mon avis, le projet de loi C-71 peut faire partie de la discussion plus large qui doit avoir lieu au pays. Ce n’est qu’un élément de ce qui doit être fait, mais c’est un aspect essentiel.

C’est une façon de faire du Canada un pays plus sécuritaire. D’ailleurs, honorables sénateurs, nous avons, en tant que législateurs, le devoir d’assurer la sécurité de nos concitoyens.

Je vous invite à vous joindre à moi pour appuyer le projet de loi C-71. Merci.

L’honorable Jean-Guy Dagenais [ + ]

Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu au Canada. Je tiens à préciser d’emblée que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a examiné à fond presque tous les aspects de ce projet de loi et a fait un travail sérieux qui mérite d’être souligné. Les sénateurs qui siègent au comité ont entendu de nombreux témoins qui ont abordé tous les éléments du texte et livré des témoignages passionnés grâce auxquels il nous est permis d’affirmer que le gouvernement se doit de participer à la réduction de la violence par les armes à feu. Toutefois, la plupart des témoins ont aussi parlé de l’efficacité des mesures que le gouvernement applique en matière d’armes à feu. Je crois que la plupart d’entre eux — et la plupart des Canadiennes et des Canadiens — sont d’avis que le gouvernement doit être responsable de ses actes. C’est de ce volet du projet de loi, qui concerne la responsabilité du gouvernement, que je veux vous parler aujourd’hui.

Honorables sénateurs, nous vivons dans un pays où les politiciens que nous élisons sont et doivent être responsables de leurs décisions devant l’électorat, surtout quand ils nous présentent des projets de loi en disant qu’ils sont le résultat d’une promesse électorale. Il est clair que ne nous ne voulons pas vivre dans un pays où la police a l’autorité ultime et le pouvoir d’interdire arbitrairement des biens sans être redevable de sa décision, ou si peu redevable devant le public. Pourtant, lorsqu’il s’agit d’armes à feu, le gouvernement actuel, et certains sénateurs d’en face, affirment qu’on devrait justement investir nos services de police de cette autorité. En particulier, ils insistent pour que la police, ainsi que les civils qui travaillent au Centre des armes à feu, soient habilités à prendre des décisions de classification ayant pour effet d’imposer soudainement et arbitrairement des restrictions accrues aux propriétaires d’armes à feu. Ces mêmes gens, et les sénateurs qui les appuient, croient en outre que des représentants non élus doivent être en mesure d’interdire certaines armes à feu, et ce, sans surveillance adéquate et sans verser d’indemnisation aux personnes qui se sont procuré ces armes légalement et en toute bonne foi en vertu des lois existantes dans notre pays.

En vertu de la loi actuelle, le Centre des armes à feu jouit de cette autorité, mais une mesure de protection importante est prévue. Le gouverneur en conseil est habilité, lui aussi, à prendre des règlements qui relèvent de la Loi sur les armes à feu. En fait, le gouverneur en conseil peut examiner les décisions prises par les fonctionnaires et prendre des règlements alternatifs s’il le juge souhaitable. Il faut comprendre que le gouverneur en conseil ne procède ainsi que dans des circonstances exceptionnelles. Un de ces rares cas est survenu en 2015, lorsqu’il a annulé une décision du Centre des armes à feu qui visait à interdire sans préavis deux armes à feu précises, soit les armes SAM Swiss Arms et les fusils CZ.

L’arme à feu Swiss Arms a été utilisée pendant 12 ans par les tireurs canadiens comme arme à feu sans restriction. Les propriétaires d’armes à feu avaient acheté cette arme en sachant qu’elle était sans restriction. Cependant, en raison de constatations du Centre des armes à feu en 2014, on a jugé que ces armes avaient été classées de manière inappropriée pendant plus de 10 ans. En conséquence, elles ont été, soudainement et sans préavis, reclassifiées comme des armes à feu prohibées. Cela a eu pour résultat que presque tous les fusils CZ 858 importés après 2007 ont été reclassifiés, eux aussi, comme des armes à feu prohibées. Cette décision a eu une incidence sur plus de 10 000 Canadiens propriétaires d’armes à feu qui avaient acheté cette arme en toute bonne foi, croyant, avec raison, qu’il s’agissait d’une arme à feu sans restriction. En raison de la décision relative à la reclassification, ces armes à feu ont été soudainement interdites, ce qui a eu des conséquences importantes et négatives sur leur valeur, et ce, sans qu’aucune indemnisation ne soit accordée aux propriétaires.

Gerry Gamble, des Sporting Clubs of Niagara, a dit au comité que l’impact de cette décision était de 1 500 $ à 4 000 $ pour chaque arme à feu. Cela représente un impact financier important.

Lorsque la décision a été prise, le gouvernement pouvait encore l’infirmer par l’entremise d’un décret. Ainsi, en 2015, ces deux armes à feu ont été de nouveau classées comme des armes à feu sans restriction, conformément à la pratique en place pendant plus d’une décennie.

Avec le projet de loi C-71, le gouvernement actuel a recours au processus législatif pour annuler cette décision. Les sénateurs croient que cela est injuste, mais le gouvernement, au moins, agit avec transparence au moyen d’une loi présentée au Parlement. Cependant, le projet de loi C-71 propose également que, à l’avenir, des armes à feu, et même d’autres types de dispositifs, pourront être reclassifiées par le Centre des armes à feu sans que le gouverneur en conseil puisse remettre en question la décision ni l’infirmer s’il le juge pertinent.

Bien que le gouvernement insiste pour dire qu’il fait confiance au Centre des armes à feu pour prendre ce type de décision sans surveillance, sa confiance a des limites, puisqu’il l’autorise seulement à restreindre davantage une arme à feu, tout en éliminant l’option de prendre la décision contraire, soit de reconduire le statut sans restriction pour certaines armes à feu. En réalité, le gouvernement fait confiance à la police et à ses représentants pour imposer des restrictions, mais pas pour en supprimer. Il y a là une incohérence assez évidente.

Le gouvernement a affirmé que les armes à feu reclassifiées feraient l’objet d’une protection des droits acquis. Toutefois, le fait de prévoir des droits acquis ne protège pas la valeur d’une arme à feu. Lorsqu’une arme à feu est prohibée, elle perd toute sa valeur pécuniaire. Pourtant, le gouvernement ne prévoit pas verser d’indemnisation aux propriétaires. Je vous rappelle que, dans d’autres pays, comme en Australie, l’interdiction d’une arme à feu est accompagnée d’une indemnisation. Au Canada, le gouvernement actuel propose de mettre entre les mains de fonctionnaires le pouvoir illimité de prohiber les armes à feu, sans prévoir verser une indemnisation à la suite de ces décisions. Selon moi, cette façon d’agir derrière des portes closes fait de cette disposition une mesure injuste et sans appel. Cette mesure pourrait même donner lieu à des abus qui auront de graves conséquences financières. Cette mesure manque de respect envers bon nombre d’honnêtes Canadiens propriétaires d’armes à feu.

Le Comité de la sécurité nationale et de la défense a entendu de nombreux témoins, qui ont parlé des décisions arbitraires qui sont souvent prises par le Centre des armes à feu en vue de modifier des classifications en vigueur depuis des années, voire des décennies. Aujourd’hui, le gouvernement actuel nous dit qu’à l’avenir, en vertu du projet de loi C-71, il sera même impossible de remettre ces décisions en question. Selon moi, cette disposition n’est ni justifiée ni équitable. J’irais jusqu’à dire qu’elle est contraire aux valeurs canadiennes.

Dans presque tous les autres domaines de la politique publique, ceux et celles que nous élisons ont le droit de remettre en question des décisions prises par leurs représentants. À titre d’exemple, en ce qui concerne la mise en valeur des ressources naturelles dans le projet de loi C-69, le gouvernement appuie son raisonnement en grande partie sur le fait que les décisions ultimes doivent toujours revenir aux ministres. Dans le projet de loi C-69, le gouvernement s’est donné des douzaines de possibilités d’intervenir dans le processus et d’imposer des solutions ou des résultats politiques. Les organisations du milieu des affaires nous ont dit que, dans ce cas-ci, ces interventions se feront au détriment des entreprises canadiennes.

Toutefois, dans le projet de loi C-71, ce même gouvernement préconise le contraire. Le pouvoir qui est prévu s’exercera par des représentants sans que ces derniers fassent l’objet d’une surveillance, et ce, au détriment des entreprises qui disposent de stocks importants, ce qui risque d’imposer des interdictions arbitraires aux dépens des personnes.

Dans le cas du projet de loi C-71, c’est l’absence de toute surveillance à l’égard des fonctionnaires du gouvernement qui pose problème. Voilà l’incohérence que nous devons corriger avant de renvoyer ce projet de loi à l’autre endroit. Aucun processus bureaucratique n’est parfait, et c’est pourquoi il faut prévoir un mécanisme d’appel. Il faut qu’il y ait suffisamment de flexibilité pour corriger les erreurs et pour que les représentants sachent que quelqu’un les surveille.

Je vous remercie.

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