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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

3 décembre 2020


Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi S-212, Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés).

Il s’agit d’un projet de loi simple qui propose une modification importante à une loi existante. Il vise à aider des membres du jury qui ont subi des dommages psychologiques après avoir été exposés à des expériences traumatisantes durant un procès. Le projet de loi décriminaliserait le fait pour un juré de parler à un professionnel de la santé du procès et de ses conséquences négatives sur sa santé mentale.

Pensez-y un instant.

Les traitements psychologiques pour le trouble de stress post-traumatique incluent habituellement des discussions sur de nombreux aspects d’une situation traumatisante afin de pouvoir guérir efficacement le patient. Or, dans sa forme actuelle, la loi interdit à un membre du jury qui souffre d’un trouble mental ou d’un problème de santé mentale, développé lors de l’accomplissement de son devoir civique, de recevoir un traitement efficace pour des dommages découlant de cette activité. C’est injuste.

Le projet de loi pourrait atténuer cette injustice en améliorant les chances de rétablissement des personnes ayant subi des dommages psychologiques à cause de leur travail comme jurés. Il retire un obstacle du chemin des jurés qui ont besoin de s’exprimer librement et confidentiellement à un professionnel de la santé pour traiter leurs dommages psychologiques.

Cela dit, bien que j’appuie sans réserve le projet de loi, je suis d’avis qu’il ne va pas assez loin. Nous devons certes veiller à ce que les jurés qui souffrent de blessures psychologiques à la suite de l’exercice de leurs fonctions puissent obtenir les traitements dont ils ont besoin, mais nous devons en faire plus. En tant que société et en tant que législateurs, nous avons la capacité de réduire la probabilité qu’une telle blessure se produise. Bref, nous avons la possibilité d’empêcher que surviennent des troubles mentaux, comme le trouble de stress post-traumatique, dans l’exercice des fonctions de juré.

Tout d’abord, les candidats susceptibles de développer un trouble de stress post-traumatique à la suite de leur participation au jury pourraient être ciblés lors du processus de sélection. La nature du procès est connue bien avant la sélection du jury. Si le procès contient des éléments traumatisants importants qui sont susceptibles d’entraîner un trouble de stress post-traumatique chez les personnes les plus à risque, pourquoi ces dernières ne pourraient-elles pas être exemptées de participer au procès?

Des recherches nous ont montré — par exemple, vous pouvez consulter la synthèse de M. Bryant publiée dans la revue World Psychiatry l’année dernière — que le risque de souffrir d’un trouble de stress post-traumatique après avoir vécu une situation traumatisante n’est pas le même pour tout le monde. Certaines personnes sont plus à risque que d’autres. Les experts connaissent les facteurs de risque qui augmentent la probabilité de développer un trouble de stress post-traumatique. Par conséquent, pourquoi ne choisit-on pas les jurés en tenant compte des facteurs de risque et ne donne-t-on pas aux jurés qui présentent le plus de facteurs de risque la possibilité de se récuser d’un procès dans lequel des éléments traumatisants seront présentés?

Étant donné que la plupart des personnes ne développent pas de trouble de stress post-traumatique lorsqu’elles sont exposées à la même expérience traumatisante, cette simple mesure pourrait éviter à des jurés de souffrir d’un trouble de stress post-traumatique, et ce, sans avoir d’incidence importante sur la capacité de former le jury.

Deuxièmement, on connaît quels sont les symptômes précurseurs de l’état de stress post-traumatique. De plus, les experts savent quelles interventions peuvent freiner le développement de l’état de stress post-traumatique si elles sont appliquées tôt, alors que la réaction au traitement est, en général, plus robuste. Ainsi, pourquoi ne pas appliquer ces connaissances aux jurés que l’on expose à du matériel traumatisant pendant des périodes prolongées?

On pourrait fournir aux jurés qui participent à ce genre de procès du matériel éducatif sur les états d’esprit auxquels ils peuvent s’attendre et quels genres de symptômes peuvent signaler le développement de l’état de stress post-traumatique. On pourrait même les faire assister à une séance d’information à ce sujet donnée par un psychologue ou un conseiller spécialement formé, comme cela se fait à l’heure actuelle auprès des militaires et des membres de la GRC déployés à l’étranger. Ces spécialistes pourraient être nommés par la cour et être présents pour aider à discerner si les symptômes qui se manifestent chez un juré exposé à du matériel traumatique dans le cadre du procès sont probablement normaux ou signalent peut-être le développement de dommages psychologiques. Par exemple, l’apparition de réactions dissociatives aiguës où un juré connaît des périodes où il est détaché de la réalité, est désorienté ou n’arrive plus à déterminer s’il est éveillé ou s’il dort. Il serait idéal que, lorsque de tels symptômes se manifestent, les jurés puissent être évalués par un expert en santé mentale nommé par la cour capable de déterminer avec certitude la probabilité que la poursuite de l’exposition nuise à la santé mentale du juré.

Cette simple intervention pourrait avoir une incidence bénéfique pour prévenir le développement de troubles de stress post-traumatique et les effets dévastateurs pour l’esprit qu’ils peuvent engendrer. Du même coup, on épargnerait à la personne et au système de santé de devoir consacrer temps et argent au traitement des troubles de stress post-traumatique une fois qu’ils ont pris racine.

Troisièmement, tout le monde ici sait que l’accès rapide aux meilleurs soins en santé mentale fondés sur des données probantes est un problème à l’échelle du Canada. Il est donc probable que, si une personne développe des troubles de stress post-traumatique alors qu’elle remplit son devoir de juré, il lui faudra du temps avant d’obtenir l’accès à un traitement efficace. Dans l’intervalle — ce qui signifie plusieurs mois dans certaines régions —, les troubles pourront prendre de l’ampleur et devenir plus difficiles à traiter, une fois que le traitement aura commencé.

Pour éviter ce genre de situations, les tribunaux ne pourraient-ils pas disposer de fournisseurs de soins en santé mentale spécialisés dans le diagnostic et le traitement des troubles mentaux causés par des traumatismes qui pourraient répondre aux besoins des jurés, le cas échéant? Cela pourrait fonctionner comme dans les établissements où des soins en santé mentale peuvent être obtenus dans le cadre de programmes d’aide aux employés ou comme la façon de procéder des commissions d’indemnisation des accidentés du travail lorsqu’elles renvoient les personnes qui ont besoin de tels soins à des fournisseurs.

Honorables sénateurs, les occasions de prévention dont j’ai parlé ne sont pas compliquées. Elles sont cependant fondées sur les meilleures données scientifiques dont nous disposons. Si on les mettait en œuvre, elles pourraient empêcher le développement de certaines maladies mentales, comme les troubles de stress post-traumatique, chez ceux à qui on demande d’être jurés.

Nous ne devrions certainement pas punir les citoyens canadiens qui accomplissent leur devoir civique, surtout lorsqu’on sait déjà comment fournir les interventions peu coûteuses et faciles à mettre en œuvre pouvant atténuer le risque qu’ils développent un trouble mental en faisant leur devoir de citoyen.

Je me rends compte que bon nombre de questions que j’ai soulevées ne sont pas abordées dans ce projet de loi. Je les soulève en vue d’alimenter les discussions qui auront lieu lors de l’étude en comité de ce projet de loi, lequel pourrait avoir d’importantes retombées. J’espère que, grâce au projet de loi S-212, les jurés qui participent au bon fonctionnement de notre système judiciaire ne seront pas punis pour leur engagement civique.

Sur ce, honorables sénateurs, j’exhorte le Sénat à prendre les mesures nécessaires pour faire progresser ce projet de loi le plus rapidement possible.

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