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Affaires sociales, sciences et technologie

Motion tendant à autoriser le comité à étudier le Cadre fédéral de prévention du suicide--Suite du débat

14 décembre 2021


L’honorable Dan Christmas [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer fermement la motion du sénateur Kutcher tendant à autoriser le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie à étudier le Cadre fédéral de prévention du suicide.

Aujourd’hui, mon intervention sera brève, mais j’espère qu’elle saura vous toucher, car je vais parler des effets du suicide en racontant l’histoire d’un jeune homme mi’kmaq qui semblait voué à un avenir des plus prometteurs, mais dont la vie s’est malheureusement terminée beaucoup trop tôt.

J’en parle aujourd’hui parce que je me sens le devoir de le faire, étant donné que le taux de suicide chez les Premières Nations, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des réserves, chez les Métis et chez les Inuits est plus élevé que chez les non-Autochtones. J’ai vu comment le suicide représente une perte incommensurable non seulement pour la famille et les amis du disparu, mais aussi pour sa communauté et pour le tissu social, surtout lorsque la victime est une jeune personne.

Comme je l’ai mentionné, j’ai connu un jeune homme dans cette situation. C’était un membre d’une famille de la communauté de Millbrook, en Nouvelle-Écosse. J’aimerais maintenant vous raconter son histoire, honorables sénateurs.

Il s’appelait Cody Glode. Cody a grandi dans une famille chaleureuse et aimante. Ses parents, Matthew et Lisa, ont dit du jeune Cody qu’il était un enfant doté d’une exubérance et d’un sens de l’humour formidable qu’il a conservés tout au long de son adolescence et de sa vie de jeune adulte. L’enthousiasme de cet homme était carrément contagieux.

Cody était par ailleurs un homme talentueux; certains iraient jusqu’à dire qu’il était surdoué. À 19 ans, il est devenu le plus jeune pompier à temps plein du service d’incendie de Truro et le seul Mi’kmaq au sein de ce service.

Il était aussi une étoile montante sur la scène locale des arts martiaux mixtes, et berçait le rêve d’atteindre le sommet dans son sport.

Il avait une saine obsession pour les arts martiaux, grâce à laquelle son passe-temps est devenu une passion. Sa grande passion et sa détermination ont caché son combat personnel, car, voyez-vous, Cody était une personne dépressive ultra-performante.

Finalement, à 20 ans, après en avoir souffert pendant huit années, les symptômes de Cody étaient tels qu’il a eu recours au service téléphonique local d’aide en santé mentale. Lorsqu’il n’a pas reçu une assistance immédiate, il s’est présenté à l’urgence d’un hôpital, où on lui a dit de demander un suivi à son médecin de famille, qui lui a ensuite conseillé de consulter un psychologue.

Devant un temps d’attente de deux mois qui lui semblait être une éternité, sa lueur d’espoir a immédiatement vacillé. Trois semaines plus tard, le 2 mars 2016, se sentant complètement défait, il s’est enlevé la vie.

Trois ans plus tard, on a demandé à sa mère si elle souhaiterait pouvoir ramener son fils. Elle a répondu non, en soulignant que ce serait égoïste parce qu’il souffrait tellement.

Pourtant, indirectement, Cody Glode a laissé un héritage qui a permis d’illuminer une voie à suivre pour que les vies comme la sienne puissent être sauvées et qu’un système en mauvais état soit réparé.

En 2017, le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord a entrepris une étude sur la crise des suicides dans les communautés des Premières Nations et a publié un rapport, Point de rupture : la crise de suicides dans les communautés autochtones.

Les membres de la famille Glode ont courageusement comparu devant le comité en tant que témoins. Je laisserai leurs mots exprimer l’héritage laissé par leur fils et neveu, Cody Glode.

Son père, Matthew, a parlé de la détresse de Cody dans sa quête de soins pour l’aider à traiter sa maladie mentale.

Pour beaucoup de gens qui souffrent de maladie mentale, qui sont au fond du trou du désespoir, faire un appel téléphonique, c’est comme escalader le mont Everest. Si Cody était entré dans le cabinet du médecin avec une bosse sur la tête, un taux de glycémie élevé, une douleur à la poitrine ou même un pied cassé, l’aide aurait été immédiate. Les problèmes de santé mentale doivent entraîner la prise de mesures immédiates. « Santé mentale » est un terme avec lequel les gens doivent se sentir à l’aise. Notre fils n’était pas fou. Il n’avait pas les nerfs fragiles. Il n’était pas seul. Il souffrait tous les jours de la maladie mentale. Si cela avait été le cancer, toutes sortes de services d’aide auraient été offerts.

Il a ensuite décrit les répercussions du suicide et de la maladie mentale et nous a donné son avis à ce sujet :

La santé mentale isole et invalide. Elle tue ses victimes. En tant que pays, nous devons faire de la santé mentale un terme courant. Nous devons mettre en place un système qui sauve des vies, qui, au besoin, tient la main de la personne jusqu’à ce qu’elle reçoive l’aide dont elle a besoin. Nous avons besoin que les gens soient là pour continuer à prendre soin de la personne, même après que l’aide a été donnée et reçue, qu’il s’agisse d’une simple visite ou d’un appel téléphonique, ou d’une personne en place qui donne un câlin, adresse des mots d’encouragement ou tend une oreille attentive. C’est parfois tellement simple, mais pourtant, c’est crucial pour la personne qui est sur la voie sombre et solitaire de la maladie mentale.

La tante de Cody, Pam, est directrice exécutive du Mi’kmaw Native Friendship Centre, à Halifax. Elle a offert du contexte et des précisions au comité concernant les problèmes de santé mentale au sein de la communauté autochtone. Elle a dit :

Je viens juste d’écouter le témoignage d’une jeune fille qui disait qu’elle était brisée, et cela m’offusque grandement. Je suis outrée par le fait que cette jeune fille ou n’importe laquelle de nos enfants ait l’impression d’être brisée. En tant que peuple, nous ne sommes pas brisés. Les systèmes sont brisés, ainsi que les politiques, et voilà ce qui doit changer. Dans notre collectivité, que ce soit dans la réserve ou dans un contexte urbain, nous ne sommes pas brisés. Les systèmes sont brisés. Cela ne date pas d’hier. Ils ont été conçus pour nous laisser tomber encore et encore. J’ai vu cette situation se produire à maintes reprises.

Je crois très sincèrement qu’il y a moyen de faire avancer les choses. Nous parlons de réconciliation — tout le monde brandit ce mot à tort et à travers, maintenant —, et c’est dans cette direction que nous devons aller. Je crois vraiment qu’on peut y arriver. Je crois qu’il faudra beaucoup de temps pour y arriver. Je crois qu’il faudra que nous fassions les choses ensemble, pas que le gouvernement fasse des choses à notre communauté, mais avec nous, à nos côtés, pas devant nous, et pas derrière nous. Je crois que ces politiques doivent être conjointes et qu’elles doivent être faites ensemble.

Je crois sincèrement que notre communauté peut se rétablir. Je crois que, quand la société dans son ensemble reconnaîtra... [que] nous devons faire en sorte que les gens comprennent pourquoi les choses sont comme elles sont. Ne nous en voulez pas parce que nos familles ont été envoyées dans les pensionnats ou parce qu’il y a eu la rafle des années 1960, ou bien là cause du passé et de toutes les choses qui ont créé cette situation, comme la Loi sur les Indiens. Elles ont toutes été créées pour assimiler les Indiens et pour éradiquer le problème qu’ils présentaient, et ce sont des choses réelles.

Les gens ont besoin d’être traités avec respect. Cela me brise le cœur que de savoir que, malgré tout ce que nous faisons, nous n’avons même pas pu aider mon propre neveu. J’ai remis mon travail en question pour cette raison. Cependant, je crois également que ce qui est arrivé à Cody, à mes yeux, c’est le point tournant, même dans ma vie. Je crois que quelque chose de bon ressortira du décès de Cody.

[...] nous devons, au sein de l’organisation, du centre d’amitié et de notre communauté, commencer à faire les choses ensemble, pas en vase clos, pas séparément, et pas à Ottawa, mais ensemble. Nous parlons d’une stratégie nationale. Nous parlons de toutes ces choses. La réalité, c’est que nous devons commencer à faire les choses ensemble. Je ne veux pas dire faire des choses aux autres. Je veux dire ensemble. Nous devons tenir cette conversation honnête et sincère, et l’humilité doit jouer un rôle à cet égard.

Honorables sénateurs, s’il fallait une sonnette d’alarme, la voilà. Comment pouvons-nous envisager aller de l’avant sans appuyer cette motion après avoir entendu un témoignage si criant de vérité?

Un adage d’origine inconnue dit ceci : « Le suicide n’empêche pas ta vie de devenir pire. Il élimine la possibilité qu’elle s’améliore un jour. »

Honorables sénateurs, appuyer l’adoption de cette motion équivaut à améliorer de façon tangible les chances de réduire le nombre de morts tragiques par suicide et leurs répercussions dévastatrices. On a déjà dit de notre vénérable institution que certains de ses meilleurs travaux se font en comité.

J’appuie sans réserve la position du sénateur Kutcher selon laquelle les comités sénatoriaux peuvent orienter leurs travaux sur les priorités ciblées par cette Chambre. J’espère sincèrement qu’en réponse à cette motion, nous renverrons d’une seule voix le Cadre fédéral de prévention du suicide au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie parce qu’il est important qu’on se penche sur celui-ci.

Cody Glode souffrait. De nombreuses autres personnes ont souffert et tant d’autres souffrent, mais ces dernières sont heureusement encore parmi nous. On dit que l’aube met fin à toutes les tempêtes. Pourtant, la noirceur du suicide assombrit encore notre société.

Adoptons sans tarder cette motion dans l’espoir d’accélérer l’arrivée de l’aube en soumettant cet enjeu vital à un comité.

Wela’lin. Merci.

Sénateur Christmas, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Christmas [ - ]

Oui. J’y répondrai avec plaisir.

Merci, monsieur le sénateur Christmas, de nous avoir raconté l’histoire tragique de Cody et de nous avoir fait savoir, dans les mots de la famille, qu’on ne prend pas les mesures qui doivent être prises. Selon vous, dans cette situation, est-ce qu’il y a des solutions qui ont été ignorées?

Le sénateur Christmas [ - ]

Merci, monsieur le sénateur. J’ai souvent réfléchi à cet événement. Lorsque Cody s’est présenté aux urgences et a demandé de l’aide, l’urgentologue l’a aiguillé vers un psychologue, mais il y avait deux mois d’attente. Idéalement, il aurait fallu que le médecin procède à un triage des cas de santé mentale, qu’au cours des 24 heures suivant la visite de Cody à l’hôpital, un professionnel de la santé mentale communique avec lui — idéalement en personne, mais un appel téléphonique aurait fait l’affaire — et que ce professionnel évalue son état mental pour déterminer de quels services il avait besoin. Je pense que si quelqu’un avait tenté de communiquer avec Cody dans les 24 heures, cela aurait pu faire toute la différence.

Malheureusement, comme vous le savez, monsieur le sénateur, le système de santé n’est pas en mesure de réagir aussi rapidement. J’espère que le jour viendra où nous aurons un système qui fonctionne bien et qui permettra de communiquer rapidement avec les jeunes ou avec toute personne souffrant d’un problème de santé mentale pour que ces personnes puissent être prises en charge.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) [ - ]

Votre Honneur, je sais qu’il s’agit d’un débat important, mais je vais ajourner le débat. J’espère avoir l’occasion d’en reparler bientôt. Merci.

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