Le centième anniversaire de la Loi d’exclusion des Chinois
Interpellation--Suite du débat
19 septembre 2023
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation du sénateur Woo, dont l’objectif est double. Premièrement, elle nous invite à célébrer l’apport inestimable des Canadiens d’origine chinoise à notre pays. Deuxièmement, elle nous invite à réfléchir aux préjugés, à l’exclusion et à la discrimination auxquels les Canadiens d’origine asiatique sont confrontés. Si nous célébrons aujourd’hui la remarquable contribution des Canadiens d’origine chinoise, nous ne pouvons ignorer la réalité historique et les préjugés qui perdurent encore aujourd’hui.
Bien que des progrès considérables aient été accomplis, il reste encore beaucoup à faire. Nous devons profiter de cette occasion non seulement pour nous réjouir, mais aussi pour réfléchir et agir. Les Canadiens d’origine chinoise ont laissé une marque indélébile sur l’histoire de notre pays. Ils ont contribué à l’essor du Canada dans tous les secteurs de notre société, que ce soit à titre de travailleurs ou d’entrepreneurs, ou bien dans les milieux de la culture, de l’enseignement, du sport ou de la politique.
Certains d’entre vous ignorent peut-être qu’en 1788, des Chinois ont participé à l’expédition du capitaine John Meares qui a débarqué sur le territoire des Nuu-chah-nulth pour y établir la première colonie non autochtone permanente sur le territoire de l’actuelle Colombie-Britannique, 79 ans avant la fondation du Canada et 83 ans avant que la Colombie-Britannique ne se joigne à la Confédération.
Malheureusement, les discours anti-Chinois sont devenus partie intégrante d’une idéologie politique raciste qui, en 1871, a contribué à priver les non-Blancs du droit de vote, y compris les Chinois et les « Indiens ». Cette mesure a été accompagnée de nombreuses autres formes de discrimination raciale contre les Canadiens d’origine chinoise, dont la ségrégation forcée, tant dans la vie que dans la mort. Par exemple, selon les documents d’inhumation du cimetière de la baie Ross à Victoria, les Chinois étaient enterrés dans un bloc spécial réservé aux « Aborigènes et aux Mongols ». Le premier Chinois enterré dans ce bloc a été inscrit sur la liste sous le nom de « Chinaman no 1 », le deuxième sous le nom de « Chinaman no 2 » et ainsi de suite.
Motivé par cette idéologie politique raciste, le gouvernement fédéral a mis en œuvre la Loi de l’immigration chinoise de 1885. Cette loi impose une « taxe d’entrée » de 50 $ à chaque Chinois qui entre au Canada. Seules six catégories de personnes sont exemptées : les diplomates, les membres du clergé, les commerçants, les étudiants, les touristes et les hommes de science. L’objectif de la taxe d’entrée était de décourager les Chinois de venir au Canada.
En 1901, on a haussé la taxe à 100 $, puis, en 1903, elle a été haussée de nouveau à 500 $, soit l’équivalent de deux années de salaire pour un ouvrier. Malgré la lourde taxe, des migrants chinois ont continué de venir. Selon le site Web du gouvernement de la Colombie-Britannique, aucun autre groupe d’immigrants dans l’histoire de la Colombie-Britannique n’a souffert aussi longtemps de mauvais traitement autorisés de manière aussi officielle à l’égard des membres de sa communauté. Pendant la période où la taxe d’entrée était en vigueur, soit de 1885 à 1923, plus de 97 000 immigrants chinois qui cherchaient à améliorer leur sort sont quand même venus au Canada et ont contribué à bâtir la société britanno‑colombienne et canadienne.
Bien des Canadiens sont probablement au courant de l’exploitation des ouvriers chinois qui, dans les années 1880, ont contribué à la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique dans l’Ouest. Les deux tiers de ces travailleurs des chemins de fer étaient des Canadiens d’origine chinoise qu’on faisait venir de Chine et de Californie par bateau et qui travaillaient le plus souvent sur les chantiers les plus dangereux. Ils étaient payés 1 $ par jour et ils devaient payer leur nourriture et leur équipement, alors que les travailleurs blancs touchaient un salaire quotidien de 1,50 $ à 2,50 $ et n’avaient pas à payer pour leurs provisions. C’est aux travailleurs chinois que l’on confiait les travaux de construction les plus dangereux. Des centaines sont morts d’un accident, de maladie ou de malnutrition.
Leur contribution a été immortalisée dans la musique folk canadienne. Dans sa chanson classique intitulée Canadian Railroad Trilogy, notre troubadour, Gordon Lightfoot, chante ceci :
Les ouvriers du chemin de fer, c’est nous
Sous un soleil de plomb, on joue du marteau
On boit du mauvais whiskey, on se nourrit de ragoût
À longueur de journée, on se casse le dos
Alors que le chemin de fer n’aurait pas pu être construit sans eux, tous les travailleurs sino-canadiens ont été écartés de la célébration finale avant que soit prise la photo emblématique — nous l’avons tous vue — de la pose du dernier crampon symbolique. C’est comme s’ils n’avaient jamais existé.
C’est dans cette perspective historique raciste que le gouvernement du Canada a introduit, le 1er juillet 1923, une nouvelle loi sur l’immigration chinoise, communément appelée Loi d’exclusion des Chinois, afin de mettre un terme à l’immigration chinoise au Canada. Cette loi a perduré pendant près d’un quart de siècle.
Elle a finalement été abrogée en 1947, après que les Canadiens d’origine chinoise se sont distingués en combattant et en mourant pour le Canada pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils sont morts, soit dit en passant, pour protéger le mode de vie d’un pays qui leur avait refusé une vie dans le respect des droits de la personne.
Le sénateur Woo nous a rappelé avec clarté et éloquence certains des discours prononcés en faveur de cette loi par nos prédécesseurs dans cette enceinte.
Ces opinions, exprimées par nos collègues d’autrefois, marquent un moment sombre de notre histoire et devraient nous inciter à dire « plus jamais ».
Nous devons reconnaître ce douloureux legs et en tirer des leçons, en veillant à ce qu’une telle injustice ne se reproduise plus jamais à l’égard de qui que ce soit.
Malheureusement, malgré les progrès accomplis, des formes contemporaines de préjugés et d’exclusion persistent. Les Canadiens d’origine asiatique continuent d’être victimes de discrimination, de préjugés et d’obstacles systémiques qui entravent leur pleine intégration et leur participation équitable à notre société. Il est de notre responsabilité, en tant que parlementaires, de relever ces défis et d’œuvrer à l’avènement d’un Canada plus inclusif et plus juste.
Pour ce faire, les Canadiens doivent donner la priorité à l’éducation et à l’élargissement de notre conscience historique commune. En enseignant les contributions et l’histoire des différentes communautés, y compris des Canadiens d’origine chinoise, nous pouvons contribuer à favoriser l’empathie, la compréhension et le respect de tous les Canadiens, entre tous les Canadiens. Nos écoles doivent être des lieux où la richesse de l’ensemble de notre patrimoine est célébrée, où les stéréotypes sont démantelés et où les générations futures peuvent apprendre les nombreux traits importants que nous avons tous en commun.
En tant que législateurs, nous avons la possibilité de renforcer nos lois, nos politiques et nos institutions afin de progresser vers l’éradication de la discrimination sous toutes ses formes.
Dans cette enceinte même, c’est en reconnaissant et en abordant nos préjugés inconscients, en faisant la promotion de la diversité dans nos postes de direction et en créant des espaces respectueux et inclusifs que nous pouvons contribuer à bâtir un Canada où ceux que vous aimez, l’endroit d’où vous venez, la couleur de votre peau, ou tout autre facteur qui peut être utilisé pour refuser une participation pleine et entière à notre société, sont considérés comme non pertinents.
Assurons-nous, dans cette enceinte, de faire preuve de la bienveillance, de la compassion et du respect mutuels que tous les habitants des quatre coins du pays méritent.
Honorables sénateurs, l’interpellation du sénateur Woo est un rappel émouvant des contributions inestimables des Canadiens d’origine chinoise tout au long de notre histoire. Elle nous exhorte également à affronter les préjugés tenaces auxquels sont confrontés les Canadiens d’origine chinoise, en étant conscients du contexte historique marqué par l’adoption de la Loi d’exclusion des Chinois il y a un siècle. Unissons-nous pour célébrer les contributions, pour nous souvenir et pour nous engager à bâtir un Canada où la diversité est chérie, l’égalité est protégée et chacun peut s’épanouir.
Chers collègues, le Canada a été façonné par des mains de toutes les couleurs, et notre hymne est entonné par des voix aux multiples accents. Toute cette diversité est une source de richesse.
Honorables sénateurs, je vous remercie de votre attention. Engageons-nous à travailler ensemble pour créer un Canada plus inclusif et plus équitable, où l’exclusion et la discrimination n’ont pas leur place, alors que nous honorons les contributions de tous les Canadiens, d’hier et d’aujourd’hui. Engageons-nous à le faire ici, au Sénat. Merci.